Quelle ironie du sort. Après toutes ces exactions couronnées de succès au Pays des Monastères, l’Ambassade d’Ame avait renvoyé l’enfant de l’os sur ses propres traces – mais cette fois dans l’autre camp. À défaut de piller les côtes et d’attenter à la vie d’innocents, Uhen était chargé d’enquêter sur l’enlèvement et l’esclavage de membres du clan Sarutobi, ciblés par des mercenaires pour la teneur en chakra affinitaire de leur sang.

Pour ne pas s’attirer les foudres des autochtones, le Kaguya avait choisi de conserver son identité « vertueuse » qu’était Seiran ; et avait voyagé incognito, loin de sa soeur, sur les routes de Chōwa, pour arriver jusqu’au territoire des Pagodes. De même, il avait appliqué une attention toute particulière à la dissimulation de sa signature chakratique, notamment autour des centres démographiques, pour ne pas aiguillonner le sixième sens des curieux. En somme : toute une entreprise contre-productive, pour parier sur l’éventuelle coopération des Ambassades dans son propre projet de Reconquête.

— Ce pays ne m’avait pas manqué…

Dit-il alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds – officiellement. L’enfant de l’os fit rouler ses épaules, l’air grave, balayant son regard morne à l’horizon. Ses deux yeux vairons pouvaient être connus de quelques personnes, mais c’était hélas une caractéristique qu’il ne pouvait changer en claquant des doigts.

— Ne nous condamne pas inutilement.
— Je ne vais pas m’y éterniser, le vieux. Les bruits de couloir d’Ame, des marchands itinérants, et des comptoirs de mercenariat, nous plus ou moins indiqué la position des disparitions – et donc du repaire où nos coupables séquestrent tout le monde. Avec un peu de chance, en cas de rencontre avec les saintes autorités de ce pays de dégénérés, je les mettrai dans la confidence. Enfin... avec un peu de malchance, je suppose.
— Là, je te reconnais. J’avais peur que ce déguisement érode ton franc-parler.
— Je me sens horriblement oppressé. Coincé dans cette peau. J’ai… un bâton dans le cul.
— Ton langage. Et – bienvenue dans la politique.

Le binôme parcourut son chemin dans la pampa de Garan no Kuni. Sans prendre de risque, ils empruntèrent les routes, conscients du danger de se balader en pleine nature. À l’époque, Uhen avait bien compris l’utilité des Cités-Tours – et la situation n’avait pas changé en deux petites années. Le Kaguya s’enquit, toutefois, à ne pas demander l’hospitalité des Garanjin, pour ne pas tenter le diable. Une malheureuse rencontre pouvait très vite arriver, et le balafré était plus seul que jamais, en ce territoire où il n'était plus le bienvenue.

— Encore une journée de marche, et nous y serons. Il n’y aura plus qu’à ouvrir l'œil.
— Et nous nous rapprochons encore d’une Mégastructure. Profitons-en pour continuer notre croisade, au-delà des Monastères. Tu es devenu capable dans l’art des ombres et des illusions. Tu pourrais nous faufiler sans éveiller de soupçons. Nous deviendrons plus puissants que jamais, et pourrons garantir le salut de Kiri.
— Plus tard. L’Arbre-Monde sera la première étape. Mais en attendant... les Sarutobi.

De toute évidence, jouer la manière forte était inconcevable. Uhen avait compris d’emblée que ce pays était un nid à rats, une ruche bourdonnante, et que la moindre échappée de chakra pouvait alerter toutes les autorités de Garan afin de l’attraper. Il avait réussi à jouer finement, la tête basse, sa signature spirituelle dissimulée, mais toute cette prestidigation n’était que l’introduction d’une pièce ardue. Comment couper l’herbe sous le pied d’un réseau criminel aussi établi sans l’usage de la force ? Ce fut la question qui traînait, depuis des jours, dans le crâne de l’enfant de l’os, avant que le destin ne plaça quelqu’un devant lui : un bon samaritain.


À l'horizon, une scène horrible – du moins, pour le commun des mortels – se déroulait devant ses yeux. Un effondrement rocheux, ayant provoqué l'accident d'un véhicule, le traumatisme de tout un groupe, et la mort d'un jeune enfant. Mais cet aléa froid, et somme toute commun, n'était pas digne d'intérêt. Uhen, lui, inspectait surtout la tierce personne qui s'était empressée de venir en aide aux civils. En ouvrant son troisième oeil – Kanchijutsu de Rang B – il analysa sa signature spirituelle, l'enregistra, et constata son potentiel chakratique.


— Je vois qu'il existe encore de bonnes personnes en ce monde...

« Seiran » s'approcha du groupe, et les salua de loin d'une ample révérence, avant de rejoindre l'effort, et de demander si l'assemblée désirait son aide. Hélas, le mal était déjà fait. Il n'y avait plus rien à sauver, par ici.

— Je suis désolé pour votre perte.

Sous la tutelle du Vestige, Uhen fit un signe de prière, et ferma les yeux un instant pour honorer la vie du fils.

— Laissez-moi au moins vous accompagner jusqu'à la Pagode la plus proche. Les environs sont dangereux ; des créatures pourraient nous attaquer d'une minute à l'autre. Et peut-être pourrions-nous nous lier d'amitié ?

« Seiran » avait déjà des projets pour cet affin au chakra venu du néant. S'il ne pouvait pas agir de lui-même sur la problématique confiée par Chōwa, alors le balafré allait convaincre le Pays des Monastères d'arracher la mauvaise herbe. Il avait pensé à convaincre la populace, certes – mais qui mieux qu'un surhomme pouvait résoudre la situation ? Dans ce monde moderne, le chakra avait toujours le dernier mot.

— Mon nom est Seiran. Je suis un itinérant apatride. As-tu entendu parler des récentes disparitions, aux quatre coins du pays, visant les membres du clan Sarutobi ? Je pourrais certainement requérir ton aide...

« Seiran » rejoignit les civils en émoi, mais s'intéressa surtout à l'affin au chakra. Ces gens n'étaient qu'un prétexte pour recruter le Fujimi dans son projet. Et s'il fallait montrer patte blanche...

— C’est pour cette affaire que je me trouve dans les parages. Quant à votre « générosité », elle sera certainement récompensée par les autorités de Garan une fois le Cercle déjoué. Il y a, parmi ces monastères, des jeux d’ombre qu’il nous faut éclairer. En échange de pièces sonnantes et trébuchantes…

L'émissaire en devenir sortit un parchemin enroulé de son barda de voyage. Il déroula la carte sur l'un des rochers ayant écrasé le véhicule des Garanjin, et effleura du doigt les cinq croix noires dessinées sur la représentation plane du pays. Cela formait une sorte d'étoile, dans la région où se tenaient présentement les Éveillés. De nombreuses informations venues du cœur de « l'étoile » étaient arrivées aux oreilles du Kaguya, mentionnant tantôt la disparition étrange d'un shinobi ; tantôt l'attaque fulgurante d'une créature de chakra contre un comptoir humaine ; tantôt la disparition d'un convoi marchand entre deux pagodes.

— Voici les informations que j'ai récoltées pendant mon voyage. Si tu me rejoins dans ce projet, camarade Éveillé, je ne te demande qu'une chose : faire profil bas. Je ne sais pas quels démons sont responsables de ce marchandage noir. Tu devras mettre de côté tes ambitions afin d'enquêter sur ces disparitions.

Le discours valait également pour le petit garçon qui se cachait derrière le déguisement. Uhen ne pouvait se permettre de rire à cœur joie, et distribuer son art osseux à tout va. Il y avait là une nécessité absolue de garder son sang froid, sous peine d'attirer les foudres de l'élite de Garan, et se faire taper sur les doigts. Ou pire.

— Une chose est sûre : des membres du prestigieux clan Sarutobi seraient pourchassés pour leur sang si particulier. Je n'ai aucune information dessus, mais il est prisé par certaines personnes. Certains scientifiques. Peut-être leur facilité à manier les cinq affinités a-t-elle un rôle de catalyseur ? Je ne serais surpris pas d'apprendre que des non-Éveillés monnayent ce projet pour se découvrir de nouveaux dons.

Seiran zieuta les civils, encore en détresse, d'un air assez nonchalant. Leur urgence ne semblait pas si pressante, à ses yeux. Il préférait garder les idées claires pour ne pas provoquer d'erreurs coûteuses.

— Alors. Qu'en dis-tu, cher inconnu ?

Une invitation, peu subtile, pour connaître l'identité du bon samaritain.

Contexte :

Seiran avait convaincu le vieil homme de le rejoindre dans sa quête du Bien. Les deux remercièrent ainsi les civils sauvés – en capacité de se déplacer et de pleurer leur fils chu – et prirent donc le large. Leur objectif : l’une des premières croix griffonnées sur la carte de l’enfant de l’os, vers le Nord-Est, à quelques lieues des sentiers battus. Il fallait pénétrer le territoire du Pays des Monastères, mais c’était l’occasion pour les deux alliés d’apprendre à se connaître, malgré une communication un peu faible de la part du Fujimi – dans son droit.


Enfin, le premier point d’intérêt fut atteint. Cela semblait, aux premiers abords, à un village totalement neutre, mais sain. S’il y avait, à l’horizon, des traces néfastes de quelconques enlèvements, les environs cachaient bien leur jeu. Mais cela ne dissuada pas Uhen pour autant : son rôle était de gratter sur la surface de la vérité pour en découvrir les sales secrets ; puis de soumettre un plan d'action pour résoudre le problème.

— Je vais faire un tour. Rendez-vous à la taverne dans une demi-heure.

L’émissaire laissa son compagnon de circonstance faire un tour au marché, tandis qu’il enquêta sur d’éventuelles traces de Sarutobi – ou d’autres signes de criminalité ambiante. Néanmoins, à mesure que les minutes passèrent, il comprit que ce hameau était exempt de tout mal, de toute corruption, de tout fardeau contre-nature. Aussi, il n’y avait aucun moine-soldat de Garan, et seuls quelques miliciens locaux s’affairaient à la défense du comptoir civil. En ouvrant son troisième œil, sensoriel, Uhen découvrit l’existence d’un Éveillé, au sein de cette milice, qu’il rejoignit. Il passa le reste de son séjour à échanger avec lui, afin de le mettre au courant des exactions alentours.


Par chance, l’Éveillé sembla être enclin à écouter l’étranger. Ils échangèrent tous deux un verre à la taverne du hameau, directement au comptoir, jusqu’à ce que le Fujimi (au nom inconnu) revint vers Uhen pour rendre des comptes sur son enquête. Le voleur de cœurs trouva les deux humains sans grande difficulté.

— Ah. Je te présente mon camarade – celui dont je t’ai parlé tout à l’heure. Camarade, voici Oda Arihisa, un Éveillé s’occupant de la sécurité de ce hameau. Je lui ai expliqué le drame que nous combattons, et il va s’affairer à faire passer le message dans son cercle, et ailleurs. Mais nous ne trouverons rien d’autre ici. Es-tu prêt à continuer notre route ? Nous devrions accéder au deuxième point d’intérêt avant la tombée de la nuit…

Au vu de la distance entre la route et ce hameau, et du temps qu’avait mit le binôme pour atteindre celui-ci, il y avait de grandes chances que leur périple prît deux à trois jours. Ce qui impliquait des pauses pour dormir tous les deux points d’intérêt. Dans le pire des cas, les deux itinérants avait découvert un endroit où se reposer.

Règles de jeu :

Résultats :

Uhen avait l’habitude d’être seul. Depuis sa tendre enfance, il était le mouton noir ; l’enfant étrange jouant avec ses propres jouets, exotiques à souhait, ce qui l’écartait du reste du groupe. Ainsi, lorsque son compagnon d’infortune décida de le quitter (a.) – lui et son entreprise vertueuse – le Mizujin ne le prit pas mal. Au contraire : ce devait être le destin. Au matin, alors que les dernières gouttes de pluie cessèrent d’inonder le sol déjà trop boueux, Uhen, seul, reprit la route vers un troisième point d’intérêt.

Ce doit être mieux ainsi. Ça n’était pas quelqu’un de confiance.


Ce jour-là fut très long. Même si l'étranger, qu'Uhen ne connaissait pas vraiment – pas même le nom... –, était patibulaire, il jouait de son humble poids sur la balance de la compagnie. Sa seule présence comptait, là, au milieu de ce néant, de cet inconnu, de ces dangers invisibles. Si une menace désirait fondre sur l'enfant de l'os, ce dernier devrait alors réagir seul, sans aucune aide extérieur. Était-il rassuré ? Pas le moins du monde. Pour la première fois de sa vie, sous les traits de cette fausse apparence qui altérait sa personnalité, Uhen ressentait de la peur et de la crainte. Pourtant, il ne rebroussa pas chemin. Quelque chose en lui le poussait à aller de l'avant, à accomplir de bonnes choses, à réparer ses torts, et jouer le jeu de la Paix sur l'échiquier continental.

Enfin, le balafré quitta ce marathon-purgatoire. À l'horizon était apparue une bâtisse – une ferme, pour tout dire – à l'exacte position de la croix du troisième point d'intérêt. Au-delà, il n'y avait rien. Aux alentours non plus, d'ailleurs. Seule cette ferme pouvait servir de quelconque planque au milieu du vide, des vallons et des plaines.

Je vais devoir faire attention.

Ouvrant son troisième œil, Uhen confirma l'absence d'Éveillés dans les parages. Il dodelina légèrement de la tête, et reprit son chemin pour s'approcher de la bâtisse miteuse. En cette journée d'après pluie, le ciel demeurait gris, et sombre, ce qui rajoutait une once d'angoisse au tableau général. Un pas après l'autre, l'enfant de l'os avala de précieux mètres de distance – jusqu'à arriver aux pieds de la ferme.

J'ai un mauvais pressentiment...

Devant lui, une porte vieillotte, au cadenas rouillé, abîmée par la pluie, le vent et le temps. D'un seul signe incantatoire, l'enfant de l'os prolongea la dernière phalange de son index à l'intérieur du verrou, avant de l'étendre, pour imploser le mécanisme. La protection sauta net, avant de tomber dans une flaque d'eau croupie, éclaboussant le Mizujin. Ce dernier ne perdit pas de temps, et pénétra la ferme en poussant la porte. Les gonds hurlèrent sous la supplice, dans un état de stase avancé depuis un temps trop long ; mais Uhen ne donna pas de point supplémentaires à la panique, et inspecta aussitôt les lieux.

Quelle surprise.

Depuis le début, le balafré n'avait pas vraiment cru aux allégations à l'encontre de ces criminels mystérieux. Des membres du clan Sarutobi, mis en esclavage, pour profiter de leur sang éventuellement concentré en chakra affinitaire ? Une histoire à dormir debout, que l'on narre aux enfants Sarutobi, la nuit, pour éviter qu'ils ne soient trop turbulents. Et pourtant... Ce décor ne mentait pas. Tables d'opération, menottes, nécessaire d'alchimie, tuyaux de succion, fioles assombries par le sang séché, épaisses chaînes métalliques, outils de torture. Tout convergeait vers une seule explication qu'Uhen connaissait déjà.

C'est trop vieux. Ce repaire a dû être abandonné il y a quelques temps.

L'émissaire passa son doigt sur un meuble, et lacéra sa robe de poussière. Puis il s'approcha des tubes à essai, et renifla leur contenu, reconnaissant l'odeur du sang vieilli. Il chercha, çà et là, davantage de preuves à rajouter au dossier, mais ne trouva rien d'important. Pas de journal ; pas d'emblème du clan Sarutobi ; pas de cadavre ; pas d'otage. Le lieu avait été débarrassé au plus vite, et abandonné.

J'aurais peut-être plus de chance ailleurs. Je sens que je m'approche.

Règles de jeu :

Résultats :

La deuxième partie de la deuxième journée de périple était calme. Le même décor fade s’imposait à l’horizon, qu’Uhen s’affairait à traverser en conservant son déguisement oppressant. Plus les heures passaient, plus le Kaguya se sentait pris au piège dans la peau d’un autre ; et, aussi, plus son chakra se dilapidait, goutte après goutte. C’était même une prouesse, de conserver son mutisme chakratique aussi longtemps.

Je devrais penser à trouver un refuge avant la tombée de la nuit.

Au loin, quelque chose dérangea le Mizujin. Ou plutôt, l’alerta. D’abord, des éclats de voix ; puis, des bruits de pas ; et enfin, les silhouettes d’une escouade de soldats, marchant sur le chemin principal de cette campagne profonde. « Seiran » hésita un moment, mais décida toutefois de ne pas éveiller les soupçons, et de rester sur cette route, quitte à converser avec les gardes. Au contraire : la rencontre pouvait être intéressante, opportune, et pertinente. À quelques mètres les uns de l’autre, le chef de l’escouade leva son poing en l’air, ordonnant à tous de s’arrêter. Tous, y compris l’étranger – ce qu’il fit sans tarder. Par respect, il se courba en une longue révérence, pour saluer les miliciens.

— Vous n’avez pas l’air d’un marchand, sans possession. Que fait un civil en pleine route déserte, au milieu de nulle part ?

Uhen fit un sourire poli, alors qu’il s’était relevé.

— Pour tout vous dire, j’espérais tomber sur des personnes de votre acabit. Je suis un Éveillé sans faction, qui ne désire que le Bien ; et mon intérêt s’est posé sur certaines disparitions.

Les gardes échangèrent un regard insistant, peu discret. L’intelligence émotionnelle d’Uhen et du Vestige capturèrent cet instant de fragilité.

— Cela me rassure. Je pensais être seul dans cette entreprise…
— Nous avons eu vent d’enlèvements, en effet…
— J’ai des informations pour vous.

Seiran se permit de fouiller dans son barda, et se munir de sa carte. Il profita d’une pierre, sur le côté de la route, pour la dérouler, et présenter les différentes indications inscrites à la main dessus. Par curiosité, le chef de la patrouille s’avança, et analysa ces informations.

— Ici, à six heures de marche. Il y a une ferme abandonnée, seule au milieu de nulle part. J’y ai trouvé les traces de séquestration, et de potentielles sessions de torture. Tout portait à croire que l’on y récoltait du sang.
— ... Sarutobi…

L’agent double dodelina de la tête, non impacté par la réponse du garde.


— Je vais noter l’endroit. Ce n’est pas sur notre trajectoire, mais nous communiquerons au prochain relais. Une équipe pourrait y être envoyée. Votre nom ?
— Seiran.
— Et votre affiliation ?
— Aucune. Je travaille pour les laissés pour compte.

Le chef fronça les sourcils en examinant l’étrangers des pieds à la tête. Il ne lui faisait pas confiance, mais cette information ne pouvait pas non plus être inventée de toute pièce. Toutefois, quelque chose lui mettait la puce à l’oreille. C’était trop beau pour être vrai.

— Merci. Faites attention sur la route.
— De même.
— Les gars, la pause est terminée ! On y va !

Le chef ordonna à sa troupe d’avance, avant de s’arrêter un moment, et de se retourner.

— Ah, au fait. Pour un Éveillé, vous n’avez pas grande signature spirituelle. Je pourrais penser que vous êtes en train de cacher quelque chose. Rien d’alarmant ?
— Les environs sont dangereux. Je ne veux pas être la proie d’une créature. Ni des responsables de ces enlèvements. Vous comprenez, j’espère. Ce n’est qu’une couverture. Une précaution.
— ... Vous faites bien. Je répète : faites attention sur la route.

Seiran s’inclina à nouveau, d’une révérence emprunte de respect.

Règles de jeu :

Résultats :

Le chant du coq réveilla l’enfant de l’os. Il ouvrit les yeux pour contempler le plafond de sa chambre sommaire, dont la couche austère lui faisait l’effet d’un tapis de dagues acérées. Autant dormir sur le sol, qu’il maugréa au matin, après un sommeil peu réparateur, l’esprit embourbé dans son entreprise stérile. Depuis le début de sa campagne, il essayait de forcer le destin sans se mettre en péril – un compromis difficile à réaliser. Par chance, il était tombé sur ce village indépendant, alors que la lune commençait à poindre le bout de sa courbure.

Il profita de cette journée ensoleillée – les derniers nuages ayant été chassés par le vent – pour fouiner çà et là, et essayer notamment de rencontrer un Éveillé. Hélas, il n’y avait personne dans les parages. Seulement des civils, rassemblés à un même endroit pour se préserver des aléas du territoire profond de Garan.


Marché, taverne, habitations, champs – rien ne se mit sous la dent de l’émissaire en devenir. Il se contenta de se mêler au mieux aux autochtones, et, pour une fois, de se reposer. Il décida ainsi de prendre la journée, et d’établir éventuellement un plan d’attaque pour la suite des opérations. Son réactif limitant, malheureusement, semblait être la quantité de chakra qu’il lui restait. Il allait falloir rebrousser chemin, et quitter les frontières du pays, avant de révéler son identité chakratique, et finir exécuté.

Je vais décevoir les Ambassadeurs... Demain, je retourne vers l'Ouest, et fais mon rapport à Ame.


Drôle est l’ironie du sort. Drôle dans le genre étrange – pas amusant. Tandis que l’enfant de l’os s’était résolu à abandonner son enquête par manque de chakra, sous peine de risquer le fait d’être découvert par les autorités de Garan, un certain Éveillé vint à lui – et pas n’importe lequel. Un Sarutobi. Un éminent membre du clan de ces affins à la polyvalence élémentaire, au sang hautement concentré en chakra, venu en pleine cambrousse pour rendre visite à ses pairs.

Naturellement, Seiran, curieux, avait engagé la discussion, et s’était dévoilé comme étant un mercenaire de l’Ouest, doué de chakra, tout comme lui. Contre toute attente, les deux Éveillés discutèrent de longues heures pour échanger leurs périples ; ils semblaient être tous deux des aventuriers avérés, parcourant les routes à la recherche de dangers, et de civils à sauver. Le Mizujin s’enquit à modifier légèrement ses histoires pour se prétendre héroïque, luttant à chaque fois contre lui-même, son alter ego du passé alors rendu antagoniste de sa narration. Jusqu’au moment où Uhen décida de mentionner la véritable raison de sa présence.



Le visage du Sarutobi changea du tout au tout. Évidemment, il connaissait ces histoires d’enlèvement. Évidemment, il étudiait la question. Évidemment, il craignait de se faire assaillir. Le balafré vit dans les yeux de son interlocuteur que le sujet était épineux. Une étincelle élémentaire revêtit le fond de son œil, alors que l’Éveillé s’apprêtait à réagir au moindre mauvais pas du Kaguya sous couverture. Les ennemis du clan Sarutobi étaient prêts à tout pour parfaire leurs exactions – dont se mêler d’amitié avec leur prochaine victime. Les poils de l’étranger se hérissèrent. Il associait dorénavant le visage de Seiran au danger.

— BANDITS- !

À l’autre bout du village, la voix d’un paysan se brisa en deux, tandis qu’une flèche affûtée traversait son corps non protégé. Le projectile perfora alors l’écorce d’un arbre, et le traversa de part en part, restant bloqué à l’intérieur. Ce degré de pénétration était assurément chakratique.

— Attends ! Je suis de ton côté !

Le Sarutobi fit deux rapides signes de la main ; il cracha aussitôt de la boue sur le visage de Seiran, avant de prendre la poudre d’escampette. C’était bel et bien un piège ! Sans perdre de temps, il fuit entre les bâtisses, et décida enfin de trouver refuge dans l’enceinte du gîte local.

Pendant ce temps, trois silhouettes traversèrent l’orée du hameau, toutes vêtues d’une robe noire austère, dont la séparation centrale autorisait une meilleure aisance au niveau de leurs jambes. Une chose était sûre : ce même accoutrement les rendait instantanément coupables d’un quelconque méfait prémédité.




Seiran détenait, à portée de bras, le salut de sa mission. S'il sauvait le Sarutobi, et venait à bout de ces trois menaces, peut-être que celui-ci allait l'écouter. Et qui de meilleur allié qu'un Sarutobi pour sauver d'autres Sarutobi ? Cette rencontre pouvait être le début d'un soulèvement aux quatre coins de Garan.

Je vais devoir risquer ma couverture... Fait chier !

Règles de jeu :

Résultats :

— Tu ne pourras pas te cacher éternellement !

Entre deux rires-exutoires, les bandits se livraient à un massacre sans foi ni loi sur les civils du petit hameau. Le but était clair : faire passer cette attaque pour un vulgaire raid de bandits, et ainsi effacer les traces de l’enlèvement du Sarutobi. Mais Uhen voyait clair dans le jeu de ces professionnels, et ne comptait pas les laisser se balader librement.

La sentinelle, en retrait, pointa du doigt l’auberge où s’était abrité le Sarutobi. Son troisième œil ouvert perçait sans problème le bois de la bâtisse pour capturer l’essence chakratique de leur cible. Sans attendre, l’archer banda son arc, et visa la porte fermée. Le tir décoché pulvérisa aussitôt le décor pour traverser la pièce centrale (B – Buki + Fûton). Un râle d’agonie alerta les trois énergumènes de la blessure d’un malheureux civil.

— Où sont vos précieux moines ?!

Le troisième bandit, qui scandait ces vives provocations, composa alors une série de signes incantatoires. Il inspira une grande quantité d’oxygène, pour recracher un immense dragon de feu devant lui, incinérant la première maison à portée (B – Nin + Katon). Ça n’était que le début des hostilités. Ils avançaient comme un seul homme, de cahute en cahute, pour annihiler toute trace de civilisation aux alentours.

Je dois convaincre le Sarutobi. À trois, ils pourront me vaincre sans problème.

Seiran se dépêcha de contourner le hameau pour rejoindre l’auberge. Il se glissa contre le bois, à l’extérieur, et s’approcha d’une fenêtre pour communiquer avec la future victime enlevée. À nouveau, il essaya de le rallier à sa cause – leur cause – et ainsi combattre ensemble contre les trois Éveillés.


Ce qui, par chance, fonctionna. Peut-être était-ce l’urgence, les remords, ou l’instinct de survie, mais le Sarutobi décida de relativiser, et d’accepter la main tendue du bienfaiteur.

— Je n’ai pas d’autre choix que de coopérer, je suppose ?
— Tu t’excuseras plus tard. Il y a un mage affin au Katon, et un archer maîtrisant le Fûton. Le troisième a l’air de pouvoir te repérer, alors tu vas continuer à faire diversion. Tu te rappelles la roue des éléments ?
— L’Eau contre le Feu. La Foudre contre le Vent.
— Le sorcier va sans doute vouloir brûler l’auberge. Trouve un moyen de sortir !

Le Sarutobi dodelina de la tête. En effet, le pyromancien s’approchait déjà du point d’intérêt du hameau pour y accomplir son méfait. Encore une fois, il enchaîna une longue série de signes incantatoires – de manière assez lente, néanmoins – avant de cracher son essence en cône devant lui (B – Nin + Katon). Les gerbes de flamme dévorèrent le bois de la cachette. Hélas, le crépitement n’arrivait pas à étouffer le cri d’effroi des civils.

Uhen sortit de son mutisme et invoqua un clone à ses côtés (B – Nin + Kaguya).

Aussitôt, le senseur alerta ses deux compagnons de l’apparition de deux nouvelles signatures chakratiques. Il surveillait sans doute les environs, et l’arrivée éventuelle de renforts Garanjin. Par sécurité, l’archer tendit la corde de son arc, et visa à peu près l’endroit désigné par son camarade senseur. Soudain, des racines osseuses perforèrent le sol pour venir attaquer l’archer de plein fouet (B – Nin + Kaguya). Incapable de réagir à temps, il se fit lacérer en de multiples endroits, avant de faire une ruée à reculons, lui épargnant une plus gros blessure.

Pendant ce temps, le Sarutobi fit de son mieux pour faire pencher la balance du bon côté. Grâce à une technique aqueuse (C – Nin + Suiton), il fragilisa une partie du bois enflammé ; les civils purent utiliser un banc comme bélier pour éclater le mur, et sortir de la prison de flammes.

Uhen n'avait pas fini de jouer avec ses proies. Pendant que son clone avait menacé les bandits depuis le sol, il s'était de nouveau camouflé de la sensorialité du veilleur pour le prendre par surprise (B – Kanchijutsu). Il avait couru le plus vite possible – malgré sa faible aisance corporelle – de l'autre côté de l'auberge, pour prendre les bandits à revers. Une fois arrivé à destination – croisant, au passage, les civils et le Sarutobi –, il ôta sa cape d'invisibilité sensorielle pour décocher un immense projectile osseux dans le dos du senseur (B – Nin + Kaguya). Celui-ci, manquant de réflexes, se prit l'assaut de plein fouet. C'était fini pour lui ; après une seconde série de signes incantatoires, la bouture en lui se mit à croître, envahissant son organisme (B – Nin + Kaguya). À l'image de tant d'autres victimes de Garan ces dernières années, le bandit se transforma en épouvantail d'os.


— Fuyez ! Alertez le premier relais de miliciens ! Le premier monastère ! La première pagode !

Le Sarutobi essayait de jouer au capitaine pendant cette tempête de chakra. Il était terrifié de ce qu'il se passait à quelques mètres de lui, et commençait à se rendre compte de l'existence de sa bonne étoile, en remarquant les prouesses de son sauveur. Mais... un Kaguya ? Il avait déjà entendu parler de ces horribles guerriers...


Par chance, le Sarutobi n'avait jamais entendu parler des exactions d'Uhen, commises l'an passée.

— Vous ne vous en sortirez pas vivants !

Uhen se réfugia à nouveau derrière l'auberge pour rejoindre le Sarutobi. En l'absence du senseur, il n'avait plus besoin de conserver sa signature chakratique.

— Le senseur est mort. L'archer est blessé.
— Tu es incroyable.
— Ce n'est pas terminé. Ces types pourraient être en lien avec les disparitions. Il nous en faut un vivant. Certainement le pyromancien. Il m'a l'air de prendre ses aises. Ce doit être le vétéran.
— Oui, bien sûr, c'est une bonne idée ! Qu'est-ce que je dois faire ?
— Reste en vie. J'ai des idées pour ton futur.

Le clone d'Uhen retourna, soudain, en direction de l'originel et du Sarutobi.

— Ils battent en retraite, mais l'archer a du mal à se déplacer.
— Ok ! Pas de temps à perdre. Sarutobi, est-ce que-...
— Yorimori.
— Enchanté, Yorimori. Prépare-toi à nous protéger de leurs attaques !
— L’Eau contre le Feu. La Foudre contre le Vent.

Règles de jeu :

Résultats :

La danse n’était pas encore terminée. Uhen et son double fusèrent en première ligne pour rejoindre les fuyards, lovant la chaleur de l’auberge en feu pour accéder à la place centrale du hameau, suivis de près par le Sarutobi. Dès qu’ils dépassèrent le bâtiment, ils virent les deux bandits en train de fuir vers les bois.

— On y va !
— On y va !

Les deux Kaguya poursuivirent leur course endiablée pour rattraper les bandits. Par chance, la blessure de l’archer l’empêchait de semer ses poursuivants – et cela, il l’avait bien compris. Le condamné à mort regardait parfois par-dessus son épaule, derrière lui, pour assister à la destruction de son avance. Il essayait, alors, de gagner en vitesse, mais finissait par tituber, haletant, manquant de choir sur une racine. Le cours de l’assaut s’était retourné en une fraction de seconde. Les assaillants étaient devenus les proies. Et pour cause, ils ne s’attendaient pas à tomber sur le terroriste Uhen.

— VOUS L’AUREZ VOULU !

Les deux bandits se retournèrent comme un seul homme. Dans leurs regards lointains se cachaient une malice violente, synonyme de mort. Le temps se figea ; l’archer banda son arc et infusa du chakra Fûton à l’intérieur de sa flèche ; le pyromancien inspira une bouffée d’oxygène ; les deux Kaguya sortirent leur ossature à l’extérieur de leur corps ; le Sarutobi gonfla ses joues d’un trop-plein d’eau. Tout allait partir en même temps. Cette explosion de chakra, aux techniques simultanées, allait décider du sort des quatre Éveillés.


— ... Réveillé ?

Le Sarutobi se releva en sursaut, mais son bras droit ne le répondit pas. Il vit, face à lui, l'homme qui l'avait sauvé dans un piteux état. Ses yeux scandaient la fatigue ; sa faible essence chakratique peinait à maintenir une signature stable ; sa peau avait été partiellement brûlée par la tempête enflammée ; et enfin, son clone, réinvoqué après le cataclysme, maintenant sa plaie ventrale fermée, les deux mains posées dessus.

— Tes assaillants sont au sol. Ils respirent encore.
— Que s'est-il passé ?
— Tu ne t'en souviens pas ?

Yorimori Sarutobi réfléchit un moment, et hocha légèrement la tête. La scène était claire comme du cristal de roche. Du moins, jusqu'à ce que la surchauffe n'atteigne sa conscience et ne décide de faire sauter ses fusibles mentaux. Pourquoi avait-il décidé d'autant s'investir dans ce combat ? La cible aurait pu en profiter pour fuir, mais non, il avait accompagné le Kaguya, et risqué sa peau pour l'aider.

— J'ai un service à te demander.

Uhen cracha un peu de sang, qu'il essuya d'un revers de main.

— Arrête de bouger, tu vas nous tuer !
— Je t'écoute...
— Récupère mes affaires. Il y a toutes les preuves que j'ai assemblé contre le réseau d'enlèvements de membres du clan Sarutobi, dont tu fais partie. Tu t'en doutes sûrement, mais je ne suis pas n'importe qui. Les moines me recherchent activement... pour des raisons passées. Ils sont en chemin pour m'attraper, à l'heure qu'il est. Je vais devoir fuir – si, bien sûr, tu ne m'en empêches pas.

Le Sarutobi ne dit mot. La révélation le laissa sans voix.

— Les bandits ne mourront pas avant l'arrivée des renforts. Profite de ces preuves, de ta légitimité, et de leurs secrets, pour aider ton clan. Nous avons tous un rôle à jouer. Tu pourras compter sur l'aide d'Oda Arihisa, déjà mis dans la confidence, au village de Hanebuton. Ensemble, vous pouvez changer les choses. Vous le devez.

Le Mizujin se releva faiblement, aidé par son doppelgänger. Celui-ci, de manière assez lourdaud, maintenait la blessure fermée au mieux, ses deux mains pleines de sang. Le Sarutobi suivit les deux Kaguya du regard, perplexe ; il venait d'hériter d'une lutte à l'échelle nationale en l'espace d'une journée. Le balafré lorgna un instant son interlocuteur, attendant les représailles de ses crimes. Mais celles-ci refusèrent de se manifester.

— Attends ! Dis-moi ton nom.
— ... Uhen.
— Enchanté, Uhen. Tiens – de quoi te faire tenir un maximum de temps.

Yorimori fouilla dans son barda et tendit des produits médicinaux, ainsi qu'un nécessaire de premier soin. Le clone n'attendit pas pour s'occuper de son alter ego, appliquant un bandage serré autour de son abdomen pour calmer l'hémorragie. Soudain, le manque de chakra vint le faire disparaître. Ou plutôt, l'originel avait décidé d'économiser son chakra en le faisant disparaître.

— Merci, Yorimori. Nous nous reverrons.

À nouveau, le senseur étouffa au mieux sa signature spirituelle. Il quitta aussitôt la cachette dans laquelle il s'était terré, et essaya de fuir le plus loin possible avant l'arrivée des moines de Garan. Il s'autorisa toutefois un regard en arrière pour le poser sur l'allié qu'il venait de se faire.

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