Envoyé par mon père à Ame depuis près d'un an,  pour y faire sa sale besogne, je n’imagine pas une seule seconde ce qui  m’attends, ni ce que je vais devoir faire pour réussir –peut être un peu trop bien, ma mission. A cette époque, je crois encore le Rengo est tout puissant, que le syndicat est capable de me défendre, moi et les miens. Je suis à des lieux de savoir ce que le destin trame pour moi, ni ce que le milieu veut obtenir de ma petite personne, de son petit chien fidèle, de son alchimiste d’état. Je ne le saurais que quelques années plus tard, dans la douleur et la perte.

- Et il est sûr qu’il est compétent ? Parce que j’ai pas envie de me retrouver avec un gars qui ne connaît rien de la science, et qui saloperait le boulot …

- Fiable a cent pour cent, comme je te vois, me réponds une voix grave, celle du chef de cellule, qui parle avec assurance alors qu’il ne sait rien.

J’acquiesce de la tête, j’accepte son jugement.  Je ne suis après tout qu’une petite main, rien qui ne justifie que je remette en doute les jugements des anciens, mes supérieurs. Plus tard, je serais en mesure de rendre pièce par pièce à n’importe qui.

- Dis lui de me rejoindre dans le labo.... fais-je en descendant les escaliers, un brin frustré de cette conversation. En vrai, personne ne glande rien, d’un point de vue technique, nous sommes deux à concevoir toutes les pilules, et tous les remèdes, et tout ce qui fait que le syndicat à la mains mise sur certains territoires du monde. Deux. Un troisième serait pas de refus ... Et une révision de paye aussi.

Elle  n’est pas astronomique même si nous ne manquons de rien.

Il faut dire qu’on ne demande pas grand-chose. Et puis si on ouvre notre gueule, je parie que le chef de cellule dira un truc du genre : C’est pour la famille, fais un effort Endo. Ah, ce qu’on ne ferait pas pour la famille, je vous jure.

Aujourd’hui je suis de mauvaise humeur, j’ai pas eu ma dose. J’attrape une seringue propre, et la remplit d’un mélange de drogue, vise une veine, fais le retour, et m’injecte le tout d’un seul coup. L’effet est plus que rapide ; Il est immédiat. Mes pensées se font plus claires, mes idées moins sombres et mon état d’esprit redevient joyeux. Une bien belle saloperie. J’adore cette merde, même si elle aura ma peau un jour. Ce mélange, c’est de la bombe ! Explosif et anesthésiant pour mon esprit, je baigne dans une sorte de nuage, ou plutôt je me trouve dessus. Je vois moins flou, tout devient plus supportable, moins exécrable. Pile l’état d’esprit qu’il faut pour travailler ; Pile l’état d’esprit pour attendre mon nouveau contact.

Un gars qui s’appelle Hanzo. J’espère que c’est pas un fou furieux.

J'enfile les équipements spéciaux, et attends mon homme avec un masque sur le visage et des gants vissés jusqu'aux poignets.

L’arcane héréditaire du clan Shugyoku survécut aux tribulations judiciaires du pays de l’Harmonie. A l’instar de ses facultés, le gène opalescent résistait au fléau des Hommes. Depuis l’éveil de sa capacité unique, le belluaire s’efforçait de percer les secrets du Shōton. Ce message venu du plus profond des âges, encodé dans son patrimoine génétique, fondait bien des mythes. Certes, les épopées du Prince des Voleurs, Shugyoku Toyoshige, et de l’Usurier des Nations, Shugyoku Michizane, étaient connues par les peuples du Continent. Pourtant, ils n’étaient pas les seuls cristallins à marquer l’Histoire : Mononohime était capable de pleurer du cristal ; Yei maniait le diamant ; Obuzen développa la maîtrise du jade…

Pour prendre la régence de son clan, Hanzō du Rubis devait marquer l’histoire dynastique. Comme les figures précédentes, il devait élever l’art de manipuler le cristal, le faire tutoyer les sommets et asseoir sa domination sur les autres manifestations du Chakra. Plus que tous les autres Kekkei Genkai, le Shōton était l’incarnation de la création destructrice et de la destruction créatrice. Cette ambivalence se reflétait à la lueur de ses émanations. Le cristal pouvait consolider une bâtisse en ruine et la transformer en forteresse. Il permettait également à la matière de revenir à son état de nature : la poussière.

Pour l’ancien Capitaine-Corsaire de la Junte, il ne faisait aucun doute que la suprématie martiale des Shugyoku ferait son grand retour. Aucun pouvoir similaire n’existait ; Hokichi avait semé la corruption au sein des cellules claniques, transformant les pires brigands que connaissait le Continent en prêteurs et gagistes A l’instar des victimes du chasseur de prime, cette partie de l’histoire redeviendra poussière.

Le Maître du Marché Noir se fit l’intermédiaire d’un Alchimiste d’Etat. Engeance de Rengo (連合, le Syndicat), une cellule obscure du clan Dokueki, le savant-fou envisageait de monopoliser le marché des pilules militaires. Pour ce faire, il devait se lancer dans une lutte fratricide et ébranler le lobby instauré par ses propres ancêtres. Cette ambition antinomique, contre-nature, convainquit le belluaire, qui subviendrait ses attentes. Comme le démontra jadis Shugyoku Michizane, l’arcane clanique avait la capacité de figer la matière dans l’espace-temps. Un praticien pouvait stocker la nourriture, conserver les drogues et rendre un corps humain éternel.

▬ Hanzō. La réputation de l’opalescent parlait pour lui. Je n’ai pas besoin d’artifices. L’épiderme du shinobi reflétait la lumière, signe d’une seconde peau. Allons-y, Dokueki Endo. L’identité du Renkinjutsushi ne lui était pas inconnue. L’Oi-nin s’informait sur chaque cible ; une déformation professionnelle.

- Hanzo. Que je répète comme si j'étais idiot. Ce nom me dit quelque chose, mais d'un autre côté, j'ai vraiment besoin de ses compétences dans la création de ma drogue de combat. Elle permet, grâce à un mélange de différentes plantes, dans un ordre précis, et des dosages au millimètres, d'ignorer les dégâts, plongeant dans une transe guerrière semblable à celle de Yaban, et bien qu'elle soit dangereuse, elle reste une drogue que l'on me demande fréquemment.. La formule n'est pas au point, car il me manque de quoi stabiliser plusieurs éléments, et surtout, de quoi la garder fraiche. C'est une sorte de pâte obtenue depuis les fruits d'un arbre que l'on ne trouve qu'à Hi, et d'autre chose dont je ne parlerai pas, pour garder la surprise. Toujours est-il que si l'on ne garde pas cette formule intacte, elle perd de sa puissance plus on attends qu'elle se dégrade à l'air libre. L'oxygène a ce pouvoir oxydant, que ce soit sur mes pilules militaires, que sur le méthyliformyl, le nom savant de la drogue que je crée actuellement pour l'Oyabun.

Pour galvaniser ses soldats, pour être dans ses petits papiers, et pour faire de sa garde rapprochée des molosses sans foi ni loi, ni mesure, ni pitié.  

- Merci de t'être déplacé, on m'a vanter ta maîtrise du cristal, et j'aurai besoin que tu mettes tes dons à mon service. Je lui passe les détails détails mais lui explique le concept très rapidement. En gros, je vais avoir besoin de stabiliser un produit liquide, et le transformer rapidement en solide. Il paraît que c'est dans tes cordes ? Que je fais en regardant mon comparse, le détaillant un peu plus : Taille d' athlète, pas comme moi, son torse est large et ses mains burinée, son corps couvert de tatouages lui donnent un genre. Le genre de gars qui ne plairait pas à ta mère, ni à la mienne, le genre mauvais garçon.

- Je vais sortir le produit et tu n'auras qu'à le cristalliser. Une fois ceci fait, nous n'aurons plus qu'à le sceller pour qu'il ne bouge plus. Facile hein ? Un peu trop, et c'est bien le problème. Il n'y a rien de simple dans la chimie.

Que des tâtonnements et des inexactitudes. De la chance et du karma.

En un rien de temps, tout peut nous exploser au visage, ou retomber comme un soufflet raté.

▬ Je ne suis pas un Renkinjutsushi. Hanzō leva sa paume pour faire barrage aux avances. Il était inutile de flatter sa maîtrise du cristal ; sa présence répondait à des ordres supérieurs. Que dois-je faire ? Concrètement. Le belluaire ne partageait pas l’intérêt pour la science de son comparse : il se limitait aux avantages martiaux de son arcane. Le reste était un univers nébuleux et insondable qui ne lui apportait aucun intérêt.

Certes, il eut pensé à apprendre l’art des sceaux, pour devenir un praticien du Fuinjutsu. Eriger des barrières, poser des malédictions, être une armurerie vivante de techniques. Ces idées furent très vite chassées par la nécessité d’investir dans compétences létales. Ce n’était pas plus mal comme ça : sa maîtrise d’un ninjutsu fantasque lui permit d’être considérés par de nombreux shinobi comme Kurenai no Hanzō (紅の半蔵, Hanzō du Rubis).

▬ Rengo. J’ai entendu ce nom à Tetsu, récemment. La cellule des Dokueki était nébuleuse, presque secrète. Malgré ses connaissances étendues, le chasseur de prime ne possédait aucune information sur les pairs du savant-fou. Est-ce en lien avec Orinosuke ? Le Continent connaissait le monopole liant les Dokueki au pays du Fer.

Une pensée traversa son esprit : Gnakouri Kabushiki Kaisha (KK). Dans une certaine mesure, le magnat pouvait être lié au Syndicat. Le cas échéant, l’entente serait vouée à l’échec. Après tout, l’opaescent avait sectionné sa tête, suite à une missive du Marché Noir. D’un bref geste de main, il chassa cette idée de sa tête.

Les doigts du Rubis se rejoignirent pour danser. Les figures zodiacales du chien, du cochon, du lapin, du cheval et enfin du singe conclurent la série de signes incantatoires. Un cristal à la forme prismatique s’arracha du sol et s’établit entre l’alchimiste et son cobaye. A l’intérieur, une chaise était retenue captive. Contrairement à la glace des Yuki et au magma des Kazan, la matière restait inchangée, prisonnière du temps et du cristal.

▬ Une image vaut mille mots. Le signe du rat conjuré, le prisme explosa en une fine pluie de poussière rosée. Le cocon mortuaire qui semblait si résistant quelques secondes plus tôt n’existait plus. Tout comme la chaise retenue captive : la poussière de bois se mêlait au nuage opal. Fais ton expérience. Je te suis.

Les évidences et le mystère, planent sur cette séance de travail si particulière. L'homme aux tatouages, l'air si viril, n'est pas un scientifique. Cela ne m’étonne guère, je me sens presque insulté par cette vérité générale, absurde et totalement évidente jeté à mon visage d'homme de science. Un peu comme si nous ne boxons pas dans la même catégorie, ou que nous ne sommes pas égaux, il me fait me sentir mal à l'aise, et son discours, au demeurant est encore plus perturbant. Au nom du syndicat, je me tends, cela se voit.

- Oui, le Rengo ... Normalement, personne n'en parle, personne ne sait, personne ne doit le dire. La première règle du syndicat ? Ne pas parler du syndicat. Qu'on est mentionné son nom dans l'une des superpuissance dont l'existence même remet en doute le bien fondé de l'organisation, cela me fait des frissons. Comment et ou on en avez vous entendu parler au juste ?

Mais mon "ami" du jour est déjà dans ses propres réflexions, et sa propre démonstration. Il me montre de quoi il est capable, comme si je ne connais pas les propriété du Shoton, que son hérédité lui a donné comme pouvoir, son unicité à lui, sa particularité ; Que ce soit du sang, ou bien simplement du rubis, laisse présager un tempérament sanguin mais je peux me tromper dans mon analyse. L'homme a plus l'air inexpressif que sincèrement emporté. Peut être que c'est ce qui est le pire ; Ses dires et son comportement glaçant.

- En gros, je vais mélanger plusieurs produits ensemble, et vous allez les cristalliser. Pour le moment c'est la seule manière de faire en sorte que le produit arrive en sécurité et intacte jusqu'aux autres laboratoires, pour être vendu directement sur place. Que je lui dis, en essayant d'être plus clair. Mais comme le dit-il avec beaucoup de sagacité, une image vaut mille mot. J'attrape un parchemin scellé, et fait un mudras qui libère une pâte visqueuse, qui a l'air collante et liquide à la fois, comme dans deux état. Une fois ceci fait,  j'y adjoint des herbes toxiques et rares, de première qualité.

- C'est à toi, cristallise moi tout ça ! Que je fais en lui laissant le champ libre. Il y'a de quoi tenir un mois de pilule militaire dans la matière première ainsi crée et gisant sur la table de travail du laboratoire clandestin que nous occupons.

Le savant fou se tendit à l’évocation de la cellule enchâssée dans de nombreux pays. Le Syndicat était une chimère tentaculaire - similaire à bien des égards au Marché Noir. D’aucuns en parlaient, sans vraiment comprendre ni le but ni les idéaux qui animaient l’officine. Cette réaction plut au belluaire, qui ne put s’empêcher d’arborer un rictus. Les crocs du prédateur s’affichaient à mesure que les muscles de la proie se contractaient.

▬ J’ai enlevé une écharde dans la main du Consortium.

Une façon poétique de révéler à son auditeur que l’assassin prit la tête d’un gêneur. L’information faisait écho à la disparition récente d’un grand magnat de Tetsu, qui concurrençait le monopole des mercantilistes. Un concurrent de Musashi KK. Le mercantiliste, Okou Gnakouri, avait fait fortune dans le commerce d’opiacés, d’armes et de saké. Sur la dizaine de sociétés qu’il lança, toutes furent des succès, si bien qu’il fut appelé « Monsieur Godo ».

Pour tutoyer les sommets du Consortium, l’homme d’affaires s’était lié à la pègre continentale. Après trois années de communication intensive, de recherches et développement, de corruptions et autres jeux d’alliance, il mit sur pieds Gnakouri Kabushiki Kaisha (KK). Partant, un nouveau marché s’offrait à lui : l’armement des grandes Nations guerrières. L’Homme étant ce qu’il est, le ploutocrate en voulait toujours plus. GKK incarnait une force de frappe économique capable de mettre à mal le Consortium - son ambition creusa sa propre tombe.

▬ Tu peux parler librement. Je ne suis pas en quête des têtes du Syndicat.

L’apparition de la pâte visqueuse fut succédée par une série de signes zodiacales : oiseau - cochon - lapin - mouton. Une dizaine de crocs cristallins dévorèrent l’onguent et se multipliaient à mesure que les microsecondes s’écoulaient. Préservée par ce voile opalescent, la mixture était figée dans le temps.

▬ Le cristal peut jouer le rôle d’emballage. La dextre du Rubis saisit le stock scellé. Comment le distribuer sans le briser ? La pâte fut lancée à l’alchimiste. L’industrialisation ne sera pas aisée. Pour l’instant, ton monopole est dans les mains du clan Shugyoku. A défaut d’être un Renkinjutsushi émérite, l’ancien Capitaine-Corsaire n’en était pas moins limité intellectuellement. Je ne sais pas si le cristal peut devenir consommable… Une éventuelle piste ?