La pluie s'abat sur les vitres de la tour d'ivoire. Une salle, au sommet de cette forteresse, offrant une vue à 360° sur la Cité-État. Au loin, au-delà des frontières, lorsque le soleil apparaît enfin, l'avenir y est radieux. Une bribe de la muraille de Kome apparaît vers le Sud, à l'Ouest, le feuillage de l'Arbre-Monde y est visible les jours de beaux temps. Vers l'Est, les longues forêts et la faune du Pays du Feu se couvrent de brume lors des matinées pluvieuses. Au Nord, quelques ruines d'anciens monuments prospères du Pays de l'Herbe rappellent la difficulté de s'imposer sur ce Continent, où la guerre peut frapper à la porte de chacun.

Trônant sur un siège ébène, tourné vers les fenêtres, le Maître du Yami Ichiba (闇市場, Marché Noir) contemple son empire. Un an, exactement, s'est écoulé depuis l'émergence de l'Abondance. Imposé depuis lors, comme véritable maestro des affaires continentales, l'Oyabun a réussi son tour de force, la voyoucratie règne sur sa Cité-État. Il répand l'aumône, en tire des bénéfices et des intérêts, rien ne se passe sans qu'il ne soit au courant. Véritable organisation tentaculaire, la pieuvre se propage dans chaque pays, chaque institution, chaque embranchement des routes commerciales. Seulement une petite année, et le voici à contempler la vue, sur le Toit du Monde.

La lumière de quelques petites torches posées sur les murs fait vaciller la pièce entre obscurité et éclaircie. Dans son dos, s'approchent lentement ses Petits Frères. Les Ombres gagnent leurs sièges respectifs, dans un silence absolu. Une sixième présence semble être présente, tapis dans le noir, comme un simple rêve, une simple aura mystique décryptant chacun de leurs mouvements. Tous le savent, le Petit Père du Peuple n'est jamais vraiment seul.



La Mère de la famille Shugyoku prend la parole, comme à l'accoutumée. Elle est la seule qui puisse briser le silence de cette salle sans craindre les remontrances. La directrice de la banque et bras droit du Maître du Marché Noir expose sur la table centrale la carte du Pays. La seule femme présente reste debout, au cœur de la petite assemblée, se plaçant en meneuse des débats. Les visages des autres ombres surgissent finalement de l'obscurité, se penchant vers la dite carte.



Une voix rauque et froide, symbolisant autant que son visage cicatrisé la longue expérience de Tatsuya Chogoro. Il tenait d'une poigne de fer le quartier depuis la création de la Cité-État et avait su imposer ses codes et ses manières. Il était connu pour sa violence et ses accès de colère, si bien qu'une sorte de tyrannie s'était imposée sous sa direction.



Sora Sugawara hausse le ton, de sa voix aigüe et légèrement brisée. Fervent défenseur de la culture de la famille et de la voyoucratie mise en place par son chef, commençait à craindre de l'ambition démesuré de l'Ombre des Chogoro. Les voix avaient monté en volume, les deux hommes se fustigeant d'insultes en tout genre et s'accusant de nombreux méfaits l'un à l'égard de l'autre. Une volute de fumée vint passer entre les deux hommes. L'odeur douce et apaisante vint calmer leurs ardeurs, l'espace d'un instant.



Le troisième homme, Naoki Abe, plus jeune que les deux autres et ayant accédé à ce poste privilégié que depuis deux mois vint maintenant rentrer dans la danse. Sa longue pipe en bois ne le quittait jamais, testant chaque nouvelle création de ses petites mains avant de les lancer sur le marché. La fumée apaisante d'une nouvelle drogue en fabrication avait su calmer les altercations, qui avaient repris de plus belle une fois les accusations portées.

Bo Takeshi n'écoute pas vraiment les affabulations et accusations que se portent ses lieutenants. Toujours dos à la scène, regardant son empire reprendre petit à petit vie à la tombée de la nuit, ses doigts jouent avec un jeton. Une aura particulière se dégage de cet objet, mystérieuse, mystique, presque sinistre. La petite pièce est envoyée en l'air, puis récupérée, et cela, en boucle, de longues dizaines de fois. Shugokyu Yei se racle légèrement la gorge, coupant les débats stériles en frappant la paume de sa main contre la table. Une légère poudre de diamant vient s'échapper, illuminant la pièce quelques instants.



Bien que le Marché Noir possédait ses entrées dans la quasi-totalité des pays, l'Harmonie n'était pas en reste. L'émergence de nouvelles ambassades, comme celle du Pays en Ruine, qui ne restait pour l'instant qu'une infime menace, une simple piqûre d'abeille sur le doigt, cela servait de rappel pour tous. La lutte n'est pas encore gagnée, l'affrontement n'est qu'à ses prémices. Les différentes Ombres viennent entamer les discussions, bien que certaines idées soient émises, ce sont les querelles de chacun qui refont de nouveau surfaces, bientôt le silence quitte la pièce pour être remplacé par une véritable cacophonie.

Le jeton rejoint une nouvelle fois les airs, le temps semblant ralentir l'espace d'un instant. La paume saisit la pièce, interrompant la danse aérienne qu'elle livrait depuis de longues minutes. Un froid s'installe, les trois hommes se taisent, les quatre Ombres baissent la tête. Seul le crépitement du feu des torches résonne dans l'assemblée. Le siège se tourne lentement, laissant apparaître le visage du Père. Les doigts de sa senestre se posent délicatement sur la table, tandis que sa dextre tient entre son index et son majeur la fameuse pièce de chakra pur.

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