Si j'lui coupe la tête, j'en ferais une omelette, si j'lui coupe les genoux, j'en ferais du tofu ♪ Bon, ça commence à m'agacer légèrement toute cette histoire. Plusieurs jours, voir semaines maintenant que je suis parti à la recherche d'une putain de page d'un putain de livre dans tous les putains de pays. Si je recroise la route de ce foutu joueur de flûte, crois-moi bien que je vais lui enfoncer profond. Heureusement pour moi, une petite douceur de Kazu-kun et j'oublie mes problèmes.

Je fouille dans mes poches, à la recherche de la petite pilule. Elle prend place au creux de ma main, je la regarde un instant, contemplant sa beauté et sa divinité. J'approche le cadeau au creux de mes lèvres, ma main gauche saisi une petite gourde dans laquelle je viens laper une gorgée. La douceur fond sur ma langue, coulant le long de ma gorge, caressant ma glotte sur son passage. Bordel que c'est bon. Faudra que je penses à rentrer dans peu de temps, j'ai bientôt plus assez de dose et ça la fouterais mal de taper dans celles pour les clients. Je vois déjà Kagaya-kun gueulé comme un con si je tape dans la marchandise, sans parler de Kuso Yaro le clébard. Je le vois déjà japper avec ses katanas comme un sale gosse à qui on aurait piquer son jouet. Belle bande d'ahuri que je me trimballe. Heureusement Kazu-kun est là. Bon. Elle est complètement défoncée à longueur de journée, mais au moins, elle me casse pas les couilles.

Aaaaah. Voilà, là ça commence à faire effet. Là je me sens fort et vigoureux, putain je suis bouillant. Je reposais ma grande besace en cuir sur mon dos, alors que je dégainais mon arc. Un grand carquois en véritable cuir de tigre blanc accroché à la ceinture, j'en dégainais une flèche, le plumage étant celui d'un toucan de la taille d'un homme que j'avais dépecer moi-même. Des nervures apparaissent sur les contours de mes yeux, mes pupilles vermillons remplacées par celles nivéennes. Les pupilles ultimes s'activent, ma vision change. Les couleurs sont remplacées par le noir et le blanc, chaque morceau de vie s'offre à ma vue, rien ne peut m'échapper. Derrière chaque arbuste, chaque touffe d'herbe, chaque morceau de pierre, la chaleur des corps se dégage. Mon index et mon majeur droit tende la corde. Tac. La flèche quitte le nid.

« Boom. Dans ta gueule. Tous les animaux du moonde, tous les animaux sont nos amis, du lion à la colombe, du renard au ouis..titi. Petit repas tranquille, ça fait plaisir. »

Je venais quitter mon rocher, m'étirant un instant avant de prendre la direction du gibier abattu. Un lapin. Ok, pas mal, ça ira, et c'était pas mal pour se dégourdir depuis le temps. Camouflée dans ma botte, une dague rejoint ma dextre, avec laquelle je commence à dépecer la bête. Je place la fourrure dans ma besace, après avoir placé le sang dans un petit tube à essai.

« Suffira de dire que c'est du sang de lapin-tigre, la terreur du Pays du Riz. »

Ouais. Tout ce vend, suffit juste de bien le mettre en valeur. La chair crue du gibier rejoint ma bouche, où j'y tape un gigantesque croc. Miam. On se régale. Maintenant, faut se remettre en route. D'après les murmures du Marché Noir, ce foutu joueur de flûte aveugle avait pas raconté que de la merde. La carte qui m'avais été fournie m'emmenait jusqu'ici. C'est apparemment derrière cette cascade que se trouve la dernière page des "Comptines et Contes Légendaires des Animaux Merveilleux". Oui, le nom est éclaté, mais je peux vous dire que si j'arrive à reformer le bouquin entier, ça va se vendre une fortune.

Bon. Cela faisait maintenant de longues minutes que j'observais la petite carte au trésor indiquant d'une flèche la Cascade d'Apogée. Bien que la page restait une légende tant que je n'avais pas mis la main dessus, ce qui attirait mon regard - ayant repris sa carapace vermillon - était l'exotisme de la faune locale. Des carpes koï gigantesques aux oiseaux dôtés d'un plumage qui se vendrait à prix d'or, tout dansait devant mon regard comme les gains potentiels que je pouvais en tirer. Cependant, ravager la faune était peut-être une mauvaise décision à prendre. Je me contenterais de trouver ce pourquoi je suis parti depuis si longtemps, et reviendrais avec un sac plus grand.

« Mon petit oiseau a pris sa volée, mon petit oiseau à pris sa volée. Mon petit oiseau à pris sa, à la volette, à pris sa, à la volette.  ♪   »

Je sais pas si ce fichu bouquin est vraiment celui de l'Empereur-Roi, mais ce qui est légendaire, c'est à quel point les paroles restent en tête. Mais une surprise bien plus grande venait stopper le rythme que je chantonnait. Bordel. Sans que je n'eus réellement l'impression d'être observé, ce fut un serpent albinos, d'une taille démesurée qui vint faire son apparition. Mon arc rejoignit mes mains, mon corps bondissant vers l'arrière pour rejoindre un rocher légèrement plus haut. Deux flèches fut encoché tandis que mes yeux avaient repris leur couleur nivéenne. La corde était tendu, les tenketsu bien en vu... Merde.

« Arf. T'es une invocation c'est ça ? »

C'était toujours délicat avec les invocations, car malgré leur rareté, en tué et en dépecé une était s'exposer aux représailles de son maître. Vu la taille du reptile et le fait qu'il n'était aucunement effrayé à approcher seul un humain armé, trahissait une grande confiance et de surcroit donc, une potentielle grande puissance de lui et son invocateur. De toute façon, dans le monde du trafic d'animaux, celui des Kuchiyoses étaient réservés à une élite, capable d'assumer les potentiels conséquences. Et puis, finalement, peu de leurs peaux ou sang trouvait preneur, pour les mêmes raisons.

« Comment je les connais ? C'est simple regarde, il ne me manque plus qu'une page. »

Sortant la copie de ma besace, je venais la feuilleter rapidement pour lui montrer l'ensemble de l'œuvre.

« Comment, toi un serpent, peux connaître un tel ouvrage ? Tu t'intéresse aux Comptines et Contes Légendaires des Animaux Merveilleux, toi aussi ? C'est bien ma veine, putain. »

Un instant de réflexion s'imposait, il est vrai que de nombreuses chansons restaient rapidement en tête, il était difficile de faire un choix dans tout cet ouvrage. Hmm. Question pertinente, mais je crois que j'ai trouvé ma réponse.

« Je dirais, avec assurance, que c'est Promenons-nous dans les Bois Maudits. Et toi le reptile, c'est quoi la tienne ?   »

Là, je commençais quand même à me demander si la drogue de Kazu avait été bien dosée.

« ... Lapin lapin entre et viens, me serrer la main. ♪ »

Arf. Il avait raison, celle-ci aussi restait en tête plus que de raison. Une seule ligne de parole, des longues journées à la chantonner. C'était la toute la puissance que dégageait l'ouvrage millénaire. De simples mots, de simples chants à l'honneur de la faune, mais des générations entières ravagées par le rythme. Aucun d'entre nous ne pouvait réellement comprendre l'impact de ses mots, mais comment des chansons aussi vieilles pouvaient-elles avoir perdurées dans le temps si elle ne disposait pas d'une dose de magie ou de divinité. Là. Voilà où résidait la puissance des Comptines et Contes Légendaires des Animaux Merveilleux.

La monstruosité serpentine me fit une proposition alléchante, tout en me narrant une partie des histoires merveilleuses que l'on raconte aux enfants. Cela dit, et là où je le rejoignais dans sa réflexion : les histoires pour bambins sont souvent juste un dérivé d'une réalité tout autre. Et si il avait raison, et si la créature la plus légendaire de toute ce trouvait en haut de cette cascade fabuleuse ?

« Il paraîtrait même, que chaque koï atteignant l'âge du trépas termine sa course en remontant la cascade, afin de s'élever vers le ciel pour en former les étoiles que l'on voit la nuit. »

Des histoires de cette sorte il y en avait des milliers. Mais à quoi bon les raconter si ce n'est pour ne pas les croire, ne serait-ce qu'un petit peu. J'avais passé bien trop de temps emprisonné ou aux services des autres pour ne pas observer chaque détails de la liberté. Et celle-ci s'ouvrait encore un peu plus à moi, lorsque perché sur le dos de la bête, je vint remonter le courant. J'étais cette koï, qui remonte le ruisseau pour devenir dragon. La voilà, face à moi, ma porte vers la liberté, vers le renouveau.

« La vue est magnifique le squamate. Mais je crois que ton histoire disais vrai. »

Une grotte se découvrait face à nous, en haut de l'Apogée. Et si la raison de ma rencontre avec un serpent gigantesque albinos, aux allures légendaires et doué de paroles, n'était pas simplement pour en arriver à ce moment précis. Et si tout ça se révélait être un signe des dieux ou de l'Empereur-Roi lui-même. Je quittais le dos du reptile, armé de mon arc pour pénétrer la grotte sacrée.

Incroyable. Voici le spectacle qui s'offrait à moi...