L’Ecole Guerre. Quel nom violent pour quelque chose qui était aujourd’hui tourné vers le savoir. Cela ne me dérangeait aucunement mais je devinais que pour certains, il aurait été pertinent de trancher totalement avec le passé martial des lieux en changeant radicalement d’appellation. Au fond de moi, je trouvais cela d’un ridicule au possible. Je me disais que ceux qui n’avaient que ce genre de problème et de lutte à faire valoir n’avaient pas vraiment leur place entre ces murs et n’avaient guère d’intérêt à mes yeux.

De l’intérêt justement. Voilà la raison qui me faisait attendre comme un plantin une nouvelle recrue dont j’avais la charge, pour les premiers temps du moins. Si le passage des douanes était quelque chose d’obligatoire, bien qu’un peu surfait à mon avis, j’avais pris décision d’un accueil en amont de cette pseudo cérémonie qui parfois, pouvait provoquer quelques émotions en tout genre pour les plus jeunes. Assise sur le rebord d’une balustrade, je relisais le parchemin que l’on m’avait confié.

" Nara Renpei, âgé de vingt et un an. Entrée dans la Kabbale, admission classique. Tuteur attitré, Uzumaki Mai "

Retournant la feuille, je constatais avec une certaine amertume qu’il n’y avait rien de plus comme information. J’espérais que son dossier était un peu plus conséquent que cela, après tout, j’étais intervenu quelques années plus tôt à son chevet suite à son passage et autant dire, sa survie, pour réaliser quelques prélèvements et enregistrer son témoignage. D’ailleurs, c’était surement la raison pour laquelle je servais aujourd’hui de guide, de tuteur et de mentor. Au moins, si ses motivations n’avaient pas évolué depuis la fois précédente, je savais à minima sur quels mystères établir nos premières recherches, ou du moins, vers quoi l’aiguiller dans un premier temps.

En attendant, sous le soleil de printemps agrémenté d’une petite brise, je regardais quelques nuages épars traverser le ciel. Loin des plus grandes villes, le flot humain qui arrivait et quittait les lieux était quelque peu limité mais pas inexistent. Cela avait beau être une structure que certains voyaient comme élitiste, les lieux – et fondamentalement les personnes y vivant – avaient eux des besoins bien réels en termes de qualité de vie. Sirotant quelques gorgées d’eau tirée d’une outre à ma ceinture, je me demandais quand l’arivée du jeune Nara était prévue. C’était un peu tard désormais mais j’aurais peut-être dû prendre ce renseignement bien plus tôt. Cela m’aurait évité une longue attente inutile.

C’est ainsi, après quelques heures d’attente que je me relevais de mon assise quelque peu inconfortable et me tenais au milieu de la route, les portes derrière moi. Quant à ce qui se passait devant un jeune homme, qui avait grandi mais pas tellement changé depuis les années arrivait enfin.

« Nara Renpei je suppose ? Ravie de te revoir. Uzumaki Mai. Je ne sais pas si tu te souviens de moi ? J’étais présente à ton retour du Calice, je me suis occupé de ton cas. Quoi qu’il en soit, je te souhaite la bienvenue en ces lieux. Désormais et pour un certain temps, je serais ton guide et ton mentor alors si tu as des besoins particuliers ou des questions, n’hésite pas. Sache qu’il n’y a aucune question idiote, seules les réponses peuvent l’être. »

Qui n’aurait pas rigolé face à une telle phrase ? Les Alchimistes d’Etat à l’égo surdimensionné, certains un peu trop bedonnant et ventripotent, ne quittant jamais l’Ecole de Guerre et la sécurité de leurs laboratoires, ces pseudos chercheurs qui ne cherchent qu’à travers quatre murs sans prendre le temps d’explorer la réalité de ce monde et de ses secrets, certains espérant que l’information leur parvienne tout cuit dans la bouche. Mais je n’étais pas de ceux-là. Ma vocation étaient tout autre et ces lieux n’étaient qu’un refuge, une étude mais tout autant un tremplin vers un futur à la fois plus sombre et plus radieux. Finalement, tout cela pour dire que si le jeune Nara s’était essayé à un quelconque compliment, c’était bien tenté, mais c’était en vain.

« Eh bien, il t’en faut peu. T’emballes pas, je suis juste venu t’accueillir ici pour t’amener à la suite. Tu n’échapperas pas aux contrôles. Et puis si tu te souviens de moi, c’est parfait, on perdra moins de temps en présentation. J’aime le pragmatisme et le rationalisme, ne divergeons pas en futilités. »

Sans perdre de temps, dans un bruit mêlant raclement et autres sonorités mécaniques manquant d’huile, les lourdes portes s’ouvraient enfin, un spectacle intéressant à découvrir la première fois, un moment solennel un peu superflus dès la deuxième visite mais qui avait tout de même un charme certain.

Compte tenu de ma situation et de ma position, j’aurais surement pu user de quelques passe-droits et obtenir un contrôle de ce nouveau jeune protégé sans attendre, mais en tant que mentor, les leçons débutaient tout de suite, à commencer par la patience, et à en juger par la file qui se tenait entre nous et les autorités douanières, une petite heure d’attente était à prévoir. Au moins, cela nous laissait le temps de discuter, chose que le Nara n’avait pas attendue de faire.

« En effet, à leur arrivée, seules quelques bâtiments sont accessibles aux nouveaux étudiants. Au fur et à mesure des accomplissement et de l’apprentissage qui est fait, certains accès sont donnés. Mais pour cela, tu t’en doute, cela se mérite. Rien n’est un dû ici. »

Dubitative, j’écoutais le jeune homme stopper sa propre phrase, mettant un terme à quelque chose qui semblait sur le point de commencer et être potentiellement intéressant. Avait-il donc peur de parler ? Le culte du secret était quelque chose de bien connu ici, chacun d’entre nous – ou presque – œuvrant de manière globale, mais aussi à ses propres projets. Malheureusement, j’étais bien trop curieuse pour ne pas en savoir plus.

« « Est-ce que les savants travaillent en commun ? Eh bien, je te laisse répondre. A ton avis ? Et puis, argumente ta réponse, je n’attends pas seulement un oui ou un non. Et puis tant que tu y es, de quelle utopie parles-tu ? Je suis assez curieuse à ce sujet. Je n’oublie pas tes questions, mais tes mots m’intriguent. Dans le bon sens du terme, rassure-toi. »

Il y a une nuance entre freiner et canaliser les ardeurs naissantes d’un jeune homme en pleine phase de découverte d’un monde nouveau qui s’offrait à lui. Il n’était pas le premier à agir de la sorte et ne serait pas le dernier non plus. Pour autant, au-delà de la stupéfaction et de la splendeur, il existait à mes yeux une certaine rigueur qu’il fallait conserver. Il n’était nullement question de réduire à néant toute motivation ou le souvenir de ce premier moment, cependant, il fallait avant tout garder le sens des priorités. C’est ainsi que je voyais les choses, à des lieux de certains kabbalistes plus enclin à la clémence de l’émerveillement premier.

Mais au moins, de cette manière, j’avais le sentiment d’avoir tapé juste. Il n’était pas seulement question de mettre un stop, mais de recentraliser la discussion, de l’orienter vers quelque chose d’autre, quelque chose de plus concret et de plus prolifique. Au moins de cette manière, si le Nara avait un tant soit peu de jugeote, ce que je ne doutais pas compte tenu de son admission, il aurait un aperçu de mes méthodes de mentorat.

Attentive, Renpein était finalement assez expansif et avait un discours chargé d’espoirs et de projets quant à son avenir en ces lieux. Espérons que ces derniers aboutissent et qu’il ne se brulent pas les ailes en voulant agir trop vite. Certains s’étaient senti démunis face à la lenteur de certaines recherches, parfois même, la lenteur administrative tout simplement.

« Eh bien, voilà quelqu’un de passionné. Pourquoi vouloir refreiner un tel discours ? Je vois là des projets ambitieux, des projets à mener sur le long terme. Certains prendrons des années, d’autres n’auront peut-être aucun aboutissement, mais je vois surtout quelqu’un qui sait vers quoi se lancer et surtout avec la volonté de réussir. Quant à ton almanach, ton encyclopédie, que sais-je le nom que tu souhaiteras lui donner, n’hésite pas à commencer tout de suite. »

Avançant sagement de plusieurs petits pas, la file progressait bien plus vite que je ne l’aurais espéré. D’un coup d’œil, je constatais que compte tenu de la population à attendre étant quelque peu condensée, plusieurs postes de douane s’étaient ouverts. En attendant notre tour, nous avions donc tout loisir de continuer.

« Du rêveur au réaliste il n’y a qu’un pas. Le rêveur est bercé d’espérance et aspirera à avoir un résultat par l’action de la chance. Le réaliste aspirera à un résultat par le biais de ses actions. Toi, survivant d’un Calice, je doute que seul le rêve soit ton option d’avenir. Je ne pense pas me tromper. »

Encore deux pas. Nous pouvions désormais entendre les discussions devant nous. Notre propre tour ne tarderait finalement plus.

« Quant à tes idéaux, si je ne partage pas l’ensemble de tes paroles, certains éléments que tu mentionnes me sont également chers. Comme toi, j’aspire à la découverte des secrets de ce monde. Les mégastructures, les terres hostiles dont tu parles, mais aussi les Calices dont nous ignorons presque tout, ou encore ces bijuu qui nous sont encore inconnus ou totalement oubliés depuis des siècles. Par exemple, si on part du postulat de l’oubli, comment a-t-il était causé ? Pourquoi ? Par qui ? Pourquoi n’avons-nous aucune trace ? La Bibliothèque-Vivante serait-elle une source de réponse ? Bref. Des gens avec des idées parfois qualifiées de farfelus, tu en croiseras. En revanche, ne doute jamais de tes recherches et ne te laisse pas dicter le chemin que tu dois emprunter. »

A peine ma phrase terminé qu’une femme d’âge mûr au teint austère nous fit signe d’avancer. C’était maintenant au tour du rêveur de passer tout le cérémoniel d’admission.

« Nara Renpei, il vient de nous rejoindre aujourd’hui … »

Au premier abord, le Nara semblait réservé. Après quelques échanges, il semblait plutôt passionné. Et finalement, je pouvais confirmer qu’il était bien plus que cela. Un sentiment d’exaltation profond émanait de ses paroles, un discours plein de conviction qu’il cherchait à partager, de manière plus ou moins volontaire d’ailleurs. Une chose était certaine à mes yeux en tout cas. Le jeune garçon avait un besoin d’extérioriser le flux de ses pensées, de partager ses passions contrairement à bon nombre d’autres résidents des lieux qui aimaient cultiver les secrets et voiler leurs actes de mensonges.

Face à tant d’ardeur, je prenais là la partie de l’écoute, laissant le flot de parole s’écouler, attendant sagement qu’il se tarisse ou que son débiteur ne constate par lui-même l’étendue de ses palabres. C’est finalement l’amabilité ô combien bien absente de la douanière qui interpella mon interlocuteur et le força à stopper son envolée lyrique, du moins pour un temps. Quant à ce dernier, si je lui avais laissé tout le loisir pour s’exprimer, il était là en train de vivre une toute autre expérience. C’était de celles qui vous laissait un souvenir impérissable, mais un souvenir plein d’amertume.

L’affaire fut rapidement expédiée, l’acariâtre n’ayant strictement rien à faire des découvertes. Elle était là pour une bonne raison, une unique et administrative raison et rien d’autre, surtout pas les réjouissances d’un nouveau venu encore plein d’espoir qui, dans son esprit étriqué de fonctionnaire, aurait surement perdu toute motivation d’ici quelques semaines. Mais au moins, les choses étaient faites et nous pouvions finalement entrer. Devant nous, la ville se dévoiler enfin aux yeux du Nara, une cité immense bâtie dans un but précis, aujourd’hui utilisée dans une toute autre perspective, mais toujours autant animée.

« Ou allons-nous ? Au dortoir. Je vais te montrer ta chambrée. Les nouveaux venus en partagent une à deux dans un premier temps. Il faudra faire tes preuves d’une manière ou d’une autre avant que tu puisses bénéficier d’un peu plus d’intimité. Une fois que tu seras installé, je te montrerai les différents lieux importants, ceux dédiés aux études, les zones d’expérimentations, que ce soit les laboratoires où les zones externes, mais aussi la Grande Bibliothèque. Mais en attendant que tu poses tes affaires, parle-moi-donc de ta découverte. J’ai lu ton dossier, il parlait de tes recherches mais sans en mentionner les détails. Je dois avouer que tu as attisé ma curiosité »

Il y avait des moments qui n’avaient pas besoin de mots pour exprimer tout ce qu’une personne pouvait ressentir. En l’instant présent, le jeune Nara semblait vivre l’un de ces instants tout particuliers dans la vie d’un homme. La découverte de l’Ecole de Guerre était une chose. Si de prime abord pour les simples visiteurs cela représentait une certaine grandeur comparable aux plus grandes citées, pour celles et ceux qui étaient là dans un but plus ludique, destinées à quelconques recherches en tout genre, le paysage était encore plus grandiloquant.

Si la sobriété était de mise, les autorités avaient préféré mettre leurs moyens dans l’efficacité plutôt que dans la beauté. Quitte à dépenser de l’argent, autant que ce soit fait de manière utile et pragmatique plutôt que pour quelque chose de totalement futile. C’est pour cette raison que de manière générale, les plus grands et plus efficaces laboratoires étaient centralisés au sein de la Kabbale.

Mais pour l’heure, le temps était celui de la découverte et je laissais le jeune Renpei s’émerveiller de la situation dans laquelle il se trouvait. Après tout, il n’y avait qu’une seule première fois et il eut été dommage de gâcher ce plaisir éphémère en voulant œuvrer avec trop de sérieux. Le temps des devoirs envers le pays et des recherches pouvait bien attendre une journée. Même si certains travaux semblaient essentiels aux yeux de l’humanité, ce n’était pas l’arrivée d’un nouvel Alchimiste qui allait changer la face du monde.

« Il y a plusieurs moyens pour obtenir un laboratoire privé. Des résultats probants de manière régulière est l’une des méthodes pour y parvenir. L’un des autres moyens, entre autres, est d’étudier avec accord des autorité supérieures, des sujets potentiellement dangereux ou secrets nécessitant un isolement particulier. »

Attentive, j’écoutais avec une curiosité certaine le récit des découvertes du nouveau Kabbaliste. Mes recherches personnelles portaient sur un tout autre registre mais il fallait avouer que ses paroles laissaient planer une certaine utilité pour l’avenir. Pour autant, je n’étais pas certaine que tout le monde penserait de cette manière. Evaluer le potentiel pouvait pour d’autres s’apparenter à jouer avec le destin des gens et dans un monde où pour beaucoup le but est d’être au sommet, se voir limiter d’entrée de jeu pourrait être mal perçu.

« Pour l’heure, de ce que je comprends, les résultats sont purement empiriques ? Qui plus est, ils sont circonscrits au clan Usuzumi ? As-tu travaillé avec d’autre échantillons claniques ? As-tu également pu définir un modèle théorique de détermination de ce potentiel ? De plus, des premiers tests effectués, quel est le potentiel de fiabilité de ces tests ? Si ce n’était pas déjà prévu, je t’invite à te pencher sur ces études dans un premier temps. Il semblerait que tu possèdes déjà de solides bases de travail. »

D’un geste de la main, poursuivant la discussion initiale, je repoussais là la nécessité de s’écarter des lieux. Si mes travaux étaient quelques peu secrets, mes résultats, eux, étaient relativement connus au sein des Kabbalistes.

« Pour ma part, j’ai mis au point un liquide de préservation corporelle. Cela évite la dégénérescense des corps plongés dans ce liquide permettant leur étude ou d’autres applications. Aujourd’hui, je tends à améliorer le processus de sauvegarde de ce liquide afin qu’il permette aussi de soigner les blessures d’un corps immergé. Cela permettrait notamment d’avoir un moyen de soin à disposition même si ce dernier serait surement plus long que l’intervention d’un eiseinin compétent. »


A nouveau dehors, je dirigeais nos pas vers l’une des nombreuses officines où nous pouvions nous restaurer sereinement. Le temps filait rapidement et je commençais à avoir une certaine faim. Sur le chemin de l’un de quelques restaurants de la rue dans laquelle nous nous trouvions, je poursuivais nos échanges.

« Pour le moment, je pense que nous avons pratiquement fait le tour de l’essentiel. Après avoir déjeuné, je te montrerai les bibliothèques. En attendant, prenons le temps de profiter d’une pause méritée. Si tu as d’autres questions, c’est le moment. Si tu as des remarques, c’est le moment aussi d’ailleurs. Même s’il faut le faire en bonne intelligence, par moment, il ne faut pas hésiter à bousculer les choses pour que certaines évoluent. »

Etonnant que les Uzumaki aient laissés quelqu’un faire quelques prélèvements pour marcher sur ce qui se rapprochait de leur domaine de prédilection. Mais si en effet le jeune Nara avait contracté quelques dettes en échange, c’était peut-être un pari sur l’avenir. Après tout, ce n’est pas comme si notre sang pouvait profiter des fruits d’expériences de certaines personnes bien après leur disparition. Compte tenu de la vitalité qui nous habitait, ce n’aurait pas été la première fois qu’un Uzumaki survive à la naissance et la mort d’une personne.

« Seuls les ésotéristes de pacotilles pensent que le groupe sanguin a une incidence réelle sur la fatalité de nos vies. Mais il n’en est rien. La distinction de nos sangs a une réelle utilité, mais uniquement d’un point de vue médical. Pour le reste, du peu que tu me dis, cela ne m’étonne guère que tu n’aies rien trouvé directement dans le sang. En revanche, pour ce qui est des canaux chakratiques, il y a peut-être une option à creuser qui concerne la concentration chakratique dans le flux sanguin ainsi que la pression chakratique dégagée par quelqu’un qui malaxe ce dernier. Je ne suis pas experte dans ce domaine, mais je pense que cela vaut le coup d’orienter, du moins un temps, tes recherches en ce sens. »

Hélant la serveuse, surement exploitée par ses patrons étant donné sa mine légèrement déconfite, ou peut être harcelée par un client un peu trop lourd, je lui indiquais promptement ma commande, attendant que mon interlocuteur fasse de même avant de continuer notre échange.

« Pour ce qui est de mes recherches, je suis encore loin d’envisager une quelconque pâte à tartiner sur une blessure. Ce n’est pas mon but premier. Je vise quelque chose de plus universel et de plus complet. Peut-être que cette solution serait un palliatif ou une évolution de mes projets en cours, mais pour l’heure, j’ai encore fort à faire avant de présenter des résultats fonctionnels. »

En attendant que nos plats arrivent, le thé que j’avais commandé m’était servi et, tasse en mains, soufflant la chaleur qui se dégageait, j’offrais un regard perçant à travers les volutes de fumée.

« Pour revenir à tes besoin. Des cellules souche ? De la vivisection. C’est un terrain glisant qui ne plait pas à grand monde compte tenu de la moralité de certains ... » dis-je en avalant ma première gorgée de thé.
« … mais cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner cette idée. Il est possible de trouver ce que tu cherches si tu y mets le prix et si tu connais les bonnes personnes. Les évolutions scientifiques ne se font pas sans sacrifices. Accepterais-tu d’avoir cela sur la conscience ? »

Nous avions quelque peu échangé le jeune Nara et moi à l’époque où je l’avais soigné. Déjà, même plus jeune, il faisait preuve d’une motivation que bien des personnes de son âge n’avaient pas et n’auraient surement jamais. Aujourd’hui encore, il démontrait là qu’il avait un réel intérêt et un réel but à intégrer la Kabbale. Si nous avions tous nos projets et affaires personnelles à mener, notre institution était somme toute comme tous les clans et les nations. Si parmi les Alchimistes d’Etat il y avait des personnes plus que talentueuses, certaines étaient également présentes pour mener une vie relativement tranquille en faisant le strict minimum. Mais ce Renpei n’était pas de cette trempe et avait le potentiel pour évoluer au sein de notre caste.

« Combler ses lacunes pour avancer, c’est une chose essentielle. En revanche, identifier quelles sont ses lacunes et les accepter en tant que tel est d’un tout autre niveau. A t’écouter, je comprends que tu sais quels sont tes besoins. Ne les perds surtout pas de vue, bon nombre de chercheurs à un moment donné de leur vie se voilent la face et perdent leur objectivité ou leur lucidité, voire pire, les deux à la fois. Sache qu’il n’y a rien de plus improductif qu’une personne qui n’acceptent plus d’ouvrir les yeux face à la réalité. »

Observant en silence mon interlocuteur, je marquais un temps de pause, offrant un regard intense de longues secondes avant de poursuivre avec toute la rigueur que je pouvais offrir.

« Si ce n’est pas déjà le cas pour toi, personne n’est dupe et si personne n’en parle c’est que chacun agit de même. Dans la majorité des cas, l’ensemble de nos travaux ont des buts connus de tous afin qu’une aide substantielle puisse être apportée à qui veut. Mais il y a aussi les buts que chacun garde dans les recoins les plus secrets de leurs esprits. Il en va de même pour mes travaux. Tu veux m’assister dans mes recherches ? Soit. Prouve-moi d’abord que tu es digne d’être mon assistant. J’ai intégré la Kabbale que tu n’étais pas encore né. Des talents prometteurs, j’en ai croisé alors crois-moi quand je te dis que je suis exigeante. Si tu t’en montre digne, tu pourras participer à mes recherches principales. Pour le reste, il te faudra faire à nouveau tes preuves et sache que ce sera encore plus long et plus difficile, que la moindre faille te fermera les portes de mes expériences. Suis-je claire ? »

Le but de tout cela n’était nullement d’effrayer le jeune homme, mais plutôt de lui inculquer une leçon importante. Seuls les plus méritants pouvaient espérer me seconder et depuis plus de vingt-cinq années maintenant, cela avait été chose rare …

Finalement servis, je prenais plaisir à entamer mon repas, mon ventre gargouillant me rappelant à la réalité de la faim qui me tirailler. Il faut dire qu’à attendre le nouvel élève à l’entrée de l’Ecole de Guerre, j’en avais sauté un repas et que je le sentais bien. Mais ce n’était pas me remplir l’estomac qui était le plus intéressant, mais bel et bien la conversation qui avait lieu en même temps. Cellules souches et vivisection. Deux éléments qui pourraient faire grincer quelques dents. J’étais curieuse de connaitre la réponse du petit savant fou.

« Si ma curiosité est certaine, tu te trompes sur un point. Je suis loin d’être muselée comme tu le suggère. Si cela arrive à certain ici, il faut savoir se libérer de ses chaines le moment venu. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Trop d’ambitieux se sont brulés les ailes à vouloir voler trop haut et trop vite. Les recherches que nous menons sont un marathon, pas un sprint. Parfois, il faut savoir laisser courir un lièvre devant nous pour le sacrifier le moment venu. Quant à cette humanité perdue, ce n’est qu’une vision de l’esprit. J’estime qu’il n’y a pas d’avancées majeures, quels que soient les domaines, sans des sacrifices. Il faut juste avoir la main sure le moment venu. As-tu déjà pris la vie de quelqu’un ? Ah, et vu ta tête, dis-toi que ce que l’on sert ici fait surement partie de ce qui se fait de mieux. Il faudra t’y habituer hélas, il y a bien pire en termes de gastronomie. »

Si certains éminents cerveaux résidaient entre ces murs, tous les membres de cette grande institution n’étaient pas des génies en puissance. Moi-même, j’étais loin d’être la plus talentueuse, mais séparant le bon grain de l’ivraie, je me savais tout de même largement au-dessus de la moyenne. Pour cette simple raison, j’évitais autant que possible de me mêler à celles et ceux qui ne n’apporteraient rien à mes projets, ce serait pour moi une perte de temps que de converser avec eux. C’est aussi pour cette raison que je n’avais aucun apprenti avec moi. Depuis le temps que j’arpentais ces murs, j’avais croisé quelques jeunes gens au potentiel probable, mais pas autant que le jeune Nara. C’est pour cette raison que notre échange se poursuivais. J’aurais pu lui montrer ce qu’il y avait à voir et le lâcher, le laisser gérer ses affaires, mais j’étais curieuses de ce qu’il avait encore à dire.

« Les faits sont importants. Ils sont primordiaux même. C’est sur eux que se basent l’essentiel de nos connaissances réelles de ce monde. Les faits sont le socle de tout. Pour autant, n’oublie jamais que les faits démontrés au fil des décennies l’ont été car une personne a écouté une rumeur, a entendu une légende, un folklore ou a tout simplement suivi sa folle intuition. Aujourd’hui, en l’état de nos connaissances du monde, du chakra, des calices, des bijuus et de tout le reste, la frontière entre réalité et mythe est mince et fluctuante. C’est à nous de la faire vibrer et de dire ce qui est vrai et ce qui est faux. »

Renpei était encore jeune. C’était à mon sens normal d’avoir un tel esprit de radicalité. Côtoyer d’autres pairs ici, certains plus expérimentés, d’autres plus intelligents lui offrirait s surement à terme une autre vision des choses une vision moins stricte, plus souple, enclin à creuser et enquêter au lieu de se baser uniquement sur ce qui est réel et connu.

« Il n’y aura pas d’épreuves. Un test n’est qu’un élément à l’instant T. J’ai besoin de régularité. En revanche, n’agit pas avec précipitation. Vouloir obtenir à tout prix des résultats est le meilleur moyen de ne rien réussir. Parfois, il faut des années pour parvenir à un résultat tangible. Sache que je ne t’ordonnerais rien. Tu n’es pas mon élève et je ne suis pas ton mentor. Aujourd’hui je ne suis que ton guide. Si tu veux que cela change, à toi de faire en sorte d’attiser mon intérêt. Sache tout de même que j’aurais un regard avisé sur tes actions. »

Reculée sur le dossier de la chaise relativement confortable, je sortais d’une poche de ma veste mon kiseru, cette longue et fine pipe. La mienne était métallique, rudimentaire et ça m’allait très bien. Bourrant le foyer, j’allumais le tabac et tirais une première bouffée que je relâchais au-dessus de nos têtes.

« Prendre une vie n’est pas chose anodine. Ce n’est pas un critère de recrutement. Cependant, dans ce que tu me disais tout à l’heure, le but et les besoins de tes recherches, tu seras surement amené à faire ce genre de sacrifice. Soit en conscient. L’exemple le plus flagrant étant celui de la vivisection. Ne t’attends pas à ce que cela se passe en douceur. Si tu n’es pas prêt à lire la souffrance et la supplication dans le regard de ton cobaye alors ne t’orientes pas dans cette voie. »

A travers quelques volutes de fumée, mon regard jusqu’à présent amical était devenu plus rude, plus grave. Des vies, j’en avais pris, certaines volontairement, d’autres non, mais aujourd’hui, si cela ne me faisait plus rien, la mort faisant partie intégrante de la vie, dans mes jeunes années, je percevais les choses autrement et certaines actions que je pourrais mener aujourd’hui auraient été impossibles à l’époque.

Levant la main, je hélais la serveuse afin d’obtenir la carte des quelques desserts qu’ils savaient faire. C’était surement ce qu’il y avait de plus potable alors autant ne pas s’en priver. Reprenant un air plus enjoué, je lançais une nouvelle réplique à mon jeune interlocuteur.

« Maintenant, si tu préfères tuer un innocent, j’ai quelques noms à te fournir si tu veux hahaha ! »

Une boutade qui me fit rire.

Une boutade ?

Le bien était souvent l’ennemi du mieux et à vouloir assurer la perfection, l’homme avait tendance à sombrer fatalement dans les détails, se perdant dans les méandres de l’infini absolu et de l’excellence brute. Renpei voulait d’une certaine manière transcender la connaissance. C’était un but louable, seulement, tout le monde n’était pas prêt à accueillir en son esprit un tel savoir.

« Tendre l’oreille est une chose essentielle si l’on veut évoluer sereinement en eaux troubles. Cependant, n’oublie pas que sur l’océan de la connaissance, tu n’es pas le seul à y naviguer. Certains radeaux pourraient apprécier ton aide, mais d’autres navires pourraient juste vouloir profiter de ton hospitalité. A toi de savoir juger si tu fais monter à ton bord des érudits en devenir, d’honorables savants ou des pirates venus piller ce que tu as à offrir. »

Pour certains, ces paroles pourraient se valoir rabat-joie. Pour autant, cela tenait plus de l’avertissement qu’autre chose. Le Nara était encore jeune et son enthousiasme pouvait lui jouer des tours. Je pourrais tout aussi bien le laisser s’élancer seul et se bruler les ailes, qu’il apprenne les leçons de la vie de manière rude, mais le potentiel du garçon était suffisamment intéressant pour le pas commencer tout de suite à l’éroder. Il était prometteur, avait des idées et surtout des idées intéressantes, alors autant le préserver un peu plus longtemps du marasme général.

« Je parlais effectivement de vivisection ou de test réalisés sur les humains, mais il n’y a pas que cela. L’Alchimie offre des possibilités qui ne sont pas accessibles aux non-initiés. »

Notre collation terminée, je m’étais levée et voilà que nous déambulions à l’orée d’un petit parc qui manquait quelque peu d’entretien. Au terme de mes dernières mots, je me concentrais quelques secondes et laisser infuser la puissance philosophale à travers mon corps. Posant ma main sur un tronc d’arbre, les feuilles de ce dernier s’éclaircir à nouveau, les quelques bourgeons présents commençant à grossir et à ressembler à de futurs fruits. Quant au parterre au sol, l’herbe se reverdi et les fleurs émergèrent du sol dans un mélange coloré.

« Les possibilité vont de pair avec l’imagination. Seulement, si ce que je viens de faire est réalisable, tu te doutes bien que l’inverse est aussi possible. C’est pourquoi la connaissance est une chose, mais savoir à qui elle en profite en est une autre. »

Poursuivant notre route, je continuais à montrer quelques bâtiments ici et là avant de stopper notre marche sur une autre place, un peu plus fréquentée cette vois vu l’heure de la journée.

« Eh bien. Je crois que nous avons fait le tour de l’essentiel. As-tu d’autres questions ou d’autres besoins ? Si ce n’est pas le cas, alors je n’ai plus qu’à te souhaiter une bonne installation et bonne chance. Nous serons amenés à nous recroiser rapidement, je n’en doute pas. »