Quelle idée d’avoir une prothèse en fer bas de gamme… Mes petits frères et ma petite soeur m’enjoignent - trop souvent - de requérir les services d’un adepte de la supra-vitalité. Pour eux, profiter des qualités curatives des techniques Uzumaki n’est plus un luxe que l’on ne peut pas s’offrir. Avoir deux bras valides, et non un bras en fer, l’autre en chair, serait mieux vu dans le milieu du grand banditisme. A l’instar des blessures qui zèbrent bien des peaux, porter une prothèse ne traduit qu'un constat : un manque de force. Nul ne perd un membre ou n’est blessé sans être plus faible que son adversaire.

Dans la Capitale du Crime, cette réalité prend encore plus d’ampleur. En apparence, tous les Yakuza s'affairent à monter leur entreprise, fructifier leur chiffre d’affaires et récolter les fruits de leur labeur. Dans l’ombre, une guerre intestine fait moult ravages. Ce jeu de dupes, on est tous contraint d’y jouer pour tirer notre épingle du jeu. Le plus clair du temps, les faibles, les miséreux, les handicapés, les amputés sont les premières cibles à abattre. Chaque expression de faiblesse est une stigmate dans la réputation du syndicat mafieux. La Cité Noire est un repère de hyènes.

Hélas, les rares barons du crime qui se sont tournés vers le Clan Shinnin, et plus précisément son lieutenant amputé, à savoir moi, ont eu la correction de leur vie. Je ne suis pas le shinobi le plus puissant du Continent, mais je suis assez fort pour corriger les petites frappes qui tentent de faire pression sur nous. A force de cabosser des crânes, d’arracher des dents et de briser des côtés, j’ai réussi à asseoir une petite réputation de belliciste. On ne s’approche plus de moi sous prétexte que je suis soi-disant diminué. On préfère me confronter pour ma force, ma violence, ma folie - et cela m’arrange grandement. Je dois avouer avoir une certaine flemme de corriger les petits chiots qui pénètrent mon territoire.

Dans ce canevas de sang, de larmes et de morts, je ne vois qu’une ombre au tableau. Ma prothèse, floquée par les armoiries Shinnin, peine à suivre la cadence. Elle me permet de tenir un uchigatana, d’attraper des gorges, d’écraser des membres, mais je sens qu’à chaque interaction avec les voyoucrates du pays de la Pluie, son efficacité diminue. En ce moment, il m’est presque impossible de fermer le poing, mes phalanges sont grippées. Comment pourrais-je collecter nos dettes si l’on me voit être incapable de donner le moindre coup ? De plus, si l’on ajoute à cela mon incapacité de manifester mon Chakra avec cette main - faute de liaison prothèse-tenketsu - je dois dire qu’il est grand temps de passer à l’étape supérieure.

Vieux Père a toujours été proche de ses sous. C’est une maladie qui le consume de l’intérieur. J’appelle ça la fièvre jaune. De prime abord, il ne souhaitait pas me trouver un artisan capable de sortir un chef-d’œuvre de création. Toutefois, lorsqu’il comprit - enfin - que les rentrées de ryos dépendaient de l’efficacité de mes assauts, et que nos chiffres étaient en berne, il prit la décision, à contrecœur, de contacter quelqu'un capable de subvenir à mes plus besoins les plus primaires.

Je ne sais rien de l’homme ou de la femme qui s’apprête à passer les portes de l’Elysée, la maison de passe de Kazu-zu. Je ne connais pas son histoire, ni ses capacités et encore moins ses talents. Shinnin H. Kagaya ne m’a confié qu’une seule information : l’artisan aurait participé aux guerres occidentales, celles mettant aux prises la Céramique et le Désert. Cette information n’est pas pour me déplaire. J’ai une certaine flemme d’expliquer mes besoins aux commerçants hors-sol. Il me faut un expert des batailles, un maestro de la destruction pour produire une prothèse inédite.

Avec cette création, je compte bien lancer une nouvelle mode à Ame ! Pourquoi conserver un bras organique lorsque l’on peut dégainer une main en fer capable de prendre par surprise les petites frappes du quartier des affaires ? Il est grand temps d’inverser la tendance. Porter une prothèse doit devenir un symbole de force. En attendant, je sirote mon petit cocktail, dans un canapé d’angle du rez-de-chaussée de la maison des plaisirs.