Même après maintes visites et des mois passés au sein de Seikatan, la ville restait à couper le souffle, disposant d’un facteur d’émerveillement n’étant égalé que par la Capitale Mobile de Kome, et même si certains esprits bloqués dans le passé pourraient tenter d’en débattre, elle restait étonnamment esthétique, malgré les usines et la fumée noire qui en échappaient, la volonté artistique était indubitablement présente, dans l’architecture comme dans les ornements parcourant les rues, et en tant que Fille de Tōji il était d’impossible de ne pas admirer les artisans et les artistes ayant poussés la maitrise du travail du fer et de l’acier au summum du niveau actuel du Continent.

Mais aujourd’hui ce n’est pas l’étonnement mais bien la curiosité qui lui faisait tourner la tête tout autour, tentant de trouver sa cible, une petite échoppe en périphérie de la ville, quasiment à la fin de l’urbanisation si il fallait être honnête. Cela faisait déjà un petit moment que la Monzaemon déambulait dans les méandres de la Forge du Monde, son gros baluchon sur son dos, mais la boutique qu’elle cherchait semblait presque totalement inconnue, et elle avait dû s’en approcher grandement, simplement par chance, avant que quelqu’un ne puisse la renseigner sur l’endroit. Il faut dire aussi que simplement « Une échoppe qui vends des marionnettes » n’est pas forcément le meilleur descriptif pour obtenir un renseignement, malheureusement elle n’avait rien d’autre dans sa mémoire.

L’information lui avait été donnée presque en passant, il y a déjà quelque temps, par un des transporteurs avec qui elle interagissait dans son atelier/laboratoire fourni par la MKK, qui lui avait mentionné un inconnu vendant des pantins aux confins de la ville, alors que la compagnie la plus puissante du pays elle, se permettait de travailler avec une Monzaemon ! Un simple coup de brosse à reluire, sur elle et sur les maitres de la ville. Si ce n’était pas spécifiquement à propos de marionnettes la phrase serait simplement rentrée dans une oreille et sortie par l’autre, mais à l’heure actuelle la jeune Yumeko, complètement au point mort dans ses travaux et frustrée de son manque de réussite avait décidée de souffler un peu, profiter de la ville durant son effervescence festive, et s’était rappelée et cette histoire de vendeur de pantins. Sa curiosité la poussant à tenter de le retrouver.

Et après toutes ses déambulations dans la capitale, elle se retrouvait enfin devant la porte de la Nihon Godo Kaisha, entrant dans la boutique, soulagée que la porte fût assez large pour la laisser entrer avec son fardeau. La pièce semblait vide de prime abord, ni personnel, ni clients, tout en laissant son regard trainer sur les articles en vente de la boutique, elle se permit un « Bonjour ?... », la voix un peu haussée pour signifier sa présence au cas où son entrée n’avait pas été entendue. Elle marchait lentement vers un pantin entier exposé prêt d’un mur, regardant tout les détails d’un œil expérimenté, elle se permit même de lever la main et d’effleurer certains endroits, principalement les articulations du bout des doigts, notant le niveau d’artisanat indubitablement bien supérieur à la moyenne. La voix de l’initiée au Kugutsu retentie à nouveau dans la salle vide mais cette fois ci simplement pour elle-même, laissant ses réflexions s’exprimer candidement.

- Les finitions sont vraiment impressionnantes, est-ce que tout à vraiment été entièrement construit ici ?

Aucun regret d’avoir marché à travers la ville pendant des heures à la recherche de cette petite boutique, les rumeurs qu’elle avait entendues ne rendait absolument pas justice à l’endroit, l’artisan qui utilisait cette boutique était clairement talentueux et Yumeko était maintenant impatiente de le rencontrer et de savoir d’où lui venaient ses connaissances dans la création de marionnettes…

Le jeune entrepreneur confirmait que tout était fait de ses propres mains, un talent dans l’artisanat qui était donc confirmé, et appartenant à la personne sous les yeux de l’ancienne citoyenne de la Céramique, partant du principe qu’il disait la vérité évidemment mais malheureusement sans être spécialement naïve Yumeko n’avait jamais développée la maitrise de lire dans ses interlocuteurs avec brio et puis, de toute façon, pourquoi partir du principe qu’un vendeur presque perdu à ce qui était basiquement la frontière de la capitale mentait, si il était soudainement une superstar montante dans les plus grandes entreprises de la Forge du Monde là les questions pourraient se poser.

Par contre les oreilles de la jeune femme avaient tiquées sur le fait que ce monsieur appelé Nihon se revendiquait « du Kugutsu », pas de l’artisanat, de la sculpture ou autre mais bien de l’art des Marionnettistes et sa boutique confirmait parfaitement ses dires si jamais il y avait encore quelques doutes : l’amas d’objets manufacturés à la main était impressionnant et surtout aurait totalement pu passer pour l’atelier d’un Monzaemon à Tōji no kuni, les morceaux de pantins, les marionnettes finies, certains objets qui semblaient avoir été fabriqués à partir de ce qui devait être une ou même plusieurs autres pantins ensuite modifiés. Un esprit partageant la même passion du Kugutsu pouvait facilement comprendre être au sein d’un terrain d’expérimentations d’un confrère artisan

- On ne voit que très peu de telles affaires à l’intérieur de Tetsu, déjà que le travail du bois n’est plus trop à la mode, les marionnettes le sont encore moins. Vous êtes originaire de Tōji ?

Il ne se revendiquait pas Monzaemon, mais il essayait peut être de cacher son identité, ou s’était séparé du clan. Yumeko n’avait jamais entendue parler d’un « Nihon », mais en tant que membres d’une nation opprimée et réduite en esclavage pendant plus d’un siècle, les déplacements des familles du pays de la Céramique étaient communs et avoir des membres dont les familles ne se sont jamais croisées sur plusieurs générations n’était pas du tout quelque chose de rare, et il aurait suffit qu’ils ne rejoignent pas Tōji à la libération pour rester totalement inconnus, peut être même qu’une partie de la famille du jeune homme en face d’elle avait rejoint le pays de ses racines après l’éviction de Yumeko, ce qui dans un sens ironique le rendrait plus proche de la nation qu’elle-même.

Yumeko continua de laisser son regard se perdre dans l’assortiment éclectique proposé à la vente, pondérant ses choix et ses prochains mots, avant de laisser un très léger soupir s’échapper de sa bouche, autant jouer cartes sur table. Malheureusement quand la plupart de ses années formatrices sont passés à être combattante dans une guérilla révolutionnaire, les capacités sociales ne sont pas les plus développées, Yumeko n’avait aucune confiance dans le fait de pouvoir tourner autour du pot et tenter de tirer les vers du nez du jeune homme qui semblait avoir au moins le minimum de capacité de conversation et de diplomatie qu’on pourrait s’attendre d’un marchand, même peu fructueux. Elle prit donc une des sphéres de bois à sa ceinture, avant de la présenter sur sa paume à la vision de son vis-à-vis, elle activa son chakra sur le bout de ses doigts, formant les fils de marionnettiste, déployant le Kashimushi.

- Je dois avouer que je ne cherche pas à acheter, ni à vendre, j’étais juste curieuse de pouvoir rencontrer un « collègue » dans le domaine du Kugutsu, peut être même un parent ? Si j’ai de la chance. Je m’appelle Yumeko, Yumeko Monzaemon, enchantée Monsieur Nurarhiyon

Le Kashimushi avec les lames fixées sur ses ailes et la pointe visible au bout de sa queue détonnait avec les créations dans la boutique de Nihon, étant clairement une arme plutôt qu’un objet d’art ou d’amusement, la manieuse savait que certains membres de son clan proposaient des représentations, des théâtres de marionnetisme, surtout maintenant que la nation de la Céramique jouissait d’une forme de reconnaissance et de paix, surement passagères, mais ça restait un domaine dans lequel Yumeko n’avait aucune expérience, après tout créer un pantin pour l’effet visuel était très différent que le faire pour le combat, peut être qu’elle pourrait donc apprendre de celui qui semblait avoir plus d’expérience dans ce domaine particulier ? Son but était de maitriser le Kugutsu sur le bout des doigts (haha) après tout !

Yumeko devait se corriger sur quelque chose : peut être que le jeune homme en face d’elle ne disposait pas d’autant de tact et de capacités sociales qu’elle projetait sur un marchand, normalement versé dans l’art de la discussion avec ces clients. Avoir une description des préjugés de son interlocuteur et être comparée aux bédouins, terme surtout utilisé pour les Kazejin, avait plus que rigidifié le sourire qu’elle affichait devant la reconnaissance de Nihon d’une autre pratiquante de l’art du marionnettiste. Même si la main qui ne manipulait pas le Kashimushi s’était contractée Yumeko essayait au moins dans son for intérieur de ne pas en tenir rigueur à l’artisan hautement compétant avec qui elle discutait, après tout à l’entendre il ne semblait avoir basiquement aucune connaissance de a région du continent d’où elle venait. Même si tout son être s’était conditionné à prendre ce genre de commentaires comme une insulte, elle voyait bien que dans ce cas précis il s’agissait d’un manque de savoir sur les pays limitrophes que sont Kaze et Toji.

Elle préféra respirer discrètement pour reprendre le contrôle et réafficher son sourire de manière plus naturelle, le marchand lui demandait plus de précisions à propos de la marionnette qu’elle venait de lui montrer, ou plutôt des confirmations, sur la fonction première du Kashimushi et elle y répondit de bonne grâce en hochant la tête

- Une arme oui, tout à fait, éprouvée dans le désert durant des années, malheureusement les créations des Marionnettistes se sont surtout limitées à cette catégorie pendant longtemps, le contexte oblige, on voit de plus en plus d’autres fonctionnalités chez les pantins même à Toji, mais je n’ai pas produit de nouvelles créations fonctionnelles depuis un moment donc je ne me suis pas encore lancée sur cette voie.

Nihon continuait sur sa volonté de lui-même réaliser des pantins servant au combat, et Yumeko ne put retenir un petit rire s’échappant de ses lèvres à la description des projets de créations du monsieur Nurarihyon, le sentiment de fraternité déjà ressenti en le sachant utilisateur des mêmes techniques qu’elle encore plus renforcé par ce qu’il lui disait.

- Je dois avouer ne pas spécialement connaitre ce « Hyakki Yako» dont vous parlez, ou même beaucoup de contes, mais le tout premier pantin suffisamment bien construit pour mériter cette appellation a été baptisé « Onryō » donc je vous comprends totalement sur cette volonté d’utiliser les croyances et les légendes, surtout horrifiques, pour vos créations.

« L’esprit vengeur », son premier gardien, et l’arme avec laquelle elle fut le bourreau de trop de membres du pays du vent pour s’en souvenir, la peur et la superstitions étaient des armes comme les autres et elle n’avait pas hésité à les utiliser pendant la Révolution de la Céramique, mais voir quelqu’un qui n’avait jamais fait partie de ce conflit essayer de s’engager sur la même voie la rassurait peut être un peu, cela pouvait vouloir dire qu’elle n’était pas totalement perdue par sa volonté de détruire Kaze, ou que le jeune homme en face d’elle était simplement fou également…

- Je serais ravie de voir vos créations, et de répondre à vos questions sur les utilisations des pantins en tant qu’armes si vous en avez, après tout c’est aussi la raison pour laquelle je me suis installée à Tetsu.

Accepter immédiatement de partager des informations sur ses arcanes secrètes pouvait sembler incongru, mais au yeux de Yumeko le Kugutsu était une pratique bien trop jeune et trop peu pratiquée pour se permettre ce genre de pensées, une discipline si récente qu’il en restait encore beaucoup à découvrir et dont les codes n’étaient même pas encore réellement installés pour le moment, tous les esprits qui le pratiquaient et cherchaient à l’améliorer valait mieux tenter de s’y allier, au moins un minimum, sinon le risque de manquer une fulgurance de la part d’un créateur, ou de perdre de trop précieuses informations si la seule personne ayant fait une découverte se refusait à la transmettre et était réduite au silence, et le gérant de boutique qu’elle avait sous les yeux était clairement un créateur de pantin de talent, même si il ne se concentrait pas sur l’aspect guerrier. En plus, de sa propre expérience les artisans qui se concentraient sur un « thème » comme le laissait entendre Nihon avait tendance à finir par se trouver des particularités et spécialités adhérant au dit thème et souvent uniques, ce qui voulait dire que Yumeko pouvait totalement apprendre quelques choses dans cette boutique et ne pas être simplement celle qui donnait son savoir sans retours.