Une explosion de fragrances et de pigments assaille les sens de l’Alchimiste d'État. Les ruelles ocrées, desquelles s’élèvent des bâtisses en terre cuite safran, sont sous l’ombrage d’imposantes palmes émeraudes. Les pupilles de l’explorateur, frétillent d’excitation à la vue de ces corridors amalgamant produits de la métallurgie, de l’artisanat et de la terre. Cette vision, si chère à son cœur, est la deuxième localisation qu’il préfère, dépassée de peu par l’horizon infini du Grand Désert.

Les peuples de l’Arbre-Monde ont élu ses Gardiens au rang d’Aristocrates, et si les bédouins orientaux se sont soulevés pour quérir leur indépendance, la haine vivace qui les habite ne cingle pas le faciès des sacrifiés. Entre communauté d’esclaves, les survivants se soutiennent ; Meiun eut l’occasion de faire ce constat après sa défection et l’accomplissement de son terrible méfait. La Révolution lui ouvrit les bras, et bien qu’il déclina poliment l’invitation vengeresse, elle continua à se comporter comme une mère de substitution pour lui.

La halte de notre aventurier au Fort Enclavé le pousse à s’engouffrer dans les sentiers sinueux, labyrinthiques, presque vivants du Bazar aux Milles Couleurs. Son fidèle macaque runique sur l’épaule, les deux compagnons de fortune s’arrêtent à chaque étale. Meiun respire de la coriandre, récupère une fiole de ras el-hanout, tend une orange à son ami simien, goutte une datte ajwa et se permet d’ingurgiter une pâtisserie sucrée au miel.

Loin d’être importuné par la guerre qui fait rage au nord, les commerçants, aux peaux gorgées de mélanine, continuent de truster la place de première puissance artisanale. La crinière rubiconde s’arrête devant un palais de brocards et d’argenterie. Les soies les plus fines du désert y sont vendues, tout comme une interminable série de théières, de plateaux et de verres. Ici, aucun bien n'est fongible. Macaque et explorateur arguent - dans leur langage respectif - avec le marchand ; tout est marchandable, et le moindre objet, aussi simpliste et futile soit-il, doit être négocié.

Une allée en périphérie de l’axe central, moins rutilante, plus sombre, presque secrète, est prise par Meiun. Le sentier étroit est à moitié immergé dans l’ombre : au-dessus de lui, les parois des habitations sont les points d’accroche de nombreuses couches de tissus qui voilent les rayons solaires. Là, en parallèle de la vente de fruits frais ou séchés, nombreux sont les hermétistes - entendu au sens d’hommes de science qui se livrent à la création de remèdes naturels - qui troquent leurs créations.

Amusé par cette volonté d’échanger, les paumes du Kokka Renkinjutsushi se lancent dans un rituel alchimique. La liaison charnelle, hermétique, produit un micro éclair vermillon. Lorsque le sarcophage épidermique est descellée, c’est une grappe de dattes sigillaires qui apparaît dans le creux de ses mains. Encore faut-il trouver un autre occultiste avec qui partager ses expériences.

Mutation:

Nous retrouvions ce monde aux mille-et-un parfums de notre naissance, Oiran-kunshu.  Des voiles arc-en-ciel aux étales fruitées, saveurs et effluves se mélangeaient pour charmer l'esprit, emprisonner l'imaginaire. Nous étions ici chez nous, mais à la fois étrangers entre les anciens esclaves — et les autres.  Dans ce marché savoureux, malgré nos habits colorés, nous ne nous démarquions point.  Notre visage de poupée était une autre de ces excentricités du voyage, comme l'était un singe à dos de clown.  Invisibles, nous parcourions les rues bombées de retour de l'une de nos désormais rares visites professionnelles.  Depuis que la guerre avait enflammée les nations, les opportunités du voyage se faisaient plus dangereuses.  Et encore fallait-il que notre suivi de grossesse s'accorde avec notre emploi du temps désormais chargé, depuis que nous avions assumé nos nouvelles fonctions...  Puis sincèrement, nous commencions à nous lasser de ces soins qui ne nous apportaient plus la satisfaction d'autrefois.  Sous la persona du Shingetsu, notre pitance était assurée.

Les rues ranimaient chez nous les souvenirs de notre enfance, tant les bons que les mauvais.  Les arguments en envolés, les échanges intempestifs, les crieurs aux nouvelles merveilleuses nous replongeait dans l'effervescence de la Forge du Monde, tandis que ses drapés aux pigments inédits nous ramenait en la devenue Abondante.  Mais ce que nous apprécions plus que tout, c'était la pénombre qu'offrait le Souk centenaire, loin de cette chaleur à laquelle nous ne nous habituions toujours pas.  L’Aurore ne venait-elle pas de régions enneigées?

Sans réellement chercher, pourtant, notre oeil avisé retrouva l'énergumène à la tignasse enflammée.  Il était vrai que le Marché aux Milles Couleurs accueillait chaque jour de bien drôles de personnages, mais un alchimiste d'état aussi extravagant devait nécessairement être moins commun !  Du moins, il était bien loin de l'austère Maître Nara, quoiqu'on pouvait lui trouver des similitudes au simplet Dodoro...  Peut-être que chez les Alchimistes du Sud, l'humeur était autrement ?  Nous décidions de l'approcher, afin d'en déchiffrer l'étrangeté.

Mais retirions notre masque pour l'approcher sous les traits du tout récent Shingetsu.  Par une coïncidence qui ne pouvait s'expliquer par la labyrinthique architecture du monument centenaire, voilà que nous l'accosterions de face ! « Le holà au compagnon du Silence ! disions-nous, ses allures joviales pour expliquer nos traits gais. »

Nous ne nous arrêtâmes point, se laissant guider par les flots chaotiques du marché : un regard charmeur par-dessus notre épaule, nous l'invitions à nous rattraper, ou peut-être nous retrouver au prochain détour...


Une fois à l'abris des regards — nous avions insisté.

Nous plongions le nôtre dans celui du saltimbanque, admiratif de l'animal sigillaire qui le chevauchait.  Seijaku face au Sekaiju, une farce qui aurait plu au unimanchiste.  Peut-être cette rencontre nous inspirerait une nouvelle pièce, en la mémoire de celui qui avait rendu le tout possible. « Seijaku no Shingetsu. Théâtrale révérence. Connaissez-vous l'histoire de celui qui cherche, ses raisins à la main ?

On raconte qu'il enchanterait les enfants des bidonvilles, avec ses tours de merveilles.  Mais peut-être que  le clown saharaique doit apprendre à parfois se faire discret, pour ne pas que les petites mains de la Citée Noire ne trouvent son identique !  Nous sommes cependant enchantés de rencontrer celui qui porte le nom des temps anciens, ses origines affichées à ceux qui peuvent entendre.  Nous espérons que tout ceci n'est guère une vilaine farce, pour laquelle nous aurions peur de perdre la face.  Moue dramatique.

Mais bien loin l'idée de nous montrer intimidants : nous sommes, après tout, nés du plaisir...  Voyiez-vous, nous menons une quête pour délivrer l'Innocence de son geôlier…  Pause.  Main au plexus, nous attendions que le serment fatidique ne nous emporte.  Mais il était vrai que nous nous jouions de la Kabbale avec nos réelles intentions.  Mais si l'existence de celui qui cherche, ses raisins à la main, se révèle comme véritable, alors nulle doute que la Pyramide d'Ombres et Lumières saura pardonner ses petits écarts — si seulement ceux-ci le sont vraiment, car nous ne pourrons bien longtemps feindre notre inexpérience avec ce bijou rougeoyant.  Voyiez-vous, entre plaisantins, on se reconnaît.

Vous semblez, l'ami, fort connaisseur des petites joies de l'Alchimie.  Peut-être parviendriez-vous à faire un peu de sens dans toutes ses notes amassées.  La Fusion est un sujet palpitant ! Notre main chasse la mèche rebelle dans les rangs de ses congénères, dévoilant le diamant violin. Lorsque deux âmes entre en collision, dans un angle et des forces bien ajustées, il est possible d'y créer la vie...  Ne me regardez pas ainsi, nous vous le jurons, paroles de scientifiques ! Main levée, pieds collés ! Mais chose bien moins reconnue, nous vous l’assurons, c'est cette propension aux âmes désormais fusionnées de ne pouvoir se départager.  Ha! Il est vrai que nous semblons bien sot, à ainsi ne point comprendre nos propres propos, mais sachez que ce phénomène est viscéral, pour ceux qu'a trouvé celui qui cherche, les raisins à la main. »

Nous suivait-il toujours ?  Inspiration, nous repartions.  
Mais rassurez-vous, ce ne serait plus que pour le clou !

« Brave auguste, que pensez-vous de la résonance des âmes ?  Une théorie supportée par une femme esseulée, mais qui suggère l'inusuelle solution à la mort !  Passons un marché, voulez-vous ?  Je vous aide à terminer cette grappe de raisins, et vous nous renseignez sur ce Passeur sarrasin ? »

Une figure rouquine émerge d’une rue attenante, salue notre explorateur, et s’engouffre à nouveau dans le dédale ombrageux. La crinière rutilante abaisse sa tête en signe de révérence et remarque le regard insistant de cet étranger - son extranéité se lit sur sa peau aussi blanche que la lune. Happé par la curiosité, Meiun cesse sa discussion avec un sourcier local, adepte des rituels hydriques. Sur son épaule, le compagnon simien s’agite et pointe du doigt l’ombre de l’étranger ; un signal pour prévenir son créateur que le curieux personnage a bifurqué.

Après quelques mètres, l’aventurier est ferré. Il fait face à l’étrange personne. Tous deux sont isolés des cacophonies de l’axe central et des messes-basses de l’axe parallèle. L’homme se déclare Seijaku no Shingetsu. La proximité entre Seijaku et Sekaiju tend les lèvres du Kazejin. L’histoire contée par ce barde à la première personne du pluriel encore plus.

— Cette histoire est charmante. J’en connais une autre, moins grandiloquente cependant ! Celle d’un homme bien curieux, aux milles et une questions. Il semblerait que vous me connaissiez. Je dois avouer ne pas avoir la chance que cette connaissance soit partagée. Toujours est-il que vous pouvez m’appeler Sekaiju no Meiun. Le seul. L’unique.

Léger clin d'œil, en référence à la contiguité sonore.

— Vous m’avez démasqué. Je suis bien un Alchimiste d’Etat. Votre mention de la Fusion me permet de savoir que vous aussi, vous arpentez le Continent ! Je m’attendais à croiser des camarades dans cette allée brumeuse. Pas aussi vite, certes, mais voilà qui est chose faite. Les hermétistes locaux abhorrent l’idée de vendre leur connaissance. Le saviez-vous ? Ils préfèrent l’échange à la transmission pécuniaire.

Au fils des propos du Shingetsu, une idée se fraie un chemin dans les pensées arborescentes de Meiun.

— Le sous-texte de votre conte… Vous êtes deux, à l’intérieur ?

Le Kokka Renkinjutsushi se permet de poser son index sur le sternum de son vis-à-vis.

— Voilà une chose bien surprenante. Je ne pense pas que deux âmes puissent coexister. Tout comme pour l’Alchimie, qui respecte le principe d’échange équivalent, l’on ne peut rien construire à partir du vide. Je suis un adepte des théories occidentales. On associe l’âme au corps.

Sous ses airs de bohémien benêt se cache une vision affûtée du monde qui l’entoure.

— Pour le Grand Désert, Kyotenshi est un nocher. Celui qui mène les âmes et perce le voile du gouffre septentrional. Avez-vous déjà entendu parler de la momification ? C’est un procédé que nous utilisons pour préserver le corps de nos morts, et donc leur âme, le temps que le Nécromancien fasse son œuvre.

L’index se retire de la tunique émeraude de son collègue.

— Parlez-moi plus de votre histoire, et de cette théorie. La résonance des âmes ? Peut-être que celui qui cherche, une grappe de raisin à la main, pourra vous aider !

Le bougre avait du bagou.  À notre comptine, il répondait sur le même ton amusé.  Cela animait nos esprits d'une suite colorée à la fable de ceux qui voient, trouvés par celui qui cherche, sa grappe à la main.

« Ha!  Ainsi pour le fils de l'Arbre-Monde, notre discours n'apparaît point déluré !  Il était vrai que nous nous avancions sur un terrain glissant, avec notre discours énervé.  Vous corroborez, monsieur macaque ?  Ah! sans votre approbation, nous aurions été tout patraque ! rit l'oiran, dents dévoilés pour répondre au sourire de l'auguste.  »

Meiun acceptait l'échange, mais au doute sur la véracité de nos propos, nos sourcils se froncèrent et notre ton amusé s'effaça ; nous n'aimions point être ainsi jugés.  À ce doigt posé au niveau du sceau du silence, nous répondions d'un effleurement de sa main du dos de notre paume.  Dans un autre pays, à un autre temps, ainsi palper l'Oiran-kunshu signifiait bien des choses...

« Pourtant, nous vous le jurons ; si nos corps font deux, nos esprits sont à l'unisson !  Mais, mais... Nous balbutions, sans argument flagrant pour étayer notre proposition ; comment expliquer ce ressenti ? L'âme, le corps, des concepts de l'esprit ; avez-vous déjà songé que ce monde n'était qu'une vile représentation de nos désirs les plus inassouvis ?  Nous pourrions argumenter longtemps sur la signification de nos pronoms, mais expliquons le tout ainsi : un lien unique nous relie à Tatsumaki.  Intrigué ?  Bien, voici un conte qui saura, nous l'espérons, réveiller en vous un doute enchanté.

Aux heures sombres de son clan, une femme fait le serment de protéger l'enfant des procès qui menace son sang.  En sacrifice, elle offre ses dons pour encager l'embryon, qu'elle cachera trois ans avant que n'arrive son prince bidon.  Délivrée de son marasme, cette femme met à bas sa progéniture, mais son ventre ne dégonfle point !  Trois autres jours de plus qu'elle doit supporter, pour finalement obtenir la délivrance de sa dernière poussée.
Dîtes-nous donc : que raconte votre culture, sur les grossesses gémellaires ?  N'y a-t-il pas là un argument pour les sensations que nous soutenons ?  Ah! veuillez garder votre réponse car nous vous répondrons bientôt sur le sujet de la momification...

Identiques sur plusieurs points, les enfants perdent leur mère à la maladie et voient leur père fait prisonnier.  La cadette de trois jours est ensuite prise d'un mal qui l’étouffe, son corps affaibli par la toux qui lui arrache son dernier souffle ; à sa mort, son corps est de nouveau enfermé et préservé, dans la Banque qui appartient aux Usuriers.
Voici le lien sous-entendu avec votre nocher.

L'aîné est en perdition, son âme-soeur disparue ; sans elle, il ne peut entrevoir un avenir radieux et préfère enfumer ses souvenirs dans un recoin des plus creux.  Il subit, en martyr, la solitude de ses clients ; les jours se répètent et Seijaku finit par en perdre la tête !  La folie du manque, dirons certains, mais nous vous assurons que les événements qui suivent sont véridiques ; dans une flaque de pluie, la prostituée revoit son identique !  Quelle joie, quel bonheur! car depuis, le monarque-courtisane est accompagné par le reflet de sa sœur!
Dîtes-nous donc : que raconte votre culture, sur la signification des miroirs ?  Voyiez-vous, dans la lueur de vos yeux, nous pouvons l'apercevoir, cette jumelle ostentatoire... »

Nous soufflions.  Nurahiyon-sensei était le seul à qui nous avions accepté de partager une telle histoire, contaminés que nous avions été par sa fièvre nocturne et créatrice.  En un sens, le Sekaiju no Meiun, avec ses merveilles sigillaires, animaient la poésie de notre passé, comme l'avait fait le Shisha to Tsuki no Monogatari.

« Notre mère était, à juste titre, une puissante Renkinjutsushi. Le carnet de la Kurutta Shojo est présenté. Elle a crypté en ces pages tout son savoir, toutes ses hypothèses inassouvies...  Elle avançait, en autre, qu'une âme était à même de renaître, dans un cycle infini.  Mais il faut savoir, évidemment, lire entre les lignes : ce que proposait Shugyoku Sora était un cycle de renaissance du chakra !  Bien qu'il nous apparaît moins poétique d'y référer ainsi, dans nos monologues d'état... »

La mèche rebelle pendait de nouveau devant notre front.  Nous la chassions de plus belle et exposions une fois de plus notre marque violine.  Le Kāma n'avait à ce jour aucune signification connue.  Mais peut-être n'avions-nous point cherché dans les bonnes légendes ? « De ces Nécromanciens, en connaissez-vous un représentant ?  Car dans notre quête pour récupérer l'âme de notre soeur, nous sommes tombés sur des mystères bien plus anciens...  La résonance devrait vous parler d'ailleurs, homologue que vous êtes de l'alchimie étatique : le principe même qui permet à deux alchimistes de communiquer sans craindre de se voir foudroyer par la mort, n'est-ce pas ?  On dit du chakra qu'il nait de la fusion entre le corps et l'esprit et est unique à chacun...  Enfin, à chacun sauf à nous, Seijaku et Tatsumaki, deux faces d'une même pièce...  Car nous pensons que dans son serment, notre mère a également lié nos âmes : seriez-vous surpris si nous vous disions, maintenant, que pendant longtemps, notre soeur et nous partageons nos rêves ?  Dans un sens, nous pourrions argumenter que si Nous, Seijaku no Shingetsu, sommes le Corps, alors Tatsumaki en est l'Esprit ! Rire cristallin à l'image de cette pièce émeraude qui nous séparait encore et toujours. Mais là où l'exercice devient, à notre sens, très intéressant, est lorsque nous nous penchons sur la formulation d'un serment.  Pour entrer en résonance, deux êtres doivent impliquer leur corps et leur esprit, et donc leur chakra, leur âme. Nouveau sourire, complice ; le singe à dos d'explorateur et l'explorateur en porteur du singe étaient des spectateurs patients : la chute arrive. Pensez-vous possible d'entrer en résonance sans se l'avouer ?  Ce diamant violin, à notre front, nous a été apposé suite à une rencontre des plus improbables !  Enfin, nous en supposons qu'il s'y trouve toujours, puisque la particularité de notre oeil ne nous permet pas d'en admirer la couleur, notre soeur ne possédant pas la marque du martyr...  Avez-vous déjà entendu parlé d'un serment qui se distinguait par l'apparition d'une tache ?  Car nous pensons bien avoir prêté serment, agenouillé devant ce mystérieux personnage à lui promettre sa liberté... »

Devions-nous préciser que tout ceci se devait de rester secret ?  Mais nulle intention de trahir la promesse morale à nos alliés du Jigen Gari : Meiun semblait assez avisé pour comprendre les sous-entendus de nos propos.  Mais juste au cas, nous ajoutions : « Pour celui qui cherche, sa grappe à la main, nulle trahison ne sera accepté de la part de ceux qui voient ; si nous ne voulions pas nous montrés menaçants plus tôt, nulle besoin de masquer notre intention à l'instant.  Il en va également pour vous, monsieur Macaque. »

Bien, maintenant que cela avait été entendu, après les éventuelles réponses de l'enfant de l'Arbre-Monde...

« Ce sceau pourrait peut-être réagir aux pouvoirs de l'alchimie, mais sans un compagnon du Silence, il nous paressait impossible d'expérimenter sans épuiser le pouvoir de notre Pierre Philosophale...  La Fusion, disions-nous ?  Alors fusionnons, fusionnons... »

Un chat roupillait sur un box, non loin de nos flamboyantes tignasses.  Signes rapides, une lance de cristal émergea d'à partir de nos pieds pour l'embrocher sans un son, avant que l'appendice d'émeraude de ne contracte pour nous ramener notre proie.  D'un rictus pervers, nous claquions l'index et le pouce et éclairions de vermillon les traits attentifs de l'auguste.  Au bout du pieu de cristal, la carcasse de gouttière se momifia et une masse cancéreuse put être cueillie, avec la même facilité d'une pomme pourrie restée trop longtemps accrochée à sa branche.

Mutation:

Le conteur délivre à notre explorateur de quoi sustenter les esprits féconds de milliers d’orphelins. Le Shingetsu, par sa prose et son verbe, facilite les prochaines itinérances de Meiun. L’histoire du Clown et du Médium. Sourcil arqué, langue prête à claquer pour défier le flot des paroles de son interlocuteur, l’occidental préfère l’empathie à la défiance scientifique. Yami no Kuni est une prison. Le voile qui occulte la Vallée des Morts. Selon les dires de Seijaku, le roux serait capable d’écarter du bout de son index le pan vantablack, capable de jeter une œillade interdite sur sa défunte sœur…

Le Continent est ponctué de contes, de mythes, de légendes et de secrets. De l’Empereur-Roi au Yomi, en passant par les Mégastructures et leurs Veilleur Tutélaires… Ce qui tend, en première lecture, à de l’ineptie n’en est peut-être pas. La vaillance oratoire dont fait preuve le continental intime à notre aventurier qu’il dit vrai. Du moins, qu’il croit, dur comme fer, dans les paroles qui font vibrer ses cordes vocales. Cet aspect est corroboré par l'évanescence d’un sourire.

— Cette histoire me plaît. Un cycle infini, vous dites ?

Meiun abhorre la Destinée et ses fruits.

— La Vie ne doit pas se muer en fers. Tu n’y échappes pas, entité gémellaire.

Les lèvres du Kazejin s’étirent au point de pousser ses zygomatiques dans leur dernier retranchement.

— Je ne pensais pas obtenir de telles informations. Mes dattes runiques ne suffiront pas. Moi, Meiun de l’Arbre-Monde, je vous aiderai dans votre quête. Nous percerons les secrets de votre mère, enquêterons sur le sort de votre sœur et explorerons le Yomi. Qu’en dites-vous ?

Les dextres de l’Alchimiste d'État récupèrent celles de son interlocuteur et y déposent, dans le creux de ses paumes, la descendance d’un dattier. De façon concomitante, le pan capillaire est chassé, offrant une vue imprenable sur un étrange sceau. Loin d’être un praticien des arcanes du Fuinjutsu, Meiun bénéficie d’une culture étendue.

— Qu’il est étrange, votre pacte. Cette forme m’est totalement étrangère… Dites m’en plus.

Dans les méandres de sa conscience, une idée saugrenue germe. Cette mauvaise est aussitôt arrachée : la rencontre du Clown et du Médium est le fruit du hasard, et non les timides tentatives d’une Destinée souhaitant récupérer le cœur de son Héros. Pourtant, cette vision, cette apparence, cette histoire… L’esprit de notre inventeur est secoué par les révélations. S’il reste dubitatif, sa mine n’affiche pas les fêlures qui l’assaillent.

— Un serment repose sur un échange de consentement et une liaison, en théorie, définitive du Chakra. Un serment est un nœud entre deux microcosmes. Au stade de la gestation, face à la détresse, peut-être, en effet, votre mère n’eut pour seul choix de lier vos existences pour produire l’exploit de vous porter en couche plus de trois ans. Ceci expliquerait le mal qui vous trouble. Ce postulat permet de mettre en exergue la mutabilité de l’âme. Tous les peuples connaissent les on-dit au sujet des enfants de Gemini. Ce serait une avancée folle d’avancer et valider une telle théorie… Hélas, je pense que les circonstances qui entourent votre naissance sont la cause de ce serment. Au stade foetale, du moins, avant la sortie de la matrice, la génitrice est l’impératrice de ses invités. Un serment multilatéral ? Sora, Tatsumaki et Seijaku. Sacrifier son existence sur l’autel de la Vie. Ce ne serait pas la première fois…

L'aparté sur le diamant violin intrigue Meiun. Son regard se plisse et ses pupilles se courbent pour devenir concaves.

— Je ne pense pas que cette malédiction soit le fruit d’une résonance. Elle réplique tous les codes du Fuinjutsu, pourtant, je ne saurai faire le pont entre les connaissances actuelles et ça. N’est-ce pas un simple tatouage, produit par un Monzaemon ? Hahaha. Cela expliquerait bien des choses !

Léger rire. Un échange alchimique est une danse où de nombreux tempo se chevauchent.

— Un mystérieux personnage… Liberté… Hm… Vous m’avez eu, Shingetsu no Seijaku. Je m’avoue vaincu devant ce mystère vivace. Ma curiosité est la vôtre. Ressentez-vous une gêne ? Avez-vous déjà essayé de tester la réaction du diamant au contact de votre Chakra ? Le contact avec l’énergie naturelle de mes dattes pourrait, éventuellement, nous apporter des données supplémentaires. J’ai sur moi un pantin conçu par les Anciens Architectes. Un automate nivéen. Peut-être le toucher de sa main sur votre tempe éveillera des mystères… Idéalement, une comparaison avec l’énergie vitale, antagoniste au Chakra Yin, serait la bienvenue.

Sans attendre, le maître de l’Emeraude incante un javelot de jade qui pulvérise la vitalité d’un chat de gouttière. La mort du félin, et sa transformation en créature putride, une pomme purulente dont les fragrances corrompues sont porteuses de la pestilence, n’entraînent aucune conséquence sur le comportement ou le faciès du Kazejin. Meiun est un aventurier, un explorateur, un Alchimiste… Il connaît mieux que quiconque les sacrifices que sa voie lui ordonne.

D'abord : une promesse. Un phrasé semblable, nous l'avions déjà entendu, dans la bouche d'un autre... La Renaissance des Âmes n'est-ce pas ? La Renaissance d'une Volonté ?
Cela ne nous empêcha pas d'en croire la proposition ; un allié de plus, dans ce monde changeant, pourrait rapidement être remplacé par d'autres. L'égoïsme, voilà ce qu'il fallait prôner, pour survivre dans ce bas monde ; notre vision était maculée des drames que nous avions vécus en Ame. Était-ce la source de cette tristesse immuable ? « Et nous, Nouvelle Lune du Nisshoku, acceptons votre dévouement, brave voyageur ! Notre quête, en terres inconnues, ne pourra que s'annoncer rudes, car nous voyagerons à tâtons... À moins que votre promesse n'en cache d'avantage, comme celles d'un passage confirmé vers ce monde des morts... Le Yami est, à nos yeux, le plus prometteur des territoires ! Bien que Mizu et sa Nécropole reste un mystère que nous aimerions bien explorer... »


Nous nous faisions face, avec chacun nos fruits des deux faces de l'alchimie : lui naturelle, nous obscure. Aux postulats se voulant visionnaires de notre Mère, Meiun de l'Arbre-Monde s'était prêté à l'exercice et avait renforcé nos idéaux. Car la pensée franche de notre génitrice sur notre conception resterait à jamais absente du cahier, puisqu'il était resté en legs à une maiko du Voile du Plaisir. Si seulement notre don nous permettrait de voir d'autres gens que Tatsumaki, sans doute tenterions-nous de retrouver la Kurrutta Shojo no Sora...
Ces questions-réponses sur la construction d'une âme nous avait amené à ce moment fatidique de la rencontre, celui où il serait temps de passer à l'action. Nous déglutissions avec amertume. « Si, comme vous le proposer, l’interaction entre notre sceau et diverses sources de chakra provoque une réaction nouvelle, nous ne pourrions vous garantir une totale immunité. Nous sommes certes à l'abri des regards, mais qu'adviendrait-il si une explosion survenait ? Tous ces pauvres innocents soufflés pour le bien de la découverte... Quelle triste nouvelle cela serait... Mais l'idée de tout découvrir ici et maintenant se veut beaucoup trop alléchante pour passer outre ! Juste, quelques précautions... Nous signons l'accumulation, un clone émerge tel un stalagmite en accéléré. Nous allons nous assurer que personne ne puisse venir nous déranger, ou pour intervenir si notre petite expérimentation tourne au vinaigre ! »

Notre doublé s'écartait et rejoignait l'embouchure de la ruelle, afin d'y former une couche épaisse d'émeraude, afin d'empêcher quiconque de surveiller nos moindres gestes ; posté derrière la muraille, son seul travail consisterait à plonger dans une illusion le premier qui tenterait de s'aventurer dans la ruelle, pour le faire déguerpir aussitôt.
Il y avait quelque chose d'excitant, à ainsi se cacher.
Meiun nous avait proposé plusieurs pistes, à nous d'en décider la première

Notre pomme cancéreuse entre les doigts, notre première restait ce lien indéniable que nous avions avec la Dimension Yang. Nous ne pouvions être certain du moment qu'avait usé la figure nivéenne pour nous apposer son cadeau, bien que le souvenir du contact qui chassait notre carapace de chakra obscur nous paressait toujours aussi limpide. Si nous devions faire un choix entre les deux énergies à la porter, nous choisirions d'abord celle de l'obscurité ; les essais d'Uzumaki Mai s'étaient soldés par des échecs, lorsqu'elle avait tenté d'apposer des charges Yin contre les parois stomacales... Nous approchions dangereusement le fruit tumoral de notre front : « Sachez, cher ami, que si quelque chose venait à nous arriver, jamais nous ne voudrions de votre part que vous accomplissiez pour nous notre épopée, en souvenir de cette rencontre fortunée. Nous pourrions mourir ici et maintenant, satisfaits du chemin accompli... Mais espérons tout de même poursuivre avec vous cette expérience sur les mystères de notre passé ! Une marionnette conçue par les Anciens Architectes ? Comme cela est intriguant, alors que nous croyions que la discipline était née au sein de la Révolution... Monzaemon Chikamatsu aurait repris une technique vieille de millénaires ? Ou n'est-ce peut-être qu'un nouvel argument pour notre Cycle des Renaissances...

Puis, si rien ne survient, alors vous nous écraserez l'un de ces fruits bien mûr sur le crâne ! Ou nous giflerez de votre automate nivéen, vous choisissez ! Ha! quelle drôle de présentation que nous donnons ! D'aucuns savent que la véritable Alchimie peut se pratiquer qu'importe l'endroit ! Nous respirons bruyamment pour faire une trêve et nous gonfler définitivement de courage ! Aux grandes découvertes, compagnon du Silence ! »

Disions-nous, la pomme violine finalement en contact avec notre sceau. Nous fermions les yeux, afin d'en apprécier la moindre innervation. Le contact était froid et moite et derrière la peau ratatinée, nous sentions une gibelotte putride s'adapter à la courbure de notre tempe. Les yeux fermés, nous patientions le souffle court !

Récapitulatif:

La double-âme obture la ruelle de son jade illusoire. Hors du temps et de l’espace, les deux Alchimistes profitent de ce cocon onirique pour percer un secret méconnu par l’Humanité.

— Un automate, un pantin, une marionnette… Ce n’est rien de plus qu’une arme ou un outil. Je ne sais pas si Chikamatsu s’est fondé sur les temples enfouis. C’est une bonne remarque, mais attention Seijaku. Il est des ponts qui nous attirent, qui semblent nous parler, mais qui nous desservent en réalité. Les bédouins du Grand Désert ont une expression à ce sujet : il ne faut pas chercher midi à quatorze heures.

Avant de porter le creuset de putridité à sa tempe, Meiun saisit l’avant-bras de son compagnon d'expérience.

— J’apprécie votre hardiesse alchimique.

Un sourire chaleureux, illuminé par trente-deux étoiles laiteuses, anime les lèvres du Kazejin.

— Cependant, il est préférable d’être plus précautionneux. Avant d’ouvrir la boîte de Pandore en proposant de l’énergie Yang et de l’énergie Yin à ce sceau cryptique, je pense qu’il serait plus judicieux d’obtenir une expertise externe.

L’avant-bras du Shingetsu est relâché.

— Nous sommes dans le Bazar aux Milles Couleurs. Profitons des hermétistes maître du Fuinjutsu et du Kanchijutsu pour obtenir leurs retours dans ces voies que nous n’embrassons point. Ensuite, je vous propose d’expérimenter dans une palmeraie en périphérie. Essayons de ne pas provoquer un second Ido-Shima.

Si la proposition initiale est intéressante, Meiun a appris que les autocrates n’apprécient guère les manifestations de Chakra dans leurs cités. L’érection des deux murailles d'émeraude, si tant est qu’elle réussit à dévier l’itinéraire de quelques chalands, attirera bien assez tôt l’attention de l’Exarchat.


Une paume cuivrée, arquée pour accueillir une obole, est tendue. Meiun dépose dans la coupole charnelle une datte sigillaire. L’enturbanné à l’épiderme strié par des milliers de ride referme sa main sur le présent. L’échange est accepté. Plutôt que de se lancer dans une péripétie qui aurait pu dégénérer, notre explorateur a opté pour un chemin en apparence moins hostile. L’ancêtre se relève à l’aide de sa canne en bois et intime à Seijaku d’approcher sa tête pour ausculter de plus près les caractéristiques du Kama.

Le regard du vieil homme s’illumine de surprise et d’intérêt. Cette construction est inédite : le doyen explique aux deux Alchimistes d'État les arcanes des sceaux. Chaque sceau est une façon de structurer le Chakra. Le principe d’un Juinjutsu est d’encoder un trait, souvent inhérent au praticien, dans une surface quelconque. Il prend un exemple plus parlant : une malédiction est un labyrinthe. Cette architecture du Fuinjutsu permet au piégeur de propager son effet, sans que le piégé ne puisse l’empêcher d’arriver à ses fins, faute de ne pas avoir trouvé la solution à temps.

Le bédouin révèle qu’il n’a jamais vu cela. Toute sa conception et sa compréhension du Fuinjutsu explose entre ses doigts, à mesure qu’il tourne et retourne le crâne du Shingetsu. Le Kama n’est pas structuré comme un labyrinthe. C’est une figure fractale. Le schéma encodé dans la tempe du thanatonaute se répète à l’infini, sans qu’il ne puisse remonter à la source de l’effet propagé. Après des secondes, puis des minutes et enfin des heures à triturer son cerveau, aux portes de la folie face à cette œuvre d’art, l’occidental abandonne.

Une donnée est confiée au binôme, plus du domaine de l’instinct que de la vérité indiscutable : il s’agirait d’un sceau unique, construit sur-mesure. En revanche, s'il sait que la construction d'un dédale diffère d'une contrée à l'autre, il n'est pas en mesure d'associer la figure fractale à un pays spécifique du Continent. Meiun et Seijaku sont conviés à rejoindre un autre occultiste, qui officie à quelques ruelles de là. Cet expert de la sensorialité pourrait creuser davantage le caractère unique de ce jalon.

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