Ordre et Chaos, Destinée et Liberté, Magobei et Meiun
Les semaines ont défilé depuis la sortie de terre de l’Arbre-Strige. La grand-voile de la Liberté hissée, une bourse de nombreuses aventures a attiré l’Alchimiste d'État vers une succession de nouveaux horizons. A ce jour, les contrées méridionales, plus exactement le Fort Enclavé de l’Ambassadeur-Lige, attendent sa venue. Notre explorateur doit s’enfoncer dans les méandres de la Ruine pour visiter son Calice et pourfendre son Veilleur. Cette occasion est importante pour Meiun, qui voit dans les prisons des Anciens Architectes un pont vers les siècles oubliés, ceux qu’aucune tradition orale n’embrasse.
Le funambule aux milliers de masques, cet électron libre qui erre de régions en régions, de cités en cités, d’atres en atres, ressemble, à bien des égards, au Tanbo no Kaibutsu (田んぼの怪物, Monstre des Rizières) tant son comportement erratique défie les frontières de la logique humaine. Animé par son seul égoïsme, qu’il drape dans un tissu de bona fides, Meiun joue son rôle d’équilibriste à merveille. Ses membres inférieurs avancent, pas à pas, sur un fil aussi tranchant que la lame de Imono Y. Tetsumaru. Notre bohémien est un samaritain qui a taillé ses propres codes de loi et qui, peut-être, trompe son monde...
Pour atteindre la Liberté absolue, Meiun doit transcender son Humanité et faire fi de la morale érigée en dogme par le Ninshū. Parmi les centaines de milliers d’âmes qui peuplent le Continent, notre prestidigitateur ne connaît qu’une personne qui a abandonné toute logique ; un être qui s’est émancipé des chaînes de la morale ou de la religion, un surhomme en marge des autres. Le Grand Léviathan. A la fois Juge et Bourreau, Ordre et Chaos, Dokueki Magobei est l’incarnation parfaite de cette Liberté au sens romantique du terme. De tous les Kokka Renkinjutsushi, lui seul a tendu sa main au flavescent, après son échec cuisant en Seirei.
Les souliers du Clown martèlent le sol dallé de l’artère souterraine. Sa mémoire perce le dédale hypnotique et le mène dans les quartiers généraux de la Pyramide d’Ombres et de Lumière. Le buste de notre explorateur s’est transformé en tronc pour le singe sigillaire qui l’accompagne depuis plusieurs semaines. Ensemble, ils ont vécu plus d’une dizaine de péripéties et ont tissé un profond lien. Le macaque bondit de son deltoïde droit pour s’accrocher à son avant-bras gauche, et déploie une demi-douzaine de cabrioles similaires. Le regard doux de son créateur comble d’amour et de joie l’animal runique. Un claquement de doigt crée une orange alchimique que le simien dévore.
Le pacte tissé avec le Léviathan lui ouvre les clés de son aile privée. Plus qu’un électron libre, Meiun est un contrebandier qui toise les menaces sans sourciller. Aux côtés d’autres baroudeurs, il traverse à répétition, en long et en large, les différentes localités du globe pour arracher ses ressources les plus précieuses et les fournir à la Kabbale. Hermétiste accompli, le Kazejin profite de cette halte pour, non pas modifier les clauses contractuelles, mais pour amplifier le dessein commun qui les unit et qui les opposera, tôt ou tard. Cette relation d’interdépendance n’est pas une chimère emmurée par le dénis. Non, la crinière carmin connaît le sort qui l'attend, et s’en amuse.
* * *
Légère révérence devant l’Homme le plus docte du Continent.
— Je progresse dans mon entreprise, Léviathan.
Tête baissée, Meiun relève son crâne après que l’autorisation soit reçue.
— Vous aurez bientôt une montagne de ressources aussi haute que le Croc Prométhéen.
Un fin rictus, à peine perceptible, tend sa lèvre.
— Je m’occupe de maintenir la connexion avec Ame et sa Pègre.
Outre sa proactivité naturelle, la prise d'initiative de Meiun se fonde sur un constat : l’Union Continentale lutte contre le Marché Noir. Or, par voie de conséquence, de précieux biens échappent à la Kabbale qui doit agir de façon détournée. Par cette phrase banale, cette proposition à peine dissimulée, notre itinérant met le doigt sur un problème d'ores et déjà systémique, et propose aussitôt une solution. La main qui donne domine toujours celle qui reçoit — un dicton des peuplades bédouines.
— Si je suis devant vous, Léviathan, ce n'est pas sans raison. Il me faut davantage de soutien dans ma quête. La reconnaisse ne m’intéresse guère, et vous le savez déjà. Je veux avoir accès à tous les laboratoires kabbalistiques que couve l’Ecole de Guerre et aux dossiers classés secret défense.
La proposition est folle ; Meiun maintient le regard neutre qui s’est apposé sur lui.
— En gage de garantie, voilà un présent.
Le corps de notre aventurier se courbe vers l’avant, le dos de sa main se pose contre le sol et, à l’aide de mouvements de paumes répétés, le créateur invite son singe sigillaire à le quitter pour s’avancer vers le Léviathan.
— Mizu lutte contre le Givrefroid. Je reviens tout juste de Yajiri où un front fait rage. Là-bas, j’ai donné vie à un Arbre-Strige, le Kyūketsu Shokubutsu. Ce jujubier est une innovation qui se fonde sur plusieurs ressources aussi rares qu’uniques. Une graine de Seirei, cent litres de sang Chinoike, une cruche de sang d’un Yuki immunisé et un bras atypique, capable de décupler les effets tant positifs que négatifs du Chakra.
Le rictus timide est chassé par un sourire dévoilant toute la dentition de Meiun. Sa dextre plonge dans les poches internes de sa tunique pour ressortir une fiole de son sang.
— J’ai trouvé une solution temporaire au Mal Blanc. Les jujubes n’offrent pas une immunité, mais chasse le Givrefroid jusqu’à la prochaine contamination. Dans cette fiole, se trouve mon sang, mais ce n’est pas mon présent. Ma garantie, c’est ce macaque qui s’est nourri d’une datte écarlate. Son organisme porte la solution qui a permis aux Mizujin de chasser l’épidémie.
L’empathie ne se transformera pas en fers ; la Liberté à laquelle aspire Meiun mérite tous les sacrifices.
- Mutation:
- Charge positive : Meiun offre un agrume à son compagnon runique.
#Fin
Intrigue
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