La senestre de l’ancien marionnettiste saisit l’avant-bras de son Kuchiyose. Les phalanges du Nurarihyon s’enfoncèrent dans le pelage duveteux de la Bête. Une triste scène s’incrustait dans les prunelles de l’Irbis. Celle d’un Nihon recouvert par un linceul blanc, allongé à même le plancher vermoulu. La panthère des neiges prit l’initiative de condamner tout accès vers le monde extérieur : la boutique-demeure était devenue une casemate. Un mal indicible, stigmate d’Ido-shima, s’était révélé, quelques jours après leur retour en Tetsu. Le Chakra obscur eut pour effet de fragiliser les fondations de son esprit ; contrecoup mérité pour l’héroïsme dont il fit preuve.

Cette faille dans le palais mental activa une malédiction vieille de plus d’une décennie. Un poison imposé alors que ses géniteurs s’installaient en Hakugaku, pensant fuir l’esclavagisme du Désert. Cette infection latente ne connut jamais le succès escompté faute - ou grâce - à un paternel maîtrisant les arcanes des sceaux et du Kugutsu. Dévorée par cette source pestilentielle, son épiderme devint violacé. Ses veines, devenues vertes, étaient le témoin d’un système sanguin dont l’hémoglobine agissait comme un acide.

Le terme souffrir ne serait pas suffisant pour décrire les ressentis qui le flagellaient. Il eut l’impression que sa peau fondait, que ses os se brisaient, que ses organes devenaient mélasse. Incapable de marcher, il restait alité. Le moindre rayon de soleil carbonisait sa chair meurtrie, la moindre brise le cisaillait. Ses poumons étaient sur le point d’imploser à chaque inspiration. Chaque muscle, chaque articulation, chaque iota de peau souhaitait se désolidariser du squelette vicié. Au même titre que le corps, l’esprit n’était pas épargné.

Les visions d’Ido-shima se répétaient et écrasaient les rameaux de sa conscience. Captif de ce simili monde illusoire, il vivait les pires cauchemars qu’un cerveau pouvait générer. Il voyait cet homme souffrir le martyr, reconstruire les pyramides du Désert, être traité comme un esclave, puis cette femme se faire torturer et devenir une expérience pour ces autorités mécréantes. Tout son être rejetait le legs de sa génitrice.

▬ Ne meurs pas, Nihon.

Le belluaire s’était attaché au versant neutre, cette partie de lui-même. Un autre Hanzo, plus empathique, moins sombre, presque candide. Souvent, il laissait ses pensées vagabonder : dans une autre vie, il aurait pu être ce Nurarihyon. Voir son frère d’armes être son propre poison, sans pouvoir agir, était une sensation aussi nouvelle qu’étrange. L’ancien Capitaine-Corsaire avait tenté de rencontrer différents médecins, alchimistes, sorciers et empoisonneurs. Il ne trouva aucune réponse ou soutien pertinent. Nihon était seul. Seul face à lui-même.

— Je…

Le bleu céruléen s’échappait pour laisser place à l’étendard violine.

— ... Vais…

L’embouchure de ses lèvres se déchirait.

— ... Survivre.

Le Tenno sombra.


Nihon ouvrit les yeux.

Il avait pourfendu mille et un songes, bravé une kyrielle d’illusions, et réussi à extraire son corps, ainsi que son esprit des crocs d’Apophis. Au plus profond de son être, il eut lutté contre l’ingérence étrangère. Au fil de son épopée intestinale, il comprit. Certes, son génie lui permit d’apprendre, en autodidacte, les arcanes de base du Kugutsu. Toutefois, le chaos qui résidait en lui, à l’état embryonnaire, l’empêchait de déployer la pleine mesure de ses capacités. Nihon n’était pas fait pour le marionnettisme : son pouvoir originel, latent, faisait barrage depuis toujours.

▬ De retour parmi les mortels ?

Une fine pellicule anthracite couvrait sa vue. Il regarda sa main, son bras, son buste, ses jambes. Le linceul blanc devint gris, souillé par le mucus charnel. Pour maintenir le corps de son versant neutre, l’Once transforma le drap en cocon hermétique, transformant son âme-liée en momie.

— J’ai… revu mon père.

▬ Je n’ai jamais compris pourquoi tu t'entêtes avec tes pantins.

— Tu… Tu le savais ?

▬ Non. On partage la même âme, certes. Je voyais ton esprit imposer à ce corps un pouvoir qu’il ne lui appartenait pas. Je n’ai jamais compris pourquoi, mais après t’avoir vu te décomposer… Tout devint plus clair.

— J’ai vécu mille aventures à l’intérieur. Mon esprit était devenu une forteresse viciée, occupée par un mal profond, antique… Un serpent géant. Il a failli me dévorer par deux fois. Une voix continuait de me répéter de ne pas mourir. Ce fut mon étoile polaire. C’était toi, non ?

▬ Ce n’est pas important. Alors, ce paternel ?

— C’est assez flou… Mes découvertes disparaissent, comme si je cherchais à me souvenir d’un rêve. Il était esclave, ils ont tenté de fuir… Je suis né à… Hakugaku. Ils m’ont appelé Nihon pour que je chasse l’ombre qui plane sur le Désert.

▬ Un Monzaemon donc. Tu sais que c’était assez évident ?

— Pas que… Ma mère n’était pas originaire du désert. Elle venait d’un pays plus au Nord.

▬ Hakugaku… Je vois. Un médecin s’est chargé de maintenir ton corps en état. Ta peau est encore brisée par la brûlure et ton bras est toujours manquant, j’ai agi selon tes souhaits. Tu comptes accepter la reconstruction quand ?

— Je n’ai pas besoin d’un corps fonctionnel pour conquérir le Continent, Hanzo. Je vais montrer au monde ce que peut faire une momie avec un bras. Ils seront forcés de se rallier à notre cause.

▬ Parfait. C’est ce que je voulais entendre, Bandage-kun.

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