Les tractations entre les triades de Bo Takeshi et le pays en Ruine se confrontaient à un obstacle : Yaban Torikage. Le belliciste refusait l’annexion de la partie méridionale des terres où régnait l’anomie sociale. Aucune force en ce Continent n’était capable d’arrêter les petites mains du Marché Noir. La pègre continentale profitait d’un avantage sur les Nations guerrières et les États révolutionnaires : l’anonymat.

Certes, le pays de l’Harmonie espérait éradiquer l’hydre. Une entreprise vaine : pour chaque tête sectionnée, deux nouvelles poussaient, encore plus affamées. En outre, les pontifs du Royaume des Ombres étaient épargnés par la Guerre Froide imposée par Nara Hideki et sa Cour Internationale de Justice. Le statu quo profitait au futur pays de l’Abondance ; le pays de la Céramique et le pays du Riz n’attendait que l’accord du pays de l’Herbe.

Lorsque les mots ne suffisaient plus, les peuples du Continent montraient les crocs. Il ne fait aucun doute que la Cité Noire ferait bien plus que ça. Il ne s’agissait pas d’une simple caballe ; c’était une question d’ambition, de leviers et surtout de soumission. Sur l'échiquier politique, Hametsu n'avait pas plus de valeur qu'un simple pion. Or, le futur pays de la Pluie se considérait comme une Reine. Elle devait donc asseoir son jeu, laisser germer la confiance dans le cœur de son adversaire, puis l’écraser et saper toute chance d’indépendance et de rébellion.

Pour cette mission de la plus haute importance, le Maître du Marché Noir missionna Hanzō du Rubis. Apatride depuis la naissance, forgé par la barbarie des îles de la Junte, il était un met exquis pour les shinobi. Ancien martialiste de l’Underground, la réputation de l’ancien Capitaine-Corsaire explosa suite aux nombreux assassinats qu’il commit.

Depuis quelques années, une sentinelle s’était fait connaître pour garder la frontière du Pays-Bidonville. Pour atteindre Yaban Torikage, il fallait vaincre le Cramoisi. Il s’agirait d’un homme géant, doté d’une dizaine de bras, capable de faire ployer le ciel et d’ériger des montagnes. Sa chevelure rousse comme le soleil trônerait au sommet d’un corps forgé dans l’acier le plus résistant des forges du pays du Fer. Sa rage infinie serait un leg des premiers barbares du pays de l’Eau… En somme, les rumeurs le nommaient Densetsu no Senshi (伝説の戦士, le Guerrier Légendaire).

Pour le belluaire, l’image de l’Ogre des Bidonvilles n'était qu'une fable ; un fantasme de paysans amplifié par les ragots et le désir d'un nouvel espoir pour la contrée damnée. La présence de l’opalescent à la frontière nord-ouest ne trouvait pas son essence dans la traque de la gargouille. Hélas… Pour son plus grand dam, il était là pour une autre personne, un autre Yaban. Il ne fallut que quelques minutes - voire secondes ? - pour que le titan poignit.

▬ Je m’attendais à quelque chose de plus gros. Rictus moqueur. Nous ne sommes pas là pour ta tête. Lâcha-t-il plein d’arrogance alors qu’il était seul. Circule le canidé. A défaut de s’écarter, la suprématie du Shōton parlerait. Tes maîtres m’attendent.

Sous le grondement divin de l'orage arrivant à l'horizon, au sommet du Torii louant son culte au dieu du ciel et de la guerre, l'impétueux est plongé dans un sommeil profond. Gardien des terres du Nord, la porte céleste est le facteur matériel désignant la limite au voyageur du monde qu'ils pénètrent au sein des terres désolées du pays des Ruines, appartenant en ce jour au clan Yaban. Et au sommet de cette même porte, le Démon Cramoisi veillait.

Il y avait des histoires, des légendes, concernant chacun des membres de ce clan. Certaines rapportaient les faits victorieux de ces fiers guerriers alors que d'autres, ne savaient que peindre l'immense violence que leur animosité représentait. Quant aux rumeurs s'occupant de la bonne réputation du oni, elles étaient peu recommandables afin d'être racontées aux enfants. Mais après tout, ce ne sont que des légendes, des dires. Et seuls les serpents bavant sans promettre le moindre acte, se permettent de mettre sur le dos de fiers défenseurs de leur nation comme Gozen, des échos sanglants de la sorte. Pour le concerné, il ne fait qu'obéir à son instinct primaire; celui de la préservation.

Accroupi sur le toit du Torii, somnolant et l'air chantant, le Yaban prie pour le Dieu de la Guerre; comme chaque journée passante.


Lorsqu'au même moment, un 外人 gaijin vint à le déranger durant sa prière. Se taisant simplement, dans un calme olympien, le Démon vient à ouvrir paisiblement son seul œil visible, posant son regard prédicateur sur le malheureux ayant oser le déranger durant son adjuration. De taille respectable, une chevelure sombre de la même allure que celle de Gozen, l'individu semble en proie à la provocation faisant ressentir sans la faire ressortir, son irréductible envie de se battre. Toutefois, éternellement en tailleur, le Yaban fait preuve de clémence.

▬ « Qui que vous soyez mon brave, qui que vous cherchez, je vous prie de faire demi-tour. Cette porte n'est franchissable que par les convaincus du grand Dieu de la guerre, Hachiman - 八幡神 Yawata no kami. Ce serait une insulte à sa grandeur de le provoquer ... »

D'un silence mystique, il reprend alors la parole, donnant de l'intérêt à l'étranger.

▬ « Quel est vôtre nom ? Et que souhaitez-vous à ces terres ? »

Le primate à la crinière cramoisie se muait en bonze. L'Ogre des Bidonvilles récitait ses arias, imperturbable devant la menace que représentait Kurenai no Hanzō. La réputation du clan Yaban le précédait : première chefferie à s'enrôler dans les affres de la guerre, leur barbarie était à l'image de la dangerosité des portes sacrificielles. Après tout, Uchiha Kokkaku bâtit les unités au Gunbai en calquant Yaban Hanzo, le créateur du Code

▬ Je ne savais pas le canidé solaire si expressif. Les sauvages ne connaissaient que la force ; le belluaire dompterait le Cramoisi. Tu peux m’appeler Maître.

L'arcane rubiconde dévora le derme de l'ancien Capitaine-Corsaire. Une mosaïque de cristaux se fracturaient les uns aux autres pour façonner la fine pellicule. Aucun signe incantatoire ne poigna pour éveiller la seconde peau - le Rubis n'en voyait pas l'intérêt.

▬ J’ai compris le sous-texte. L’anomie généralisée rendait fou les Banmin. Une fois cette porte franchie, Yaban Torikage… L’index de l’opalescent mimait une décapitation.

La renommée du lieutenant de Riku traversait les frontières. Il incarnait une frange de la population de Kusa qui ne souhaitait aucune ingérence étrangère. Hélas, le Maître du Marché Noir proclama sa sentence et elle était irrévocable. Yaban Gōzen n'était que le gardien d'un passage ; il aurait pu être évité... Le patrimoine génétique du Clan Shugyoku était frappé du sceau de la mégalomanie. Un rempart ultime ? Ici ? L'ancien combattant de l'Underground devait attester sa puissance pour revendiquer un tel sobriquet.

Le buste du shinobi bascula légèrement vers l'avant, alors que le bassin abaissait son centre de gravité. La position iconique illustrait cette envie d'affronter le Monstre Rouge sur son terrain d'élection : le Taijutsu. Certes, il aurait pu façonner un monde de cristal et tenir à distance la bête ; enfermer l'ermite-martial dans un cocon d'opale ou ravager les lieux pour asseoir la domination du futur pays de l'Abondance. Il ne fit rien de tout ça par égard à son adversaire - une victoire sans difficulté était l'apanage des lâches.

▬ Ramène toi, disciple. Les phalanges se courbèrent à deux reprises, intimant à la sentinelle d’approcher.