Chôwa no Kuni. Cela faisait quelques temps que je n’avais pas remis les pieds au sein du pays. Des mois ? Des années peut-être ? La notion du temps lorsque vous savez votre espérance de vie triplée par rapport au commun des mortels était quelque chose d’assez étrange. Là où certains pourraient trouver le temps long, offrir quelques années de son temps à une tâche n’était finalement pas une tâche ardue. Mais pour l’heure, mes pas me portaient au sein de la grande bibliothèque du pays. Si certains ouvrages secrets y étaient habillement dissimulé, entre autres, certains liés aux arts de mon propre sang, pour ma part, je cherchais là quelque chose de bien plus simple et de plus terre à terre.

Depuis peu, je m’étais mise à étudier le fuinjutsu. Si j’étais une adepte du taijutsu, usant de ma maitrise de l’Iryô Jutsu à des fins martiales et médicales, j’admettais sans mal quelques faiblesses dans les soins à distances. Pour palier à ce manque, j’aurais pu envisager d’améliorer mon ninjutsu au-delà des simples techniques de base, mais en étudiant quelque peu les possibilités de l’un par rapport à l’autre, le fuinjutsu semblait m’offrir une plus grande diversité d’actions – ou du moins, les idées de développement techniques me venaient plus facilement.

J’avais de fait l’acquisition de quelques rouleaux de base il y a peu, me permettant de ne plus être considérée comme une ignorante dans le domaine, mais j’étais encore loin d’égaler les meilleurs. Je savais que pour arriver à ce résultat, il me faudrait des heures d’apprentissage et de pratique avant de pouvoir me considérer comme une utilisatrice potable, apte à user de ses talents dans les pires circonstances.

Assise depuis plusieurs heures à une table légèrement reculée, discrétion oblige, j’avais étalé autour de moi bon nombre d’ouvrages et parchemins que j’avais lu et devant mes yeux, une petite plaque avec un vélin et une petite pierre en son centre. Reculée sur mon fauteuil, je regardais l’ensemble d’un air dépité.

« Je ne comprends pas … cela aurait dû fonctionne pourtant. Où est l’erreur ? »

Bougonnant légèrement, je baissais la terre à la recherche de cette fameuse erreur en question.

Plongé dans mes études, j’émergeais de mes parchemins en entendant au loin quelques paroles inaudibles. Seulement, absorbée dans ma lecture, il me fallu de longues seconde pour me reconnecter à la réalité et comprendre que le discours qui m’était destiné n’était finalement pas si éloigné que cela. Un homme à la chevelure d’ébène se tenait là devant moi et se présentait en sauveur. Quelle chance ! Quel homme ! Heureusement que sa grande mansuétude masculine et virile allait pouvoir aider la fragile « jeune » femme que j’étais. Je haïssais ce genre de comportement mais pour autant, en ces lieux, je gardais mon calme évitant de déranger qui que ce soit. Après tout, j’étais la seule à subir ce harcèlement, je n’avais nullement envie de prolonger cette agonie à d’autres innocentes.

« Me déranger ? C’est déjà fait. Mais je suppose que si vous ne vouliez vraiment pas, vous ne m’auriez pas abordée … » dis-je en me reculant sur ma chaise, croisant les bras sur mon torse d’où ce dessinait une légère poitrine.

« La notion de détresse vous est pas familière à ce que je vois, à moins que ce ne soit une sorte de trait d’esprit … Quoi qu’il en soit, dites-moi, en quoi un membre du clan Usuzumi saurait m’aider ? Je ne me trompe surement pas lorsque vous parlez de manier l’encre. Je croyais que votre spécialité c’était le dessin et sa mise en forme de manière active. Seriez-vous également spécialiste des sceaux ? Si tel est le cas … alors oui, vous pourriez m’être utile. »

Dégageant mon environnement de travail, je ne laissais que le vélin avec le sceau que j’avais tracé ainsi que la pierre déposée en son centre.

« Ce domaine n’est pas mon expertise, je cherche seulement à améliorer les quelques notions de base que j’ai. Pour autant, je travaillais sur un sceau destiné à contenir un objet un peu plus important en termes de taille. Je songeais donc à sceller ce gros caillou dans le parchemin, mais rien ne se passe. Je pense pourtant avoir suivi les instructions. Mais bon, je ne suis qu’une fille, je ne peux pas tout comprendre toute seule… »

L’œil torve qui me dévisageait était toujours là. Face à ma remarque le temps semblait s’écouler bien plus longtemps comme si les secondes étaient devenues des heures avant qu’il ne daigne à nouveau ouvrir la bouche et proférer ses quelques paroles surement mielleuses. Et cela ne se passa ainsi. Un reproche. Voilà ce qui était lancé, comme un crachat à mon visage. Ce n’était pas une pique acerbe et virulente, juste une phrase finement passée mais qui avait une tout autre profondeur lorsque l’on savait lire entre les lignes.

« Dans de temple de l’éducation l’entraide est de mise oui … mais souvent les élèves viennent chercher leurs professeurs, rares sont les bon samaritains à venir secourir la frêle jeune fille en péril. Mais peut-être vos raisons étaient toutes autres … »

Tout était une question de sous-entendu. Ses mots reflétaient mon incapacité à agir par moi-même. Mais mon sauveur était enfin là et il espérait surement une noble récompense. J’avais traversé les décennies et des professeurs comme lui j’en avait croisé bon nombre, des hommes qui se pensaient au-dessus de tout, des hommes dont le but était toujours le même, que cela se termine dans le stupre.

« Maintenant que vous vous êtes imposé, la moindre des politesse serait de m’aider effectivement. » grommelais-je doucement.

Preuve de sa soi-disant supériorité, l’inconnu n’avait pas attendu mon aval pour juger de mon travail. Il avait de son propre chef décidé de juger mes exercices en se penchant directement sur mon sujet d’étude. Vu la caractéristique de l’homme en question, je serais doucement les dents, attendant les reproches qui n’allaient pas tarder à venir

Il manquait une partie du sceau ? Observant en détail les traits que j’avais tracés à ceux d’origine, j’étais dubitative. Sortant une loupe de mes affaires, je comparais nettement les deux sceaux et mon traçais était identique. Encore un ouvrage qu’il serait bon de réévaluer et de bruler si nécessaire. Nous étions dans l’antre du savoir et nous ne pouvions nous permettre d’avoir des documents qui ne remplissaient pas leur rôle.

« Je vois … Et au-delà d’identifier le point problématique, que faudrait-il faire pour y remédier ? Face à un problème en général on se s’arrête pas à la moitié, on le solde entièrement … »

Parcourant le recueil de fuinjutsus que j’étais en train de lire, je m’arrêtais à la dernière page et m’arrêtais sur le nom de son rédacteur, un petit sourire narquois sur le visage.

« Usuzumi Momonga … Une connaissance à vous ? Vous pourrez lui dire que son ouvrage contient des erreurs … enfin, s’il est toujours en vie. »

Qu’il était si aisé de se sentir menacé, que de voir sa supériorité masculine remise en place alors que jusqu’aujourd’hui, cette vie virile ne s’est faite sans aucune menace, sans devoir se battre, sans avoir à prouver sa valeur tout en écrasant celles qui pourraient légitimer d’importantes positions. Il n’y avait qu’à voir qui était à la tête de ce clan …

« Et tout aussi doux de se positionner en moralisateur apte à asseoir sa connaissance à autrui. Mais soit … »

Le chevelu avait une vision étriquée des choses. Se croire au-dessus était misogyne au possible. Son discours paternaliste avait tendance à m’irriter plus qu’autre chose. C’était d’autant plus vrai lorsque devant le constat de sa situation, ce dernier persistait sans même accepter cet état de fait. Malgré les preuves, il fallait que cet homme, comme tous ceux de son espèce continue à perdurer dans ses actions et sa manière de penser.

« Oui surement cela … »

Bien sûr. Les erreurs de son clan n’en sont pas vraiment. L’évolution est une bonne excuse, une excuse facile pour une fois encore rejeter la faute sur un autre. La fuite est plus aisée que d’affronter la réalité.

« Cela ne me viendrait pas à l’idée d’inscrire dans un recueil qui se veut instructif des éléments faux ou des éléments qui n’ont pas été testés et validés au préalable. Pour ma part, j’ai quelques connaissances particulières sur des sujets qui vous dépassent, mais si je devais les coucher par écrit pour les plus ignorants, je n’omettrais aucun détail. L’échec se cache dans les raccourcis, la réussite dans les détails. Preuve en est avec ce sceau … »

Une fois encore, je laissais parler mon « sauveur ». Je connaissais mes limites et malgré le comportement exécrable de ce dernier, je savais écouter les conseils offerts afin de parfaire mes propres connaissances et talents.

« L’allégorie est enfantine mais elle a le mérite d’être plus compréhensible que ces tracés défectueux. Au moins, les choses étaient malgré tout beaucoup plus claires désormais. »

Rectifiant mon sceau selon les indications données, force est de constater que tout fonctionnait correctement. J’en profitais dès lors pour modifier l’ouvrage ancien, annotant sur la page les raisons d’un tel changement.

« Au moins, la honte d’un sang est réparée. Personne ne pourra plus juger le travail effectué même si la manière d’y arriver laisse quelque peu à désirer. En attendant, les résultats sont là et malgré cette jeune verdeur exposée, je ne saurais rester débiteuse. Que voulez-vous donc en échange ? »

Quel serait donc le désir d’un homme qui se complaisait habituellement dans le stupre ? Maitresse de mes émotions par politesse, je ressentais à la fois un mélange de dégout et de curiosité malsaine. Ah si seulement je pouvais me servir de lui comme cobaye, les choses seraient tout autres.

L’Homme restait Homme et ce spécimen en particulier continuait à agir comme le roi de son petit monde. Mais il oubliait qu’il n’était maître que de son petit nombril et guère plus. Une réalité qu’il ne maitrisait a priori pas et qu’il semblait nécessaire de lui rappeler, une leçon de plus qu’il fallait enseigner après toute les autres.

« Asseoir ma connaissance ? Vous ai-je assommé avec un quelconque savoir ? Mes mots étaient pourtant simples. Il est des sujets dont j’ai la maitrise et vous non. Est-ce si difficile à croire ? Admettre de ma part mes lacunes dans l’art du fuinjutsu n’était-ce pas suffisant à vos yeux pour démontrer que le savoir inégal peut être partagé ? Je pourrais passer les prochaines heures à vous expliquer comment recoudre un membre tranché et même là vous trouveriez raison à redire alors autant faire simple et visuel. »

Voilà le genre d’homme qui aimait s’entendre parler. Une seule solution pour que le flot de paroles inutiles ne cesse, leur montrer quelque chose qui dépasse leurs propres connaissances à leur grand désarroi. Eh oui, petit patriarche fragile, vous n’êtes pas le centre de tout.

« Vous vous trompez sur une chose. Si mes remerciements sont de mise et sincères, nous ne sommes pour autant nullement camarades. Cette rencontre aussi désagréable soit-elle se solde par quelques réussites au milieu de ce torrent d’échec mielleux. Mais que vous ne soyez homme de contrat ou de dette, j’ai un honneur qui m’importe et l’entraide mutuelle de manière dont est si insidieusement proposée ne me sied guère. »

Fouillant dans mes affaires, je ressortais une baie étrange pour les non-initiés, froissant quelques pages de vélins m’ayant servies de brouillon, je logeais la petite boule végétale au centre avant de briser un coin de table en bois d’une poigne forte et assurée. Rassemblant le tout entre mes deux mains, concentrant cette énergie naturelle fidèle aux meilleurs Kabbalistes, je laissais mon art d’exprimer et laissais finalement apparaitre une plante sombre étrange dont les racines semblaient accrochées à un pot de bois. C’était même plus que cela, c’était comme si le pot, les racines et la plantes formait un tout homogène.


« Nous ne sommes pas ennemis, il est vrai. Mais nous ne sommes pas amis pour autant. Si ma démarche semble agressive ou méprisante, je vous suggère de réfléchir aux circonstances. Maintenant, si votre arrivée soudaine m’a effectivement causée du tort, vous avez su remédier à la situation. Et comme je le disais il y a quelques instants, je ne saurais rester débitrice et je vous fais grâce de talents que vous ne possédez pas en prime. »

Poussant la petite plante vers l’Usuzumi, je me levais, rassemblant mes propres affaires et livres empruntés que je m’apprêtais à ranger.