An 141. Fuite de Suguru. Ce dernier n’avait pas réfléchi aux conséquences de ses actes. Il voulait juste vivre. Il voulait grandir, et vieillir. Il voulait découvrir le monde. Pourtant toutes ces opportunités lui furent pratiquement retirées sans qu’il n’ait un mot à dire et sans aucune raison valable. Du moins à ses yeux.

Dans son clan, celui des Imono, la tradition voulait que les Éveillés passent un rituel lors du passage à l’âge adulte. Une cérémonie où le concerné est plongé dans un bain de métal en fusion. Une tradition archaïque et futile. Un rite que son ainé avait échoué. Les yeux pleins d’espoirs et d’admiration pour son frère, le jeune Imono l’avait observé s’immerger dans la cuve. Il l’avait écouté hurler de douleur. Il avait senti l’odeur de la chaire brûlée. Il avait vu la vie quitter son corps. Toutes ces sensations, toutes ces horreurs furent alors marquées au fer ardent dans l’esprit du jeune adolescent. Jamais il ne pourrait les oublier. Toutefois cet échec, aussi traumatisant fut-il, signifiait également la mort de la famille nucléaire du défunt. Selon les mêmes traditions, le seppuku était de mise.

Sans un mot, les deux parents et leur fils survivant rentrèrent chez eux car parler était devenu inutile. Ils n’étaient plus que des morts en sursis. Cependant plus l’heure fatidique approchait, plus Suguru se questionnait sur le bienfondé de cette pratique. Il était certes déshonorant de ne pas avoir hérité du Kinton, mais la mort de son frère n’était-elle pas suffisante ? Pourquoi devaient-ils tous payer le prix. Après tout, il n’avait que 12 ans. Il était aussi innocent que l’on pouvait l’être à cet âge-là…
Toujours dans un silence religieux, la famille du défunt s’installa dans le salon de la maison familiale. Agenouillés, la lame posée à leur côté. Ils étaient prêts. Le premier à s’en aller fut le père de Suguru. Il s’agissait de la position la plus difficile. Le chef de la famille devait montrer l’exemple, et appliquer les traditions. Ils avaient suffisamment déshonoré le clan Imono. Ensuite, ce fut autour de sa mère. Elle lui adressa un dernier sourire et un regard plein de tendresse, avant de disparaitre à son tour. Enfin le cadet tendit la main vers la lame. Il tremblait. C’était à son tour, mais il n’y arrivait pas. Ses doigts ne voulaient pas se refermer autour de la garde. Son cerveau savait ce qu’il avait à faire, mais son corps refusait d’obéir. Pourtant, il n’avait pas d’autres choix que de suivre le destin tragique de sa famille.

Au bout de longues minutes à débattre intérieurement, il se leva d’un seul bon et se dirigea vers sa chambre pour rassembler quelques affaires. Il voulait vivre. Il ne désirait pas mourir de cette façon, pas si jeune. Il avait encore tant à apprendre et à expérimenter. L’adolescent était bien conscient des conséquences de son choix, mais il était prêt à les assumer. Il était prêt à partir pour ne jamais remettre un pied au pays du Fer. Enfin, il attrapa la lame de son père. Une épée à la lame tordue comme un serpent qui ondule. Une arme qu’il avait eue lorsqu’il avait réussi son rite de passage. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait pris cette arme en particulier, mais il savait que ce serait son dernier lien avec sa contrée d’origine.

An 142 à 148. Mercenariat de Suguru. Après sa fuite, le jeune n’avait que deux certitudes : il reviendrait venger sa famille et il devait devenir plus fort. À part cela, il était complètement perdu. Il ne savait quoi faire, ni où aller. Il erra quelques temps à Hakugaku, avant de finir à Hametsu. La journée, il se déplaçait et le soir il s’entrainait. Pendant plusieurs semaines, sa routine fut la même et seuls les villages rencontrés apportaient un peu de variété. Toutefois, c’est au Pays en Ruine que sa routine changea du tout au tout. Ce fut lors de sa rencontre avec un groupe de bandits que son exile prit une autre tournure. Étrangement, il se sentit directement intégré dans la petite troupe et surtout, il était accepté à sa juste valeur. Il n’y avait aucun jugement. Tout le monde avait sa propre histoire, chacun respectait celle des autres. L’Imono avait trouvé une seconde famille.

Pendant les années qui suivirent, il s’intégra de plus en plus au sein de la troupe et surtout, il développa ses capacités. Contrairement à ce que son clan d’origine aurait exigé, il put développer ce pour quoi il était le plus doué. Et ce n’était pas le maniement d’armes ou la maîtrise du métal. Suguru put s’épanouir tout en soutenant ceux qui l’avaient recueilli alors qu’il n’avait nulle part où aller. En fait, le groupe entier s’améliora rapidement tout comme leur réputation empira. Ils étaient doués pour dérober, tuer et dépouiller. Généralement, ils n’agissaient que pour leur survie et pour obtenir ce dont ils avaient besoin mais il arrivait qu’on les engage pour leur talent. Certains les considéraient comme insaisissable. Comme des fantômes. Une fois qu’ils avaient terminé leur travail, ils disparaissaient sans laisser la moindre trace.

An 147. Opposition aux Ambassades. Si le chaos régnait sur Hametsu, les tentatives de rétablir l’ordre ne manquaient pas. L’une d’entre elles fut d’établir une Ambassade dans le pays, et créer une base pour les relations internationales. Toutefois, certains ne virent pas ces changements d’un bon œil et décidèrent d’engager la brigade fantôme, aussi appelée Hako no Mononoke. Les Spectres du Passé. Le but ? Éliminer la personne désignée pour être l’Ambassadeur.
Peut-être que c’était le Destin qui avait placé ce contrat sur le chemin de Suguru, mais il n’en revint pas quand il vit le nom de leur cible. Un Imono. Bien entendu, il ne le connaissait pas personnellement mais il supposa qu’il devait s’agir de quelqu’un de relativement impliqué dans la politique du clan. Surtout s’il avait été désigné comme Ambassadeur. Cependant, cela signifiait également que la mission devenait largement plus difficile. Il était toujours plus compliqué d’éliminer un Éveillé. Étrangement, ce détail ne perturba pas outre mesure le groupe qui ajusta le plan en fonction des nouveaux éléments. C’était d’autant plus excitant que la tâche était compliquée.

Le jour même, tout le monde se montra d’un calme imperturbable. Ils connaissaient le plan sur le bout des doigts, et les évènements se déroulèrent sans la moindre accroche. Les distractions fonctionnèrent à merveille, et les ouvriers se trouvaient là où on avait besoin d’eux. En fait, la mission aurait pu se dérouler parfaitement si Suguru ne s’était pas retrouvé près du futur ambassadeur. Étrangement, le problème ne fut l’hésitation de l’Imono a tuer un ancien camarade mais bien le contraire. Ce fut son surplus de confiance qui posa problème.
Après l’avoir surpris, et lui avoir planté la lame en plein cœur, il ne put s’empêcher de jubiler. Il venait de faire le premier pas vers sa vengeance. Il avait pris la vie d’un manipulateur de métal, comme eux avaient pris celle de ses parents et de son frère. Alors qu’il se tenait au-dessus du corps, il ne put s’empêcher d’exulter et lâcha un rire un peu trop fort par mégarde. Ce bruit, sortant de l’ordinaire, attira l’attention de personnes hors de la pièce. Alors qu’il quittait les lieux, plusieurs individus eurent le temps d’observer son visage tandis qu’il camouflait sa présence. C’était trop tard pour passer complètement inaperçu, même si le contrat était rempli.

An 148. Arrivée à Tsuchi. Suite au petit échec de leur mission, Suguru avait été reconnu et localisé par son clan d’origine, le groupe fut régulièrement harcelé. Les Imono envoyant des mercenaires pour rapatrier le fugitif, ils durent prendre une décision radicale : quitter le pays. Comme ils étaient maintenant associés au jeune homme, son départ n’aurait pas nécessairement arrangé les choses. Au contraire, la situation aurait pu empirer.
Ainsi, d’une décision pratiquement unanime, toute la brigade laissa Hametsu derrière pour rejoindre le Pays de la Roche. Sa mauvaise relation avec le pays du Fer mettrait certainement des bâtons dans les roues des mercenaires envoyés par celui-ci. De plus, de part leurs origines disparates, ils possédaient tous des informations susceptibles d’intéresser l’état. Que ce soit pour la conquête d’autres nations, ou pour obtenir des avantages stratégiques.