Quelque part à Toji.

Après avoir terminé sa missive pour ce vieillard de Shigemori, Akane prit un autre parchemin et réfléchit à comment formuler sa requête. En effet, ce fut presque un miracle pour la vampire de tomber sur un membre du Clan Fujimi alors même que tous se battaient pour survivre contre la terreur que fut Ido-Shima. Bien trop occupée par la suite à s'habituer sa nouvelle condition, elle en avait oublié la présence de ce manipulateur de fil. Pourtant, il fallait qu'elle le retrouve, qu'elle lui parle, car il était sa seule piste sur sa quête identitaire. Posant le bout de sa plume sur son menton, elle fit mine de réfléchir avant de hausser des épaules et de commencer à écrire. Tout ce qu'elle savait sur lui était son prénom : Tenma.

À l'attention de Fujimi Tenma,

Tu ne sais probablement rien de moi, et moi encore moins de toi, mais tu portes le nom qui me pousse à t'écrire cette missive.

Je t'ai vu à l’œuvre contre Ido-Shima et tu es le seul de ton clan que je croise que depuis mon arrivée sur les terres occidentales.

Je souhaiterais te rencontrer dans le but d'en apprendre plus sur les tiens et sur qui me lie étroitement de par mon passé, à vous.

Tu me trouveras sous l'étendard du Cercle Rouge à Toji no Kuni, mais je compte partir dans quelques jours pour Ame No Kuni. Cherche la Dame du Cercle Rouge et tu me trouveras.

Chinoike Akane.

L'albinos passa au peigne fin les quelques mots inscrits à l'encre noir, peu satisfaite du contenu de sa lettre. S'il voulait en savoir plus sur ce qu'elle avait à lui dire, alors il viendrait à elle, peu importe la manière. C'était aussi pour elle un moyen de vérifier de quel bois se chauffaient les Fujimi. Si jamais elle avait du sang en commun avec eux, autant qu'il soit aussi sublime que le sien.


Quelque part à Ame.

Peu de temps après son arrivée et après avoir croisé quelques connaissances, Akane avait élu domicile dans une petite maison trouvée à l'aide des "fidèles" du Cercle Rouge. Même si la vampire n'avait pas apprécié la surprise, elle prenait sur elle et profitait de leur aide pour pouvoir s'affairer sur la raison de sa venue.

Elle avait profité de la situation instable de Miyoshi pour le garder sous son aile et en faire son vrai fidèle. Pas de parasite, pas de mensonge, que de vérité. Il avait fini par rester à ses côtés, ce disant que ce qui l'attendait en face semblait pire que la mort. L'homme en question possédait une chevelure noire, grisée par l'immense peur qu'il avait ressentie à cause des machinations de Momo, même son regard avait changé. Même le fait qu'il ait accepté de se ranger à ses côtés en dépit de ce qu'il avait survécu semblait forcé. La Chinoike n'aimait pas cela, elle souhaitait que ses fidèles acceptent d'eux-mêmes d'intégrer le Cercle Rouge, à la recherche de la liberté, de la puissance par le sang.

Alors qu'elle semblait quelques parchemins où étaient inscrites ses pensées et ses idées sur sa quête, Miyoshi fit irruption lui annonçant l'arrivée d'un étranger arborant un nom qui illumina le regard de la jeune femme. La Dame réajusta son kimono noir et fit signe à l'homme de faire entrer son invité. Cela ne pouvait être qu'un hasard. Était-ce lui ?

Éclairée par les bougies et les lanternes parsemées dans la pièce à vivre, une ombre s'approcha alors prudemment. C'était un homme d'apparence jeune, brun et plutôt plaisant et de bonne constitution. La Chinoike s'approcha doucement alors et lui adressa un sourire fantomatique.

— Tu as fini par me trouver. Étant donné que c'est moi qui t'ai poussé à venir ici, laisse-moi me présenter réellement. Akane, Chinoike Akane.

Le sang dans les pupilles de la jeune femme pulsait intensément, tout son corps brûlait d'impatience de savoir ce qu'il pourrait lui dire. Même s'il n'avait pas les réponses à ses questions, il était peut-être la lumière qui pourrait éclairer ce chemin sinueux vers le Clan Fujimi et ses sombres secrets.

À peine fut-il de retour à Ame que Tenma découvrit une lettre qui lui était adressée. La surprise de recevoir du courrier fut rapidement remplacée par de la curiosité. Qui aurait pu lui envoyer une missive ? Pour quelles raisons ? Avant même qu’il n’ait lu le premier mot, une dizaine de questions se bousculaient dans sa tête. Ses pensées fusaient dans tous les sens, et plusieurs scénarios se mettaient en place. Certains plausibles, d’autres plus farfelus et pourtant, ils paraissaient tous réalistes pour le collectionneur de cœur. Cependant, malgré une imagination débordante, il ne s’approcha pas de la réalité.
Alors qu’il dépliait délicatement le papier, ses yeux commencèrent à parcourir les premières lignes. Une inconnue venait de lui écrire. En fait, il s’agissait d’une Éveillée qui avait également combattu Ido-Shima et qui avait vu de quoi il était capable. Ou plus exactement quelle était sa technique. Il s’était bien amélioré depuis ce combat-là… Toutefois ce qui le perturbait le plus ce n’était pas qu’elle connaissait une partie de ses techniques, il avait également vu celles de nombreux combattants, mais qu’elle connaisse son nom. Pour cela, elle devait posséder un réseau d’informateurs relativement étendu ou connaitre les bonnes personnes.

Pourtant, cela n’effraya pas du tout le Fujimi. Au contraire, cela éveilla sa curiosité. Comme toujours. Il se contenta alors d’une réponse simple et courte pour marquer son accord. Il ne voulait pas en dire de trop. En fait, il ne voulait rien révéler avant le jour fatidique et surtout avant de voir à qui il avait à faire.

Heureusement, trouver la Dame du Cercle Rouge fut relativement aisé. Depuis qu’il vivait dans le Pays de la Pluie, il s’était forgé un réseau de renseignements. Ou plus exactement, il avait appris à qui il devait s’adresser en cas de besoin. Aucun d’entre eux ne lui étaient réellement fidèles, mais l’éclat de quelques pièces suffisaient généralement à s’assurer de leur honnêteté. Ainsi, en moins d’une demi-journée, il apprit où cette Akane logeait et surtout l’endroit du rendez-vous.
La bâtisse n’avait rien d’impressionnant. Il s’agissait même d’une petite maison à l’allure assez simple. Rien n’indiquait l’importance ou même la puissance de la maîtresse des lieux. À vrai dire, il ne savait rien d’elle et la Chinoike pouvait simple être une paysanne venue vivre dans une grande ville. Pour preuve, Tenma atteint sans difficulté la porte d’entrée avant d’être arrêté par ce qui semblait être un majordome.

— J’ai rendez-vous avec Akane-san. Dites-lui simplement que je suis un Fujimi.

L’homme disparu quelques instant avant de revenir avec un sourire faussement sincère pour le faire entrer. Le serviteur le conduisit alors jusqu’à un bureau où une dame à l’allure de fantôme l’attendait. Bien qu’elle fut relativement jolie, son allure éthérée lui donnait du charme, elle semblait complètement délavée de toutes couleurs. Seuls ses yeux, deux braises rouges, ressortaient du linceul blanc qui la recouvrait. Toutefois, le jeune homme tenta de ne rien laisser paraitre et afficha un sourire tout aussi énigmatique.

— Enchanté de te rencontrer. Comme tu le sais déjà, je me nomme Fujimi Tenma.

Après une courte pause, il reprit la parole pour aller droit au but.

— Je n’irai pas par quatre chemins, ce n’est pas dans mes habitudes, alors que veux-tu savoir sur mon clan ? Tu as dit dans ta lettre y être liée par ton passé… Que cela signifie-t-il ?

L'albinos s'était toujours contentée de peu en ce qui concernait les biens matériels. Il n'y avait qu'à Hametsu qu'elle s'était permise de s'installer dans un endroit plus grand et plus luxueux. À vrai dire, c'était sûrement un caprice de sa part. En-tout-cas, il ne fallait pas juger quelqu'un sur les apparences. Beaucoup en avaient payé le prix fort. Il était vrai qu'aux premiers abords, Akane avait l'air d'une jeune femme malade et friable, c'était aussi ce qui faisait son charme. Cette blancheur et ses yeux rubis la rendaient unique et attirante pour les plus fous. Les plus sains d'esprit eux savaient qu'elle était à fuir comme la peste.

La maudite savait qu'elle tenait cette allure du Givrefroid. Ce qu'elle cherchait aujourd'hui à comprendre, c'était d'où tenait-elle ses lubies peu attrayantes pour le commun des mortels. L'arracheuse de cœur n'était pas certaine d'obtenir une aide précieuse de la part de ce Tenma, mais c'était la seule piste qu'elle avait depuis qu'elle avait quitté le pays du Gel.

Akane se montra d'humeur plus joviale d'accoutumée, c'est-à-dire que son visage semblait moins gravé dans le marbre. Toutefois, sa pâleur allait attiser la curiosité du brun qui venait d'arriver, elle le savait. La manipulatrice de sang s'était approchée de lui, plus petite de taille, elle ne semblait pas pour autant en perdre en charisme.

— Fujimi Tenma... Je suis vraiment ravie de te rencontrer. À vrai dire, je ne sais pas moi-même ce qui tout cela signifie, mais c'est pour ça que tu es là...

Elle laissa le silence planer. Elle se contenta alors d'esquisser un sourire, celui-ci semblait comme faux, ou absent, comme si son âme ne ressentait pas ce qu'elle tentait d'exprimer. Il allait probablement s'offusquer d'une telle réponse, mais c'était la stricte vérité. Akane ne savait presque rien, elle avait seulement des informations de son père et fut témoin des sombres occupations de sa mère.

— J'ai pour dire un passé très sinueux... Je suis à la recherche de mon identité et pour cela, j'ai voyagé jusqu'à Toji no Kuni. Cependant, l'incident à Chôwa a légèrement scindé le chemin en deux. Par chance, tu étais là : c'était pour moi une occasion rêvée.  

La Chinoike se remémora les picotements dans son corps à la simple pensée qu'elle avait trouvé un membre de ce clan inconnu à ses yeux. Elle s'approcha alors de la petite fenêtre qui vint éclairer son visage blafard.

— Avant de me pousser à quitter mon pays, mon père m'a confié un secret sur ma famille. A Shimo, la mort est quelque chose de banal, de bienvenu. Il arrive même de devenir des charognards entre nous, c'était un moyen de gagner en force, de survivre. Pourtant, il semblait ne jamais avoir accepté que ma mère s'adonne à des rituels... différents. 

La native de Shimo tourna alors sa tête vers Tenma, plongeant ses pupilles vermillons dans les siennes. Comprendrait-il où elle voulait en venir ?

— D'après lui, je suis souillée, mi-Chinoike, mi Fujimi. Il justifierait mes goûts poussés pour le morbide par mes liens de sang. Ma piste s'arrêtait donc à ça, jusqu'à ce que tu apparaisses. J'aimerais que tu parles de ton clan et du symbole que représente le cœur pour vous.  

Akane avait posé ses cartes sur table. Il ne voulait pas y aller par quatre chemins, alors elle en ferait pareil. Il était là parce qu'elle voulait savoir, elle lui avait fait traverser les territoires pour son simple caprice de savoir si les Fujimi étaient comme ce qu'elle avait pu lire. Elle voulait le savoir de ses lèvres, l'étrangère qui avait posé un pied conquérant et vengeur sur les terres continentales, allait pouvoir obtenir une meilleure main grâce aux réponses de Tenma. Et peut-être même qui lui en apprendrait beaucoup plus qu'elle l'aurait espéré...

Toujours aussi pragmatique, Tenma écouta tout le discours de son interlocutrice avant d’émettre la moindre réaction. Cela ne servait à rien de réagir à chaud, il valait mieux peser chacun de ses mots pour éviter de commettre un impaire. Ou pire, lâcher des informations qui ne lui était pas destinées. Toutefois, le Fujimi comprit rapidement ce que désirait son hôte. Ses actions, et ses questions, paraissaient purement être dictée par de la curiosité. Celle d’en savoir davantage sur ses origines. Celle de découvrir l’inconnu. Et il le comprenait bien plus qu’elle ne pouvait se l’imaginer.

— Dans un premier, je ne dirai que ceci : le cœur possède autant de significations qu’il y a de Fujimi. Pour moi, il représente la liberté. Il permet de ne se préoccuper que de ce qui est important. Pour d’autres, il représente la puissance ou l’immortalité. Il peut tout aussi bien représenter l’amour que la haine. Bref, je ne saurais de proposer d’une réponse unique pour cette question.

Il marqua à son tour une pause, et fixa les yeux vermillon d’Akane. Ils lui rappelaient vaguement ceux de la créature qu’il avait affronté aux Bambous Ensorcellés. À la différence près que ceux-ci semblaient humains. Ils possédaient l’étincelle unique aux humains.

— Avant d’aller plus loin, je souhaiterai avoir des garanties… Je ne voudrais pas que mes révélations nuisent à mon clan. Aussi, je voulais savoir ce que j’avais à gagner lors de cet échange ?

Dans ce monde, tout se payait. Que ce soit les services ou les informations, aucune transaction n’est gratuite. D’autant plus quand ce sont des informations sensibles. Il était logique que Tenma se demande quels étaient les avantages à ce qu’ils répondent aux questions. Il devait bien avouer que l’histoire de la jeune fille était intéressante, peu de gens auraient pu rester de marbre, mais il voulait tout de même y gagner quelque chose.
Le collectionneur de cœur parcouru alors des yeux la pièce où il se trouvait. Elle était relativement spartiate. Toutefois, si elle n’était pas richement décorée, les meubles semblaient d’une excellente qualité. Il repéra tout de même un fauteuil, pas particulièrement confortable dans lequel il prit place.

— J’ai de nombreuses questions auxquelles tu pourrais certainement répondre à ton tour. Pourquoi as-tu quitté ton pays natal, à part ton enquête sur mon clan ? Que se passe-t-il à Shimo ? Que sais-tu des évènements de Chowa ? Il y a tant d’autres choses que je ne sais pas… Mais prends ton temps avant de répondre. Cela pourrait être décisif pour la suite de notre échange.

La Chinoike eut la considération de le laisser parler à son tour. Sa réponse, concernant le cœur fut à la fois déconcertante et intrigante. Il existait différentes manières de symboliser cet organe vital et le Fujimi avait une manière assez unique de le voir. La jeune femme se surprit même à sourire à l'écoute de ses mots. Akane n'avait fait que prendre le relais sur ce que faisait sa mère, elle lui avait appris à respecter les corps et les âmes et à offrir les cœurs aux puissances mystérieuses qui couvraient ce monde. La gamine alors n'avait pas compris de quoi il en était à ce moment-là. Cependant, depuis qu'elle avait appris que sa génitrice avait prêté serment au pergélisol à sa naissance, elle se demandait bien jusqu'où elle était allée avant de mourir brutalement. Que lui avait-elle caché ? Qui servait-elle ?

La vampire s'enferma dans un mutisme pesant, réfléchissant aux paroles du brun, tout en se remémorant le passé. Elle fut chassée de ses pensées par la prise de position de Tenma. Cet homme était aussi gourmand que prudent. Il demandait des garanties. Rien n'était gratuit sur le Continent et c'était partout pareil. Akane n'appréciait pas ses sous-entendus, même s'il désirait protéger les siens, il pourrait au moins prendre en considération la démarche de la jeune femme.

Cependant, c'était plus fort qu'elle. Sans le vouloir vraiment, elle se sentait à liée à lui, alors qu'elle ne le connaissait pas. Etait-ce sa curiosité poussée ou était-ce quelque chose de bien plus profond. Elle n'allait pas lui promettre des choses futiles, Akane préférait les actes aux mots. Cependant, elle devait le convaincre de rester, parce qu'elle était certaine qu'ils avaient beaucoup à s'offrir.

— Je ne peux pas te promettre monts et merveilles. Je vois tout de même que la liberté semble pour toi être un aspect qui a de l'importance pour moi. Je pense qu'il n'y a qu'en échangeant davantage qu'on saura ce qu'on pourra s'apporter l'un pour l'autre. Comme par exemple, pourquoi était-ce si important pour ma mère de collectionner des cœurs humains ? Peut-être que je pourrai moi aussi t'apporter des réponses, de l'aide. Je ne tiens pas à nuire à ton clan, bien au contraire.

Voici sa réponse. Elle était à prendre ou à laisser. Comment promettre des choses et prétendre des choses sans se connaître ? Sans savoir exactement ce que son interlocuteur désirait ? Peut-être qu'elle n'avait rien à lui offrir, peut-être que si. Le simple fait de savoir qu'ils pourraient avoir le même sang devrait le retenir en ces lieux. Sauf s'il se fichait de sa famille, mais cela ne semblait pas être le cas.

Par ailleurs, il sembla lui-même répondre à cette question. Bien sûr qu'elle saurait lui apporter des réponses. En-tout-cas, pour quelqu'un qui se méfiait, il n'était pas avare en interrogation et voulait savoir beaucoup de choses sur son cas. Il oubliait que c'était elle qui avait besoin d'informations ? Comme si ce qu'elle allait lui répondre risquait de changer beaucoup de choses. La manipulatrice de sang ressentit presque une sorte de mise en garde et elle n'apprécia guère cela. Mais cela l'amusa plus qu'autre chose. Il était vraiment trop à l'aise, tellement qu'il s'était même permis de s'installer dans son fauteuil. La Chinoike le suivit du regard et le laissa faire silencieusement. Elle réfléchit très brièvement à ses mots et lui répondit accompagnée d'un sourire au coin des lèvres.

— Attention. On croirait presque sentir de la menace dans tes paroles, Tenma. Cela ne serait pas très bienvenu de ta part. D'autant plus que ma requête n'a rien de malintentionnée. Je fus à Chowa pour affronter Ido-Shima, pour savoir exactement ce que représentait une créature divine. J'étais prête à mourir pour pouvoir m'approcher d'elle, pour comprendre ce lien qui nous liait...

La jeune femme s'arrêta là, se disant qu'elle en disait peut-être un peu trop. Après tout, elle ne le connaissait pas vraiment et n'avait pas découvert ses réelles intentions envers elle. La Chinoike de nature méfiante, était trop enthousiaste à l'idée de rencontrer un Fujimi qu'elle oubliait de se montrer prudente. Elle pouvait toutefois répondre à certaines de ses questions, pour montrer sa bonne foi.


— J'ai quitté Shimo, car j'étais un problème pour père et parce que je me sentais pieds et mains liés à ces terres et à cette malédiction qui me poursuit depuis ma naissance. J'avais envie de plus grand, j'en voulais au monde. Je souhaitais aussi en savoir plus sur les rituels de ma mère et sur certaines choses qui me hantent... Et tu te doutes bien que je vais pas tout te révéler alors que toi-même, tu te méfies de moi. La confiance se gagne dans les deux sens. Alors je pourrai te parler de Shimo, de tout ce que tu souhaites. J'aimerais cependant comprendre quelque chose, Fujimi Tenma. 

Akane s'approcha de lui, laissant quelques centimètres entre-eux. Elle ne souhaitait pas le chiffonner, mais voulait lui faire comprendre qu'il ne l'intimidait guère avec ses questions et ses doutes la concernant. Mais au fond, elle comprenait. L'albinos se méfiait de tout et tout le monde après tout. Elle resta debout devant lui et ne le quitta pas des yeux une seule seconde.

— Si tu t'es informé sur le Cercle Rouge, tu sais que j'ai les mains tachées de sang et que je suis considérée comme un monstre par certains et pour d'autres, comme un espoir de liberté et de renouveau. Qu'est-ce qui t'a poussé à prendre le risque de me faire face ? Pourquoi étais-tu à Chowa ? Qui es-tu derrière ce masque assoiffé de liberté ? J'ai vraiment envie de le savoir.

Jusqu’à présent, la discussion se passait relativement bien. Du moins, dans une certaine mesure. Au fil des échange, Tenma se rendit compte que la Chinoike n’avait pas tellement tort. Les deux interlocuteurs pouvaient apprendre l’un de l’autre. Il n’était pas seulement là pour révéler des secrets du clan Fujimi, mais aussi pour assimiler ce qu’elle avait à lui dire. Seuls les imbéciles croient qu’ils savent mieux que tout le monde. Il y a toujours quelque chose à retenir d’une situation donnée.

— Jamais je n’oserais menacer quelqu’un sous son propre toit, ce serait indécent de ma part… Toutefois, il est vrai que je voulais m’assurer de la sincérité de vos propos. Certains sont prêts à tout pour obtenir des renseignements, que ce soit sur mon clan ou un autre. Il marqua une légère pause pour réfléchir, avant de reprendre. Quant à ta question, sache que je ne saurai pas de donner de réponse précise. Chaque personne possède ses propres raisons qui le poussent à collectionner les cœurs. Cependant, ceux-ci offrent l’illusion de l’immortalité et de nombreux Fujimi se sont fait avoir par ce piège. Peut-être était-ce son cas…

Il était assez rare que le jeune homme parle autant sans interruption, particulièrement pour expliquer quelque chose à une inconnue. En règle générale, il aimait plutôt aller droit au but et il ne s’éparpillait jamais dans des détails inutiles. Étrangement, l’albinos le perturbait. Tenma savait que ce n’était pas lié à la couleur de sa peau ou de ses yeux, ce n’était pas le genre de détails qui le troublait, mais il n’arrivait pas à trouver l’origine du malaise. Peut-être s’agissait-il du possible lien de sang ? Cela faisait très longtemps qu’il ne s’était plus retrouvé aussi prêt d’un représentant de son clan. Elle ne maîtrisait pas le Jiongu, mais selon ses dire elle devait posséder le sang des manipulateurs de fils noirs.

Complètement perdu dans ses pensées, le collectionneur de cœur écouta d’une oreille distraite Akane. Toutefois, il put tout de même se raccrocher aux points principaux de son discours. Ses origines à Shimo. Des rituels étranges pratiqués par sa mère. Et surtout des questions. C’était à son tour de s’interroger sur les motivations du Fujimi, et il était normal qu’il donne également quelques informations. Ce n’était que la suite logique de la discussion.

— Qui n’a pas les mains tachées de sang dans ce monde ? Très peu d’individus, et je n’en fais pas partie. L’apparence est bien souvent trompeuse mais j’ai déjà rencontré des monstres bien pire que toi, Akane.

Il avait bien conscience que les réponses qu’il s’apprêtait à donner n’assouvirait certainement pas la curiosité de la jeune femme, mais il n’avait pas d’autres choix. C’était la stricte vérité.

— La curiosité, et le désire de liberté. Ce sont mes deux plus grands moteurs. J’ai quitté mon clan à cause d’eux. Je me suis retrouvé à Chowa pour eux. Ils font partie intégrante de mon être. Bien entendu, comme tous les êtres vivants, je suis bien plus complexe mais pour un résumé en quelques mots, ils conviennent parfaitement.

Tandis qu’il parlait, il regarda au mieux la Chinoike dans les yeux. Elle était si proche qu’il dût pratiquement loucher pour la fixer du regard. Sa vision était pratiquement floue, et ses yeux commençaient à lui faire mal. Il finit alors par soupirer et détourna le regard vers la gauche, sans pour autant le baisser. Cela serait revenu à baisser sa garde, et surtout à avouer sa faiblesse.

— J’ai deux questions pour toi : que veux-tu savoir sur les Fujimi… et aurais-tu quelque chose à boire ? J’ai la gorge sèche.