Le pacte Faustien souscrit avec le Léviathan oblitère la perception générale de Meiun. Les fondations de son univers vacillent devant cette révolution. Sa représentation initiale du Continent évolue. Elle gagne en profondeur et lui impose sa position d’être cosmique ridiculement insignifiant. Dans un premier temps, ce sentiment amère provoque un vide en lui, ce qui lui rappelle les fers de la Destinée. Cette morosité est assez vite chassée par une ardeur nouvelle, un feu sacré lui intimant d’utiliser les nouveaux outils à sa disposition - les archives classées secret défense de la Kabbale.

Notre explorateur croque dans la pomme et satisfait son imagination féconde. La vassalisation à Dokueki Magobei lui ouvre les portes des laboratoires les plus secrets de l’Ecole de Guerre. Il découvre la pouponnière à Créature de Chakra, les parties reculées de la Forêt des Mutations, qui exporte Seirei en dehors de son pré carré, mais aussi les expériences sur l’hybridisme Humain-Yang et Humain-Yin. La Pyramide d’Ombres et de Lumière nourrit son Champion en données nouvelles.

Durant ses recherches, l’existence de la Jigen Gari (次元狩り, les Chasseurs Dimensionnels) se révèle à lui. La simple idée qu’une escouade de Kokka Renkinjutsushi enquête sur la Dimension Yang - une dimension parallèle à la sienne, foyer des Créatures de Chakra - embrase son esprit de milliers d’idées. Par voie de conséquence, cette découverte en appelle une autre : l’exploration d’Ido-Shima et la Frontière du Fossile. En son for intérieur, une voix perfide, profondément égoïste, souhaite elle aussi fouler le sol de ce canevas monstrueux.

Meiun ne s'attendait pas à ce que l'œuvre de Dokueki Magobei soit autant tentaculaire. Cette figure méconnue de l’Histoire a devancé l’Humanité depuis des décennies. Le premier des Alchimistes a plusieurs siècles d’avance sur l’ensemble du Continent. Notre explorateur comprend cette distance, ce recul froid, cette insensibilité quant au Chaos ou à l’Ordre. Les différents morceaux du puzzle s’imbriquent les uns aux autres. L’homme le plus docte du Continent a transcendé sa condition humaine.


Dans les profondeurs reculées de la Forêt des Mutations, là où aucun visiteur n’est habilité à fouler le sol gorgée d’énergie naturelle, assis sur une souche sectionnée en sa base, la crinière carmin atteint son homologue. De tous les membres de la division des chasseurs dimensionnels, une seule individualité est sortie du lot. Nara Renpei. Non pas pour ses capacités intellectuelles ou ses nombreux ouvrages, mais pour quelque chose de plus trivial.

Fils d’Ambassadeur, explorateur de la Dimension Yang et homme-lige de l’Harmonie. Ce triptyque suscite l’intérêt de Meiun, qui voit en lui un relai parfait pour un projet qui révolutionnera le Continent. La Corneille est convoquée - et non invitée - à rejoindre l’Hen’i no Mori. Avant d’atteindre cette bulle répliquant les attributs caractéristiques du pays des Esprits, le Nara sait juste que l’information provient des hautes sphères d’influence de la Kabbale. Aucune information supplémentaire n’a fuité : ni l’objet, ni l’identité de l’huile ne sont connus.

— Nara Renpei.

La visage de notre aventurier, fixé sur l’herbe mutante, se relève pour plonger son regard dans le sien.

— Sekaiju no Meiun.

Le séant du Kazejin quitte le tronc amputé, une main est tendue et prête à être cramponnée.

— Félicitations pour la promotion et l’exploration.

Si la main est saisie, elle ne sera pas relâchée.

— J’ai plusieurs propositions à vous faire.

Si la main est saisie, elle est cette fois relâchée.

— Je compte donner vie à un portail vers la Dimension Yang, ici.

Sourire chaleureux. Le texte sous-jacent est assez clair, cette entreprise sera partagée entre eux deux.

— Comment était-ce à l’intérieur ? J’ai lu les écrits de la Jigen Gari, mais qu’est-ce que cela fait de plonger ses yeux dans le foyer de la corruption ?

L’intérêt morbide pour un tel sujet, est en réalité assez normal, presque commun pour des scientifiques comme eux.

— Racontez-moi tout. Ne soyez pas avare en détails. Vos explications nous permettront de structurer notre expérimentation pour créer un Arbre-Yang.

Meiun laisse un blanc s’installer, puis reprend.

— Oh, oui. Nous n’avons pas d’acide, c’est sûrement ce que vous devez vous dire.

La dextre du Martyr se glisse à l’intérieur de sa tunique. Un flacon, hermétique et protégé, est arraché du tissu.

— Voici notre clé. A nous de façonner une porte susceptible d’accueillir sa serrure.

Contrairement à de nombreux Kokka Renkinjutsushi, la neutralité et son froid caractéristique n’a pas encore assailli les humeurs et la personnalité de notre héros. Ses sourires malicieux masquent à peine un profond plaisir.

Voilà des nuits que le vassal avait rencontré son maître. En silence et en substance, il avait fait du vide son devenir et l’absence son quotidien. En quête de vérités, il avait même écarté les Hommes pour se rapprocher de ceux qu’il nomme « Sentinelles de l’Histoire ». Cependant, aveuglé par ce nouveau monde, ses pas étaient fébriles et hésitants. Où aller ? Que faire ? Pourquoi ? Ses questions le hantaient, l’empêchaient de renouer avec l’action, et lui imposaient une dure réalité : il était perdu. Néanmoins, ses idéaux n’avaient pas vacillé, il en était sûr. Découvrir les secrets de ce Monde, les partager, renverser l’Ordre injuste, demeuraient en lui un appel irrévocable. Son cœur aspirait à cela, mais désormais, il ignorait comment atteindre cet idéal. Son journal existait, ses recherches perduraient, ses rencontres s’accumulaient, et pourtant, il stagnait, comme engloutit par le confort de l’instant.

Alors comme pour bousculer sa vie, il fit le choix du chaos. Renouant avec ses désirs primaires, il redirigea son regard vers l’Érudition. Ses sommets l’appelaient, réclamaient sa revanche et lui dictaient une certaine audace. S’il souhaitait changer ce Continent à l’agonie, il allait devoir imposer sa présence, sa voix, son visage. La Corneille ne pouvait plus satisfaire d’un clair-obscur, elle devait assumer ses traits et devenir l’incarnation de la révolution, du tant espéré « Grand Soir ». L’influence, plus que la puissance, voilà la clé de son renouveau. Multipliant les projets, ciblant les appétits des Puissants, guettant les opportunités, l’érudit se fit stratège. Les Nara, Chowa, l’UC étaient des proies faciles. La Guerre avait rendu leurs besoins si clairs, si évidents, que les séduire n’était plus réellement un défi. Quant à Hakugaku, les forces en présence étaient plus difficiles à amadouer. Dokueki Magobei était hors de portée, Kugura Mokoto totalement invisible, et Kuroda Shun, lui, était plus que gênant.

C’est là, au détour d’une lettre, d’un mot à l’autorité absolue, que Renpei caressa un maigre espoir. On l’avait reconnu, choisi, invité à rejoindre des mystères jusqu’ici interdits. Bien sûr, sa conscience lui dictait la prudence. Pas à cause des dangers de la Forêt des Mutations, non, mais plutôt à cause de ses pairs. Il s’avait que derrière ces visages familiers, l’Humanité n’était plus qu’un lointain souvenir. Au nom de la science, du progrès, tout était sacrifiable après tout. C’est donc le cœur partagé entre la reconnaissance et la crainte, qu’il se mit en marche vers l’inconnu.
Ce jour-là, comme tous les jours depuis la mort d’Hécate, le savant arborait une coiffe étrange. D’un bleu profond, elle sublimait l’éclat des lignes entourant le visage de l’éphèbe. Ce cadre doré n’existait que pour dissimuler quelques biens durement acquis, quelques caillots et gemmes rubis. Sur sa peau, un voile poudré faisait écho à sa dimension personnelle, privée de toute couleur. Ses yeux et ses dents furent même altérés, modifiés pour distordre la réalité et écarter toute humanité. Caché derrière ces artifices, le corrompu se sentait prêt à affronter l’éternelle inertie de ce monde.  

L’Hen’ no Mori était à la hauteur de sa légende. Ici, la vie débordait à chaque instant, se répandant avec fougue et passion. Si l’auteur avait l’habitude de côtoyer l’obscur, en ces lieux, il ne pouvait qu’être confus. Les sensations étaient étranges, difformes, mais une certitude persistait. La Mort n’était pas très loin, comme un prédateur à l’affût de la moindre faiblesse. Puis, vint le serviteur de l’Allégresse. Sa parole était simple, mesuré, sommaire et pourtant, une légère malice semblait s’en échapper. Docile, et impuissant, le Nara joua son rôle à la perfection, l’employé modèle, le bon petit soldat. Même après une poignée un peu trop persistante, il ne laissa aucune émotion troubler l’échange.

Une porte vers la Dimension Yang ? Cette idée était aussi charmante qu’effrayante. Pour Renpei, il s’agissait là d’un outil parfait pour atteindre les fameuses Sentinelles, les interroger et les comprendre. Cependant, cela pouvait aussi sonner le glas de l’Humanité. Permettre à de telles Créatures d’atteindre ce lieu était un pari risqué. Au-delà des anticipations et des désirs de la Corneille, tout reposait finalement sur les intentions de ce clown mystérieux et de la Kabbale.

L’enfer. Je n’ai pas d’autres mots. Dans ce reflet où l’agonie est perpétuelle, l’espoir comme la vie sont bannis. Il n’existe que souffrance, cri, larme, pleur et sang. Là où nous étions, prisonnier d’une volonté qu’on distingue encore à peine, nous avons été témoins d’un appétit transcendant toutes les réalités. Le sol était envahi par des carcasses vides, en quête d’Humanité mais sans jamais réellement le conscientiser. Elles étaient esclaves de cette faim, lui obéissaient tout autant qu’elles la subissaient. Le reste disons que j’en ignore le sens. Tout est flou, comme si le chakra vicié avait effacé mes souvenirs, les avait corrompus, m’interdisant de les retrouver. Mais ça, vous le savez déjà si vous avez lu mon rapport. Je n'ajouterai donc qu’une seule chose : cette dimension nous est hostile. Pas parce qu’on n’y est pas invité, au contraire, c’est parce qu’elle n’attend que nous. Elle souhaite nous dévorer, nous ronger, mâcher nos rêves et nos ambitions et ne laisser qu’un vide, creux à jamais.

Par plusieurs fois, Meiun captiva l’attention de l’érudit. L’évocation de l’arbre, l’obtention d’un fluide qu’il n’aurait jamais dû avoir, son plaisir à peine perceptible, tout ceci n’était pas commun. C’était quelque peu inquiétant. Il en savait plus qu’il ne le disait, c’était certain. Était-ce donc cela, l’élite de la pyramide d’ombre et de lumière ?

Je vois que vous êtes bien préparé, et à vous entendre, j’ai l’impression que vous connaissez déjà la marche à suivre, je me trompe ? En quoi je vous serai utile alors ?

Calme et posée, la voix du savant brillait par sa neutralité. À un détail près, la dernière question abritait une pointe d’agacement. Tout ce trajet, ce décorum, pour arriver après la bataille, au moment où tout était déjà écrit, c’était quelque peu frustrant. Il se sentait même un peu infantilisé. Mais tout ceci n’était que passager, un simple soupir disparaissant dans ce bois épais.

J’imagine que ma présence n’est requise qu’en qualité d’assistant, et que nos échanges se limiterons à notre tâche. Mais si l’humeur vous dit, je serai plus qu’heureux d’en connaître plus sur vous, sur ce lieu, sur votre but. Pour le portail, disons qu’il nous faudra une ancre, un catalyseur et du carburant. Toutefois, vous le savez déjà, n’est-ce pas ?

La confiance était absente, les questions tues pour le bien commun, et les émotions refoulées pour ne rien gâcher. Cet entretien était essentiel, contrairement à Renpei. Il le savait, son nom n’était qu’un détail de cette histoire. Alors, il allait se montrer digne de l’intérêt de ce rouquin et toucher du doigt quelques secrets cachés à l’Humanité.

La Dimension Yang et ses tentacules corruptrices ont fait de cet homme une cosse. Une coquille vide dont les sentiments ont été sacrifiés sur l’autel de la désinhibition. Cette distance imposée amuse Meiun, qui ne peut contenir la naissance timide d’un rictus. Le récit dépeint par le thanatonaute n’est rien de plus qu’une ode à l’aventure, une tentation dont seul le Chakra Obscur a le secret.

— Si je vous offre l’occasion d’y retourner, le ferez-vous, Renpei ?

Sourcil arqué, le Kazejin sonde son alter ego. Il souhaite déceler cette flamme, ce feu sacré, qui habite une minorité d’hommes et de femmes capables de se dresser devant les forces cataclysmiques de ce monde. A ce stade, il est encore trop tôt pour connaître l'allégeance du Nara. Est-il de ceux qui embrassent les ténèbres et se laissent dévorer par elles ou préfère-t-il les trancher pour qu’elles saignent la lumière ?

— Inutile d’être protocolaire entre nous, voyons. Vous êtes un Héros ! Vous avez exploré et survécu à la Dimension Yang. Vous êtes responsable de la chute d’Ido-Shima. Votre présence s'explique par un souhait égoïste de ma part : je veux que vous continuez à montrer la voie. Qui de plus légitime qu'un voyageur dimensionnel pour justifier la mise en place d'une porte vers ce foyer putride ?

Les cordes vocales de notre explorateur déclenchent un rire, renforcé par de légers applaudissements.

— Allons, allons. Je ne suis pas un adepte des mystères. Posez les questions qui stimulent votre curiosité. Elles trouveront des réponses, sous réserve d’une habilitation kabbalistique suffisante. Vous êtes un Érudit. Vous devez donc savoir que mes ancêtres ont été le combustible de l’Arbre-Monde.


— Moi… Je ne suis qu’un simple intermédiaire. Un pion qui bondit de trésors en trésors.

Le visage de Meiun se rapproche de son vis-à-vis. Ses lèvres déposent un murmure dans le creux de ses oreilles.

— Votre Père est Ambassadeur. Vous avez tenté maintes et maintes fois d’intégrer la diplomatie Harmonique. Ne pensez-vous pas qu’il est temps d'obtenir ce qui vous est dû ?

La convocation n'est qu'un prétexte, un subterfuge pour utiliser ce pion en Cheval de Troie. Le fils de Kuroda Shun est une brèche qui mène au centre névralgique de l'Union Continentale : Chowa no Kuni. Ses diatribes et ses critiques dithyrambiques sont lues par une communauté éclectiques d'émissaires œuvrant dans les Ambassades qui jalonnent le Continent. Ce statut de Père du Journalisme fait de lui une cible de choix pour les desseins abscons de Meiun.

Les péripéties de notre Alchimiste d'Etat l'ont éduqué. C'est grâce à ce contact constant avec les différentes peuplades qu'il comprit la vraie nature de l'Humanité. Les Hommes sont des cordes qui vibrent pour diverses raisons, et c'est au soliste de connaître l'art de les faire résonner harmonieusement. Tout enfant écarté du pouvoir se construit en opposition à celui qui détient les clés de l'ostracisation. A défaut de connaître la vie intime du conseiller de Chowa en Hakugaku, les quelques frasques de son dossier kabbaliste ont été portées à son attention.  

— Vous avez raison. Il nous faut un réceptacle qui puisse accueillir notre expérience contra-natura.

Les deux paumes de notre baroudeur se rejoignent. Une demi-douzaine d’éclairs carmins strient l’éther enchâssé entre ses deux mains. La Pierre Philosophale déploie ses secrets occultes dans la terre gorgée d’énergie naturelle. Soudain, un tronc hideux perce le sol fertile. Sa peau rugueuse et écailleuse exhale une aura sombre, tandis que des veines de lumière écarlate semblent pulsées sous sa surface.


De ce tronc jaillissent des ramifications tortueuses, tordues comme des serpents figés dans un acte de perpétuelle contorsion, dépourvues de tout feuillage. Cette abomination sylvestre se dresse comme un affront à l’écosystème féerique et dangereux de la Forêt des Mutations, une aberration qui semble nourrir ses racines dans les mystères les plus obscurs de la nature.

— Cette zone n'est pas choisie au hasard. L'omniprésence du Chakra Yin permet de battre en brèche les manifestations du Chakra Yang, qui seront aussitôt dévorées par la Nature. Je pensais faire de ce tronc notre porte palière. Ma théorie est banale : l'acide-portail a besoin d'un écosystème chaotique pour nous offrir ses fruits. Nous devons donc créer un équilibre : injecter assez de Yang pour qu'il subsiste dans un état similaire à la cryptobiose.

En sous-texte, le théoricien de l'énergie naturelle compte sur la sur-génération d'énergie naturelle pour jouer le rôle de garde-fou. La fondation de l'Arbre-Yang repose sur une réussite notable : permettre à l'écorce putride de résister aux assauts biologiques, sans que l'écosystème ne soit vicié. Autrement dit, le fossile sera descellé manuellement, en sacrifiant une ressource corrompue, et sera aussitôt muselée par l'Hen'i no Mori. Ensemble, ils doivent bâtir un cadre, qui les représente assez bien le contraste entre Renpei l'Obscur et Meiun le Solaire.

”Mutation”:

Expérimentation:

Y retourner…

Cette simple pensée réveilla une agonie déclinante, une tempête sur le point de s’essouffler. Jadis, le Nara aurait juré à qui voulait bien l’entendre, que jamais au grand jamais, il ne souhaiterait revoir ses paysages funestes. Esclave de sa propre lâcheté, il n’envisageait à aucun moment retrouver ces lieux, que ce soit pour les explorer ou les fuir. Mais désormais, après avoir perdu la peur, son âme caressait de nouveaux horizons. Cette dimension infernale était une véritable forteresse, un château où les secrets du monde sommeillaient en silence. Et c’était pour eux, pour les capturer et les révéler à l’Humanité, que Renpei avait le choix d’affronter les pires cauchemars. Il était sûrement le seul à être prêt à faire un tel sacrifice. Comme pour marquer sa nouvelle résolution, il poussa un long soupir et adressa à la cime des arbres, un regard doux et mélancolique.

Il y en encore quelques semaines, j’aurai clamé de tout mon être : jamais. Mais la vie est pleine de surprises. Une seule rencontre et me voilà prêt à plonger dans les abysses, en quête de savoirs et de vérités. J’espère que ma réponse vous satisfait ?

Puis, l’érudit offrit un tendre sourire à son interlocuteur. Bien que factice, il témoignait d’une certaine lucidité : deux monstres se faisaient face. Mots, gestes et sourires ne signifiaient plus rien, hormis un simple jeu de dupes. La partie venait de commencer, et le savant se savait déjà perdant.

Ne tombez pas dans l’idéalisme. Moi et mes camarades sommes loin d’être des héros. Des survivants, oui. Le mot est adéquat. Depuis cet événement, nous faisons partie d’un entre-deux, d’un seuil invisible qui déchire nos existences. Certains reculent, d’autres comme moi, se plongent dans l’inconnu.

Justifier ? Les craintes de l’auteur se confirmèrent. Il n’était qu’un homme de paille, un symbole, une excuse. Sa présence n’était pas nécessaire, seulement utile. Fallait-il s’en offusquer ? Claquer la porter et clamer sa colère ? À quoi bon. La Kabbale obéissait à ses propres lois, la vertu et la droiture de l’Harmonie n’avaient pas leur place ici. Au fond, il n’avait que deux choix, se détourner de l’Institution, ou y plonger en pleine conscience. Et au vu de ses ambitions, seule la deuxième option était envisageable.

Si le clown déploya un rire gras, empli de folie et de contrôle, Renpei resta de marbre. À sa grande surprise, l’Allégresse ne fut pas contagieuse. Au contraire, il n’en partageait ni le sens, ni la liberté. Trop brisée pour perdre les rênes de son esprit, la Corneille observa son prétendu supérieur et tenta en vain de comprendre ses excès. Mais rien, seul le vide demeurait.

Le passé importe peu, ce n’est pas lui qui forge notre identité. Dokueki Magobei n’offre pas son soutien sur la seule base d’un héritage ou d’une histoire tragique. Vous avez dû, vous aussi, explorer des pans de ce monde. Et si vos intérêts se tournent vers l’Obscur, sans jamais rejoindre la Jigen Gari, c’est que vous devez être un expert en Créature de chakra ? À moins que vous ne soyez que l’humble jardinier de ces lieux, ça expliquerait votre passion pour les créations sylvestres.

Porté par sa propre curiosité, l’éphèbe essayait de percer le voile étendu par ce Meiun. Questions après questions, commentaires après commentaires, il grattait la surface et espérait y découvrir un peu de sincérité. Alors, quand les yeux du fou embrassèrent le chaos, le Nara comprit qu’il faisait face à un être dangereux. Peut-être pas par la force de ses muscles, mais par la puissance de ses idées.

À l’énonciation de cette ombre du passé, le chowajin d’adoption ne put retenir un rire étouffé. Encore ce père, toujours lui, toujours présent, prêt à peser sur la vie de son fils sans le moindre regret. Pour en connaître l’existence, ce savant aux cheveux ardent, avait accès à un réseau d’information plutôt dense À défaut d’un don du Léviathan, il se pourrait que l’Abondance accompagne ce soldat de l’Est.

Vous arrivez un peu tard. Ce discours aurait pu me séduire par le passé, mais ce n’est plus le cas. Disons que l’Obscur m’a rendu plus lucide et je sais désormais que je ne mérite rien. Et vous le savez aussi. Inutile donc de se perdre en louange ou en duperie, on ne ferait que perdre du temps. Dites-moi plutôt, en quoi un arbre maudit caché de tous, dissimulé au cœur d’une forêt hostile à l’Humanité, m’aiderait à atteindre les sommets. Séduire l’Érudition est une étape, mais pas une fin en soi. Votre plan doit être plus vaste, plus tortueux. À l’image de ces géants de bois, vous avez dû étendre vos racines bien loin de votre foyer, je me trompe ?

Renpei disait vrai, dans sa jeunesse, il se serait jeté dans la fosse, prêt à nager dans la fange au nom d’un héritage fantasmé. Cette quête de reconnaissance, et donc de pouvoir, avait marqué sa chair et son esprit. Toutefois, le temps et les épreuves lui avaient inculqué une autre leçon. Impuissant, inculte, immature, l’enfant se rêvant roi n’était réalité qu’un piètre caprice. Dans les ténèbres, il avait appris la vacuité de son existence, de ses choix et de ses inventions. Alors réclamer un trône dans cette condition n’était qu’un pâle mensonge, aussi impur que l’usurpation du pouvoir par les puissants. S’il devait les remplacer, cela ne pourrait se faire qu’au nom des Vérités oubliées. Et ce troubadour au verbe coloré ne semblait pas capable de les lui dévoiler.

Quelle beauté…

Soudain, le protégé de Mogubei extirpa du néant une abomination végétale. Autant dans sa forme que dans sa nature, la création défiait les lois du Monde. Après un court moment d’admiration, le Nara fut envahi par une crainte sourde. L’édifice était fragile, ses fondations menacées. Comme pour vérifier son intuition, il puisa dans ses propres abysses, renouant avec son âme liée et puisant dans son existence monstrueuse, un peu d’énergie. Et tandis que les pupilles du mortel assumèrent une teinte mordorée, le chakra obscur et son éternelle corruption se dévoila à ses yeux. Le constat était évident, la Sylve attaquait sans cesse le nouveau-né, et sans garde-fou, celui-ci était voué à la mort.  

Malheureusement, cela ne suffira pas. Voyez-vous, je perçois l’Obscur et il agonise sur ces terres. Le Chakra Naturel est trop puissant, trop présent, et il commence déjà à ronger votre œuvre. La priorité est donc d’assurer une coexistence, à défaut d’être pacifique, elle aura le mérite d’exister. Quant au reliquat d’Ido Shima, c’est un bon début. Mais tout ceci manque de force.

À cet instant, Renpei décelait trois failles dans ce projet fou. Premièrement, l’antagonisme entre le Yin et Yang. Sans équilibre, ce duo allait détruire tous les espoirs de la Kabbale. Deuxièmement, le carburant, s’il était aisé de convoquer les pouvoirs de la pierre pour maintenir l’arbre et donc de ses possibles pouvoirs, il n’était pas certain que cela soit suffisant pour assurer l’ouverture d’un portail pérenne. Enfin, pour finir, comment changer un liquide corrompu en porte des enfers ?

Je vais m’assurer que votre abomination survive. Une fois sa vie sauve, il faudra trouver un moyen pour que votre miasme change de nature. Ma crainte est que nos pierres ne soient pas assez pures dans l'impur. Il faudrait quelque chose de plus véritable, une source d’énergie directement liée à l’Obscur. Connaissez-vous les pactes avec les Bijuu ?

À peine les mots prononcés, que déjà le savant se mit au travail. Invoquant sa pierre, il se dirigea au sud, au nord, à l’ouest et à l’est de la création sylvestre. Ses points étaient tous à mi-chemin entre les ramifications des deux chakras ennemis. Et à quatre reprises, puisant dans ses forces et dans ses faiblesses, l’érudit créa des sceaux hybrides constitué de sa propre essence vitale et des ténèbres de la pierre. Ses spirales énergétiques formèrent peu à peu une barrière, un voile d’énergie qui diffusait sa propre essence. Ainsi, ce bouclier éphémère empêchait le Yin et Yang d’entrer en contact, constituant un banquet bien plus alléchant. Encore épuisé par l’ouvrage, Renpei voulut déposer une nouvelle marque sur l’Arbre maudit. Mais ses jambes le trahirent et l’amenèrent au sol. Finalement, inventer un nouveau sceau, n’était pas si aisée que cela.

De ce que je vois… L’Obscur demeure, et il demeura encore pour longtemps. Les sceaux ne sont pas éternels, mais ils seront faciles à reproduire. Et grâce au temps gagné, l'arbre devrait gagner en force et en vigueur. Plus ses racines seront profondes, plus la forêt aura du mal à le déloger. Il faudra toutefois continuer à le renforce, pour plus de sûreté. Maintenant, il faut transmuter la matière. Je crains que le liquide ne se suffise pas à lui-même, il faut séduire la Voracité, lui offrir un banquet de choix… J’ai du Sentan et de la chair d’Ido Shima, si ça peut vous aider…

Est-ce la fatigue qui parlait ? Pourquoi dévoiler un tel atout ? Pourquoi se mettre dans un tel état pour un fou ? L’orgueil ? Non, c’était plus profond que cela. Comme si Renpei n’osait pas assumer le plaisir qu’il ressentait. Cette marche vers l’inconnu, cette étape aussi floue que l’obscurité, c’était si plaisant à découvrir. Son âme d'érudit s'éveillait au contact de l'énigme, cherchant une réponse à l'impossible. C'était cet instinct qui guidait les idées du chowajin.

Charge négative:

Spoiler:

L’enfant de Kuroda Shun ne cesse d’attiser la curiosité de Meiun, qui voit en lui le parfait acolyte.

— Votre entrain pour plonger dans les Abysses, alors que d’autres n’oseraient jamais se sacrifier par peur de l’inconnu, est une passion contagieuse. La Jigen Gari est une escouade intéressante, mais je préfère ce statut d’électron libre. J’aime me dire que je suis un Libertarien qui suit ses propres dogmes.

Notre explorateur ébranle le jeu de dupes avec une franchise et une honnêteté audacieuses.

— Oh cet arbre ? Ce n’est qu’une façon de briser la glace entre nous. Une excuse pour toiser la folie de la Dimension Yang, une première fois pour moi, une nouvelle fois pour vous. Non, pour toi, Renpei, j’ai quelque chose de plus ambitieux.

Un murmure, audible par ses seules oreilles, lui transmet une information capitale.



— Voilà pourquoi tu m’intéresses Renpei. Je veux que tu portes ce message à l’Harmonie. La Corneille est une porte d’accès aux Ambassades. Nous le savons tous les deux. La fédération septentrionale ne durera pas, pas sans un soutien extraordinaire. La doctrine de la Volonté du Feu me plaît. Je pense que l’Humanité ne doit pas s’inféoder à des forces supérieures telles que les Gardiens-Esprits ou les monstruosités du Panthéon. Nous devons construire notre propre arche vers la Salvation, et je pense que Chowa peut mener cette barque vers la Terre Promise.

L’adepte de l’Obscur déploie un rituel kabbalistique dont lui seul à le secret. Il puise dans les fondations de sa Pierre Philosophale pour offrir un terreau putride à la monstruosité sylvestre. C’est précisément ce que souhaitait le Kazejin : en érigeant l’Arbre-Yang, il savait que son Abomination ne tarderait pas à se faire dévorer par les globules blancs du Chakra Yin. Il a placé ses espoirs dans le Nara et cet investissement porte, d’ores et déjà, ses fruits.

— Notre Arbre-Yang ne craint plus les assauts goulus de la Nature. J’ai peur que le Chakra Pur transforme la Forêt des Mutations en zone blanche. Cependant, du Sentan, sous forme de caillot, nous permettrait d’infuser assez d’énergie antagoniste pour éveiller le plein potentiel de cette abomination sylvestre. On peut également couper l’acide-portail avec ton sang hybride, pour amplifier ses effets.

La fiole cryptique est arrachée de son veston. Le pouce de Meiun fait sauter le bouchon de liège. Quelques explosions sonores, produites par l’acide, sont captées par les canaux auditifs des deux hommes. Le contenant est tendu vers son acolyte, sans pour autant être cédé.

— Tu es à mi-chemin entre l’Humain et la Créature, c’est parfait pour éveiller notre solution transdimensionnelle. Nous réveillerons l’Abomination avec du Chakra pur, en petite quantité. Je m’occupe de transformer l’Arbre en réceptacle, j’ai en ma possession du sang de Biju. Enfin, la chair d’Ido-Shima permettra la fusion parfaite de nos différentes étapes.

La solution corruptrice attend le sang vicié de cet Homme à la frontière entre l’Humanité et la Dimension Yang.

Spoiler:

Entrelacés, mensonges et postures s’insinuaient lentement dans les esprits. Tandis que l’un cherchait des réponses, quitte à tordre le réel, l’autre désirait séduire à tout prix. Les mots perdaient ainsi leur sens et leur substance. L’échange entre les deux savants se transformait sans cesse, muait de l’informe à la forme et guettait une victoire fantasmée. Cet affrontement sourd était dénué de violence, et pourtant, il demeurait tenace. Entre folie et lucidité, le duo avançait sur le chemin de la Vérité sans jamais en saisir l’importance. Ils rêvaient bien des usages de cette arche dimensionnelle, mais ils en ignoraient encore les conséquences.

Libertarien… C’est souvent ainsi que se décrivent les êtres les plus torturés. La liberté est un mirage qui n’apporte que regret et désolation. Du moins, c’est mon avis. Vous êtes libre de vous penser affranchis de vos chaînes.

Puis, vint la confession. Ses paroles étaient sages, mesurées, habiles. Toutefois, la lueur sinistre qui sommeillait dans ses pupilles trahissait ses véritables ambitions. Poussé par ses désirs, le clown se laissait aveuglé par le profit. Son « institution », comme il la nommait, n’était rien de plus qu’un rêve de marchand. Tromper, manipuler, acheter les consciences, voilà son souhait le plus profond. Renpei haïssait ses opportunistes sans morale ni vertu. Son cœur absent s’était même tordu à l’annonce d’un pareil marché. Néanmoins, ses propres ténèbres l’appelèrent à la retenue. Bénéficier de telles ressources, en tant de guerre, et sous le giron de l’Harmonie, cela ne pouvait qu’être synonyme de victoire. Avec un bon usage, une bonne tactique, ces objets viciés pourraient offrir à l’Union des lendemains bien plus heureux.

Déchiré entre son éthique et son devoir, le Nara hésita. Silencieux, il pesait le pour et le contre. Balayer l’offre serait suicidaire, mais lui ouvrir les portes de Chowa serait tout aussi destructeur. Du temps, voilà ce qui manquait à l’éphèbe. Tout ceci était trop important pour assumer une réponse franche et absolue. Alors dans un soupir, profitant de la proximité, il délivra ses pensées les plus secrètes.



Tu sais, je ne colporte pas toutes les rumeurs de ce monde. Je choisis avec attention mes articles et mes sujets. L’intérêt de l’Union prime, et je crains que pour le moment, tu ne fais que brasser du vent. Faire de grandes déclarations, en appeler aux grands mots, c’est facile, mais ça sonne rapidement creux. Alors parle-moi de cette « Terre Promise », de cette « Salvation », de cette voie si tentante qui concurrencerait les Sentinelles de ce monde et leur force destructrice ?

Lorsque les sciences, plus ou moins occultes redevinrent le centre de la conversation, Renpei succomba de nouveau à l’enthousiasme. Chercher des solutions aux problèmes, dénicher les failles dans les lois du monde, c’était un loisir qu’il adorait. Et comme il l’avait supposé, le Clown avait en tête un protocole bien particulier. Rien ne semblait être laissé au hasard, tout était maîtrisé. L’alchimie était gourmande, et le rouquin semblait s’en délecter. À l’entendre, l’érudit allait devoir abandonner tous ses biens, toutes les preuves de son parcours aux côtés de l’obscur, tout ça au nom d’une abomination qui allait sûrement rester dans l’ombre.

Que de sacrifices ! Tu ne penses tout de même pas vider mes poches ainsi sans compensation ? Allons, un commerçant tel que toi, sait que tout à un prix. Qu’es-tu prêt à payer pour que je te donne mes reliques de la dimension Yang ? Mon sang passe encore, mais mon caillot et mon lambeau de chair du grand écailleux… Soyons réaliste, ils sont trop précieux pour disparaître aussi facilement. Alors dis-moi, qu’as-tu à offrir ? Et n’essaie pas de me vendre des ressources banales ou de vagues promesses. Je suis jeune, mais pas naïf.

Après un accord, s’il y en avait un, le Nara s’exécuta sans broncher. Son sang sera versé, mêlé à l’acide comme une réminiscence du passé, et comme une promesse de son soutien à venir, il déposa des nouveaux sceaux aux entrées du futur portail. Ceux-ci n’existaient que pour déployer d’épaisses ténèbres et stopper toutes les créatures un peu trop téméraires. La prudence était de mise lorsqu’on côtoie l’obscur.

Ton plan me semble viable. Il faudra sûrement puiser encore dans l’énergie de nos pierres, pour magnifier nos offrandes. Car plus il y aura du chakra, peu importe sa forme, plus la Dimension Yang répondra à la Voracité. Elle est ainsi faite.

La Corneille dessine les contours de sa relation ambivalente avec le Collecteur. L’audacieuse franchise de l’explorateur est combattue par la défiance de l’émissaire. Le Nara doute du Sekaiju. Ce constat rythme la discussion et, dans une certaine mesure, plaît au Kazejin. Il voit, sous les traits masqués de son acolyte, un petit chaton apeuré, qui fêle face à l’inconnu. Cette vision amuse - secrètement - notre Alchimiste d’Etat.

— Tu te fourvoies, Renpei. Non. Ce n’est pas le bon terme. Tu te laisses consumer par les ténèbres qui t’habitent. Je ne suis pas le mercantiliste que tu penses. Les intérêts pécuniaires n’ont que peu d’intérêt pour moi, tu as raison. Je ne suis pas de ces Hommes qui rêvent de transformer le Continent en cendres pour mieux le reconstruire. Non. J’aime ces peuples. J’aime ces contrées. J’aime ce monde ! Je ne suis pas la personne à qui tu m’assimules. Musèle l’obscur qui sommeille en toi, le nihilisme ne te va pas.

Léger clin d'œil. Le scepticisme du fils d’Ambassadeur joue en sa défaveur : Meiun est farouchement honnête. Les deux scientifiques représentent les deux faces d’une même pièce. L’une est dévorée par les ombres et l’autre se baigne dans la lumière. Au même titre que l’énergie Yin qui innerve la Vie, le fils de l’Arbre-Monde est habité par une folie créatrice.

— Pour vous, les Renkinjutsushi, mon projet est utopique, irréalisable, fou. Moi, je suis persuadé, et ce ne sont pas les racontars sur une hypothétique Destinée qui m’arrêteront. Je veux offrir au Continent les armes pour lutter contre les maladies qui l’assaillent, en restant extérieur aux conflits. Je ne suis qu’un simple explorateur qui a appris que les solutions devaient être ascendantes et non descendantes. Tu n’es pas obligé de me croire. Tout comme tu n’es pas obligé de saisir la main que je te tends. En revanche, lorsque mon projet sera établi et qu’il commencera à porter ses fruits, il n’y aura plus de machine arrière pour toi.

Loin d’être une menace, l’ultime sentence met en exergue l’absence du Nara dans un plan favorable à l’Humanité.

— Je comprends que tu as besoin de garanties. Regarde bien les Miracles qui vont suivre, Maître de la Corneille.

Meiun relève son annulaire. Un fils iridescent s’échappe de sa phalange distale pour s’enfoncer dans son cocon de tissu, fermement accroché à son dos. L’excroissance de Chakra se fraie un chemin entre les plis colorés pour se connecter à Numéro 3. Mouvement de crochet avec ce même annulaire, une gueule monstrueuse est visible à travers la meurtrière. Le flacon de sang est donné en obole à ce monstre chimérique.



Les preuves sont portées à la connaissance de l’hybride frappé par le doute.

— Je suis un amateur de troc, vois-tu ? Je te propose un rabais de dix pourcent sur tous tes achats personnels pour le caillot. Pour la chair du fossile, je te propose de partager les fruits de cette expérience. L’Arbre-Yang sera nôtre, à part égale.

Main tendue, le pacte attend d’être scellé.

— Si cette proposition te convient, enchâsse ton morceau de Chakra Pur dans l’Abomination et constatons ses effets.

Spoiler:

Prônez un tel amour, un tel don de soi, avec une telle ferveur était aux yeux du condamné un mensonge. Il ne pouvait y croire, ou plutôt ne pouvait plus y croire. Le temps et les dangers avaient érodé sa confiance, misent à mal son humanité et l’avait plongé dans un monde de défiance. L’absence de son allié de toujours semblait peser lourdement sur son cœur.

Et à mesure que le clown déployait son verbe, semant de maigres indices et promettant une sincérité à toute épreuve, l’érudit attendait le couperet fatal. Même si leur antagonisme n’avait aucun sens encore, il percevait en cet homme une folie destructrice. Trop de confiance, trop de mystère, il avait déjà vu ce fléau ronger les âmes de ce Continent. Bien sûr, le Nara n’en était pas totalement convaincu et ne croyait pas aux actions préventives. Non, il préférait se tourner vers une autre voie, une entente partielle et éphémère. Tous deux pouvaient partager le même chemin, et lorsque la Mort devra être convoquée, car elle le devra, Renpei sera prêt à défendre ses idéaux et ce monde. Après tout, c’était son devoir.

Mon aide t’est acquise, non ? Ce que nous faisons aujourd’hui, je le fais en conscience et non par obéissance. Mais je reste un serviteur de la Paix, je ne peux m’engager aveuglement. Car si les autres décrivent tes ambitions comme folie, que pourraient-ils bien penser des miennes. Dans l’Obscur, sommeille des Vérités et je veux les lui arracher. Un péril venu du fond des âges se profile à l’horizon, j’en ai la certitude. L’Humanité ne peut plus se satisfaire du statu quo, il faut s’affranchir de nos limites. Certains font déjà des pactes, d’autres se jettent à corps perdu dans l’étude de la Nature. Moi, je souhaite simplement asservir l’Obscur.



Vinrent ensuite les « miracles » de Meiun. Sceptique, l’éphèbe n’en attendait pas grand-chose. Ainsi, lorsque la duplication et la création se révélèrent à lui, il ne put contenir sa surprise. L’homme de science voulait en savoir plus, comprendre les lois d’un tel échange pensé impossible. Car si certains appelaient cela magie, pour lui, tout n’était que science. Malheureusement, il le savait, les secrets d’une telle confection n’allaient pas se dévoiler à lui. Naquit alors une légère déception.

Je vois, j’imagine que ceci explique ton rôle dans la Kabbale et ton traitement de faveur. C’est, en effet, miraculeux ». Merci pour ces présents.

Un rire franc, lointain suivit cette tendre provocation. Était-il réellement intéressé par ses biens ? Un peu, mais pas assez pour se montrer cupide.

Très bien, j’accepte ce marché. J’espère simplement que tu ne t’égareras pas en chemin.

Une fois la poignée de main scellée, Renpei se mit en marche et arracha l’une des cosses de son masque. Au sein de la capsule dorée, le sentan attendait son heure, patient et silencieux. Toujours avec précaution, le jeune homme plaça son offrande dans une commissure de l’arbre-Yang. Et à peine avait-il touché l’écorce, que le caillot se fit engloutir par la création. La Voracité s’était elle aussi infiltrée dans le géant sylvestre.

À présent, il ne manque plus que le lambeau de chair, c’est ça ?

Résumé:

A son tour, le Nara opte pour la franchise et révèle ses desseins les plus sombres : assiéger l’Indicible. Ce trait de folie, que de nombreux Renkinjutsushi conspuent, caractérise le journaliste et l’explorateur et animera leur relation.

— Tu es un partisan de la Paix. Je suis un partisan de la Liberté. Tu veux ériger Chowa sur le promontoire de l’Humanité. Je veux offrir les outils aux exilés de l’Harmonie, qui comme moi ont été déracinés de leur terre natale par la cupidité d’un autocrate. A défaut d’être des grands amis, utilisons ce concours de circonstances pour bâtir les fondations d’une Union Continentale capable de se dresser face à l’hégémonie des superpuissances.

Le Corrompu dévoile l'apanage de ses connaissances occultes.

— C’est merveilleux… La Voracité t’est déjà acquise, ce qui explique bien des choses. Qu’importe les ténèbres que tu jettes sur ma personne, tu pourras compter sur moi, Renpei. Explorons les abysses les plus reculées de la Dimension Yang et réclamons comme nôtre ses secrets. Depuis mon incartade en Seirei, je ne crains plus les dangers de ce Continent. Veux-tu que je réponde à tes questions, pour la prochaine édition de la Corneille ?

L’Arbre-Yang accueille l’obole du Mande-Chaos. Le morceau d’énergie pure pénètre les plis de l'écorce putride, qui frémissent comme une créature affamée. À peine le Sentan consommé, une réaction violente secoue l'abomination sylvestre. Le tronc hideux, veiné de lumière écarlate, se tord et se dilate, comme s'il respirait profondément. Ces veines de lumière deviennent plus vives et pulsent au rythme d'un cœur maudit. Des boursouflures apparaissent sur son tronc rugueux, suintant une sève noire et visqueuse.

Les branches tortueuses s'allongent, s'étirent en vrilles interminables, pareilles à des tentacules avides. Des excroissances grotesques émergent des nœuds de bois, prenant la forme de visages distordus et hurlants, figés dans une expression de douleur éternelle. Des murmures sinistres s'élèvent du tronc, une cacophonie de voix discordantes, échos d'âmes tourmentées piégées dans le bois. L'air devient lourd, oppressant, chargé d'une énergie noire et suffocante.

Des racines noueuses s'étendent sous la terre, corrompant tout sur leur passage, drainant la vie des plantes environnantes et les transformant en ombres déformées de leur ancienne splendeur. L'arbre, amplifié par l'obole de pure énergie, se métamorphose en une abomination encore plus cauchemardesque. Chaque pulsation de son tronc résonne comme un battement de cœur monstrueux, projetant des ondes de corruption dans l'environnement. Ce fléau grandissant est devenu un monument vivant de terreur et de désolation.

— Avant Ido-Shima, nous devons habituer notre Abomination. J’ai peur que la quantité surabondante d’énergie obscure contenu dans ce lambeau de chair ne dévore notre monstruosité sylvestre. Comme un animal conscient, il faut adapter et éduquer cette création, qui visiblement n’attend que d’évoluer.

La main de notre baroudeur s’enfonce dans la bouche béante d’un visage statufié dans l’Arbre-Yang. Le liquide d’une Créature de Chakra se mêle à la sève purulente pour ne former qu’un.

Spoiler:

Ravagé par l’égoïsme des puissants, le Continent n’offrait aux plus fragiles que désespoir et mensonge. Le survivant à le chevelure carmin en était le symbole. Esclave de la volonté d’un usurpateur, il s’était détourné de la Paix pour se réfugier dans un songe éveillé. Aveuglé par les tourments, il créa sa propre cage, emmuré dans des principes aussi creux que naïfs. Mais comment lui en vouloir ? Sans aucune pitié, ni compassion, le Nara observa son partenaire et pardonna sa méprise. Après tout, l’Harmonie était encore trop faible et ses lumières ne pouvaient pas atteindre toutes les âmes en souffrance. Peut-être que bientôt, ceci changera. Renpei l’espérait de tout son cœur.

Je partage ta conclusion. Notre collaboration semble essentielle. L’Union doit percer sa chrysalide et pour ce faire, elle aura besoin de nous, de nos savoirs et de nos sacrifices.

À l’évocation de la Sylve interdite, le savant fut saisi par un profond enthousiasme. Ses terres, il en connaissait les dangers et par prudence, s’en était toujours éloigné. Néanmoins, elles le fascinaient, tout comme ses habitants. Meiun, avait-il réussi à franchir la frontière aux mille périls et à s'en sortir sans aucune perte ?

Seirei ? Tu as déjà foulé ce territoire maudit ? Ceci explique ta sérénité, même au cœur d’une forêt aussi hostile que l’Hen’i no Mori. Alors comment c’est ? À quoi ressemblent ces Esprits Gardiens ? Quelles sont les lois qui règnent là-bas ?

Puis, l’érudit quitta momentanément son rôle pour redevenir le maître de la Corneille. Les propositions du prétendu charlatan avaient fait leur chemin, et déjà, l’esprit du Chowajin trouva une forme particulière pour cet entretien si peu ordinaire. Au-delà d’une publicité, il sera question de l’intérêt du Monde et de l'Union.

Tu t’en doutes, je suis le seul à pouvoir décider ce qui sera, ou non, publier. Si je t’offre de la visibilité, c’est selon mes principes et mes valeurs. Tu ne pourras pas contrôler mes mots et mon message. Mais je peux te garantir que tu seras entendu.

Peu à peu, répondant à l’offrande, la création mortifère convulsa de terreur. Ses spasmes de douleur fracturèrent même l’écorce, y dessinant des rivières aussi vives qu’hurlantes. Reflet d’une agonie jusqu’alors en sommeil, l’édifice s’écarta encore un peu plus de la vie et se laissa dévorer par la mort. Puis, vint la révélation. Le bois se fit discret, s’arrachant de lui-même du réel. Les pénitents apparurent, se lamentant sans cesse dans un râle éternel. En quête d’humanité, les visages crièrent leur faim insatiable à qui voulait bien l’entendre. Tous étaient semblables aux souvenirs passés, ceux qui avaient tant hanté la conscience du Thanataute. La caresse de l’obscur suivit cette résurgence funeste, emportant l’horizon avec elle. La Voracité en voulait plus, ce territoire elle désirait le faire sien et les Sentinelles de la Nature peinaient à lui résister. Une bataille invisible venait de commencer.

Alors, comme pour mieux percevoir cette nouvelle réalité, Renpei déploya son regard mordoré. En quelques mouvements, il comprit qu’au sein de l’arbre s’était formé un cœur vicié, semblable à ceux des Créatures de Chakra. C’était lui qui désirait tant s’étendre et déployer son absolue corruption. Ce myocarde grandissant, l’écrivain le grava dans sa mémoire, car si un jour l’abomination venait à se défaire de ses chaînes, il suffirait de l’atteindre et de lui accorder un repos définitif.

C’est fascinant, il est semblable aux Bêtes, autant dans sa structure que dans sa forme. On dirait même qu’il a acquis une conscience, primaire et violente, mais tout de même une conscience.

Tandis que le Nara se perdait dans l’admiration, le clown continuait son œuvre. Sûr de ses choix, il s’approcha de la statue sylvestre et défia les visages affamés. Sa main plongea dans l’inconnu avec un zèle et une imprudence folle. Cette vision engendra une panique démesurée dans l’esprit de l’émissaire, il avait déjà connu pareille scène. Mai, son ancien mentor, avait déjà commis une telle erreur par le passé. Sans prendre le temps de verbaliser quoi que ce soit, Renpei brisa l’un de ses tatouages et força son collègue à reculer. Le lien était puissant, empreint d’une rage et d’une force venues des âges oubliés. L’ombre était soumise à un instinct millénaire, celui de la survie.

Écarte-toi ! Ses reliquats de l’Obscur ne sont pas là pour faire de la figuration. Leur appétit est aussi tenace que la Voracité elle-même. Si tu te mêles à eux, tu ne pourras jamais t’en libérer. Garde bien ça en tête, pour ton propre bien.

Une fois cette peur ancestrale de nouveau scellée, l’éphèbe adressa une tape amicale à son compère. Main sur son épaule, il transmit ses craintes dans un léger soupir.

Je crains que la Forêt des Mutations ne soit pas assez forte pour contenir ce mal éternellement. Vois comment l’obscur s’est étendu avant même toute création de portail. Il faudra à chaque utilisation déployer des moyens colossaux pour contenir ces ténèbres. Je n’ai pas encore les capacités pour cela, mais je vais y travailler. J’ai quelques idées en tête.

Malgré les doutes naissants, le Nara sortit l’un de ses parchemins de sa veste et effaça la marque qui y était apposée. Surgissant du Néant, le morceau d’estomac du grand écailleux vit de nouveau la lumière du jour. Sa crasse purulente était toujours intacte et comme un par un appel indicible, il rentra en résonnance avec l’arbre. À chaque battement, le pire se rapprocha du possible. C'était comme si la coexistence de ces deux entités pouvait effacer les limites de cette réalité. La Dimension Yang sommait ses enfants à agir, à dévorer le Tout, à éradiquer l'Humanité.

Un terrain d’entente est trouvé, qui annonce une odyssée historique.

— La Forêt des Mutations… Elle est prodigieuse, n’est-ce pas ? Ce n’est qu’une contrefaçon de la Forêt Primaire. Je pense qu’il n’existe aucune contrée plus dangereuse que Seirei, et j’ai tendance à croire que la Dimension Yang ploierait le genou devant les chimères bestialo-végétales. En toute franchise, un Gardien-Esprit a emboîté le pas à notre tentative d’incursion. Il a plié la Nature à ses ordres et a décimé tout mon bataillon en un trait de temps. Ma survie tient du miracle, mais comme tu l’as vu, j’ai l’habitude d’être un thaumaturge. Si tu comptes asseoir ta domination sur le foyer des Créatures de Chakra, je pense que Seirei et son écosystème sont l’une des voies qui peuvent te hisser vers la réussite.

L’explication préliminaire ne pose aucune difficulté à Meiun, qui se contente d’hausser les épaules.

— Aucun problème, Renpei. Je n’aime pas cela de toute façon. Je trouve que la beauté de l’Humanité réside dans sa capacité à faire ses propres choix. Déploie tes principes, tes valeurs et tes mots. Tu peux même me dépeindre comme un monstre, cela m’est égal tant que cela profite au Continent. C’est la Liberté que je chéris, et non le Pouvoir.

Le sang de la Créature de Chakra joue son rôle : derrière les branches torsadées, la Voracité s’éveille. Les visages emmurés se mettent à suppliquer de les abattre, tandis qu’une lueur violine, aussi envoûtante que dangereuse, remplace le vide de leurs cavités oculaires. Devant cette scène cauchemardesque, où les pires horreurs prennent vie, Renpei trouva les mots justes : cet arbre est devenu une Chose, vivante. Pour le protéger, le thanatonaute extirpe notre Alchimiste de l’influence du réceptacle.

— J’ai lu vos rapports, à toi et Uzumaki Mai. Je sais ce qu’elle a défié, mais…

Dos au fils de Kuroda Shun, Meiun place son bras en barrage pour lui intimer de lui faire confiance. Une dizaine de fils iridescents se connectent à Numéro 3. Au même titre que les Bijū sont le Fléau des Hommes, ce Golem des Anciens Architectes est un poison pour l’engeance maudite. La couleur d’albâtre de ses membres porte en elle le salut. Le Martyr tourne légèrement sa tête vers son acolyte, un œil malicieux et un rictus cryptique animent le seul pan visible de son faciès.

— Renpei, ai confiance dans le Chakra Yin et le Souffle de Vie qu’il diffuse.

Soudain, l'écosystème se craquèle en veinures turquoises. La Nature déploie ses légions de globules blancs face au virus. La Chose est seule face à cette armée de pins sigillaires. L’invisible prend le pas, et seul le Vassal est témoin du carnage silencieux. Plusieurs sillons de vitalité se fraient un chemin entre l’écorce putride. De ceux-ci jaillissent de nombreuses fleurs à la beauté irréelle. Les étapes préparatoires de Renpei portent leurs fruits : à défaut de transformer l’Arbre-Yang en sapin sigillaire, les runes ésotériques s’animent et figent leur création dans un statu quo. La Lumière tente de percer les Ténèbres et les Ténèbres profitent de la Lumière pour survivre.

— J’ai choisi la Forêt des Mutations, car il ne faut jamais sous-estimer la force qui innerve les Gardiens-Esprits. C’était un pari risqué, mais à quoi bon vivre une existence monotone ? Je n’ai aucun visuel sur les énergies qui s’affrontent, mais au vu de son apparence, j’imagine qu’elles se sont équilibrées. Ce qui veut dire que le réceptacle est en stase. C’est une bonne chose. Cette étape nous assure le soutien de l’écosystème, tant qu’il est préservé et qu’un seul Arbre-Yang exploite les lieux. Si la Voracité est trop gourmande, elle sera muselée par la Nature, car elle n’est pas en situation de supériorité. Il nous restera plus qu’à ouvrir manuellement la porte, en sacrifiant une ressource de Bijū.

Meiun s’approche de leur œuvre. Il pose sa dextre et son front contre l’écorce partagée entre la Vie et la Mort.

— Donyoku na Shokubutsu, te voilà enfin. Tu rejoins ton frère, Kyūketsu Shokubutsu. Vous occupez tous les deux des fonctions antagonistes, mais vous êtes des frères. Tu deviendras le garant de cette énergie centripète, pendant que ton double naturel veille sur l’énergie centrifuge. Vous jouerez des rôles importants, je l’espère.

La prière terminée, le flacon de liquide-portail, coupé avec le sang de l’hybride, est jeté au Mande-Chaos.

— Maître de la Corneille, je te laisse le privilège de poser la première pierre de ton œuvre. Tu voulais museler l’énergie obscure et son engeance maudite ? Il est l’Heure. Ouvre une fenêtre sur la Dimension Yang. L’Hen’i no Mori et moi sommes là pour te protéger durant ton rite. Les apparitions s’écraseront contre nous. Ne t’en fais pas.  

D’un mouvement d’index, le golem nivéen se positionne à mi-chemin entre Meiun et Renpei. Ils sont prêts.

Spoiler:

Dans cette dimension, tu as sûrement raison.

Songeur, l’émissaire se répétait à l’envie les mots de l’itinérant. Cette ode au Naturel et à ses soldats, il la comprenait, mais il refusait d’y croire. Il ne pouvait embrasser cette voie, elle lui était interdite. Dans ses projets, il n’envisageait à aucun moment de flirter avec le Yin, bien au contraire. Demeurer pur, totalement affilié aux ténèbres, c’était la garantie de ne jamais être banni par les engeances de la terrible Voracité. Maintenir son corps, entre le neutre et l’obscur, c’était à ses yeux son seul salut. Toutefois, peut-être pour la première fois depuis leur rencontre, l’éphèbe ne voulut pas corriger le clown. Il fit le choix d’un léger sourire et d’un silence lourd de sens.

Certains y verront l’épreinte du chakra vicié. Perfide et insidieux, il avait déjà brouillé la vision du savant. Il n’était pas soumis à des mensonges, non, mais sa réalité était quelque peu voilée. Souillé par un idéal corrompu, le Nara s’était abandonné à des obsessions sombres et lointaines. Devenir un monstre n’éveillait en lui aucune peur.

Je te laisse franchir les frontières de la Nature, elles ne me sont pas destinées. Quant à l’article, je reviendrais vers toi. En attendant, prépare tes meilleures marchandises, tu devras convaincre le Continent de leur utilité.

Puis, le pantin des dieux oubliés s’éleva et abattit son courroux. Le chakra étranger se vit arracher à son sommeil, les râles se muèrent en requiem et l’abomination fut domptée. En écho à la sylve unie, l’albâtre apposa sa marque et fit de sa domination une floraison funeste. L’équilibre se dessina sur le derme marbré et scella le sort de la création mortifère.  

Pour le moment. Je crains qu’à l’avenir, tes gardiens perdent la bataille. L’Obscur est une force terrible, violente et impétueuse. Sa faim l’oblige à agir, à se jeter à corps perdu dans la bataille. Mais il sait aussi se montrer patient, transformant l’obscurité avec discrétion. Chaque libération, chaque offrande, chaque voyage inviteront la perversion à s’étendre un peu plus. Tu devras possiblement restreindre l’usage de cet arbre, attendre entre chaque essai que l’obscur soit complètement dominé. Une seule erreur, et l’équilibre sera rompu.

Cela faisait longtemps que Renpei ne s’était pas montré aussi moralisateur. Néanmoins, il connaissait la Dimension Yang et ses effluves. L’arrogance était l’un de leurs mets favoris et l’Humanité était passé maître dans cet art. Un peu trop de zèle, et voilà que la porte pourrait devenir permanente. Peut-être était-ce dû à son regard mordoré, mais il percevait la violence de cette guerre souterraine. Il y voyait même une prédiction, l’avenir de ce monde si les deux énergies venaient à s’affronter sur ces terres.

Après l’étrange prière du dévot aux cheveux ardents, l’athée garda en mémoire les noms des deux créations. Il fut bien sûr tenté de questionner son compère, mais il préféra choisir le silence. L’heure n’était pas venue, le Kyūketsu Shokubutsu attendra.

Obéissant à son nouveau partenaire, le Nara fit face au portail endormi. Là, mu par un étrange instinct, il découpa avec minutie sa paume droite, laissant ainsi couler son sang. Ce dernier fut très vite illuminé par un éclat obscur, reliquat mystérieux de la pierre philosophale. Ses préparatifs finis, il imprégna l’offrande, le lambeau d’Ido Shima de ce fluide impur et de son chakra le plus vif. Se mêler à l’obscur, créer un lien capable de transcender les frontières, tout ce rite n’existant que dans un but : satisfaire une nouvelle pulsion.

Très vite, le marasme contenu dans la main de l’alchimiste se mit à résonner. Son écho heurta l’abomination, la somma de lui répondre. Esclave de ce nouveau rythme, Renpei plongea sa propre chair dans le liquide ténébreux. Ses lèvres s’agitèrent, sa gorge se serra, et bientôt, un dialecte sauvage fit irruption dans la Forêt des Mutations. La langue de l’Obscur triompha.

Honkai, viens à moi. Rejoins cette terre et quitte la désolation. Suis ma voix, et viens dévorer l’impossible.

Était-ce l’offrande, le sacrifice personnel de l’érudit, ou ses mots qui avaient ouvert le chemin ? Peut-être était-ce les trois ensemble ou aucun d’ailleurs. Dans tous les cas, l’Arbre-Vorace resplendit dans son horreur. Ses gargouilles difformes jubilaient et son miroir aqueux tremblait de joie. Un frisson parcourut même les êtres feuillus, le mal approchait et défiait leur suprématie. Malheureusement, les désirs du Nara manquaient de clarté. Car si la main de son âme liée avait pu attraper celle de son homologue, elle n’y déposa qu’un sceau affreux, témoin de l’antagonisme entre les deux créatures. Et profitant de cet échec, une Bête ailée se faufila, dépassant le corrompu sans lui accorder le moindre regard et se jetant avec appétit vers le gardien de l’Hen’i no Mori. La douleur poussa l’inconscient à retirer son membre devenu difforme, à l’image des engeances de l’obscur.