Bien des âmes venaient à se perdre dans les vapeurs industrielles de Tetsu, pour un travail, pour la gloire, pour essayer de tirer son épingle du jeu dans un monde où l'influence pouvait offrir autant de puissance que celle d'un bras bien portant. Mais parmi toutes ces espérances, il y en avait qui menait au Rakuen no Kakoi. L'atmosphère sirupeuse était à l'opposé de la lourdeur de l'air des ruelles de la ville. L'établissement dessinait un monde à part et parfois même une bulle d'oxygène pour qui en avait besoin et quelqu' en soi la raison. Qui ne rêvait pas d'un instant de répit après tout ? Le clos du paradis offrait le droit à la distraction, au repos de l'âme et du corps, et en fonction des besoins de chacun : à boire, à fumer, à consommer, en musique, en bonne compagnie ou dans une ambiance festive. Le jugement était abandonné sur le pas de la porte et la seule différence entre les clients étaient en réalité la taille de leur bourse. Et il y avait de tout, et à tous les prix.

Suzume avait beaucoup fait pour ces lieux, beaucoup donnés également. Elle n'avait jamais oublié d'où elle venait. Si l'endroit pouvait paraître élitiste, cela ne l'était pourtant pas, bien que l'on ne pût négliger la monter en "gamme" des produits qu'elle fournissait ou bien même des finitions décoratives des lieux. Tout était dans les détails, mais elle ne chassait personne... sauf les troubles faits. Telle était la règle. L'endroit était un refuge et elle n'excusait aucun élément perturbateur. Heureusement pour elle, cela était bien rare et son intervention directe tout aussi bien. Mais la jeune femme n'était pas uniquement une commerçante ou une propriétaire, et c'était en cela qu'elle était parvenue à se faire apprécier autant par ses employés que ses clients. Elle pouvait être dure, elle pouvait être douce, mais il y avait autour d'elle une aura sibylline.

Ce jour-là, elle était en pleine discussion avec un homme d'une trentaine d'années, le dos déjà voûté par le travail et qui tenait un chapeau un peu miteux entre les mains. Il paraissait désespéré, fatigué, un peu perdu. Pourtant, le regard de la Belladone paraissait empli de compassion, elle posa même une main chaleureuse sur l'épaule poussiéreuse du travailleur. Ce dernier n'était ni un client, ni un salarié, toutefois, la Dokueki prenait le temps de converser avec lui. Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes que le visage du travail se détendit et semblait remercier de bonnes grâces la jeune femme avant de partir.

C'était précisément à cet instant-là, que le regard cuivré de Suzume croisa celui de Higure. Sans savoir le genre d'homme qu'il pouvait être, ni les raisons de sa visite, un léger sourire se profila sur son visage opalin, ainsi qu'un salut gracieux. Aussi mystérieusement que cette brève vision, la jeune femme finit par avancer dans sa direction jusqu'à se tenir devant lui.

" Bienvenue au Rakuen no Kakoi. "

Il n'était pas un visage connu, et pour la jeune femme, il lui avait toujours été primordial de connaître ceux qui venaient profiter des services qu'elle offrait pour des milliers de raisons.

" Vous ne me paraissez guère familier des lieux. Puis-je vous aider ? "

C'était alors que l'attention de l'hôtesse se porta sur la jeune fille qui accompagnait Higure. Il était rare de pouvoir apercevoir une personne aussi exaltée, mais cela semblait amuser cette dernière.

" Mais veuillez m'excuser, je ne me suis pas présentée. Je me nomme Dokueki Suzume. Je suis la propriétaire de ce lieu. J'espère que vous pourrez y passer un agréable moment. "

Toujours habitée par ses nobles manières, la femme du clan des poisons effectua une révérence à l'égard de ses nouveaux invités. Peut-être gagnerait-elle deux nouveaux clients ? Qu'importait ce qu'ils cherchaient, elle tâcherait, comme toujours, de satisfaire leurs envies.

Les yeux de la Dokueki semblaient se refuser à quitter ceux de son invité, peut-être une façon pour elle de chercher à voir quelque chose au travers de ses derniers, peut-être par pure séduction commerciale ou bien une toute autre raison qui échappait encore à la compréhension. Toutefois, bien vite, un délicat sourire vint ourler ses lèvres lorsque le vétéran marqua sa gratitude envers son intervention.

" Je ne peux prétendre posséder un grand sens de l'observation, mais j'ai appris à reconnaître le visage des personnes venant ici. Et dans le cas où je ne les connaitrais tous, je dois dire que leur attitude emplit de curiosité les trahisse assez facilement. "

C'était à ces mots que l'attention de Suzume se tourna vers la jeune Uzumaki, et que son sourire s'étira de plus belle, comme si elle était énigmatiquement émue par cette joie de vivre si naturellement exposée. Il fallait dire que pouvoir percevoir le visage d'une toute jeune femme aussi enthousiaste était à ses yeux déjà le gage qu'une partie de ses ambitions était réussie, elle qui était toujours  hantée par les expressions de ses sœurs à l'agonie. Que de chemin parcourut...

" Votre fille a l'œil. Quelle chance d'avoir une si belle enfant, toujours maîtresse d'un émerveillement qui finit par nous faire défaut avec l'âge. Elle doit être une véritable bouffée d'oxygène. J'espère que cet établissement ne vous décevra en rien. "

La commerçante prêta à nouveau son attention sur le maître du duo qui finit par lui donner deux noms, mais aussi ses attentes.

" Vous devez donc être épuisés. Venez avec moi, je vais vous conduire dans un salon privatif où vous pourrez aussi bien vous reposer que vous rafraîchir. "

Sur cette proposition, Suzume fit un signe pour inviter "Hiruka" et "Miya", les conduisant au premier étage. Le rez-de-chaussée était plus tumultueux, plus vivant, et le bar était ouvert à tous, comme les tables de jeux. Il aurait été tout à fait possible de leur trouver une table, mais elle imaginait qu'il serait plus plaisant pour des voyageurs de s'isoler un peu.  Une fois sur le bon palier, la jeune femme leur fit traverser un long couloir où de nombreuses portes dissimulaient chacun des salons, dont certains étaient déjà occupés. Le plus surprenant ? C'était qu'aucun bruit ne parut s'en échapper, comme si tout ce qui s'y produisait était... secret.

La Dokueki finit toutefois par s'arrêter et ouvrit les grandes portes vers le lieu qu'elle choisit pour ses invités. Les lumières tamisées et la décoration orientale apportaient une touche d'exotisme chaleureuse. Les tapis, les coussins et les parfums avaient été pensés pour mettre à l'aise ceux qui étaient accueillis.

" Et voici pour vous... J'espère que ce salon vous plaît ? Je vous laisse vous familiariser avec l'endroit, je m'occupe de vos boissons. "

Les saluant élégamment, Suzume les laissa alors tous deux et ne revint que cinq minutes plus tard. Afin de prévenir de sa présence, une petite clochette avait sonné, et elle ne rentra que quelques secondes après son annonce en apportant un large plateau qu'elle déposa immédiatement sur la table basse de la pièce.

" Puisque vous avez mentionné une envie de boire quelque chose de frais, je me suis permise de rester sobre avec un cocktail à base de menthe et de yuzu, frais et légèrement acidulé. Je vous ai également mis quelques fruits frais pour accompagner le tout. "

Les yeux cuivrés de la maîtresse de maison passèrent alors de "Hiruka" et "Miya", avant de désigner plusieurs cordelettes près de la porte.

" Si vous désirez quoique se soit, vous n'avez pas besoin de vous déplacer. Il vous suffira de sonner la cordelette là-bas en fonction de vos besoins. La rouge pour passer une commande comme des boissons ou quelques choses à déguster, la jaune concerne plutôt ce qui est récréatif comme faire appel à des danseurs, musiciens ou bien d'autres besoins. La corde brune signifie tout simplement que vous avez fini et permettra à nos employés de nettoyer le salon. "

Restant alors devant eux, guettant peut-être une question quelconque, elle désirait s'assurer que tout irait pour le mieux.