Idōtoshi ou le Royaume Ambulant souffrait d’un problème fonctionnel : les ligaments vaporistes du pachyderme-Calice se fragilisaient. Les trajets de l’automate vers les deux dépendances énergétiques étaient la cause de sa souffrance. Dans les hautes sphères de la société démocratique du Riz, l’information ne tarda pas à embraser les conciliabules du Directoire. Les Tribuns Personnel, Travaux et Rites se lançaient invectives sur invectives, arbitrées par Revenus.

La préoccupation des Pontifes de la Capitale-Mobile était fondée : le problème était structurel. Or, il était impossible de reconstruire le pachyderme de zéro. Le pays du Riz avait perdu trop d’âmes sur le chantier cyclopéen. Les fonds du Trésor Public ne pouvaient assumer une telle dépense - d’autant que le peuple votait les lois, il ne fallait pas l’effrayer avec une Nation qui marchait vers la tombe.

En raison des tentacules de son empire et de l'influence des Yamanaka qui s'étaient infiltrés dans toutes les administrations étatiques, le Maître du Marché Noir eut vent de la problématique. La marionnette du Directoire était une menace pour le Continent, et donc, à fortiori, pour son empire des ténèbres. Outre l’aspect titanesque de l’éléphant, il était un Calice. Le ministère de la Guerre n’avait pas encore armé la créature de chakra pur - ou du moins aucune personne n’avait accès à cette information.

Ce fut en pensant à la possibilité de transformer les défenses ivoirines en canons que Bo Takeshi missionna son sbire. Hanzo devait saboter la Capitale Vagabonde afin d'empêcher qu'elle ne devienne, à terme, une catapulte mobile capable de projeter des créatures de chakra qu'elle élèverait elle-même. En somme, une arme aux munitions et à la dangerosité infinies.

Hélas, l’an 148 était marquée par la fermeture de Kome : le Directoire, après un vote de ses citoyens, dut bâtir la plus grande muraille au monde. Le projet était encore en cours de construction ; mené par Akimichi Juro, il ne faudrait qu’une année pour que la barrière de pierre soit édifiée. Toutefois, cette information n’était pas sans importance : une importante fraction d’Ashikase et d’Akimichi étaient occupés à concevoir, bâtir et diriger la construction d’un mur haut de plusieurs centaines de mètres.

Pour combler cette lacune, les différents Tribuns dressèrent une liste où ingénieurs et architectes pouvaient s’inscrire pour un projet relatif à l’harmonisation de la vie au sein de la Capitale-Mobile. Chaque citoyen devait s'inscrire en fournissant son identité, l'adresse de son logement et son métier. Par la suite, les trois ministères trièrent les inscrits, filtrant les extérieurs et les incapables. Sur les centaines d’inscrits, il ne restait plus que six artisans : les Tribuns Travaux, Rites et Revenus choisirent leurs champions.

Akimichi Watanabe Dodoro (I) collaborerait avec Gobukiro Danzo (A) - qui réussit à passer les barrages grâce aux relations extensibles du futur Oyabun. Les trois groupes furent rassemblés sur une nacelle, adossée au flanc droit de la bête mécanique. Aucun binôme n’avait accès aux informations classées secret défense. Ils savaient juste qu’il fallait fournir une solution pour harmoniser la vie au sein de la cité et étaient libres d’enquêter où bon leur semblait.

Le génie créatif. Cela faisait maintenant plusieurs semaines, voire mois, que la Capitale-Mobile était en proie à des rumeurs quant à la réelle stabilité de l'édifice. Visiblement, les quelques secousses s'étant répétées au cours des derniers jours avaient renforcé ce climat de méfiance envers les ingénieurs et architectes du pays. Les différents Tribuns ainsi que tout le clan Akimichi s'étaient vu confier une nouvelle tâche. Cependant, la création du gigantesque rempart, qui servirait à enclaver le pays, réquisitionnait une bonne partie des effectifs. Bien que les deux frères Watanabe aient été relégués au rang de paria par de nombreuses personnes au sein du Pays, leur génie créatif ainsi que leur compétence dans le domaine de l'ingénierie leur offraient une seconde chance : celle d'être propulsés au rang d'ingénieur pour trouver les défaillances mécaniques liées au pachyderme.

Ce fut donc à partir de ce postulat que j'arrivais au pied de la Cité-Mouvante, accompagné de mon cadet. De nombreuses personnes, du pays ou de l'extérieur, souhaitant prêter main-forte, avaient été sélectionnées pour trouver les problèmes majeurs liés à la structure. C'était une occasion pour moi de redorer mon blason, de faire comprendre à tout le Pays du Riz ainsi qu'au Continent que j'étais un ingénieur de renom. J'avais fait quelques erreurs dernièrement, il fallait que je corrige le tir si je ne voulais pas finir ma vie au fond des cachots de la ville en mouvement.

Je me retrouvais donc à bord de cette nacelle, en compagnie de l'architecte qui avait été choisi parmi la centaine de candidats. Sur une autre structure métallique, un peu plus loin, se trouvait mon frère et son binôme, semblant déjà se mettre au travail sans attendre la moindre instruction. De toute façon, les instructions, personne n'en avait, nous étions là pour lever le voile sur le mystère et redonner de la vigueur à la construction légendaire. Je me tournais ainsi vers mon homologue, que je ne connaissais pas à priori, à moins que ma mémoire visuelle ne me fasse encore défaut, ce qui était pénible au quotidien, je vous jure ! Vous imaginez, vous rencontrez des personnes, puis vous les oubliez, puis ils vous disent « Oui, mais tu te souviens je -... » Hmm, bref, pardon. Je m'égare.

« Enchanté, Gobukiro Danzo, c'est ça ? Bref, on s'en fout. On est là pour soigner ce beau petit bébé. Il faut en prendre soin, alors agis prudemment. Dans un premier temps, il faut fixer le problème. Quelles sont tes compétences dans le domaine ? T'as déjà travaillé sur des projets d'envergure comme celui-ci ? Évidemment que non. Donc écoute-moi. Dans un premier temps, on va trouver les engrenages défaillants. Pour ça, c'est simple, il faut juste les faire tourner lentement dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Si ça force, c'est que ce n'est pas bon. Compris ? »

Pas à pas, doucement, l'heure n'était pas à la précipitation, même si mon cadet et moi avions une autre idée derrière la tête. Au vu des regards qui se posaient sur moi, il était important de faire le bon petit ingénieur modèle de prime abord.

L’architecte, affichant un sourire comblé, prit l’ingénieur dans ses bras. Voilà des années qu’il n'avait pas passé du temps avec son camarade de toujours. Akimichi W. Dodoro était bien plus qu’un simple ingénieur à ses yeux ; ils avaient vécu de nombreuses épopées au sein du Royaume Ambulant. Les parties de Bokusoumari sur les flancs du pachyderme ? C'était eux. Les tentatives de création d’une poudre noire explosive ? Encore eux.

▬ Hey, Dodo’ ! Tu te souviens de moi, trop cool. Léger mouvement de recul. Bah ? Dodo ? Alors ??? Tu ne te souviens pas de ton fidèle camarade ? Quand j’ai appris que nous étions ensemble pour harmoniser tout ça. Il pointait du doigt l’automate. Un véritable plaisir.

Gobukiro Danzo jouait la carte de l'ancien ami. Elle fonctionnait à tous les coups : personne n’osait jamais remettre en question les dires d’un supposé proche. La plupart avaient trop honte de questionner une éventuelle amitié qu'ils omettaient.

▬ Mes compétences ? Mais allons, vieux briscard ! Ne me dis pas que tu ne te souviens pas de toutes nos épopées sur le dos de Idōtoshi. Danzo replaçait la monture de ses verres. Rappelle-toi, on a conçu l’écrou-3000. Une roue crantée permettant aux manutentionnaires de tourner les turbines tout en buvant des cocktails. Une invention qui fit mouche.

Gobukiro, le dos voûté, les yeux globuleux, ressemblait à un véritable rat de laboratoire. Il s’approcha plus près du faciès de l’ingénieur. Les lèvres de l’architecte ne retenaient plus les gerbes de postillons et les relents d’une odeur atroce.

▬ Tu le crois ça ? Harmoniser la vie de nos concitoyens ? Quelle chance, héhé ! Je pensais à transformer les maisons. On y ajouterait une roue géante, comme les moulins à eau, et on imbriquerait le tout à l’automate. Plutôt que de choisir de l’eau, ce serait du vent… J’ai appelé ça les Éoliennes. Elles permettront de faire tourner la machine toute seule : chaque pas, de l’énergie transite et continue à faire tourner. Seul hic, il faut stocker toute cette énergie… Cinétique ?

Danzo sortit un calepin et du fusain. La collaboration commençait toujours avec l'architecte développant la vision créative et conceptuelle d’un projet. Pour ce faire, il devait mettre sur pied des esquisses, des maquettes et autres plans conceptuels afin de définir l’esthétique générale de son invention. Les talents de l’ingénieur ne venaient qu’après coup : évaluation de la faisabilité du projet, identification des défis structurels ou mécaniques et recherche de solutions pour respecter les exigences techniques imposées par le Calice-Mobile.

▬ Et toi ? Tu vois ça comment ? Avec mon idée, on va BRI-LLER.

Un ami. Alors que je venais de finir ma phrase, attendant une réponse basique et professionnelle de la part de mon homologue, celui-ci se lança dans un long monologue, les postillons virevoltant à tout va, son dos voûté par le poids d'un travail bureaucratique tandis que ses lunettes semblaient vouloir fuir le bout de son nez. Écrou-3000, cocktails, éoliennes, tout un tas d'informations couplé au reproche d'une amitié non reconnue. Les envolées lyriques du Gobukiro, tandis qu'il venait le prendre dans ses bras, son visage à quelques centimètres du mien, son haleine fétide me donnant l'envie de le jeter par-dessus la nacelle. Malheureusement, Banado n'était pas là pour me servir de mémoire visuelle, ayant préféré le laisser à l'abri à quelques lieues d'ici afin de ne pas éveiller davantage les soupçons sur ma personne.

Je vins rapprocher mon visage de celui de l'homme, ma gigantesque main attrapant sa mâchoire, la maintenant avec une vigoureuse poigne. Je regardais son visage sous toutes les coutures.

« T'es qui, toi ? Qu'est-ce que tu me baragouines là ? Je te connais pas, je t'ai jamais vu. Après, j'ai une mauvaise mémoire, mais je n'oublie jamais le visage d'un ami. Toi, t'es pas un de mes potes. Tant mieux si tu me considères comme un ami, ça en fait au moins un dans ce pays. Mais n'essaie pas de me prendre pour un con. »

Une voix rauque, sérieuse, le regard plongé dans le sien, la tension à son paroxysme sur la nacelle.

« Aahahahaha, j'ai aucune foutue idée de qui t'es, mon pote, mais t'as l'air d'être un bon gars et ton idée d'éolienne ou je sais pas quoi, ça déchire ! »

Un long sourire venait prendre l'intégralité de mon visage, tandis que tout mon corps se mettait en mouvement dans un rire grossier. J'avais vraiment une mémoire de merde, mais au moins, il me restait quelques amis dans ce lieu, visiblement. Je reprenais mes distances avec le rat de laboratoire, m'écartant de son haleine qui me donnait l'envie de sauter du pont et de fuir le pays à jamais. Je venais croiser les bras, reprenant mon sérieux, son idée était bonne, mais capter l'énergie cinétique semblait être une entreprise difficile, surtout sans revisiter complètement quelques mécanismes du pachyderme.

« Il nous faudrait un mécanisme capable d'alimenter la roue même lorsque le vent ne souffle pas. Bon, par contre, va falloir qu'on bidouille un peu l'ensemble du réseau d'engrenages et des processus qui déplacent le pachyderme. Mais je sais pas si t'as remarqué, mais le gars en bas là, qui me lâche pas du regard, il attend le moindre faux pas. Alors, toi, le bigleux, tu vas faire diversion, tu te débrouilles comme tu veux. Ah, et aussi, tu vois le mec sur l'autre nacelle là-bas ? Avec le chignon comme moi, c'est mon frère. Faut trouver un moyen de lui transmettre discrètement ton idée. T'es le seul à avoir un bout de papier ici. Je compte sur toi mon pote. »

Quelle guigne pour le belluaire de jouer un personnage à des lieues de sa véritable identité. L’ingénieur… Non, le primate se montrait plus rusé qu’il en avait l’air ; les informateurs du Marché Noir s’était trompé sur le caractère « idiot-bête » du golgoth. Derrière son épaisse musculature se cachait, contre toute attente, un encéphale de la taille d’un pépin.

▬ Ambiance macabre un peu… Et beh ! Après tout ça, tu me renvoie notre amitié dans la gueule. Pas fun, pas fun du tout ça… Grommelait Gobukiro dans sa barbe.

Après que les mains du colossal l’eut laché, Danzo remit du bout de son index rongé, les verres tombant. Il épousseta les vêtements que l’enfant du Riz eut touché. Les mains de l’architecte baignèrent dans le saké sorti quelques secondes plus tôt - trahissant un caractère hypocondriaque. Une fois sa besogne faite, et en espérant éviter de se laver une seconde fois les mains, l’embusqué reprit son calepin bloqué par son aisselle.

▬ Un mécanisme pour alimenter… Sa dextre caressait son menton, l’air songeur. Je sais ! Et si on tentait de capter l’énergie cinétique générée par la marche actuelle pour la concentrer dans une turbine ? On installe les éoliennes, on profite de l’avancée de l’éléphant et bingo !

Tout en expliquant sa première version, le fusain du dessinateur illustrait ses dires. Une œillade suffit pour comprendre qu’il venait de perdre son auditeur. Aux grands maux les grands remèdes.

▬ Ok. Laisse-moi reformuler : éléphant marcher, éolienne sur dos. Actuellement, marcher égale énergie obtenue dans les dépendances. Idée égale profiter de marcher pour mettre éolienne, deux sources d’énergie, éléphant égale très haut dans le ciel, égale vent tout le temps, égale plus besoin de dépendance si éléphant déjà lancé donc réserve d’énergie et si éolienne. Enfin, surplus énergie égale turbine égale stockage.

Alors que ses mots expliquaient d’une façon bête et méchante le principe de son système, le fusain du concepteur glissa sur le papier « Ok, c’est compris, n’attirons pas l’attention sur nous. J’ai une idée ! Je vais faire distraction auprès du garde, tu envoie ça à ton frère, je reviens, on rentre dans la bête. ». De la même manière, l’artiste profita d’une page adjacente pour réécrire le projet, afin de l’envoyer par avion de papier au frère du titan.

Gobukiro fut soudain pris d’un mal de l’air. La cinétose était un fléau à ne pas sous-estimer lorsque l’on se trouvait sur une nacelle à des centaines de mètres du sol. En hâte il s’excusa et se rua en direction du garde qui gardait sous une œillade dure le Watanabe.

▬ Aidez-moi ! Lâcha le génie puant, tout en gesticulant dans tous les sens. Je vais, je v-... Et d’un coup, sorti de nulle part, le maître assassin réussit à provoquer un rejet du contenu de son estomac. Le liquide verdâtre, composé d’une panoplie de légumes de tout genre, s’écrasa contre le visage, le buste, les jambes et les pieds du garde. Vomir. Le corps de l’inventeur manqua de basculer par-dessus la nacelle et se saisit au dernier moment du garde-fou. Attention…

Le pitre ne fit qu’une bouchée de l'œil inquisiteur du garde, qui connut la pire journée de sa vie.

▬ Allons à l'intérieur, j te laisse me guider… Après tout, c’est toi l’expert des tiges de métal bien dur et des engrenages ovales ! Je n’aurai pas l’outrecuidance de te contester sur ce terrain que tu chéris tant. Danzo pointait une interstice dans les rouages qui menait à l’intérieur du monde d’engrenages et intimait à son camarade de se dépêcher.