Kaminari, année 32.

Yami no Kariudo. Ce nom faisait désormais trembler depuis peu les chaumières du pays de la Foudre. La Chasseresse Sombre semblait avoir jeté son dévolu sur ces terres aux sommets nivéens. Nul ne savait pourquoi. Du moins, nulle personne encore en vie à cette époque n’aurait su dire pourquoi un tel monstre s’en prenait à cette population de montagnards pourtant habitués à la rudesse du monde. Dès lors, il en allait de toutes les histoires et de toutes les descriptions. Grand-mère décharnée mangeuse d’enfants, sublime jeune femme volant la vitalité de mâles en rut ou encore frêle fillette pleurant toutes les larmes de son corps attirant les mères apitoyées pour leur voler leur âme. Au final, c’était un peu tout cela mais rien de tout cela en même temps. C’était là la naissance et l’expansion d’un mythe qui perdurait.

Seulement, pour y parvenir, il existait toujours une once de vérité. Cette vérité là avait un nom. Fujimi Shiro, éminente membre du clan du même nom, sinistre famille aux dons morbides considérés comme contre nature par beaucoup si ce n’est presque tous les clans. Mais quelle était donc la raison de cette Baba Yaga au cœur des montagnes kaminarijins ? La soif de connaissance. Au-delà de la traque des traitres à son sang, Shiro avait fait sienne la quête d’un renouveau sur le monde, un renouveau qui se voulait mortifère et lié au retour de l’être à qui elle devait cette puissante destinée.

Mais pour cela, la jeune fille – d’apparence du moins – était en quête de savoir. Ce savoir, elle le savait aux Crocs Prométhéens. Malheureusement, ses tentatives multiples se soldèrent par de nombreux échecs. Qu’importe les shinobis interrogés, qu’importe les renkinjutsushi torturés, qu’importe les sacrifices offerts et les tombes profanées, la lumière qu’elle recherchait était encore largement voilée par une sombre ignorance, par cette connaissance perdue depuis des temps immémoriaux. L’immortelle avait bien eu vent de légendes concernant la Bibliothèque Vivante, recherches menées sans grande réussite mais elle ne perdait nullement espoir. Depuis les décennies qu’elle épurait ce monde, s’il y avait bien une chose que la vie lui avait enseigné, c’était bien la patience. Contrairement à d’autre, elle avait le choix d’attendre. La vie était courte pour ces misérables paysans qu’elle croisait, mais la sienne était encore longue.

De cette patience naquit une rumeur dont elle eu écho à moult reprises. Dans les temps les plus durs, alors que la Yami no Kariudo sillonnait les terres froides de l’hiver, les gens avaient cœur de se raccrocher à n’importe quoi. Ce n’importe quoi était le vieux sage de la montagne. Dans ces fabulations destinées à rassurer la population, il était toujours question de figures d’autorité quelconque. Un illustre guerrier, un puissant seigneur ou encore, un vénérable sage. Jamais vous n’entendriez parler d’un pitoyable paysan venu sauver les siens.

C’est à force d’écoute et d’interrogatoires sanglant que Shiro se mit en route vers les sommets enneigés. Sa route semblait parsemée d’embuches, mais pour autant sa progression se faisait avec une grâce certaine, usant de ses dons pour avancer sans mal. L’épaisse couche de neige aurait pu ralentir n’importe quel homme, mais la demoiselle semblait littéralement flotter au-dessus des flocons entassés, laissant à peine une marque visible dans cette poudreuse immaculée. Le froid ne semblait pas plus l’impacter. La tisseuse semblait s’être emmitouflée dans un large manteau tissé de longs fils noirs. La Jorô avait tissé là un cocon protecteur.

Finalement, Shiro, déambulant toute la nuit, ne s’arrêta que pour admirer le lever de soleil qui émergeait au loin, offrant un magnifique panel de couleur du rose le plus clair à l’orange le plus foncé, les premiers rayons réchauffant le cœur et l’âme. C’est sous cette lueur nouvelle qu’une grotte non loin se dévoilait quelques pierres empilées devant l’entrée, le tout surmonté de fanions colorés. Nul doute que c’était là la destination attendue. Offrandes de fruits et de fleurs, les lieux tranchaient avec l’environnement local. A peine les premiers pas effectués dans cet antre qu’une certaine verdure m’apparaissait, bien loin de ce que je pouvais attendre d’une austère demeure d’un vieil homme perdu dans son trou. Au loin une profonde voix gutturale me parvenait derrière le clapotis de l’eau.

Shiro n’en n’était pas à ce premier type de rencontre. De manière agile, elle posa sa délicate main d’albâtre sur la roche moussue à côté d’elle et déploya l’étendue de la corruption dont elle pouvait faire démonstration. Dans un large rayon, les offrandes se mirent à pourrir, la flore fana en quelques seconde et l’eau devint croupie tout aussi rapidement, dégageant une odeur nauséabonde.

« Comment ? Pourquoi ? » maugréa la voix.

C’est avec une volonté inébranlable et une idée claire derrière la tête que Shiro avança dans les tréfonds. Seulement le cœur du monde est lui aussi bercé dans le secret et ce qui se dévoila à ses yeux presque centenaires là laissa pantois quelques secondes.


« Je m’attendais à plusieurs choses, mais pas à cela … Le vieux sage … Ces idiots des villages en dessous restent à l’entrée je parie, trop effrayés pour entrer et se confronter à la réalité »
« La réalité peut prendre différents visages »
« Mais celui là c’est quelque chose. Maintenant, j’étais venu pour assouvir ma soif de connaissance, récolter quelques informations, mais j’ai trouvé bien mieux. J’ai trouvé celui qui va pactiser avec moi … »
« Qui te dit que je vais accepter ça ? »
« C’est simple, je suis surement la seule qui soit venue te voir ici depuis des décennies. Je ne vois nul ouvrage dans ta grotte. Tes connaissances sont tes souvenirs. Ta sagesse, tu la ressasses inlassablement sans jamais la faire évoluer. Avec moi, tu seras en mesure d’en découvrir davantage. »
« Qu’est-ce qui me prouve que tu serais digne de ma sagesse ? »
« Je sais ce qu’il en coute de pactiser avec ton engeance. Acceptes-tu que je tranche mon bras gauche pour te prouver ma volonté à accomplir mes dessins ? »
« Fait donc et j’accepterais ! »

Il n’en fallu pas plus à la Fujimi pour sortir un kunai et d’un geste vif et précis trancher son bras gauche qui tomba à ses pieds, quelques gouttes de sang perlant depuis la plaie. Son doigt suintant de ce liquide carmin, sur un vélin, la marque était posée et le destin des deux protagonistes scellés.

« Noble sacrifice pour t’adjoindre mes services … »
« Sacrifice ? Tu te trompes … »

D’un geste, Shiro apposa un sceau sur son moignon, duquel s’échappa quelques fils noirs qui virent récupérer le membre tranché quelques minutes avant, le rendant aussi opérationnel qu’avant.

« Je n’ai nullement parlé de sacrifice, j’ai juste mentionné le fait de trancher ce bras, chose que j’ai faite. C’est toi qui as interprété le reste. Une grande sagesse tu disais ? Si facile à berner … »
« Toi ! »

Dans un élan de colère, le mastodonte souffla de sa trompe une violente gerbe d’eau …