Les évènements récents avaient complètement bouleversé la vie de Tenma. Si la mort ne lui avait jamais fait peur, c’était en quelque sorte une forme de liberté mais également une part du cycle de la vie, la destruction et les cataclysmes l’avaient profondément atteint. L’égoïsme et la stupidité humaine aussi. Il n’était généralement pas des plus préoccupé du destin des autres, mais il n’était pas pour autant insensible. En arrivant à Chowa, là où les rumeurs l’avaient mené, il avait découvert une population en déroute et surtout prête à se retourner contre elle-même. Quand certains fuyaient, d’autres les pillaient. Il n’y avait aucune collaboration entre les anciens voisins, ou même avec les manipulateurs de chakra pourtant venu les aider. Du moins pour la plupart.
Ainsi, quand tout fut terminé, le manipulateur de fils noirs retourna sans attendre à Ame. Sa ville d’adoption. Il s’y sentait bien, et surtout en sécurité. Sa curiosité l’avait pratiquement mené sur les rives d’un affrontement colossale, où il aurait pu perdre la vie. Maintenant, il devait se reposer. Mais il voulait également comprendre l’étendue de ses capacités liées au Jiongu.

Comparé à d’autres membres de son clan, il avait quitté les siens relativement jeune et il n’avait certainement pas eu le temps d’apprendre à bien maîtriser ses techniques. Jusqu’à présent, il les avait utilisés par instinct sans réfléchir à une manière plus optimisée de les employer. Pour cela la ville de la Pluie était l’endroit parfait. Il put se fournir en équipement, tout en étudiant ses limites en toute tranquillité.

Toutefois, cela ne suffit rapidement plus à Tenma. S’il était toujours fatigué, ou qu’il n’avait toujours pas une maîtrise parfaite de ses capacités, il ne tenait plus en place. Les hauts bâtiments et la population dense devenaient comme une prison à ciel ouvert pour lui. Il avait besoin de bouger. Il avait besoin d’explorer. À plusieurs reprises, il avait sondé le pays de Kome et son choix se porta donc sur Hametsu. Le pays en ruine. Il n’avait jamais eu l’occasion de découvrir cette région du monde, ou très brièvement lors d’un voyage.

Malheureusement, il lui fallut moins d’une journée de marche pour être confronté à la réalité de la contrée et pour comprendre l’origine de son nom. Le premier village qu’il rencontra, si on pouvait l’appeler ainsi, n’était plus habité par des Hommes mais plutôt des ombres. Ils ne marchaient pas dans les rues, mais déambulaient comme si leur vie n’avait plus de sens. Ils semblaient vaciller aux limites entre la vie et la mort. Pourtant ce ne fut pas le pire.
À la lisière de la bourgade, trois hommes un peu plus remplumés que les autres, et mieux armés, semblaient s’en prendre à un enfant. À moins que ce ne soit un jeune adulte mal nourri ? Bref, le désespoir emporta à nouveau quand il comprit que la compassion semblait avoir disparue en même que la nourriture dans ce village. D’un pas décidé mais las, il se dirigea vers la bande de malfrats prêt à les faire déguerpir et à utiliser la violence si nécessaire.

Tandis qu’il s’avançait d’un pas nonchalant vers les trois malandrins, Tenma crut jusqu’au bout qu’il allait devoir user de la violence pour les éloigner de la pauvre victime. Le problème n’était pas de se battre, dans l’absolu ce n’était rien, mais de protéger les humains d’eux-mêmes. Il avait vécu une situation similaire à Chowa, et cela lui avait laissé un goût amer en bouche. Lui qui était un si grand partisan de la liberté, que ce soit la sienne ou celle des autres, il n’arrivait pas à imaginer que l’on puisse s’en prendre aux autres gratuitement. Après tout un sage avait dit « Notre liberté s’arrête là où commence celle des autres », et il comptait bien appliquer ce précepte.

Cependant, alors qu’il se trouvait à une dizaine de mètres du groupe, une cinquième personne fit son entrée. Le Fujimi n’était pas totalement sûr de ce que le nouveau venu allait faire, mais rapidement il comprit que ses objectifs étaient les même que les siens. Sans dire un seul mot, trois mains de sables surgirent de nulle part et saisirent les trois hommes pour les écarter. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il prit la parole pour leur sommer de déguerpir.
La voix grave, et emprunt d’autorité, résonna jusque dans les os du manipulateur de fils noirs. Comme subjugué par l’homme, il ne put s’empêcher de le détailler de la tête au pied. L’inconnu semblait largement plus âgé que lui, et pourtant il n’avait pas perdu de sa force si ce n’est qu’il devait avoir quelques difficultés à se déplacer. D’où il était, Tenma comprit directement qu’il avait devant lui un manipulateur de chakra puissant et bien entrainé. Le premier venu n’aurait pas pu se débarrasser aussi facilement de trois adversaires, même avec les capacités offertes par le chakra.

Après l’avoir observé pendant plusieurs longues secondes, il secoua la tête et s’approcha de l’homme. Il ne voulait pas particulièrement le remercier, en même temps c’était un hasard qu’il ait agi avant lui, mais il était curieux d’en apprendre plus sur lui. Pourquoi avoir déclaré qu’il s’agissait de son territoire ? Était-il un dirigeant du Pays en Ruine ? Il y avait peu de chance que ce soit vrai… Le Fujimi se racla la gorge.

— Je vois qu’il reste des personnes pour se préoccuper des autres… La société entière ne s’est donc pas écroulée dans la sauvagerie. Il marqua une légère pause, avant de se courber légèrement en avant. Je ne connaissais pas cet enfant, mais merci de l’avoir aidé. Il ne méritait pas de mourir de la main de ces trois imbéciles.

Bien qu’il se soit approché pour discuter avec lui, le manieur de Jiongu restait sur ses gardes. Il ne connaissait pas son interlocuteur. Il aurait très bien pu s’agir d’un fou qui se prend pour le roi d’un pays qui n’existe plus. Son prochain « ennemi » pourrait aussi bien être un passant que lui. Il devait se montrer prudent.

Le Fujimi observa à nouveau l’homme qui se tenait devant lui, mais pas uniquement. Si son charisme naturel attirait obligatoirement l’attention, ce n’était pas le seul trait marquant chez lui. Il semblait être une force de la nature, calme et imprévisible. Son visage restait fermé, et ne laissait pratiquement rien transparaitre. Comme un roc au milieu de la tempête. Justement cette dernière commençait à s’agiter autour d’eux. Si les trois individus avaient rapidement disparu après l’intervention, les ombres se déplaçaient autour du duo. Du coin de l’œil, Tenma pouvait observer de rapides mouvements, et surtout les regards braqués sur eux. Ils avaient attiré l’attention de personnes que l’on ne voulait pas nécessairement déranger.

— En effet, j’ai pu constater au cours de mes voyages que l’égoïsme de l’Homme, et sa stupidité, n’ont pas de limites… Mais vous dites vouloir apporter du changement, comment ? Seul cela me parait compliqué.

Le manipulateur nota également la détermination dans la voix de son interlocuteur. Ce n’était pas la difficulté, ou la charge de travail à accomplir, qui allaient le faire fuir. Au contraire, cela semblait renforcer sa détermination.

— Dans tous les cas, si je peux vous prêter mon concours… Je serais bien curieux de voir où ce projet va vous mener.

Pour Tenma, la liberté prenait tout un tas de forme. La liberté de mouvement était certes l’une des plus importante à ses yeux, mais ce n’était pas la seule. Celle de pouvoir prendre ses propres décisions, et de vivre sa vie comme on l’entend sont également deux préceptes très importants. Et par la force du Destin, on avait retiré ses options aux pauvres habitants d’Hametsu. Ils étaient coincés entre la survie et le harcèlement de petites frappes qui leur enlevaient le peu qu’ils possédaient.
Ainsi, plus il y réfléchissait, plus la situation du pays l’exaspérait. Il sentait la rage qui commençait à bouillonner en lui. Être piéger, la pire situation qui puisse exister à ses yeux. Bien trop souvent, la population se plaignait de sa situation sans tenter quoique ce soit pour y remédier. Ceux-là se piégeaient eux-mêmes, et le manipulateur de fils noirs n’avait aucune pitié pour eux. Toutefois les habitants, pour la majorité, des villages du pays en ruine se battaient pour vivre mais ne parvenaient qu’à survivre.

Au fil de ses pensées, le regard du jeune homme se durcit à cause de sa détermination. À sa curiosité s’était ajouter une nouvelle fureur. Une rage froide qui brûlait d’envie d’améliorer la situation, ou au moins d’y participer. Il avait envie de participer aux projets de l’inconnu face à lui. D’autant plus que les mouvements dans les ombres environnantes, de moins en moins subtiles, ne faisaient que jeter de l’huile sur le feu.

— J’ai l’impression que nos trois amis ont été chercher des renforts… lâcha-t-il à voix basse.

— Quand un projet est noble, il est naturel qu’il attire de nombreux partisans.

Il était indéniable que l’homme face à lui possédait un charisme naturel. Rien que part sa présence, il imposait un certain respect que Tenma ne pouvait nier. Il n’avait connu que très peu de personnes ayant une telle prestance, et ils avaient tous deux points en commun : de l’expérience et de l’empathie. D’autres essayaient de gouverner par la force ou la peur, mais cela ne fonctionnait jamais sur le long terme. Cette illusion de pouvoir, ou de charisme, ne tenait jamais sur le long terme.
Encore une fois, il avait un exemple sous les yeux. Les trois agresseurs, qui se prenaient certainement pour des chefs ou des leadeurs, revenaient à la charge avec d’autres complices. Ils devaient croire que tout leur était permis, et n’avaient pas apprécié qu’un inconnu les remette à leur place. De leur point de vue, leur honneur devait avoir été bafoué. Ils étaient ridiculisés devant « leur » peuple. Ils devaient donc prendre leur revanche.
Justement, du coin de l’œil, le manipulateur de fils noirs vit que les silhouettes devenaient de plus en plus précises. Bien qu’il ne put pas réellement compter leur nombre, il était au moins sûr qu’ils étaient deux fois plus nombreux. Et tout autant déterminés à en découdre. Toutefois, Tenma ne manquait pas de détermination non plus. Tout en prenant la parole, il enfonça doucement le bras dans sa manche gauche pour y attraper un rouleau.

— Je peux m’en occuper seul. Ce ne sont pas des petites frappes qui vont me faire peur.

Le Fujimi sentait bien qu’il s’agissait d’une évaluation de la part de son ainé. Son projet devait lui tenir à cœur, et il ne devait pas vouloir y intégrer n’importe qui. C’était compréhensible. Toujours avec la même délicatesse, il posa le rouleau au sol et l’ouvrit. Un seul symbole y était dessiné. Un mouvement de la main du jeune homme le fit briller, et une arme se matérialisa à la place. Un tsukobō. Tenma le souleva avant de se tourner vers les malandrins.

— Je vous préviens, ce sera la seule fois que j’utiliserai des méthodes non léthales. Si vous persistez, les prochaines seront plus… tranchantes.

Ensuite, tout bougea très rapidement. Au moment même où les adversaires firent leurs premiers pas, un flot de fils noirs émergea des deux mains du manieur de Jiongu. En un instant, une étrange créature aussi noire que la nuit se forma. Elle tenait, dans ce qui lui servait de mains, l’arme contondante qu’elle balança de gauche à droite dès qu’un adversaire fut à sa portée. La monstruosité, dont les proportions paraissaient étranges, était étonnamment souple et rapide pour sa taille. Elle possédait également une force insoupçonnée qui lui permettait de faire valser ses ennemis sur plusieurs mètres.
Si le groupe d’assaillant possédait une très bonne cohésion, cela ne fut pas suffisant pour s’opposer à un manipulateur de chakra. Certains arrivèrent à porter plusieurs coups à la créature, mais cela sembla rester sans effets. Les coups passaient à travers les fils noirs qui le composait sans l’affecter. Bref, malgré leur nombre, ils étaient dominés.

Sans effectuer de mouvements, Tenma observa la monstruosité mettre au tapis les adversaires un à un. Aucun d’entre eux ne semblait maîtriser le chakra, ils avaient donc tenté la supériorité numérique comme seul avantage. Toutefois, il n’avait pas un mais bien deux éveillés face à eux. Il ne connaissait pas les capacités de l’homme d’âge mur, mais celui-ci semblait être une force tranquille. Le Fujimi n’avait été témoin que d’une fraction de son pouvoir, et pourtant cela lui avait suffit pour estimer sa puissance. Il était au moins aussi fort que lui, si pas plus ! Le collectionneur de cœurs ne pouvait donc pas se permettre de perdre.
Toutefois, alors que la majorité des brigands étaient assommés, la voix forte de l’ancien résonna derrière lui. Il lui suggérait de terminer le travail, et sous-entendait donc de les tuer. D’un côté, il n’avait pas tort. Ce n’était qu’en montrant l’exemple que les gens comprenaient. Ils devaient comprendre que ce n’était pas qu’un jeu, que leur vie était réellement en jeu. D’un autre côté, ce genre de résonnements induisaient souvent un cycle de haine. S’ils mouraient tous, des complices chercheront certainement à se venger. Bref, un dilemme que Tenma expédia rapidement.

— Je me contenterai d’un exemple pour cette fois-ci, un massacre ne servira pas votre cause. D’autant plus que nous avons des spectateurs…

Les cris et les coups échangés, bien qu’ils n’allassent que dans un sens, avaient attirés de nombreux observateurs. Ils restaient cachés derrière des buissons ou des murets à moitié écroulés, mais ils étaient là. Ces personnes avaient certainement été persécutés par les brigands. Ces derniers, dans leur grande stupidité, avaient cru régner sur la région… Cependant, la population avait suffisamment souffert et Tenma ne voulait pas leur dépeindre un tableau qui resterait certainement gravé dans leur esprit… Le jeune homme cria alors d’une voix forte.

— Qui est votre chef ? Qui est l’imbécile qui vous commande ?

Parmi les rares à être encore debout, l’un d’entre eux bomba légèrement le torse avant d’afficher un sourire carnassier. Il n’y avait aucun doute qu’il se croyait supérieur à ses subordonnés, ou que ses adversaires.

— C’est moi le boss ici. Alors viens m’affronter toi-même au lieu de te cacher derrière ta créature, sale lâche. Je te mettrai la plus grosse raclée de ta vie, tu retourna pleurer dans les jupes de ta mère.

Son regard toujours aussi las face à stupidité de certains, Tenma se contenta de soupirer et de claquer des doigts. Dans une contraction aussi rapidement que puissante, la monstruosité de fils noirs se propulsa vers l’homme qui s’était déclaré comme le chef et l’immobilisa à l’aide de son arme. Le ninja, quant à lui, s’approcha beaucoup plus lentement. À quoi cela servait-il de se presser ? Il n’était pas prêt de partir de toute façon. Lorsqu’il reprit la parole, il s’assura que tout le monde.

— Je déteste prendre des vies inutilement, alors je ferai en sorte que la tienne serve à quelque chose… Tu pourras être fier de ça au moins.

D’un geste rapide et précis, sa main droite s’enfonça au niveau du cœur de l’homme immobilisé. Des fils noirs s’échappèrent alors de sa main avant d’englober l’organe et de l’absorber. Cela faisait un moment qu’il n’avait plus effectué cette technique, mais cela lui procurait toujours autant de plaisir. Alors qu’il assimilait le cœur, il eut l’impression que la vie elle-même s’écoulait dans ses veines. La sensation était difficilement descriptible, mais une chose était certaine. Elle était inégalable.

Les deux alliés de circonstances ne se connaissaient pas, mais Tenma n’avait pas la moindre intention de le décevoir. En fait, il ne voulait pas perdre ou même laisser sous-entendre que ces vauriens pourraient avoir le dessus sur lui. Il n’était pas quelqu’un de particulièrement violent, et pour cause il voulait respecter les volontés de chacun, mais ce n’était pas pour autant un lâche. Il avait une certaine fierté après tout.
Tandis qu’il absorbait le cœur du bandit, un sourire béat s’afficha sur son visage. S’il avait pu, il l’aurait bien réfréné mais c’était plus fort que lui. Bien qu’il n’ait pas assimilé un grand nombre d’organes, cela faisait toujours le même effet au collectionneur. Une sensation de bien-être et de bonheur envahissait son corps. À chaque battement, son sang répandait un peu plus loin les effets de la fusion. À chaque seconde qui passait, il se sentait un peu mieux. Toutefois, la voix de stentor du septuagénaire le ramena brusquement à la réalité et l’extirpa de ses rêveries.

— Je le sais. Malheureusement, mes techniques ne se prêtent pas toujours à la finesse ou à la discrétion.

Il ne précisa pas qu’il aurait pu trancher la gorge de son adversaire, ou simplement lui briser la nuque à l’aide de sa monstruosité armée. Cependant, il aurait perdu une occasion en or de récupérer un cœur en bonne santé. Si son ancien propriétaire ne manipulait pas le chakra, il était tout de même en bonne condition physique. D’autant plus qu’il ne présentait aucun signe de sous-nutrition, ce qui était assez rare dans un pays en ruine comme celui-ci.

Alors qu’il allait ajouter quelques mots, ce fut autour de l’homme à le chevelure blanche de passer à l’action. Il effectua une série de mûdras, beaucoup plus rapidement qu’il n’en aurait été capable, et le sol se mit à trembler. Enfin pas exactement. Il s’effritait. En quelques secondes, une large couche de sable se forma et avala les assaillants à terre. Qu’ils fussent conscients ou non, cela ne changea rien. Ils n’avaient aucune chance face aux sables mouvants. Ces derniers ensevelirent hommes comme femmes avant de recracher des taches écarlates. Le manipulateur de fils noirs comprit immédiatement qu’il s’agissait du sang des victimes, qui étaient maintenant broyées et enterrées. Il n’avait pas fallu une minute pour en terminer.
Tenma était partagé entre l’effroi et l’admiration envers l’inconnu. Plus que jamais, le combat lui avait paru à sens unique. Ils n’avaient jamais eu la moindre chance de l’emporter. Cela termina de convaincre le Fujimi qu’il devait être un allié du mystérieux combattant plutôt qu’un adversaire. Face à son ninjutsu, il n’était pas certain de tenir très longtemps.

— Je vois que vous ne faites pas dans la dentelle non plus, mais au moins c’est efficace. Il n’y a plus la moindre trace de l’affrontement, si on peut appeler ça ainsi…

À bien y réfléchir, il s’agissait plus d’un massacre qu’autre chose. Le collectionneur de cœur ne regrettait pas le moins du monde d’y avoir participer. Après tout, ils avaient cherché la confrontation et il en payait les conséquences. Tandis que la monstruosité se plaçait derrière lui, comme au repos, il ajouta.

— Par contre, il va falloir gérer la population… Je ne suis pas certain qu’elle nous acclame comme des héros après ce qu’on vient de faire.

En écoutant les paroles de son interlocuteur, Tenma sourit intérieurement. Malgré son apparence assez jeune, il était plus vieux qu’il ne le laissait paraitre et grâce à ça, ses adversaires avaient tendance à le sous-estimer. Il était loin du vénérable âge du manipulateur de sable, mais il n’était plus un « garçon » comme son corps le laissait croire. Bien qu’il ait développé ses capacités au combat que récemment, il restait plus fort qu’on ne pourrait le croire. Du moins, il avait plus d’expérience qu’un jeune d’une vingtaine n’en possédait. En fait, pendant de longues années, il s’était contenté de voyager et d’explorer différentes régions du continent sans réellement cultiver ses techniques. Ce n’était que lors d’évènements récents que le manipulateur de fils noirs avait fait un bond fulgurant.
Ainsi le Fujimi ne fut pas totalement d’accord avec les paroles de l’homme face à lui. S’il arrivait bien trop souvent que la violence soit l’unique solution, et la plus efficace, ce n’était pas toujours le cas. Il fallait parfois laisser la liberté de choisir son destin. En fait, Tenma essayait de l’appliquer le plus souvent possible. Il était bien conscient que ce n’était pas une chose aisée, ou même réaliste dans un monde comme celui-ci, mais il voulait essayer. Qu’avait-il à y perdre ? Toutefois, il se contenta d’hocher la tête face au commentaire du septuagénaire.

Puis ce dernier lui fit une proposition à laquelle, il ne s’attendait absolument pas. Explorer le pays du nord au sud aux côtés de l’inconnu.  Il resta interdit quelques instants, le temps qu’un nuage de sable ne se forme devant, pour réfléchir à la suggestion. Ils ne se connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, et pourtant ils étaient sur le point de partir en quête de nouveaux territoires. L’idée que cela puisse être un piège traversa l’esprit du collectionneur de cœurs, mais il la chassa aussi vite qu’elle était arrivée. Le fait de pouvoir voyager sur un nuage de sable et d’explorer d’une nouvelle façon le pays en ruine l’emporta aisément.

Avant même de répondre quoique ce soit, il se tourna vers la monstruosité de fils noirs pour l’absorber à nouveau et récupérer l’arme qu’elle portait, avant de la sceller à nouveau dans un parchemin. Tenma fit ensuite face à la population qui se cachait tant bien que mal, et s’inclina à 90°.

— Je m’excuse pour les désagréments que nous vous avons causés. Puissiez-vous connaitre la Liberté.

Sur ces quelques mots, il se retourna et monta sur le nuage de sable que lui proposait son acolyte. La sensation était étrange mais pas désagréable. Malgré les apparences, le support était plutôt solide et ne s’affaissa pas sous le pied du Fujimi. Une fois qu’il fut bien ancré, ils décolèrent à une vitesse plus élevée qu’il ne l’aurait soupçonnée. Il ne leur fallut pas très longtemps pour que le village disparaisse, et qu’ils soient donc loin de toutes oreilles indiscrètes.

— Si nous sommes amenés à collaborer, il serait intéressant que nous dévoilions nos noms ? Du moins, suffisamment pour que l’on puisse communiquer. Il marqua une légère pose, avant de se pencher une nouvelle fois. Mon nom est Tenma.

Spoiler:

Derrière eux, le village rapetissa rapidement avant de disparaitre complètement. En fait, le paysage défila plus vite que Tenma l’aurait cru possible. Il avait rarement l’occasion de voyager autrement qu’à pied, et les rares moyens de transports qu’il avait empruntés étaient loin d’atteindre une telle vitesse. Pendant un instant, il décida de fermer les yeux et de profiter du moment. Il ressentait le vent sur son visage et dans ses cheveux. Un frisson d’excitation le parcourait de la racine de ses cheveux jusqu’à la pointe de ses orteils. Il était heureux d’être là, de pouvoir expérimenter ces nouvelles sensations.

Quand il jugea être suffisamment loin du village, il ouvrit les yeux et entama une conversation qui sera par la suite le fondement d’une alliance entre les deux Éveillés. Ils devaient commencer par la base, c’est-à-dire les présentations. Le Fujimi révéla son prénom en espérant que le septuagénaire en face de même et par chance, il ne tarda pas à révéler son patronyme.

— Entendu, Higure-san. Toutefois, comment dois-je vous appeler en public ? Sinon je peux tout aussi bien en choisir un pour vous… Shirō.

Autrement dit le Loup Blanc. Peu à peu un sourire espiègle s’afficha sur le visage de Tenma. Ce n’était généralement pas son genre de trouver des surnoms, mais celui-ci s’était imposé à lui. Higure lui faisait pensé sans aucune hésitation au canidé à la fourrure argentée. Que ce soit par son apparence, sa chevelure blanche ou même son comportement. S’il avait dû deviner son nom, c’est certainement la réponse qu’il aurait donnée.

— J’avoue que je ne connais pas très bien l’histoire du pays. Les découvertes et les paysages me passionnent bien plus que l’histoire. Je sais tout de même que le pays s’appelait autrefois Kusa, et qu’il a été ravagé par les guerres civiles. Cependant, mes connaissances s’arrêtent là.

Son regard glissa ensuite sur le paysage qui défilait autour d’eux. Si le relief n’avait pas beaucoup changé au cours des dernières années, le paysage était lui méconnaissable. Le pays était particulièrement plat, et composé de grandes plaines. Toutefois, si auparavant, il était complètement vert à cause de l’herbe, le pays avait maintenant une teinte plutôt grisâtre qui correspondait mieux à la désolation. La peur et le chagrin imprégnaient les lieux et quiconque traversait Hametsu pouvait le ressentir. D’autant plus que des brigands et malfrats profitaient de cette insécurité pour dépouiller les plus faible. Le collectionneur de cœur ne put que supposer qu’Higure voulait se battre contre cette injustice, mais il n’avait aucune idée des moyens qu’il voulait mettre en œuvre. Il n’avait pas le moindre indice sur ses plans. Tandis qu’il terminait de parler, Tenma l’incita du regard à développer le fond de sa pensée.

Tenma fixa l’individu face à lui pendant plusieurs secondes tandis que son sourire s’élargissait. Une chose assez rare chez lui.

— Shirō-san, ce sera alors ! Du moins, lorsque nous sommes en public. Le reste du temps, ce sera Higure-san.

Dans le fond, le prénom ou même le surnom lui importait peu tant qu’il pouvait le désigner d’une façon ou d’une autre. Bien entendu, son véritable nom restait préférable mais le collectionneur de cœurs était bien conscient que ce n’était pas toujours réaliste. Ayant fui les siens, et étant recherché par les Monzaemon au minimum, il savait à quel point les mots pouvaient être dangereux. Si le nom du manipulateur de sable arrivait aux mauvaises oreilles, cela pourrait se retourner contre lui et ses alliés. Dont le Fujimi faisait maintenant partie.

Tandis que ce dernier avouait sa faible connaissance du pays, son ainé lui expliqua qu’il avait connu le pays de Kusa avant les drames. Il lui décrivit, avec un certain regret dans la voix, à quoi ressemblait la contrée. De plus, il n’y avait pas besoin d’être particulièrement empathique pour remarquer la tristesse et la colère derrière les paroles d’Higure. Son ancienne patrie lui manquait, et il devait certainement en vouloir à ceux qui avaient causé cette déchéance. Toutefois, il s’arrêta net dans son histoire pour pointer du doigt un bâtiment qu’ils venaient de survoler.
Si Tenma ne l’avait pas remarqué au premier abord, la particularité lui sautait maintenant aux yeux. Non seulement la toiture particulière attirait le regard, mais l’état générale de la bâtisse captivait l’attention tellement le contraste était saisissant. Le bâtiment paraissait en bon état, trop même. On aurait dit une nouvelle construction si on le comparait aux rares maisons aux alentours.

— C’est vrai qu’elle dégage quelque chose… d’intriguant.

Tenma n’avait pas d’autres mots pour décrire ce qu’il ressentait. Il n’était pas doué en détection, mais l’endroit dégageait une certaine énergie que n’importe qui pouvait ressentir. Et cela l’intriguait d’autant plus.

Décidemment, Tenma avait du mal à cerner le manipulateur de sable. Lorsqu’il pensait savoir quelque chose à son propos, le collectionneur de cœurs découvrait qu’il y avait tout autant d’informations qu’il ne connaissait pas à son sujet. Un instant, il semblait aussi déterminé que renfermé. Complètement imperméable à ce qui pouvait se passer autour de lui, comme les expériences de la vie lui avaient laissé un goût amer sur la langue. Toutefois, la vue de l’étrange bâtisse semblait réveiller d’anciens souvenir chez l’homme. Si le nuage de sable se stabilisa près de l’entrée, Higure n’esquissa pas le moindre mouvement. Il était comme figé, le regard perdu dans le vague.
Le Fujimi n’attendit pas pour autant que son acolyte émerge pour quitter l’amas de sable qui flottait dans les airs. Sa curiosité prit rapidement le dessus. Le bâtiment l’intriguait, et il voulait savoir ce qu’il cachait. Il voulait en connaitre tous ses secrets. Cependant, il eut à peine posé un pied que d’immenses flammes jaillirent du sol.



L’entrée, qui mesurait plusieurs mètres de haut, était surmontée de plusieurs symboles. Si ceux-ci étaient restés ternes pendant de longues années, ils s’étaient illuminés au moment où un Éveillé avait posé le pied sur les dalles de pierre. Le chakra des individus avait activé d’anciens sceaux, et il permit à ceux-ci de libérer leurs pouvoir. Personne n’aurait pu deviner l’effet du Fuinjutsu, mais il fut rapidement évident que celui-ci avait un but dissuasif plutôt qu’offensif.
Tandis que de hautes flammes blanches s’élevait sur plusieurs mètres, quiconque y pénétrait pouvait ressentir une douce chaleur. On se rendait rapidement compte qu’elles n’étaient pas réelles. Qu’elles n’existaient que pour les yeux d’un observateur. Elles étaient dénuées de toute énergie et n’auraient pas été capables de brûler qui que ce soit.

Au bout d’une longue minute, les flammes perdirent en intensité jusqu’à disparaitre complètement. Elles s’étaient rétractées à l’intérieur du bâtiment, d’où elles étaient sorties. Elles n’avaient laissé aucune trace, si ce n’est sur la rétine des deux manipulateurs de chakra. À place, on pouvait observer l’immense entrée de la structure. Les symboles avaient récupéré leur gris habituel, et l’intérieur paraissait aussi sombre que les flammes avaient été lumineuses.



Par réflexe, Tenma faillit reculer et poser le second pied dans le vide, ce qui aurait pu lui être fatal, mais au dernier instant il se ressaisit. Il se stabilisa sur les dalles de pierre et observa les flammes danser autour de lui. C’était un spectacle aussi rare qu’impressionnant. Il n’avait jamais eu l’occasion d’observer le feu de cette façon. Particulièrement d’aussi près et sans se blesser. L’élément incandescent se reflétait dans ses pupilles, et on pouvait aisément y lire la passion et la curiosité. Le collectionneur de cœur fut presque déçu lors que les sceaux furent épuisé et que l’illusion se dissipa.
Cependant, cela ne le découragea pas pour autant d’avancer. Il fit quelques pas en avant, et se tourna vers son compagnon de voyage. Il n’avait plus de temps à perdre. La curiosité le dévorait de l’intérieur. Si bien, qu’à l’heure actuelle, les plans d’Higure et la restauration de Kusa passaient au second plan. Enfin presque. Il fallait qu’il en sache plus avant de pouvoir se concentrer à nouveau sur leurs objectifs.

— Vous venez ? J’imagine, que nous ne sommes pas venus pour observer uniquement la façade du bâtiment. Il doit certainement renfermer d’autres secrets.

Sans plus attendre, Tenma pénétra à l’intérieur du bâtiment. Le bruit de ses pas résonna sur les dalles de pierre, tandis que sa vision s’adaptait aux variations de luminosité. Pendant un court instant, il ne distingua plus grand-chose mais cela ne le perturba pas outre mesure. Il ne sentait aucune présence, mis à part celle d’Higure, et aucun piège ne s’était déclenché si on oubliait les flammes factices.
Rapidement, son attention fut attirée par les parois de la bâtisse. D’autres glyphes, qui brillaient légèrement dans la pénombre, y étaient gravées. Bien que certains symboles éveillassent de vagues souvenirs chez le Fujimi, il n’aurait su dire ce qu’ils signifiaient. Sa connaissance du Fuinjutsu était limitée aux symboles encore usités à l’heure actuelle. Il ne savait rien de ce qui se faisait en des temps plus reculés. Tout en observant de plus près, il traça certains symboles du bout des doigts.

— Je me demande quel est l’étendue du savoir perdu par l’Homme au fil des siècles…

Le collectionneur de cœurs était persuadé qu’il y avait autant de chose à découvrir dans le monde, que de savoirs qui avaient été oubliés. Les civilisations passées n’étaient pas nécessairement plus bêtes que celles du présent, ou même du futur. Il était indéniable que certaines connaissances ou techniques avaient été perdues au cours du temps. Et peut-être que cet étrange bâtiment était une arche de ce savoir perdu ?

— Pas plus que la moyenne, je pense. Toutefois, je suis peut-être un peu plus rusé.

Tenma avisa un pavé au sol suffisamment large, et y posa le plat de sa main. Il se concentra quelques secondes. Lorsqu’il recula un symbole noir, fait de la même matière que ses fils, occupait la place. Il s’agissait d’un sceau-balise dont l’objectif était double : retrouver son chemin et cartographier les lieux. Grâce à celui-ci, les fils s’étendait sur plusieurs mètres dans le sol, ce qui lui permettait d’avoir une vague idée de la disposition des lieux, mais il savait également où il se trouvait au mètre près. Ce qui pourrait s’avérer utile dans l’exploration du bâtiment.

— Si je fais ça à chaque intersection, on devrait s’en sortir sans trop de difficultés.

Cependant, le Fujimi n’avait aucune idée de la portée de ses sceaux. S’il était certain de pouvoir les maintenir assez longtemps, ils ne demandaient pas énormément de chakra, il ne savait pas jusqu’où il pourrait les détecter. Ainsi, il préféra garder ses doutes pour lui-même afin de pas inquiéter inutilement son ainé. Après tout, le bâtiment ne pouvait pas non plus être si grand que ça.

Étrangement, Tenma s’était préparé à beaucoup d’éventualité mais pas à ce qui se produisit. Bien entendu, il avait imaginé que différents pièges semblables à celui de l’entrée seraient disséminés un peu partout. Il avait pensé à d’autres mécanismes de défenses, plus offensifs que des flammes illusoires. Il avait pensé que du chakra pourrait brouiller la détection et les sceaux. Le collectionneur de cœurs avait envisagé un tas de contre-mesures face aux visiteurs non désirés, mais cette obscurité.
Le duo avait à peine fait quelques pas qu’une profonde noirceur s’abattit sur eux. Elle semblait si dense et si épaisse que le Fujimi avait l’impression qu’elle pesait lourdement sur ses épaules. En fait, sans l’unique torche qui reposait au mur, il n’aurait pas pu distinguer sa main même si elle se trouvait à deux centimètres de son visage. Toujours aussi calme, il se tourna vers la silhouette de son compagnon.

— Il est certain que la mise en place d’un tel stratagème ne serait pas utile s’il n’y avait rien à protéger… Toutefois, je ne sais pas si c’est pour autant une bonne nouvelle.

Non sans hésitation, Tenma s’enfonça dans les ténèbres. Malgré le mauvais présentiment qui le rongeait de l’intérieur, sa curiosité le poussait à avancer toujours plus loin. L’envie de découvrir ce qui ce cachait au cœur du temple surpassait la peur qu’elle créait. Et de loin. D’autant plus qu’il n’était pas seul. Il n’avait eu qu’un faible aperçu des capacités d’Higure, mais il était certain que ce dernier était puissant. Après tout, il s’était débarrassé du groupe de brigands avec une facilité déconcertante.

Pas après pas, le duo avançait dans le noir avec la lueur de la torche comme seul guide. Il ne voyait pas à plus d’un mètre devant eux, et surtout ils n’avaient aucune idée de la direction à prendre si ce n’est qu’ils devaient monter. À chaque intersection, ils prenaient une direction aléatoire comme ils n’avaient pas de carte et ils essayaient de ne pas revenir sur leurs pas. Toutefois, au bout d’une dizaine de minutes, quelque chose dans l’atmosphère changea légèrement. L’air semblait plus léger, et l’obscurité moins opaque. En fait, Tenma se rendit compte qu’ils se trouvaient dans une pièce dont les murs étaient recouverts de symboles qui brillaient légèrement. La sensation d’oppression avait également diminué.

— On dirait un ancien sanctuaire… On dirait que ces symboles représentent des divinités…

Tout en parlant, il s’était approché d’une des parois et il passa délicatement ses doigts sur l’une des figures. Elles ne semblaient pas avoir été gravées, mais directement imprimées sur le mur.

Tenma avait l’impression d’être englouti dans un océan de ténèbres, où la torche était le seul îlot auquel il pouvait se raccrocher. En dehors du rayon d’action de la flamme, il ne distinguait rien du tout. Comme si les lieux étaient eux-mêmes faits d’obscurité.

— C’est certain que ce temple renferme des secrets. À quoi bon mettre au point un tel stratagème s’il n’y a rien à garder ?

De concert avec son binôme, le collectionneur de cœur continua d’avancer au sein du dédale. Jusqu’à présent, ils avaient décidé d’avancer au hasard. Après tout, sans carte, cela ne servait à rien de perdre du temps à émettre des théories. Aucun des deux Éveillés ne savaient où ils allaient, et ils risquaient simplement que la torche ne s’éteigne avant qu’ils n’aient atteint le sommet. Toutefois, cela ne les empêchait pas pour autant de prendre des précautions. Ils pouvaient tenter de retenir la disposition des lieux pour se créer une carte mentale. Ce n’était rien de précis, mais c’était mieux que rien. D’autant plus que Tenma se rendit rapidement compte que le fuinjutsu ne fonctionnait pas dans le bâtiment. Du moins, pas comme il l’espérait.

Bien qu’il gardât son objectif en tête, et les promesses qui en découlaient, le Fujimi avait l’impression de perdre un peu plus espoir à chaque nouveau pas. Le duo avait beau avancer, rien ne semblait changer autour d’eux. Les murs et les motifs gravés n’étaient pas exactement les mêmes, mais il n’y avait aucun changement significatif. Ils n’avaient pas trouvé d’escaliers ou d’échelles. Depuis la salle légèrement luminescente, ils n’avaient plus vu de variations aussi significatives dans la disposition des lieux. Bref, il avait l’impression de tourner en rond et Higure le lui fit remarquer également.

— Vous avez raisons… J’ai déjà vu ce croisement et cette alcôve dans le mur. Nous perdons notre temps à errer sans aucun plan d’action, et je ne ressens plus les sceaux que j’ai apposés.

Ils devaient trouver une technique et rapidement. Certains affirmaient qu’il suffisait de suivre toujours le même mur pour trouver la sortie d’un labyrinthe. D’autre qu’il faut toujours tourner à gauche, ou à droite selon le choix. Enfin, quelques-uns disent qu’il faut prendre des directions au hasard… Qui avait raison ? Impossible de le dire, surtout avec cette obscurités qui les entourent.

Étrangement, Tenma fut partagé entre le soulagement et l’accablement suite au dernier commentaire d’Higure. D’un côté, il était rassuré de ne pas être le seul à trouver cette épreuve particulièrement difficile. L’incertitude de ne pas savoir où on va et de ne pas connaitre la distance qu’il reste à parcourir mêlée à l’obscurité et au manque de vision créait comme un sentiment de panique chez le collectionneur de cœur. Ainsi, le fait de savoir que son compagnon d’exploration ressentait la même chose l’apaisait légèrement. D’un autre côté, cela l’inquiétait davantage. Si après tant d’années d’expérience il n’avait jamais rien vu de similaire, cela ne pouvait pas être bon signe. Ce n’était pas tant qu’il doutait des capacités du Gekimetsu, mais plutôt qu’il avait peur de la dangerosité des lieux… Peut-être avait-il raison, et qu’il valait mieux foncer tête baissée ?

Toutefois, le Fujimi était difficile a décourager. Avec son flegme habituel, il choisissait une direction aléatoire à chaque intersection en s’assurant simplement de ne pas tourner en rond. Il continuait d’essayer de se faire une carte mentale des lieux, mais ce n’était plus une priorité pour lui. L’important était d’avancer à une bonne vitesse. La torche se consumait petit à petit, et ils n’avaient aucun moyen de la rallumer. Une fois dans le noir le plus complet, il deviendrait pratiquement impossible de naviguer dans ce labyrinthe.
Rapidement, Tenma se rendit compte que la chance leur souriait pour la première fois depuis qu’ils avaient pénétré dans le dédale. Une légère lueur au plafond venait d’attirer son regard. Il pressa alors le pas pour se rendre compte qu’il s’agissait en fait une brèche dans le plafond. Un raccourci vers l’étage supérieur. Il y avait certainement un escalier ou accès officiel vers cet étage, mais cela ne servait à rien de continuer à errer pour essayer de le trouver. Leur objectif n’était pas de cartographier le bâtiment, mais atteindre son sommet.

— Il est vrai que ça fait du bien d’avoir un peu de chance… J’espère qu’elle restera de notre côté.

Le manipulateur de fils noirs n’avait pas l’habitude de se reposer sur la chance et l’aléatoire, mais pour une fois il n’avait pas d’autres choix. Il se positionna alors sur le nuage de sable qui flotta jusqu’à l’étage supérieur. Celui-ci ressemblait trait pour trait à l’étage qu’ils venaient d’explorer. Dans la pénombre, il était impossible de distinguer s’il y avait des différences.

— Si je me souviens bien de la structure externe du temple, les étages devraient avoir plus ou moins la même taille. Si ce n’est légèrement plus petits, particulièrement pour les derniers.

Pour l’instant, cela ne changeait pas grand-chose pour l’exploration mais par la suite cela pourrait se révéler utile. Toujours déterminé à atteindre le sommet, Tenma s’enfonça dans les ténèbres tandis que la torche illuminait les quelques mètres autours du duo.

Plus Tenma s’enfonçait dans le labyrinthe, plus il avait l’impression de se perdre dans l’obscurité. Au début, il avait tenté de se créer une carte mais sans aucun support cela s’avéra plus difficile que prévu. Le duo tournait sens cesse, et arpentait toujours de nouveaux couloirs. Ceux-ci se ressemblaient tous. Seul une inspection minutieuse aurait pu les distinguer, ou des capacités de détections supérieurs à la norme, mais ils n’avaient pas le temps pour ça. Le collectionneur de cœur avait l’impression que la noirceur des lieux pourrait les engloutir à tout instant. En fait, il n’y avait que la lumière de la torche comme seul rempart contre ce phénomène.

Heureusement, la chance continua de sourire aux deux hommes qui trouvèrent une porte. Derrière celle-ci, il y avait un escalier en bois qui paraissait complètement pourri par endroits. Un seul pas de travers, et on risquait de passer à travers pour s’écraser quelques mètres plus bas. Il n’y aucune hésitation. Une fois encore, ils eurent recours au nuage se sable qui les transporta jusqu’à l’étage suivant sans jamais poser un pied sur l’escalier en colimaçon.
Ils débouchèrent alors sur une pièce qui semblait avoir été un riche salon. Plusieurs fauteuils, bien que mangés par les punaises, étaient toujours là pour en attester. Il restait également des tables basses ainsi que des traces de porcelaine brisée. Bref, une pièce hautement décorée pour le plus grand plaisir d’un ancien chef de clan. À moins que ce ne soit un gourou religieux qui ait vécu ici ? Tenma n’aurait su le dire.

Afin d’avoir des réponses à ce genre de questions, ainsi qu’aux dizaines d’autres qui surgissaient dans sa tête comme des bulles de savon, il n’y avait qu’une solution : avancer sans jamais s’arrêter. Ils devaient arriver au bout de se labyrinthe s’il voulait espérer avoir des réponses. Le Fujimi fut alors tiré hors de ses pensées par la remarque d’Higure. Il se contenta d’hocher la tête. Il n’avait rien d’autre à ajouter à cette remarque, qui était parfaitement fondée. Les deux compagnons n’avaient aucune idée de ce qui pouvait se cacher dans l’obscurité.

Par la suite, le même scénario se répéta une seconde fois. Après avoir tourné plusieurs fois, Tenma se retrouva face à une porte en bois. Pendant un instant, il crut qu’il s’agissait de celle qu’ils avaient emprunter pour monter mais en l’ouvrant, il comprit que ce n’était pas le cas. Au contraire, un escalier tout aussi pourri s’élevait dans l’obscurité. Un léger sourire se dessina sur le visage du collectionneur de cœur. À chaque pas, ils se rapprochaient un peu plus de leur objectif.
D’un simple mouvement de la tête, il s’accorda avec son compagnon et grimpa une fois de plus sur son nuage de sable. S’il était monté pour la première fois dessus à peine quelques heures auparavant, il avait maintenant l’impression de l’emprunter depuis des années. Il ne perdait plus l’équilibre lorsque l’amas de poussière quittait le sol, et il retrouvait immédiatement ses marques. Toutefois, il devait bien l’avouer, les courants d’air sur son visage étaient toujours aussi agréables.

— Eh bien, nous avançons plus vite que prévu finalement ! déclara-t-il en mettant un pied à terre.

Cette fois-ci la cage d’escaliers déboucha dans une grande salle dont les meubles n’étaient pas en meilleurs états que ceux du salon précédent. Le Fujimi ne s’attarda pas plus de quelques instants sur le mobilier avant de s’engouffrer dans l’un des tunnels qui lui faisaient face. Il était plus déterminé que jamais à atteindre le cœur de ce temple.

Cependant, il n’avait pas la moindre idée du chemin qu’il leur restait à parcourir. C’était le troisième étage qu’il atteignait, mais pour ce qu’il en savait il pouvait y en avoir trois fois plus à gravir. À moins que le prochain ne soit le bon. D’autant plus que l’obscurité environnante, malgré la clarté rassurante de la torche, n’aidait pas à rester rationnel. Une part de son cerveau avait envie de céder à la panique. Elle était très faible, pour l’instant, mais elle était bien là. Heureusement, la présence du vieil homme l’aidait également à se concentrer.

Tenma n’avait toujours aucune idée du temps qui s’écoulait, et son seul indice était la torche. Bien que ce fut relativement discret dans un premier, le phénomène s’amplifiait de plus en plus : la flamme diminuait en intensité. Elle était loin de s’éteindre, bien au contraire, mais cette information n’avait rien de rassurant. Cela faisait même presque peur car elle finirait bien par s’éteindre et le collectionneur de cœur n’avait aucune idée de ce qu’il se passerait. Commenceraient-ils à errer dans l’obscurité totale ? Trouveraient-ils de quoi l’alimenter ? Il fut tenté de partager ses interrogations avec Higure, mais ce dernier devait certainement être arrivé aux mêmes conclusions. C’était donc inutile de lui transmettre ses déductions.

Afin de ne pas être entrainé dans un tourbillon de pensées négatives, le Fujimi se concentra sur son environnement proche. La majorité du temps, il se trouvait dans des couloirs dont les murs étaient recouverts de symboles qu’il n’avait jamais vu. Cependant le plus étrange n’était pas l’origine de ceux-ci, une ancienne civilisation dont le langage était perdu les avait sûrement gravés, mais bien leur position. La majorité des pièces qu’ils avaient croisées jusque là paraissaient richement décorées, et surtout fonctionnels. Elles auraient pu appartenir aux appartements d’un Daimyo ou de n’importe quel individu possédant suffisamment d’argent. Au contraire, les corridors correspondaient davantage à un temple ou à un lieu de culte. Ils n’étaient pas particulièrement aménagés, et ils devaient avoir été créés pour être efficaces.

Porté par le rythme régulier de leurs pas, Tenma se rendit rapidement compte qu’ils tournaient en rond. Il était persuadé d’être déjà passé devant certaines fresques ou d’avoir évité certains trous dans le sol. D’autant plus que le bâtiment semblait devenir de plus en plus étroit au fil de leur avancée : chaque étage était légèrement plus petit que le précédent.
Alors qu’Higure ralentissait, le Fujimi comprit également ce qu’il avait en tête. Ils devaient avoir exploré pratiquement tout l’étage sans voir d’escalier, ou de percée dans le plafond. Cela signifiait qu’ils devaient trouver une autre façon de progresser. Le manipulateur de fils noirs décida de faire confiance à son acolyte et commença également à fouiller la pièce dans laquel ils s’étaient arrêtés.

Étrangement, plus le temps passait et plus Tenma sentait un lien se forger entre Higure et lui. Les deux hommes s’étaient rencontrés par hasard au détour d’un village en ruine quelques heures plus tôt, et les aventures s’étaient rapidement enchainées depuis. Ils avaient affronté un groupe de malfrats qui s’en prenait à des villageois sans défense. Ils avaient parcouru plusieurs lieues sur un nuage de sable. Et finalement, ils avaient exploré les ruines d’un ancien temple. Pour être exacte, ils étaient perdus au cœur d’un temple.
Ils n’avaient pour seul guide qu’une seule torche, qui semblait décliner petit à petit, et un objectif : le sommet. C’était là leurs deux uniques certitudes. Ils n’avaient aucune idée du temps qui passaient et ne savaient pas plus s’ils approchaient du but. Jusqu’à présent aucun indice n’aurait pu présager qu’ils se rapprochaient de leur but. Les étages et les couloirs se ressemblaient tous. Seuls les décorations et les peintures murales, du moins les versions délavées qu’il en restait, leur indiquaient qu’ils ne tournaient pas en rond. À plusieurs reprises ils avaient emprunté des couloirs qui les avaient menés à des culs-de-sac, mais cela ne les retardait pas. Ils ne perdaient pas espoir.

Heureusement, la situation évolua rapidement. Au fil de leur exploration, le Fujimi commença à s’habituer aux lieux et surtout aux détails gravés sur les murs. D’une certaine façon, ils donnaient la solution pour atteindre le sommet. Une flèche au plafond, une croix sur une porte, un cercle au sol. Tant de petits détails qui passaient inaperçus au premier abord, mais qui se révélaient d’une importance capitale. Dans l’esprit de l’Éveillé, les choses s’accélérèrent et il ne leur fallut que quelques heures supplémentaires pour monter les derniers étages. Ils n’avaient qu’une porte à franchir, et une volée de marcher à gravir, pour atteindre le sommet du temple. Pas après pas, ils se rapprochaient un peu plus de leur destination. Les battements de cœur de Tenma s’accéléraient à chacune de ses enjambées. La pression devenait de plus en plus insoutenable. Il voulait savoir ce qu’il s’apprêtait à découvrit. Il en avait besoin.

Puis il débarqua au sommet. Le paysage qui se déroula devant lui le laissa bouche-bée. S’il était venu en volant au pied de ce temple, ce qu’il avait vu à cette occasion n’avait aucun rapport avec le spectacle qui s’offrait à lui. Le Soleil s’apprêtait à se coucher, et le ciel s’était paré de couleurs pastel magnifiques. Il avait l’impression d’assister à un tableau vivant. Il n’avait pas les mots pour décrire ce qu’il voyait. C’était impossible.
Le manipulateur de fils noirs resta impassible de longues minutes jusqu’à ce que son compagnon d’aventure attire son attention. Un autel trônait au centre de l’observatoire. Il s’approcha doucement, et frôla délicatement la pierre. On aurait dit une carte. Comme si elle indiquait un lieu en particulier, mais lequel ? Certainement un ancien bâtiment comme celui dans lequel ils se trouvaient actuellement. Peut-être qu’il y avait un lien avec l’histoire du pays, ou avec des lieux de culte ? À moins que ce soit un Calice, ces anciens donjons mystérieux ?