Pas une seule seconde à perdre alors que l’ambassade de Hametsu venait d’être terminée, il fallait poursuivre les prochaines étapes du projet. L’Inuzuka avait déjà discuté avec Dodoro et d’autres alliés proches, concernant les récents appels d’offres des différents pays du Continent. Ces contrats internationaux qui suscitaient l’intérêt de nombreux mercenaires, ainsi que des groupuscules qui gravitaient autour des projets des pays en question afin de s’en attirer les faveurs. Ou bien l’ire de leur employeur. Même parmi les proches de Jotaro ça se bousculait pour prendre part à ses contrats. Même si sa position à elle seule pouvait garantir une forme de filet de sécurité pour un temps, il est vrai que son groupe pourrait tirer profit à nouer une relation de confiance avec ceux qui sont suspicieux de la montée en puissance du maître tortue…

Cependant, la raison de sa visite à Tōji était toute autre. Depuis plusieurs mois déjà il réfléchissait à un plan pour relancer l’économie de la Ruine, et c’est après de nombreuses recherches et prédictions que le fondateur de Tsubomi en était venu à cette conclusion : il devait lier Hametsu à la Céramique et à l’Érudition. Commercialement dans un premier temps. Alors il a envoyé une lettre au préalable, à l’attention des émissaires faisant le pont entre l’ambassade de Tōji et l’Exarchat. S’il était attendu qu’ils n’acceptent pas d’emblée la proposition du Shinobi, il ne doutait pas un seul instant que son arrivée au Cœur de la Liberté ne soit pas ignorée, et qu’une discussion allait pouvoir se réaliser. Comme à Hakugaku, Jotaro s’est dirigé vers l’ambassade, faisant la rencontre de Sugiyama Kanako avec qui il pouvait discuter des récents développements de la Céramique.

L’occasion de rencontrer les aristocrates orientés vers les affaires étrangères, à l’instar des ministres dans d’autres gouvernements. Dans un premier temps, l’Inuzuka partage sa vision sur l’état actuel de l’ouest du Continent, vis-à-vis du développement des nouveaux pays émergents et qui à ses yeux constituent une opportunité pour un rapprochement desdits pays, notamment à travers des accords commerciaux. Il poursuit son raisonnement par la mise en place de son projet : la construction du Bourgeon d’Hametsu permettra dans un futur proche l’établissement de nouvelles routes, qui lieront les pays partenaires entre eux. La force de Tōji no Kuni se situe dans la richesse de sa culture, la richesse artistique du pays transpirant dans chaque sculpture, chaque peinture, chaque chanson. L’avantage de collaborer et d’investir dans Hametsu se situe essentiellement sur sa position sur le Continent, permettant de faire le pont entre la Céramique et l’Érudition.

L’Inuzuka terminera sa présentation du projet en confirmant les intérêts que portent les doctes de Hakugaku, ces derniers ayant largement prouvé leur aval en investissant dans la construction de Tsubomi no Jinsei. Clairement, l’Érudition est désireux de collaborer avec la Céramique, même s’il était certain que c’était pour des raisons plus profondes qu’un essor économique. Créer un réseau sanguin commun entre pays est une forme de garantie que les petits pays vont mutuellement défendre leurs intérêts communs face aux attaques des pays plus gros. Les accords commerciaux ne seraient qu’un début, mais avant de pouvoir prétendre à davantage de développements, Jotaro allait devoir attendre d’avoir pacifié la majeure partie de Hametsu, et créer une force capable d’un minimum se défendre.

Bien sûr, Jotaro n’aurait jamais espéré conclure un tel marché avec seulement des paroles. C’est pour cette raison que l’établissement d’une ambassade était essentiel, afin de prouver que le monde tournera le regard vers l’émergence d’un nouveau pays. Un pays ruiné par le passé, qui allait renaître de ses cendres. Le nom de l’Inuzuka ayant circulé dans tout le Continent, il agirait comme la garantie de la sécurité de l’opération, et qu’il s’assurerait des profits que générera l’installation du nouveau marché. Bien sûr, il n’allait pas tout de suite révélé ses cartes, comme le fait que l’Harmonie avait déjà débloqué des fonds pour l’assister dans son entreprise. Après tout, cette opération était un défi en soi, Jotaro savait qu’il devait avant tout réussir par ses propres moyens, prendre des risques modérés, et seulement quand l’impasse lui fera face qu’il devrait se résoudre à jouer la sécurité.

À présent, la balle était dans le camp de Tōji no Kuni. L’Inuzuka s’était installé sur le balcon d’un restaurant, à la capitale. La vue sur les nombreux jardins suspendus était impressionnante, mais ce qui intriguait davantage le jeune homme c’est cette lettre signée Yoake. Il avait hésité à faire appel au réseau de la Garde Blanche pour déterminer les tenants et aboutissants de cette nouvelle organisation, installée aux confins de la Céramique. Cependant, son intuition le poussa à jouer la prudence, après tout ce n’est pas comme s’il avait réellement le droit de se méler des affaires de Tōji, même indirectement. Alors il attendait de voir qui l’approcherait, alors qu’il avait fait passer le message signifiant son intérêt sur la question. Si un groupuscule désirait se lancer dans l’établissement de routes commerciales, alors bien entendu qu’il serait intrigué. Surtout que le nom Nisshoku… il était persuadé en avoir récemment entendu parlé, durant une de ses récentes excursions.

Qui exactement allait se présenter au Héros de Hametsu, là était toute la question.

Son reflet a toujours été source d’une véritable terreur. Une remise en question constante, surtout depuis cette nuit, où plus jamais la nouvelle meneuse ne semblait trouver le repos. Pourtant, elle avait entrepris de nouvelles choses, des projets en tout genre pour garder son organisation sur pied. La nouvelle de la création d’une ambassade au sein du pays en Ruines attira son attention, d’autant plus que le pays était sur la liste, déjà envisagé par son cher Nihon pour le déploiement de Nisshoku.

En voulant poursuivre l’héritage de la momie, l’Aube s’était empressée de contacter l’ambassadeur, ce dernier la connaissait sous son identité de terroriste, il l’avait croisée au sein du rivage, et était chargé de surveiller son jeune frère. Il allait la reconnaître, naturellement, mais peut-être verrait-il toute l’ampleur de ses efforts et sa volonté profonde de venir en aide à Tōji, et accessoirement, pour son frère, de venir en aide à la paix. Les erreurs du passé peinent à s’effacer, mais ne dit-on pas que le seigneur pardonne à ceux qui confessent leurs péchés ? La femme avait couvert ainsi son corps de ses atours de pourpre eclipse, que ce soit dans la robe légère qu’elle portait, comme dans la couleur de son fin voile. Seuls ses bijoux, alors d’un or éclatant, prenaient la forme de symboles précis : soleil et serpent, enroulés autour de ses poignets, de son cou.

Quittant son Nome, elle avait pour objectif de rejoindre la capitale, certainement pour en profiter et faire part de ses ambitions à l’Exarque. Mais il fallait pour cela obtenir des faveurs plus grandes, un gage de qualité qu’elle espérait soutirer, par sa bonne foi.

Si son visage n’était pas affiché sur les avis de recherche du pays du Feu, nul doute que Yoake serait une parfaite Tojijin, avec la particularité d’avoir des cheveux d’ivoire. La femme s’était introduit dans l’établissement, en profitant pour faire commander un thé, pour l’étage où se trouvait alors la rencontre. Disons que l’habitude de ces lieu se sentait dans son attitude, la femme rejoint alors le balcon, où des salons étaient aménagés, donnant sur l’étendue de la ville, ce coeur de liberté.

— Merci d’avoir accepté cette rencontre, Inuzuka Jotaro.

La femme prend place sur l’un des sedaris alors présent, typique de ces établissements, même en terrasse. Ses pupilles écarlates toisent le célèbre ambassadeur, et ne semblent pas plus perturbé par cette entrevue pour le moins étrange. Car elle le savait, son visage n’était pas inconnu des partisans de l’Harmonie, voilà même quelques jours qu’elle avait justement entreprit un séjour pour récupérer son dus. La mande-éclipse soulève le voile qui couvrait et protégeait son visage, ce comportement témoignant de la pleine conscience qu’elle avait de révéler son identité à un individu tel que l’Inuzuka, un excès de confiance sûrement ou une preuve d’inconscience.

— J’ai fais apporter du thé.

Yoake laisse s’échapper un soupir, son regard analyse l’homme en face d’elle.

— J’imagine que j’ai à m’expliquer, avant de débuter ce pour quoi je vous ai contacté.

Elle invitait l'homme à poser les questions, que la présence de Yoake pouvait susciter, car elle s'y était préparée.

Installé confortablement entre les coussins du sedaris, je jetais un regard au travers de l’unique fenêtre qui donnait sur une jolie vue de la capitale. Kaida lui avait posé ses pattes sur le balcon, observant pleinement l’environnement alors qu’il profitait des quelques rayons de soleil qui tapaient sur ses écailles. Le moment était bien paisible, et plutôt calme, malgré les bruits du quotidien de la cité. Le Coeur de la liberté était un lieu rempli de vie. Dans un sourire en coin, je m’amusais à imaginer Tsubomi égaler ce genre d’ambiance, certainement dans un futur proche…

Une inconnue voilée finit par se présenter à nous, arrivant dans notre espace réservé et s’installant en face de moi, comme si cette personne était celle que j’étais supposée attendre. Je réponds à son regard, ses perles écarlates ne manquant pas d’attirer mon attention, alors que la tortue se contente d’adresser un simple regard en coin depuis sa position. Enfin, je hausse les sourcils lorsque l’étrangère soulève son voile, révélant un visage pour le moins surprenant au vu des circonstances.

Les cheveux blancs, en parfaite adéquation avec la pâleur de sa peau. Bien sûr que je la reconnaissais, puisque rares étaient ceux qui avaient le courage - ou la stupidité - de se mettre à dos une institution aussi prestigieuse que les ambassades. Mes doigts viennent naturellement se frotter à mon menton, la légère caresse faisant marcher mes méninges alors que j’observais la dénommée « Yoake » me faire face, bien qu’elle était connue pour ces actes terrorisant sous un autre nom : Sahen. Qu’est-ce qui me pousse à croire que Yoake et Sahen étaient la même personne ? Le fait que l’albinos semblait savoir que je me trouvais ici à ce moment précis, et que j’avais accepté de rencontrer quelqu’un.

Maintenant, il fallait savoir qu’elles étaient ses réelles intentions à vouloir me rencontrer en terrain aussi ouvert. La silence se fait de plus en plus pesant dans la pièce, alors que des tasses de thé nous sont amenées. Délicatement posées entre nous, la serveuse s’esquive ensuite discrètement de la salle alors qu’elle n’arrive pas à supporter le regard de mon partenaire, qui n’hésitait pas à laisser ses intentions meurtrières s’exprimer envers Sahen. Je pouvais comprendre la réaction de Kaida, qui comprenait aussi bien que moi certains des enjeux qui tournent autour de cette situation. Si une criminelle, en partie recherchée par les ambassades, ose se montrer aussi effrontément devant nous, cela pouvait vouloir dire plusieurs choses.

Mais pour Kaida, ça ressemblait bien à une insulte. Comme si lui et moi n’étions pas considérés comme des menaces pour Sahen.

« Bonjour Sahen, ou bien dois-je vous appeler par le pseudonyme que vous avez utilisé dans votre lettre ? »

Tirant légèrement sur mon col remonté, je venais ensuite de prendre en main ma tasse de thé pour la porter jusqu’à mes lèvres et profiter du breuvage exclusif des environs. Chaque pays faisait pousser ses propres feuilles de thé, lorsqu’ils le pouvaient, ce qui donnait un goût unique à chacun d’entre eux.

« Si ce que vous m’avez dit dans la missive est vrai, alors je comprends pourquoi Yoake a besoin de moi. En revanche, je préférerais que Sahen m’explique la raison de sa présence à Toji, à la tête d’une nouvelle organisation, dont je suis sûr que les autorités locales n’ont aucune idée de sa véritable identité, alors que jusqu’à présent ses “activités” visaient spécifiquement Hi. »

Kaida retire ses pattes du balcon pour se diriger vers le centre de la pièce, s’approchant de la table basse pour déguster les quelques gâteaux secs laissés à disposition. Même s’il était concentré à ne manquer aucune bouchée, il gardait toujours en coin de l’oeil l’albinos. Même si une partie de moi souhaitait l’attraper pour l’interroger sur ses méfaits, je me devais de garder en tête qu’elle a participé à la protection de l’Harmonie, et à l’élimination de la dangereuse Nara. Bien que de ces deux actes, l’un ressemblait davantage à un coup calculé que l’autre. Mais c’est comme ça que se passent la plupart des choses dans ce Continent, avec du calcul.

Suspicion, doute, jugement. Les individus de ce monde ne se fient qu’à l’image qu’il est fait d’autrui, et ils ont bien raison. Reimu reconnaissait les émotions dans les différents regards qui se posaient sur ceux qui la reconnaissait : doute, inquiétude, colère, impulsivité, de quoi témoigner d’un comportement rationnel face à quelqu’un dont le visage est placardé et reconnu comme étant celui d’un terroriste. Mais Reimu n’y prêtait pas attention, elle se servait une tasse de son thé, alors que Jotaro se présentait à elle, avec les questions qu’elle attendait. Sans manquer une goutte de ce qu’il disait, elle s'enfonça dans son siège, ramenant la tasse en terre cuite avec elle. Elle esquisse un léger sourire lorsqu’il mentionne les noms.

— Qu’importe, ce sont tous mes noms après tout. Mais je préfère Yoake, ou Reimu. Sahen est une facette de moi qui ne me convient guère.

Il fallait bien se racheter dans ce monde. Et puis, elle agissait avec un bon fond, malgré ce qui avait pu se passer quelques années plus tôt à Hi.

— Oh. Vous savez, les forêts et l’océan.. on s’en lasse rapidement. Un bain de soleil ne fait pas de mal. Je ne savais pas que vous étiez autant attachés aux forces militaires d’un royaume tyrannique, mais je peux comprendre.

Le sarcasme, l’arrogance, ça elle ne l’avait pas perdu lorsqu’on cherchait à lui reprocher quelque chose. Son apparence la trahissait, elle n'était qu'une enfant sortant de l'adolescence, sans aucune conscience réelle de ses actes, de ce qu'elle avait pu faire. Un soldat, obéissant aux ordres. Et pour cela, les gens lui en voulaient, et non pas que le pays concernés, mais l'harmonie elle même lui en voulait pour avoir contribué à la chute d'une flotte, alors militaire. Elle prit une gorgée de thé, puis poursuivit.

— Non plus sérieusement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne cherche que la paix. J’aurais pourtant cru que vous comprendrez nos intentions, mon bien aimé frère fait pourtant tant d’effort. Les autorités n’ont rien à craindre et elles le savent. Nous luttons contre l’esclavagisme et le règne des tyrans.

D’un geste du bras, elle fait mine de désigner la plupart des individus en contrebas, alors adossée à son siège.

— La négligence des états condamne le bas-peuple. Et les tyrans dominent ce monde illégitimement. Nisshoku se dresse comme barrière pour aider les populations civiles, nous les recueillons et leur offrent la liberté.

Le regard de Reimu se plonge dans celui de Jotaro, transpirant d’une certaine sincérité alors qu’elle mentionne quelques mots, qui, à cet instant de son point de vue, ne peuvent être compris que par elle-même. Rien dans son comportement ne semble cacher la viciosité ou la malice

— Nihon souhaitait la sérénité dans ce monde, je ne trahirais pas sa mémoire.

Sa voix trembla légèrement, elle détourna le regard et passa une main sur son visage, comme pour dégager une larme s’étant échappée. Elle reprend finalement du thé puis poursuit, reprenant ses esprits.

— Je souhaite… contribuer à la libre-circulation et le libre-échange entre les états du nord et du sud. Hametsu est un point de passage obligatoire, et je connais votre lien fort avec l’Harmonie. J’ai divers projets, et je pensais qu’il était mieux de pouvoir discuter de ces éventualités avec vous. Si vous souhaitez tout de même m’entendre.