Jumpei, sous l'identité du Dr Cho, s'était installé au cœur du Pays des Monastères, une région célèbre pour ses sanctuaires et sa population monacale. Il avait ouvert une petite clinique dans une arrière boutique, au sein d'une auberge paisible, attirant rapidement l'attention des habitants. Connu pour ses compétences médicales exceptionnelles, le Dr Cho offrait ses services avec bienveillance, soignant les moines et les villageois de divers maux.

Cependant, derrière son masque de médecin dévoué, Jumpei poursuivait une quête plus personnelle : l'étude des diversités ethniques et culturelles de cette région. Chaque patient devenait une nouvelle source de connaissances. Il prenait des notes méticuleuses sur les différences physiques, les coutumes alimentaires, et les remèdes traditionnels utilisés par les habitants, ainsi que toute autres particularités physique, cherchant à tracer des liens entre les membres d'une même famille, cherchant ce qui permettait aussi cette forme de répétition.

Ainsi donc, maniant rubans métrés et carnet à croquis, Jumpei, ou du moins le Dr Cho, profitait d'un moment de calme dans sa journée de médecin pour tirer le portrait d'une personne, inconnu ayant attiré son œil et dont le crayons reportait le plus fidèlement possible les traits.

Il manquait cruellement d’ingrédients afin de réaliser ses expériences. En effet, même si son côté sordide pouvait être sans fond, quand il devait faire un travail précis sur des corps en vie, la douleur ressentie par ses cobayes pouvait le déranger. Des convulsions non prévues, des cris… C’était gênant lors des dissections. Alors, il se procurait de l'anesthésiant, des drogues ou autres afin de calmer leurs ardeurs.

Cependant, son précédent fournisseur avait trouvé une mort… Soudaine quand Ena avait appris qu’il fournissait aussi certains de ses ennemis jurés, maîtres des esprits. Il avait planté son bras à travers le thorax du trafiquant, par pure rage. Mais bon, maintenant il avait besoin de s’en procurer d’une manière différente. Alors qu’il voyageait pour en trouver, il passait dans le pays des Monastères, il entendit parler d’un certain “Docteur Cho”. Un docteur était la personne parfaite pour le fournir…




Un croquis, une analyse de son corps, en échange d'anesthésiant. L’artificiel avait prétexté une mère très souffrante et blessée, et avait besoin de cette substance pour la libérer de ses souffrances. Alors, il s’était dévêtu en gardant un simple vêtement couvrant son appareil, laissant le docteur admirer son corps parfait. Pour un simple oeil, il était très compliqué de voir que c’était un corps artificiel… Mais pour son observateur, sûrement habile de ses connaissances, pouvait le comprendre plus aisément que la moyenne.


Dit-il dans un timbre de voix parfaitement sûr de lui et hautain, étant persuadé de la beauté divine d’un corps presque parfait comme le sien… Un corps mécanique. Un corps de pantin.

Quelques semaines après son installation, Jumpei, alias Dr Cho, reçut la visite d'un patient singulier. L'homme, d'allure élancée et au teint cireux, se présenta en expliquant que sa mère souffrait terriblement et avait besoin d'anesthésiant. Jumpei, toujours soucieux du bien-être des patients, proposa de se rendre au chevet de la mère malade. Mais l'étranger refusa catégoriquement, prétextant qu'elle était trop faible pour supporter une visite.

Les instincts de Jumpei s’éveillèrent. Il devina rapidement que l'homme n'était rien d'autre qu'un toxicomane cherchant à obtenir des substances pour son usage personnel. Plutôt que de le confronter directement, Jumpei opta pour une approche plus subtile. Il proposa un marché au toxicomane : en échange de quelques doses d'anesthésiant, il souhaitait dessiner l'homme sous toutes les coutures, prétextant un intérêt médical pour sa morphologie.

Le toxicomane, surpris mais flatté, accepta avec enthousiasme, affirmant même que le médecin devait se considérer chanceux d'admirer un corps aussi parfait. Jumpei, avec son œil de médecin et de chercheur, prit des mesures précises tout en réalisant des croquis détaillés de son patient. Il ne pouvait nier que l'homme possédait des proportions remarquables, mais quelque chose ne semblait pas naturel. Jumpei suspectait que cette perfection était en réalité le résultat de certaines modifications artificielles, voire mécaniques.

Tout en esquissant le corps du patient, Jumpei nota des indices subtils : des articulations anormalement lisses, une peau qui semblait trop uniforme par endroits, et des muscles qui ne se contractaient pas de manière naturelle. Il poursuivit l'examen, prenant soin de ne rien révéler de ses suspicions.

" Aussi parfait prétendez-vous êtres, vous n'en reste pas moins contre-nature. Loin a moi l'idée de vous offenser, car j'apprécie ce pointillisme, mais je ne suis pas dupe.  Vous avez eut recourt à certains ajustement. Je me trompe ? " Répondit-il en gardant son nez sur son calepin, croquant avec justesses les traits de son modèle. " Par ailleurs, je peux me tromper,  mais ce travail qui a était fait sur vous, pourrait être encore douloureux. D'où ce besoin de calmer certaines douleurs. Car, ne nous mentons pas, si vous avez bel et bien une mère, celle-ci n'a aucunement besoin de ses fioles. "

Ena s’en fichait de rester immobile, dans une la même position, pendant des heures. Il s’était débarrassé des courbatures et autres fatigues de tenir une position pendant de longs moments. Les courbures de ses muscles artificiels, de ses tendons et autres avaient été pensées dans un souci d'efficacité, certes. Mais aujourd’hui, il portait ses prothèses d’apparat, dotée de moins de pièges pour ressembler plus à ceux d’êtres organiques. Dès lors, tel l’homme de Vitruve, ses proportions étaient d’une beauté… Humain.

Et soudain, l’artificiel entendit les paroles du docteur. Il les écouta, et n’était pas surpris : sa couverture avait été réfléchie à la va-vite, et cet homme semblait être doté d’une intelligence rare. Mais à la fin de ces mots, le marionnettiste explosa de rire quelques instants, chassant une larme qui n’existait pas du coin de son œil, grâce à son pouce… Avant de reprendre la pose, ses cheveux tombant comme une cascade argentée le long de ses épaules.


Tendant quelques uns de ses tendons, une chose pouvant être assez surprenante se révéla sous les yeux du manieur d’insectes. Un de ses doigts fit un bruit de cliquetis métalliques, ses avants bras vibrèrent légèrement, ses pectoraux s’écartèrent d’une manière très peu humaine, une fente se dessina au niveau de ses genoux… Avant que tout reviennent à la normale en un instant, arrêtant d’un coup les bruits mécaniques envahissant l’espace sonore du cabinet.



Un air supérieur, mais pas méprisant, était visible sur le visage du jeune homme. Il semblait prendre un certain plaisir, malsain pour certains, à montrer son corps, sa création, aux gens. Pourquoi aurait-il honte ? C’était ce qu’il est : un être s’approchant plus de la machine que de l‘être humains.

Jumpei observa attentivement les mouvements mécaniques du corps de son patient, Ena. Chaque cliquetis, chaque vibration des tendons artificiels confirmait ses soupçons. Ena était bien plus qu'un simple toxicomane : il était une création exceptionnelle, un être hybride transcendant l'humanité par la perfection de ses implants. Impressionné, Jumpei cessa de dessiner et posa son crayon sur le bord de son carnet.

« Fascinant, » murmura-t-il, les yeux fixés sur Ena. « Vous avez surpassé toutes mes attentes. »

Jumpei, toujours dans sa posture de médecin, se pencha légèrement en avant, l'air intrigué.

« Comment avez-vous réussi cette transformation ? Pourquoi un tel changement ? » demanda-t-il, la curiosité scintillant dans ses yeux. « Quelle était votre motivation ? »

Et un instant, des soubresauts de sa mémoire traumatique lui revinrent de plein fouet. Cela lui faisait à chaque fois, quand il devait parler de son passé. Des flash de la souillure, des coups et de la famine… Seul, torturé, mais surtout seul. Sans personne pour en parler. Pour avoir du réconfort.


L’immaculé regarda un instant son corps, et s’en éprenait encore. Des traits fins et distingués, élégant à souhait. Une peau cireuse et blanche, pure comme un être céleste n’existant pas dans ce monde. Des outils pour se défendre de partout, incrusté dans son enveloppe mécanique pour repousser les gens s’approchant trop de lui. C’était maladif, il était fasciné par son propre corps. COmplexe de Narcisse ? Sûrement. Mécanisme de défense de son esprit ? Certainement.


En effet, il n’était clairement pas content de son état actuel. Son cerveau, ses organes respiratoires et le siège de ses émotions étaient encore organiques, fait sde chair… Donc corruptibles, victimes du temps et souillables par les autres. De plus, une profonde jalousie, corrompue, s’était épris de lui, au plus profond de son âme. Pourquoi les Senjus pouvaient faire pousser ces fleurs si belles ? Pourquoi les Kaguya pouvaient manipuler l’organique, comme les Chinoike, alors que lui avait rêvé de ça toute sa vie ? Pourquoi les Nara pouvaient jouer de leurs ombres tel des magiciens ? Et pourquoi les Yaban pouvaient dépasser les limites du corps… En gardant un corps de chair, même meurtris.


Dit-il avec un fin sourire. Il ne savait pas du tout s’il pourrait vaincre cet homme, mais bon… Il se sentait de se confronter, puisqu'il se doutait que ce docteur n’était pas un simple docteur : il le savait, car il avait reconnu que son corps n’était pas naturel.

Jumpei, sous les traits du Dr Cho, écouta attentivement chaque mot de son interlocuteur. Chaque détail, chaque nuance de la transformation d'Ena était fascinante. Il acquiesçait de petits coups de tête légers, absorbant les informations et montrant ainsi son intérêt sincère pour ce corps mécanique perfectionné. Il comprenait le travail titanesque qu'il avait fallu pour atteindre un tel niveau de sophistication, et cela se voyait dans son regard captivé.

Lorsque Ena proposa de tester cette création dans un duel improvisé, Dr Cho éclata de rire. « Ah, mon cher ami, je ne suis qu'un humble médecin. » dit-il, bien que cette affirmation ne soit pas totalement vraie. Il se demandait intérieurement si un être comme Ena pouvait encore être soumis à ses illusions, un talent qu'il maîtrisait bien.

Préférant approfondir la discussion plutôt que de se lancer dans une confrontation, Jumpei reprit avec un sourire aimable. « Mais dites-moi, combien de temps ont pris ces procédures ? Et comment avez-vous appréhendé votre nouveau corps au début ? Mais surtout comptez-vous changer entièrement votre corps ? Jusqu'à vos organes et quand sera-t-il de votre cerveau ? »

L’immaculé hausse doucement les épaules quand le “docteur” refusa sa proposition de joute amicale. Il était dans son bon droit, et Ena n’allait pas le forcer à combattre : surtout que la personne en face de lui ne lui avait pas encore donné ses anesthésiants… Donc il allait continuer à répondre à ces questions, tranquillement. De plus, il n’avait rien à cacher.


En effet, le jeune marionnettiste aux faux cheveux avait demandé à ce que son enseignement au sein de son clan familial se concentre sur les prothèses et la marionnettisation de son corps. Bien-évidemment, il avait appris les rudiments de l’art originel de son clan, mais n’était pas des plus assidus.. .Cependant, il commençait à vouloir rattraper ce retard. Il était clair que pouvoir manipuler ses créations lui octroierait un gain de puissance considérable.


L’homme assis soupira doucement, gardant la pose permettant au professionnel du corps médical de le dessiner tranquillement, lui montrant par moment quelques lames sortant de son corps, pour lui montrer la diversité des positions de ses pièges.


Il détestait le corps organique des humains, mais il devait bien lui accorder quelques avantages : et ceci en était un. C’était l’un des freins d’Ena dans la révolution mécanique de son corps.

Jumpei écoutait encore son interlocuteur avec un intérêt grandissant. Ayant déposé son fusain et son calepin sur ses genoux croisés, il joignit ses mains au-dessus du morceau de papier ainsi déposé, fixant avec une attention intense l'être particulier qui lui faisait face. Fasciné par un tel travail, il comprenait l'étendue de la nature hybride de ce jeune homme et ne pouvait s'empêcher d'imaginer le potentiel de l'étudier de près, voire de le disséquer sur une table pour en apprendre tous les secrets.

Il nourrissait dès lors un grand intérêt pour ce spécimen unique, voyant en lui une autre forme d'eugénisme qu'il espérait atteindre lui-même au fond de son cœur. Jumpei salua la qualité du travail accompli par Ena. « Le corps humain est fascinant, » dit-il avec admiration, « mais la manière dont vous avez transcendé ses limitations est tout simplement remarquable. Ceux qui ont permis cela sont à envier, à défaut de vouloir être moi-même ainsi changé. »

Il continua, partageant une partie de ses propres ambitions. « Mon rêve, » dit-il avec une passion presque palpable, « est d'améliorer le genre humain. De le perfectionner. Lutter contre les maux qui touchent notre espèce, et contribuer à un renouveau, une élite humaine perfectionnée au summum de ce que nous pouvons atteindre, voire au-delà. »

Jumpei acquiesça à ses propres mots comme s'il répondait à une question qui n'existé pourtant pas « Oui, c'est un rêve ambitieux, mais nécessaire. Vous même devez imagine un monde où les maladies n'existent plus, où les corps ne sont plus limités par la faiblesse de la chair. Un monde où chacun peut atteindre son plein potentiel, mais là où vous semblez vous reposer sur le mécanisme, moi je souhaite que l'Homme ce suffise à lui-même, que cela soit presque naturelle.  Qu'en pensez-vous ? »

Dit-il en levant un de ses bras devant son visage, le regardant d’une manière parfaitement neutre. La seule signification que l’on peut en tirer, d’un tel geste, c’est l’approche scientifique que l’Immaculé a envers son corps : il en recherche sa perfection, sans le moindre défauts.


L’artificiel était assis en tailleur, regardant le jeune homme en face de lui. Il le considérait sûrement comme une nuisance sonore, mais bon. Il avait un rêve similaire au sien, alors il était bénéfique, ou au moins pas un danger, de parler avec lui de ses pensées sur le sujet. Qui sait, il pourrait même se faire un allié intéressant par ce procédé.

Jumpei acquiesça de manière générale, loin d'envier Ena, mais reconnaissant que d'autres pourraient être tentés de suivre son exemple. « Je comprends ce que vous dites, » répondit-il calmement. « Mais moi, je travaille et continuerai à travailler pour éliminer ces dysfonctionnements que vous soulignez. Les effets du temps et des maladies qui frappent le vivant ne sont que des obstacles à surmonter. Abandonner l'organique pour le mécanique est une solution, certes, mais trop facile à mon goût. »

Il marqua une pause, laissant ses paroles flotter un moment dans l'air avant de poser une nouvelle question. « Mais dites-moi, que ferez-vous si, malgré la quasi-totalité de votre corps mécanisé, c'est votre cerveau qui finit par vous trahir ? Que ferez-vous si une simple dégénérescence des capacités mentales venait à se manifester ? » Marquant une petit temps de pause, il poursuivit alors, « Finalement vous ne deviendrez qu'un vulgaire pantin désarticulé, ce qui empêcherait personne de vous utiliser à leur guise et de faire de vous la marionnette la plus humaine avec laquelle ils pourront jouer. Ce qui serait d'une tristesse. »