Malgré la désolation plus que répandue dans l’ancien pays de l’Herbe, Tenma trouva assez facilement un coin de verdure. Tout n’était pas détruit dans ces contrées. Si l’Homme avait des difficultés à récupérer des dégâts du passé, la nature reprenait aisément ses aises. Patch par patch, elle semblait reprendre des forces. Elle était en train de reconquérir le terrain qu’elle avait perdu au fil des années.
Ainsi, le collectionneur de cœur repéra un espace isolé où il s’installa. Il avait besoin de mettre un peu de distance entre la civilisation et lui. Il avait besoin de se retrouver. Adossé à un arbre, il s’assit en tailleur et ferma les yeux. Il inspira profondément. Puis il expira longuement. Il répéta le processus plusieurs fois jusqu’à atteindre un état d’équilibre. Jusqu’à trouver son refuge. Le Fujimi, à la fois conscient de son environnement et inconscient aux stimuli extérieurs, resta dans cet état de longues minutes. Il eut l’impression de méditer pendant plusieurs heures bien qu’il ne s’écoula qu’un quart d’heure tout au plus avant qu’il n’ouvre les yeux.

Maintenant que son esprit était en harmonie avec son corps, il pouvait passer à la partie la plus intéressante. Les katas. Il sorti les deux saïs cachés dans ses manches, et sauta sur ses deux pieds. Avec une lenteur forcée et des mouvements parfaitement maîtrisés, il commença à effectuer diverses figures qu’il avait apprises. Si au premier regard elles pouvaient sembler dépourvues d’efficacités, cette impression était loin de la réalité. Grâce à la familiarité des mouvements et aux réflexes de l’Éveillé, ce dernier pouvait réagir en une fraction de seconde pour choisir la riposte la plus efficace.

Toutefois, alors qu’il répétait les enchainements depuis presqu’une heure, Tenma sentit une présence. Bien qu’il fut incapable de déterminer l’identité de l’inconnu, ou sa localisation exacte, il était persuadé d’être observé. C’était une certitude. Toujours aussi calme et pragmatique, il se contenta de se redresser et de baisser ses lames sans pour autant les ranger. Le dos droit, il déclara d’une voix forte et sans aucune agressivité.

—  Ce n’est pas une représentation de mes capacités, ni un spectacle. Alors, qui que vous soyez, montrez-vous ou disparaissez. Merci.

Dès les premières paroles de l’inconnu, Tenma se mit en position défensive. Il y avait quelque chose chez l’homme au chapeau de paille qui l’intriguait. Il n’arrivait pas à le jauger correctement, et cela perturbait le collectionneur de cœurs autant que ça attisait sa curiosité. C’était toujours à cause de ce trait de personnalité qu’il se retrouvait dans des situations incongrues ou qu’il n’avait pas prévues. Les deux saïs pointant vers le sol, il reprit la parole sur un ton équivalent.

— Comme vous le dites, Hametsu est une terre dangereuse ces derniers temps. Et j’ai suffisamment voyagé dans ma vie pour savoir qu’un pinceau, comme n’importe quel objet aussi banal soit-il, peut servir à prendre la vie aussi efficacement qu’une lame. Ceux-ci servaient bien à l’agriculture auparavant, termina-t-il en désignant les deux armes qu’il tenait en main.

Bien que l’homme qui se tenait devant lui ne paraissait pas être une menace, un air débonnaire pouvait souvent cacher des intentions meurtrières, le Fujimi préféra se tenir sur ses gardes. Il suffisait d’une erreur. Une seule.

— Me dessiner ? C’est une bien étrange requête pour un inconnu…

La demande incongrue, particulièrement en ces temps troubles et au milieu d’un pays en ruine, le prit au dépourvu. Il ne sut quoi répondre, et préféra rester muet. Tenma voyageait beaucoup, et n’aimait s’encombrer de babioles inutiles. Alors un tableau… Quant à l’option de le laisser au peintre, cela ne l’arrangeait pas plus. Il n’était pas un grand criminel, mais son nom était tout de même inscrit au Bingo Book. Laisser une représentation de lui dans la nature serait complètement stupide.
Comme pour l’inciter à faire pareil, l’homme se présenta sous le nom de Kaito. Peut-être était-ce une technique pour que la confiance puisse régner entre les deux hommes. À défaut, cela intriguait le manieur de fils noirs qui décida de faire pareil.

— Mon nom est Tenma. Et il se pourrait bien que je vous laisse me peindre, mais il y aurait deux conditions. Premièrement, je garde l’œuvre et deuxièmement, on s’affronte en duel. Le premier à faire couler le sang, une goutte ou une éraflure suffira, a gagné. Bien entendu, vous devez emporter ce combat. Qu’en dites-vous ?

Il n’y avait rien de mieux que ce genre d’affrontement pour jauger un individu. S’il s’agissait d’un simple peintre, il s’en rendrait rapidement compte. Pareillement si c’était un combattant expérimenté. Ainsi, sans quitter l’artiste du regard, il fit disparaitre les deux armes à l’intérieur de ses manches. S’ils devaient se battre, ce serait avec équité. Ils dégaineraient au même moment.