Cela faisait quelques années que je n’étais pas venu sur ces terres et sans grande surprise, rien n’avait changé. La première fois, j’étais là pour constater ce qui s’était passé et ce qui avait provoqué la chute du pays. Et depuis, il était globalement resté à l’abandon, soumis à la loi du plus fort où le clan Yaban régnait d’une certaine manière, imposant leur volonté d’une poigne de fer.

Malgré tout, certains tentaient de survivre en offrant un semblant de civilisation et en l’état présent, dans mon voyage vers d’autre contrées, j’avais décidé de passer la nuit dans ce qui s’apparentait le plus à une auberge. C’était plus une ruine qui portait le nom d’auberge, mais en l’instant présent il ne fallait pas être trop regardant. Pour le reste, rien de transcendant. Attablé à un tonneau qui servait de table, je sifflais un pichet d’un alcool fait maison et dont je ne voulais surement pas la recette. A moitié vidé, je trainais mon pot jusqu’à une petite table où une partie de poker d’as se profilait.

D’humeur joueuse, je l’étais. En revanche, les deux perdants devant moi étaient moins jouasses et la rage de l’un d’un fit valser la petite table. La suite était simple et sans grande surprise. Dans la rue, du moins ce qui servait de rue, les pieds dans la boue avec pour seul éclairage la lune au-dessus de nos têtes. Dans une rage écarlate, l’un d’eux m’asséna un coup au visage que je prenais de bon cœur, le visage tournant légèrement sous l’impact qui laissait une marque notable. D’un geste de la main, passant sur la plaie, cette dernière s’effaça en un instant.

« C’est tout ? Tu avais pourtant une chance de réussir quelque chose ce soir ... »

C’était désormais à mon tour de passer à l’action et accumulant mon chakra dans mon poing, je frappais à mon tour mon détracteur. Seulement, la différence était notable. La mâchoire fut brisée et quelques dents volèrent. Pour ce qui était du second, je n’allais pas le laisser en peine et par pure charité lui brisais les deux bras avant que les deux ne s’enfuient comme des lâches … comme tous les Yaban que j’avais croisés jusqu’ici d’ailleurs.

Si j’avais attiré le spectacle, c’est le commentaire d’un garçonnet qui brisa le silence de la rue.

« Et pourquoi une « gonzesse » ne taperait pas aussi fort ? Mais tu as peut-être envie de taper comme une gonzesse ? Tu verras qu’après ça, les Yaban et les pègres locales font pâle figure … »

Ramassant une petite tasse en métal, je la pliais de la seule force de ma poigne, comme pour accentuer la puissance de mes mots avant d’envoyer au gamin la petite boule de métal étrangement compressée.

Lors de mes différents voyages et passages au sein du pays des Ruines, il y avait bien une chose que j’avais retenue et qui pourrait ne viendrait pas nécessairement à l’esprit des gens, surtout des plus altruistes. J’avais appris une chose essentielle et qui assurerait ma survie bien plus longtemps. Si dans ce genre d’endroit, il admit qu’il ne faut se fier à personne, dans ce pays, il faut le prendre littéralement et l’appliquer à la lettre quelles que soient les circonstances. Cela implique également de n’accorder aucune confiance aux femmes et enfants en détresse. Affligé par la détresse humaine, vous ne pouviez voir arriver le poignard dans votre dos, cette lame tenue par une jeune femme désespérée ou un enfant misérable. C’est pourquoi cette fois encore je me tenais sur mes gardes devant tant d’aplomb.

Marquer le coup était nécessaire pour éviter toutes complication. Cette tasse ce n’était pas grand-chose en soit mais une nécessité afin que mon jeune interlocuteur comprenne bien ce à quoi il se frottait. Et mine de rien, malgré sa jeunesse, l’adolescent semblait avoir saisi la situation même si son discours m’hérissait quelque peu le poil. Vu la misère dans laquelle il semblait vivre, ce n’était pas étonnant, mais il était certain qu’à l’âge adulte, son tempérament vis-à-vis de la gent féminine serait tout aussi malsain. Il fallait remédier dès à présent sur cet état de fait.

Et autant dire que le jeune homme me donnait l’opportunité de lui apprendre une rude leçon.

« Tu aimes mon crochet ? Parfait. Ne bouge pas alors. »

M’approchant de lui, je plaçais mon pied gauche face à lui, mon pied droit légèrement ouvert vers l’extérieur. Le buste en rotation, l’épaule droite en arrière, le bras gauche en garde, mon bras droit se lançais dans un mouvement circulaire pour venir frapper le plexus solaire du gamin. Je n’avais pas mis autant de force que contre les deux Yaban, mais pour quelqu’un de son gabarit, il était fort possible que, premièrement, le coup lui ait coupé le souffle et que deuxièmement, il ait été projeté en arrière ou se soit tout simplement effondré au sol, les jambes chancelantes.

« Ca, c’est la base de tout coup de poing. C’est une caresse par rapport à ce que je suis capable de faire. Maintenant, à toi. Si tu as bien observé, alors reproduit donc ma frappe et viens taper dans ma main. »

Telle un boxer, la main droite en avant, le bras légèrement fléchi, j’attendais la réaction du jeune combattant.

Spoiler:

Sans réelle surprise, l’adolescent n’était pas en mesure de tenir sur ses jambes et valsa à quelques pas comme un fétu de paille en plein vent. En revanche, lui ne s’attendait nullement à cela à en juger par la surprise qui l’habitait. Nul doute que le garçonnet voyait encore en la femme une créature fragile qu’il fallait défendre, préserver ou dominer. Au moins, à partir d’aujourd’hui, il saurait qu’il ne fallait pas juger un livre à sa couverture et que même ceux qui pouvaient paraitre fragile étaient réalité en mesure d’accomplir de grandes choses.

Se relevant, je constatais là que son comportement avait quelque peu changé. Plus de lucidité, plus de volonté aussi. Il semblait réfléchir à la situation. Qu’allait-il faire désormais ? Je venais de lui inculquer une leçon, de manière quelque peu sévère et brutale, mais allait-il la retenir et aller de l’avant ou l’ignorer et rester là où il était ? Face à mon injonction, le cabotin se décida à agir malgré la douleur qui se lisait encore sur son visage. En place, il frappa, ou du moins tenta de le faire. Malheureusement, pour l’heure, sa frappe était molle et l’impact dans ma main, totalement négligeable.

« Patate du Singe ? Un singe malade alors non ? Recommence ! »

D’un geste de la tête, je lui intimais de reculer et de faire une nouvelle fois face à son adversaire, moi, l’incitant une nouvelle fois à frapper. Il ne fallu guère de temps pour qu’il se lance, comme s’il avait une volonté certaine de me faire mal ou de réussir. Mais le chemin était encore long pour parvenir à mes talents. Au moment de sa frappe sur ma main, sans mal, je refermais cette dernière, entravant sa poigne dans sa position de combat.

« Tu vois, tu es immobilisé et donc en position de faiblesse. Pense également que la vitesse et la vitesse de frappe sont importantes. Mais tu auras le temps de peaufiner tout cela plus tard. Pour l’heure, tu as deux défauts à corriger, le second résultant en partie du premier. »

Continuant à tenir fermement la poigne du garçonnet dans le creux de ma main, je lui offrais là quelques conseils à appliquer s’il voulait s’améliorer.

« Première chose, le positionnement de tes pieds. Ils sont droit face à moi. Dans le coup que j’ai lancé, j’ai la jambe gauche qui est de face et la jambe droite ouvert d’un bon tiers vers l’extérieur. Cela te permet une plus grande possibilité de rotation du buste. J’en viens donc au second problème. Ta force d’impact est faible. Tu tentes de frapper avec ton bras, il faut frapper avec ton buste. C’est la rotation de ton torse qui te donnera de la puissance et de la vitesse de frappe. Mais pour avoir une bonne rotation, il faut d’abord bien savoir positionner ses pieds. Alors fait comme moi et ensuite on passera au reste. »

Ainsi, la première phase de cette technique se lançait, montrant plusieurs fois l’exemple de positionnement correct de mes pieds avant de le laisser faire, rectifiant son positionnement au fur et à mesure, assurant quelques petites claques derrière la tête pour bien ancrer la leçon dans son esprit.

Le gamin était encore jeune, et pas seulement pas définition même du terme gamin. Ses réactions indiquaient totalement son jeune âge, ses remarques aussi. Mais par chance, enfin, pour lui, il semblait déterminé à apprendre malgré les circonstances. Bon nombre d’autres marmots dans son genre auraient abandonnés ou fuit dès le premier coup reçu. Les leçons importantes doivent être inscrites dans la chair.

« Des armes ? De vrais couteaux ? Si tu comptes te battre avec ça, ça ne te servira à rien. Une arme c’est une faiblesse. Quand tu t’es entrainé pendant des années à manier ton arme et qu’elle se brise ou que tu la perds, tu ne sais plus rien faire. Tes poings, eux, ils seront toujours là. Mais si tu parles de tes poings comme de vrais couteux, essaie déjà de découper du beurre avec avant de vouloir jouer les caïds ! »

Cela faisait des décennies que j’arpentais ce monde et je dois avouer que me retrouver face à un enfant de cette envergure était quelque peu déstabilisant. J’en avais rencontrés plusieurs durant mes escapades, mais jamais d’aussi démonstratif. Cependant, nécessité faisant loi, dans cette région du monde, les plus faibles étaient amenés à périr, seuls les forts, ceux avec des motivations ou de l’ambition parviendraient à s’en sortir ou du moins pourraient l’espérer.

Après de longues heures d’exercices, d’échecs, de ratés et de mouvements inexacts, le bambin parvenait enfin à un semblant de quelque chose. Si des claques avaient fusées en direction de sa tête afin de lui rappeler la leçon du jour, moi aussi j’en avais ma claque de cette journée.

« T’es dans le truc ? Hum … on va dire que tu commences à piger le truc. Ne prend pas pour acquis une journée d’exercice. Ça comme tout le reste nécessite des années d’apprentissage. Si tu poursuis régulièrement, tu deviendras fort, sinon, tu termineras dans un fossé comme bon nombre. Bien, en attendant, on en reste là pour aujourd’hui. »

Je me demandais maintenant dans quel bouge le garçon dormait. Le pays entier était une ruine, quel restait-il à la population pour survivre ?

« Nous reprendrons demain pour le reste. Toute leçon nécessite du repos pour être assimilée, d’autant plus ce genre de leçon. Si tu ne reposes pas suffisamment ton corps, il te lâchera et tu ne seras plus bon à rien. En attendant, amène-moi donc chez toi. Si tu as des questions, ce sera l’occasion de discuter.»

Raser ce monde pourri, le réduire en cendres et tel un phénix le voir émerger à nouveau, plus resplendissant que jamais. Pour y parvenir, j’avais fort à faire, alors pourquoi je prenais le temps de m’occuper de ce genre de gamin ? La question je me la posais. Je me la posais davantage quand je me retrouvais devant ce comportement presque insuportable … Avais-je ressenti une quelconque force en lui qu’il faudrait faire éclore ? Pas vraiment. Alors pourquoi lui venir en aide et le sauver ? Peut-être était sa propre volonté de survie qui m’avait attirée, mais par moment j’avais l’impression de regretter mes choix où de faire fausse route.

« Oui on va stopper ici pour ce soir. Sauf si tu penses pouvoir me forcer à continuer, mais j’en doute. Vu ton état de fatigue, je n’aurais besoin que d’un doigt pour te mettre à terre. Mais je vois que tu as compris. Alors en route. »

Si j’étais généreuse avec le marmot, sacrifiant mon propre temps pour n’avoir aucun gain, comment un tel gamin pouvait se montrer si peu reconnaissant. Peut-être devrais-je le laisser là et partir ? Après tout, je ne lui devais rien et sa mort m’importerai peu, c’était le propre du cycle de la vie que d’aller et venir.

Sans un mot, capuche baissée sur mon visage, je suivais le gamin a travers ce qui ressemblait au reste du hameau. Le pays des ruines portait bien son nom, jusqu’à la demeure de mon hôte du jour qui une fois encore tenter d’user d’humour. A noter d’ailleurs qu’en y réfléchissant un peu, j’étais convaincue que pour lui, c’était là un moyen de se protéger, de se donner un style et de se forger une armure. La fragilité prenait bien des visages et chacun la combattait avec les armes à sa disposition. C’était là son combat, pas le mien et délaissais donc la moindre remarque à ce sujet.

Finalement, au moment où nous arrivions devant le taudis insalubre, surement une masure de luxe pour certains ici, nous n’avions pas le temps d’entrer que la porte explosa littéralement sous un coup de pied. Sortant de la bicoque, un homme que je reconnaissais bien. C’était l’homme à qui j’avais brisé la machoire et qui parlait de travers. Comprendre quelque chose était compliqué mais son désir de vengeance était plus que compréhensible. Il était faible et dans sa rage chargea comme une furie, tentant de me frapper. Comme la première fois, je tentais d’arrêter son poing, mais cette fois, ma main vola en arrière, me laissant une certaine douleur dans l’épaule. J’étais idiote. C’était un Yaban et ce dernier devait maitriser quelques rudiments de son clan. Je n’avais pas que cela à faire de me lancer dans un combat de longue haleine

« Regarde bien, je ne le montrerai qu’une seule fois. Demain, tu travailleras la puissance de tes coups. »

Face à mon agresseur, de ma main gauche, je lui empoignais l’épaule et de la droite, je condensais toute la puissance de ma frappe dans le poing qui fusa sur ma cible. Plus que fuser, le coup traversa le torse de mon adversaire projetant sang et os derrière lui dans une gerbe écarlate. J’étais épuisée, mais au moins les choses étaient réglées. Le bras balant, je regardais rapidement à l’intérieur du bouge pour y constater la vacuité de toute chose.
« J’imagine que tu n’as rien à manger non plus. Je suppose que je peux faire ce cadeau aux habitants du coin. »

Malgré ma fatigue, usant de mon sceau alchimique, j’apposais ma main au sol derrière la petite bicoque. La vaste zone qui devait surement être luxuriante ou agricole ne ressemblait plus à rien désormais. Cependant, en quelques instants, la splendeur d’antan resplendi à nouveau alors que plusieurs arbustes fruitiers jaillirent du sol pour fournir quelques baies comestibles qui seraient les bienvenues pour ce soir.

« Toute ceci m’a épuisé. Réveille demain matin et prend soin de te reposer correctement. »

Pour ma part le sommeil serait surement un peu rude, la douleur dans mon bras étant bien présente. Je n’avais même pas la force suffisante pour prendre le temps de me nourrir un minimum. Point positif, je n’aurais droit qu’à un demi sommeil et aurait surement le temps de réagir en cas d’attaque d’un nouveau Yaban.

Ma nuit fut de courte durée, ou plutôt espacée de plusieurs phases de réveils. Outre les lieux qui n’étaient que peu propices à une bonne nuit de sommeil, mon bras continuait à me lancer. A proximité de moi, le garçonnet dont j’ignorais toujours le nom dormais à même le sol, allongé de tout son saoul, ronflant allègrement, quelques baies dans les mains et des traces autour de la bouche. Malgré ses airs et son attitude désinvolte, le gamin prouvait là sans le vouloir qu’il en était encore un.

Finalement, le soleil émergea enfin, d’abord quelques lueurs à travers les lattes délabrées des murs en bois, puis plus nettement à travers la fenêtre sans verre par laquelle un air frais entrait. Me levant, je poussais doucement du pied mon élève du jour pour le réveillait

« Il est temps de finir ta leçon, suis-moi dehors. »

Ouvrant la porte à moitié cassée, je prenais de plein fouet la brise matinale qui déposa une couche de fraicheur sur mon visage avant que le soleil naissant ne vienne le réchauffer. Enjambant le cadavre du Yaban, je retournais là où nous avions réalisés ce premier cours.

« Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur la puissance de tes coups. Cela ne veut pas dire que tu dois totalement oublier ton positionnement. Tout doit être fait conjointement. Ne l’oublie pas, tu ne pourras frapper solidement qu’en ayant un bon positionnement de tes jambes. Maintenant, c’est parti. »

C’est ainsi que cette journée passa. Comme la précédente, je veillais à ce que mon enseignement s’ancre dans son esprit, agrémentant mes leçons de quelques coups derrière la tête en cas de dérive. Petit à petit, tests après tests, exercices après exercices, le gamin améliora sa technique. En fin d’après-midi, j’estimais que l’essentiel été appris. Il y aurait un long moment entre la réussite du jour et une totale maitrise, mais au moins, désormais, il avait une bonne base sur laquelle se reposer et s’améliorer. La suite ne tenait qu’à lui.

Nonchalamment, je délaissais le gamin, le gratifiant d’un salut de la main en quittant les lieux. Basculant la tête en arrière, tournée à demi, je lui offrais un conseil qui n’en était pas vraiment un.

« Tache de ne pas mourir, ça serait dommage que j’ai fait tout ça pour rien. »