Shinnin H. Kagaya est un génie du crime organisé. Kazu-zu, Ka(t)sumi et moi le savons, d’autant plus que je l’assiste dans ses réunions et entrevues. Vieux Père est le cerveau du Clan, je suis la Sentinelle. Notre réputation montante dans le quartier des plaisirs du Clan Abe permit à mon jeune frère handicapé d’entrer en tractation avec les maîtres des Rituels, les Sugawara. Vieux Père est un putain de squale. Il flaire l’argent sur plusieurs kilomètres. Il a toujours la bonne combine, la bonne stratégie et le bon filon. Kagaya me fait penser à ce conte, où un roi était capable de transformer tout ce qu’il touchait en or. La Destinée fit de cette histoire fictive une réalité : l’appétit du Chef des Shinnin ne connaît pas de limite, et cela nous arrange fort bien.

La mission du jour est un contrat exclusif, et ça, c’est une denrée précieuse dans les ruelles de l’Abondance. Le cadre de la mission est assez nébuleux. Le Clan Sugawara a découvert que Yamanoi Yukitoshi joue un double-jeu ; il serait un espion au service de Chowa et œuvrait avec l’Ambassade de la Pluie. En outre, le félon aurait d’ores et déjà révélé de nombreux secrets à la police diplomatie de l’Harmonie, ce qui est une violation grave au principe d’Omerta. Jamais les balances ne sont appréciées, encore moins dans l’antichambre de la voyoucratie. Cette trahison doit être punie par la mort. Toutefois, en raison de ses relations avec les différents clans de l’Abondance, mais aussi avec Bo Takeshi, Yukitoshi doit être éliminé sans éveiller le moindre soupçon.

Pour obtenir ce contrat, le Chef des Shinnin a lié notre nom, et notre clan, sous les ordres de la famille Sugawara. Nous travaillerons pour eux, en contrepartie, ils fermeront les yeux sur la mort de leur pion. Vieux Père a placé deux hommes sur le coup. Chien-Fou et un Homme masqué adepte des éléments, un Sarutobi. Dans son infinie sagacité, il n'a révélé l'étendue de la mission et les enjeux sous-jacents qu'à ma personne. Aucun voyoucrate ne se fait confiance, et cette opération ne déroge pas à la règle. Tout ce que sait le Sarutobi, c'est qu'un baron du crime égraine le monopole des Sugawara, donc il doit mourir. Plus encore, tous les gardes de ce ponte de la pègre doivent être exterminés.

Nous ne devons laisser aucune trace de notre méfait.

L’entente a été stipulée en ces termes : le Clan Shinnin récupère le domaine Yamanoi, Sarutobi Shin peut récupérer la tête de Yukitoshi. Un deal en apparence peu profitable pour nous, car l'Élémentaire récupérera tous les honneurs. En réalité, ce choix sert d’autres desseins. En effet, Vieux Père et Kazu-zu ont décidé qu’il était temps d’entamer le Projet Expansion. Paye ton nom ridicule. Les quelques informations obtenues grâces aux femmes de plaisir de l’Elysée nous ont permis de savoir que le Lieutenant avait opté, depuis peu, pour une surprotection de son domaine. De nombreux mercenaires veillent sur lui, et je pense fortement que des éveillés au Chakra se trouvent parmi eux.

Le corps à moitié immergé dans le canapé du sous-sol de notre maison de passe, j’attends l’apparition du shinobi masqué. Sur la table se trouvent les plans de la Cité-Etat. Avant de se lancer tête baissée dans les couloirs envahis de gardiens, nous devons réfléchir à un plan. Pour le moment, je pense que le plus pertinent serait de frapper de nuit, lorsque le crépuscule voile la cité de son manteau ténébreux. Nous serons moins visibles, plus discrets. Il ne fait aucun doute que fondre sur eux, de jour, serait une mission suicide : si nous parvenons à pourfendre les gardes, les différents clans de la Cité enverreraient leurs troupes pour soutenir leur allié.

La porte s’ouvre, Yochiro, le bras droit de Kazu-zu, pénètre la pièce aux côtés du mercenaire. Mon regard se déporte vers eux. La femme disparaît aussitôt en remontant les escaliers quatre par quatre. Un rictus fissure mon visage. Lorsque Vieux Père m’a prévenu que je devrai bosser avec un homme masqué, je ne m’attendais pas à ça. L’homme tend plus au clown ambulant qu’au reître impitoyable. Inutile de jeter l’inimitié d’entrée de jeu. Chien-Fou préfère savoir de quel bois il est fait.

« Sarutobi Shin. Récupère une chaise et tire une taffe sur ce joint d'Étreinte d’Eros. On opère cette nuit. »

Sa réputation était grandissante. Quoique les personnes extérieures de son cercle pouvaient en penser, le Sarutobi commençait à prendre un peu plus d'ampleur au sein du pays de la Pluie et même du Continent. Encore aujourd'hui, dans son piètre bureau, le masqué recevait quelques missives pour divers missions de tout le Continent. Il les triait par ordre d'importance et surtout par ordre du montant accordé. Une mission l'avait toutefois interpellé. La demande était intéressante, le prix également. La tête de Yukitoshi pouvait l'amener à gagner en renommée sur la cité-etat.

Acceptant l'offre, le Sarutobi se prépara rapidement. Enfilant sa combinaison, il but un verre de saké avant de recouvrir son faciès brûlé par son masque. Il se dirigea jusqu'au point de rendez-vous, une maison de passe dans le quartier des Sugawara. Il ne mit point de temps à s'y rendre, connaissant le pays comme sa poche en y résidant déjà depuis quelques mois désormais officiellement. Une femme l'accueillait et l'amenait alors dans les profondeurs de cette maison, Shin constata la présence de celui qui l'accompagnerait pour cette mission.

Il s'installa, mais refusa la cigarette artisanale. « Sans façon, » répondit-il, ne préférant pas fumer ce genre de choses et garder l'esprit éclairé. La carte était déposée sur une table, représentant le domaine de la cible. Alors qu'il s'était donc installé, le Sarutobi se penchait, les yeux rivés sur cette carte parfaitement dessinée et précise. « Une idée de comment on procède ? » demanda-t-il, levant les yeux vers son partenaire de mission.

Le bout de mon ongle griffe le silex. Une étincelle s’échappe du briquet. Le bâton de plantes et de tabacs, bloqué par mes lèvres, s’approche dangereusement du feu. La pointe de cette baguette d’encens en papier s’embrase ; mes poumons libèrent une fumée cathartique. L’ambroisie stimulante et coupe-fatigue de Kazu-zu phagocyte les rameaux de ma conscience, puis se diffuse dans mon corps, dévorant tour à tour mes trois-cent-soixante-et-un tenketsu. Le contrat qui nous attend ce soir est clairement une mission suicide. Assaillir une forteresse, noyée par les hommes de mains, à deux, sans avantage technique ou tactique… Selon Ka(t)sumi, la pleine lune sera aussi de la partie.

Une magnifique nuit pour mourir.

Le Super Justicier refuse la cigarette artisanale, brille par son laconisme et focalise son attention sur notre assaut. J’apprécie déjà la compagnie de ce mercenaire. Il est du genre vieille école : pas de discussion impertinente, boulot, boulot, boulot. Cela va me changer de Vieux Père qui me raconte ses escroqueries trop techniques, ou de Kazu-zu qui tente de m’expliquer pourquoi des chimères la pourchassent. Je sens que ce Sarutobi est un homme d’action. En tout état de cause, le corps qu’il affiche derrière ses atours colorés et la présence de deux lames semblent corroborer ce postulat.

Mon emprise sur la tige au contenu herbeux s’accentue. Le bâton se transforme en cendres, après que mes poumons aient capté toutes ses propriétés récréatives - et médicinales -. Ne passons pas par quatre chemins. Inutile de se raconter sa vie, le nombre de cibles que l’on a abattu, nos rêves ou nos capacités. Soyons protocolaire, froid, méthodique, rigoureux. Bref, à nous de faire notre travail et de justifier les Koban qui nous attendent au bout du tunnel.

« Quatre gardes errent dans les souterrains, deux autres font leur ronde dans le jardin intérieur et un garde circule à l’entrée du domaine, dans la pièce centrale, dans l’aile gauche et sur les toits. C’est une putain de forteresse impénétrable. Surtout que ces lascars maîtrisent le Chakra et sont vraiment bons. Notre cible craint pour sa vie. Elle a dépensé une somme astronomique pour contrecarrer les plans de type comme nous. »

Je récupère différentes gélules qui traînent sur la table. Les drogues de la maîtresse des lieux suffiront pour jouer le rôle de jalon. A l’énumération des différents positionnement, les cachets mystères gagnent la carte pour illustrer mes propos.

« On aura pas le droit à l’erreur. L’idéal, c’est d’éliminer ses sbires un par un, sans jamais, jamais, éveiller le moindre soupçon. On devra jouer avec l’environnement pour cacher les cadavres, voire se cacher nous-même. Je n’sais pas toi, mais le Kanchijutsu n’est pas mon fort. Au moindre senseur, on peut se faire repérer et la cavalerie répliquera aussitôt. On doit donc constamment rester en mouvement. »

Léger rictus. Je suspecte, malgré un certain degré de bon soupçon, que mon ami Sarutobi n’est pas non plus un expert de ce domaine, réservé aux lâches et aux couards qui ont besoin de se cacher. Avec ce genre de mentalité là, tu m’étonnes que cette descente se transforme en mission suicide. J’ai presque l’envie d’éveiller mes Byakugan, là, maintenant, tout de suite, juste pour faciliter l’opération, déceler la position de notre cible et lui fondre dessus. Hélas, je ne me rabaisserai pas à compter sur ce legs vicié.

« On a trois choix : les souterrains, l’entrée ou les toits. Je pense que commencer par les toits est la meilleure option. A deux, c’est impossible d’éliminer quatre shinobi sans se faire remarquer par les autres sentinelles à la surface. Passer par l'entrée principale... Héhé, mauvaise idée. On profitera des hauteurs, de la nuit, et des tuiles pour se fondre dans l’ombre de la demeure. Récupère une tenue noire, le rouge va jouer contre nous. Les rayons lunaires vont assez nous embêter comme ça. Inutile de s’ajouter une autre épine dans le pied. Cela ne m'enchante pas trop, mais je vais aussi devoir me grimer. »

Sur le sofa, un peu plus loin, deux costumes noirs nous attendent - Kagaya avait pensé à tout.

« Bref, on monte sur les toits, on fume le type, et ensuite on peut sauter vers le jardin intérieur ou se faufiler dans les étages de la pagode. On ne peut pas se permettre de perdre une seule seconde, donc récupère toutes les armes et outils dont tu as besoin. Y’a un coffre dans le fond de la pièce, tu trouveras de quoi t’amuser. Pareil, pas d’utilisation trop extravagante de Ninjutsu ou autre. Je sais que vous, les Sarutobi, vous aimez bien montrer à tout le monde que vous maîtrisez les cinq affinités élémentaires… On s’en passera : il faut être discret, car la Cité Noire se retournera contre nous si l’on échoue. »

Mon regard s’enfonce dans celui du masqué - ou du moins, dans les deux formes ovales qui représentent ses yeux.

« Toi et moi, on ne se connaît pas. Toujours est-il que l’on est sur la même mission et que nos chances de succès sont déjà assez ridiculement petites comme ça. Si on travaille bien en équipe, on pourra éliminer notre cible, et toi récupérer le magot. Moi c’est Shinnin H. Kyoken. J’aime jouer avec les coupes-coupes et j’me débrouille au corps-à-corps. Maintenant que les présentations sont faites, j’te laisse le temps de te préparer, d’écrire ton testament, te contacter ta femme, tes gosses et tout le tralala habituel. Reviens vers moi quand t’es prêt à agir. On décolle bientôt. »

Il n'était pas encore l'heure pour le Sarutobi de mourir, il le ressentait. Cette mission était suicidaire, pour autant, elle donnait envie à Shin de repousser ses limites. Après avoir survécu à Ido-Shima, le masqué se sentait homme à déplacer bien plus que des montagnes. Ses yeux, cachés sous son masque rouges aux yeux blancs, regardaient son partenaire de mission fumer son calumet. Qu'il profite ainsi, s'il le désirait, ce n'était pas le cas du masqué qui préférait alors surtout avoir l'esprit clair pour cette mission.

Se penchant vers la carte au milieu de cette table, le domaine y était parfaitement bien présenté. Cela allait s'annoncer assez compliqué de faire quelque chose de précis, mais plus la tâche était ardue, plus la récompense et la réussite étaient belles. Peu envieux de faire connaissance avec Kyoken, estimant que son cercle social était assez restreint, il valait mieux se mettre rapidement au travail.

L'amejin expliquait alors qu'il y avait, selon les informations obtenues, quatre gardes dans les souterrains, deux au niveau du jardin intérieur, et tant d'autres. Pour autant de gardes, la cible se sentait réellement menacée. « Bien, bien… La fête n'en sera plus que folle alors, mes lames ont besoin de sang pour ne pas s'émousser, » lâcha-t-il à voix haute, mais des paroles plus pour lui qu'autre chose finalement, il n'attendait guère de réponses.

Le plan était simple : éliminer chaque menace sans se faire repérer, malheureusement la sensorialité n'était pas le point fort de son partenaire, ni du sien. Restant concentré sur la carte et les paroles de Kyoken, Shin imaginait déjà retirer la tête du corps de la cible. De quelle façon allait-il faire ? « Ne t'inquiète pas, j'ai déjà ce qu'il faut, » répondit-il simplement, d'un œil, il montra ses lames posés accrochés à son dos. Elles étaient entièrement suffisantes.

« H ? » demanda-t-il alors qu'il venait de décliner son identité, après tout son monologue. C'était clairement tout l'inverse pour le Sarutobi, ne parlant que lorsque cela était nécessaire. « Je suis prêt, je l'étais déjà lorsque je suis arrivé ici, donc je t'attends, je serai dehors, » déclara-t-il en se levant et prenant alors le costume noir qui lui avait été préparé. Il n'était pas forcément pour se déguiser, mais le plan devait être suivi si le duo souhaitait avoir une infime chance de réussir.

Cet homme masqué se fout de ma gueule. Je débite des propos depuis plusieurs minutes tout cela pour me sortir des réponses hasardeuses. Je ne sais pas où Vieux Père à trouver ce type, mais on dirait un canard boiteux. Quel homme ne décline pas son identité lorsqu’un autre le fait ? Décidément, le clown costumé n’était pas un mec d’ici ; il n’avait pas les codes de la Cité Noire, ou du moins pas les miens. Certes, j’ai exposé les prémices d’un plan, mais je m’attendais à ce que celui-ci soit complété par mon comparse. Qu’il expose des idées de pièges ou des façons d’ôter la vie sans être vu - à défaut de pouvoir masquer sa signature sensorielle.

Au final ? Rien de tout cela. Hormis me parler de ses armes, ou tiquer sur ma particule, il n’a apporté aucune contribution. Je sens que c’est encore une mission galère où je vais devoir veiller à ce que le plan soit suivi à la lettre - je n’ai pas particulièrement envie de tomber dans une embuscade en dix contre deux, ou pire en vingt contre deux. Face à nous, ce sont des gardes surentraînés qui nous attendent. Des shinobi capables des mêmes prouesses que les nôtres. Après, bon, cela a du bon d’avoir un suicidaire à ses côtés : au pire, il se jettera dans la gueule du loup, et cela me laissera assez de temps pour faire ma petite affaire.  

« T’es pas très loquace l’ami. C’est ta première mission d’assassinat ? En temps normal, les commissionnaires de ce genre de descente échangent et exposent un plan bien ficelé. Je t’ai briefé sur la carte et les emplacements, je m’attendais à ce que tu mettes sur la table des propositions pour fumer les gardes de façon discrète. C’est fini les petits larcins, l'ami, le racket ou les arrachages de sac. Tu rentres dans le grand bain. Il va falloir que tu commences à être force de proposition et acteur de tes plavons. »

Son amateurisme m'insupporte, mais la tonalité de mes mots est neutre, presque douce. Comme tout bon professionnel qui se respecte, je sais garder mon calme et offrir un masque d’indifférence à mes auditeurs. Chien-Fou est connu pour son zèle au combat, mais il n’en reste pas moins un fin tacticien. Je ne veux pas m’aventurer dans une demeure ultra surveillée sans avoir au moins un plan pour les premières, deuxièmes, voire troisièmes rencontres. Je ne crois pas à l’improvisation : elle ne mène qu’à l’échec.

« On ne quitte pas d’ici sans ta part du travail. Tu n’as même pas validé le fait de partir sur les toits. Propose des façons d’éliminer notre première cible isolée ainsi qu’un moyen de cacher son corps sans laisser une trace de sang. Il faut que tu me fournis ton plan en termes de déplacement. Une fois sur les toits, on va où ? Il faut que tu comprennes que c'est une collaboration : sans un plan maîtrisé sur le bout des doigts, on est finito. »

Je traîne ma carcasse vers la table où les deux tuniques noires nous attendent. Mes épaules se délestent de l’haori, mes mains chassent mon kimono, mes quadriceps s’échappent de mon hakama. Avec une certaine rigueur, j’enfile la tenue tactique que Kazu-zu a fait confectionner par ses donneuses de plaisir. Les deux tuniques sont ajustées à ma taille : bien cintrée, tout ce que j’aime. Les nombreuses poches et ceintures permettent de se lester en ajoutant une myriade d’armes.


« Alors ? »

Légère oeillade vers tous les ustensiles du parfait ninja : arc, senbon, chaîne, fumigènes, crochet, cordes, parchemins explosifs et bien d’autres armes de guerre. Derrière mon masque en tissu noir, je lève mes yeux au ciel ; et dire qu’il n’a même pas daigné poser son regard sur un éventuel outil exotique capable de simplifier notre mission.