Tenma pénétra pour la première fois dans le Marché Noir et des les premières secondes, il détesta les lieux. Il avait l’impression d’être dans une prison en pleine air. Il se sentait oppressé et observé dans ce quartier de la ville de la Pluie. Comme si tous ses gestes étaient épiés. De plus, le jeune homme ne s’y sentait pas à sa place, alors qu’il avait adoré tous les autres aspects de la cité. Il avait l’impression d’avoir troquer sa liberté pour pénétrer dans ces lieux où l’illégalité régnait. Mais il n’avait pas d’autre choix que de s’y rendre, ou plutôt c’était le seul qui lui était venu à l’esprit.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’il retournait la pièce dans tous les sens. Il ne comprenait ce que c’était réellement, d’où elle venait ou ce dont elle était faite. Le Fujimi ressentait du chakra émanait de l’objet, mais cela n’avait aucun sens… Pas plus que les yeux vermillon de l’homme qui lui avait donné. La couleur des iris de l’inconnu avait directement attiré son attention et sur le moment, il ne s’était pas posé plus de questions. Ce n’est que le lendemain, lors qu’il repassa les évènements dans son esprit, qu’il comprit qu’il lui manquait plusieurs pièces à ce puzzle.
Bien entendu, il avait essayé de retourner dans le vieux bar pour forcer son destin mais rien ne se produisit. Il n’y avait plus aucune trace de l’homme, comme s’il n’avait jamais existé. En interrogeant les propriétaires, et des habitués, il se rendit compte que personne ne l’avait jamais vu et ne le verrait certainement plus.

C’est ainsi que Tenma se retrouva dans les rues du marché noir. Il ne savait pas trop ce qu’il cherchait mais il était persuadé d’une chose, il reconnaitrait ce qu’il cherchait en le voyant. Que ce soit une personne, un objet ou un lieu cela n’avait pas d’importance pour lui. Il saurait reconnaitre le signe qu’il cherchait. Il s’engagea donc dans les ruelles sombres et torsadées du quartier, tandis que ses yeux dardaient de gauche à droite à la recherche du moindre indice. Il était prêt.

L’attention de Tenma était entièrement concentrée sur un point, ou plutôt sur des centaines à la fois. Tandis qu’il avançait à un rythme relativement lent, surtout en contraste du reste de la foule, ses yeux dardaient de gauche à droite à la recherche d’un visage familier. De deux yeux vermillon. Enfin ce n’était pas le seul indice qu’il recherchait, mais c’était le seul qu’il possédait à l’heure actuelle. Son incursion servait autant à confirmer cette hypothèse que de trouver de nouvelles pistes. Après tout, on pouvait rencontrer tous types de personnes au Marché Noir.

Cependant si son esprit analysait ce qui se déroulait autour de lui, il n’enregistra pas son environnement immédiat. Au bout d’une dizaine de minutes de marche, à se tortiller dans la foule, le Fujimi finit par heurter quelqu’un. Dans son esprit, ce fut comme si l’inconnu s’était matérialisé devant lui. Il n’eut pas le temps de réaliser ce qu’il se passait qu’une voix s’éleva, presque trop grave pour être naturelle. Le manipulateur de fils releva alors les yeux pour voir qui se tenait devant lui. Son premier réflexe fut d’effectuer un pas en arrière.
La silhouette était légèrement plus grande que lui et surtout beaucoup plus imposante. Elle était complètement recouverte d’un voile noir tandis qu’un masque blanc recouvrait son visage. Elle semblait même bossue…

— Euh… Pardon, je ne vous avais pas vu… répondit-il machinalement avant de mieux analyser la personne devant lui. Mais comment pourrais-je avoir un problème avec votre tête. Elle est cachée derrière un masque…

Étrangement, Tenma était tombé sur un drôle d’énergumène. Tout chez lui semblait discorder. Sa voix, son apparence et même son attitude ne semblaient pas coller. Comme s’il cachait quelque chose. Ainsi le jeune homme resta ambivalent vis-à-vis du personnage : non seulement il l’intriguait mais il l’incitait à rester prudent. Un sentiment qui chatouillait sa curiosité. Il soupira avant de reprendre la parole.

— Si on doit s’expliquer, je préfèrerais que cela se fasse à l’abri des regards. Suffisamment de dangers rôdes dans cette partie de la ville.

En attendant une réponse, il fixa son interlocuteur d’un regard ennuyé. Il espérait juste ne pas perdre son temps avec lui. Si son instinct se révélait bon, peut-être ferait-il de bonnes découvertes ? Dans le cas contraire, il risquait simplement de se mettre en danger ou de perdre son temps.

Étrangement la réaction de l’individu face à lui perturba Tenma, ce qui ne fit qu’attiser sa curiosité. D’une phrase à l’autre, il semblait changer de personnalité ou agissait de façon complètement incongrue. Toutefois il ne s’en formalisa pas, du moins pour l’instant, et guida son interlocuteur vers une ruelle plus calme. Si c’était possible dans un quartier comme celui-ci. Les passants, tous plus intriguant les uns que les autres, sortaient de toutes les venelles et affluaient dans toutes les directions. Trouver un coin de tranquillité releva du miracle. Le duo de circonstance s’engouffra alors dans une petite rue trop étroite pour que deux personnes se croisent de front. C’était l’endroit parfait. Personne n’oserait s’y aventurer. La silhouette des deux hommes devait forcer la majorité des gens à faire demi-tour, et la faible luminosité terminerait de convaincre les autres.

— Je cherche des informations, mais ce ne sont pas tes affaires… du moins pour l’instant. C’est toi qui m’a interpelé, et je n’avais pas envie de créer d’esclandre au milieu de cette foule. On ne se sait pas qui, ou quoi, peut s’y cacher.

Décidemment, l’inconnu n’arrêta pas de surprendre le manipulateur de fils noirs. Ce dernier eut l’impression qu’ils ne parlaient pas de la même chose. Dans un premier temps, il crut qu’ils allaient simplement régler un différent à l’abri des regards. D’expérience, cette personne n’aimait être bousculer en public que ce soit un accident ou non. Mais l’homme devant lui, c’en était certainement un vu la voix, ne l’avait pas suivi pour les mêmes raisons. En écoutant ses dernières paroles, Tenma eut l’impression que l’accident, si on pouvait l’appeler ainsi, avait déjà été oublié.
Ainsi le Fujimi ne savait vraiment plus quoi penser de l’inconnu. Bien entendu son accoutrement l’avait directement interpelé, il ne devait être ni pratique ni agréable à porter, mais son comportement était tout aussi étrange. Toutefois, il n’avait pas la moindre idée de l’attitude à adopter ou de ce qu’il devait faire. C’était aussi la première fois qu’il se rendait dans ce quartier de la ville et d’expérience, la prudence était de mise dans ce type de situation. Le manieur de Jiongu préféra se fier à son instinct.

— Toutefois si tu tiens à m’aider, on devrait pouvoir trouver un arrangement… Est-ce que je peux te faire confiance ?

Sans y penser, sa main droite plongea dans une poche de ses vêtements et il commença à manipuler la pièce de chakra pur du bout des doigts. C’était bien pour le mystérieux objet qu’il s’était rendu au marché noir. Quitte à avoir entamé la conversation avec quelqu’un, autant en profiter pour essayer d’en retirer un maximum d’informations.

Tenma jaugea l’homme masqué pendant quelques secondes. Son apparence particulière attirait non seulement l’attention, mais également la méfiance. Pendant un instant, il crut même apercevoir une main distordue sous la cape qui recouvrait son corps. Tous ces détails auraient pu être préjudiciable à une quelconque entente entre les deux individus, mais étrangement ce ne fut pas le cas. Que ce soit grâce au ton ou aux mots employés par son interlocuteur, le Fujimi tendait à lui faire confiance. Ou du moins, il ne se méfiait pas outre mesure.

— J’ai peut-être des informations qui pourrait t’intéresser, peut-être pas. Qui sait ? Ça dépend de ce que tu cherches…

Le Fujimi choisit délibérément de se montrer vague. Il ne savait rien de l’inconnu, et en dévoiler trop pouvait se montrer risqué. Au mieux, il n’apprendrait rien et au pire, il serait dépouillé de ce qu’il avait de plus précieux : sa pièce. Une pièce de chakra pure. Il n’en savait pas grand-chose mais elle dégageait une énergie qu’il pouvait aisément reconnaitre. D’autant plus que les conditions de son obtention ajoutaient plus de mystère autour de l’objet. D’où provenait-il ? À quoi servait-il ? Le collectionneur de cœurs n’en avait pas la moindre idée et espérait que cette incursion dans le marché noir porterait ses fruits.
Le jeune homme hésita quelques instants avant de prendre une décision qui pourrait avoir de graves conséquences. Il voulait montrer son bien à l’homme masqué. En fait, il n’avait pas d’autres choix que de prendre le risque s’il voulait en apprendre plus. Il plongea à nouveau la main dans sa poche, et soupira discrètement.

— Je… Je cherche des informations sur cette pièce ? Et avant que tu ne dises quoi que ce soit, je ne te laisserai pas la toucher. Mais tu peux t’approcher.

S’il était conscient de prendre des risques, il ‘n’était pas pour autant stupide. Le laisser la prendre en main, c’était prendre le risque de la voir disparaitre avec. Seul un imbécile aurait été suffisamment stupide pour le faire.

— Et que cherches-tu ?

Alors que son bras était tendu, le regard de Tenma était fixé sur l’individu. Il était à l’affut du moindre geste suspect. Au moindre mouvement étrange, il était prêt à réagir. Toutefois, l’occasion ne se montra pas. Au contraire, l’homme masqué se contenta d’observer la pièce du regard et émit même des hypothèses sur son origine.

Dans un premier temps, cela confirma ce que le collectionneur de cœurs avait déjà imaginé : la pièce était composée d’un chakra particulier. Ce n’était le même que l’énergie qu’il manipulait, mais une forme plus pure. Comme si on avait enlevé toutes les impuretés qu’elle aurait pu contenir, et la sensation était plutôt étrange. Depuis toujours il était habitué à manipuler le chakra obtenu en malaxant son énergie vitale et spirituelle. C’était devenu presqu’un réflexe. Cependant, la forme archaïque dégagée par la pièce ne transmettait pas les mêmes sensations. C’était comme s’immerger dans une rivière cristalline après s’être baigné dans un étang. C’était comme toucher la pureté après avoir gouté aux imperfections.

— Les Calices, tu dis ? Ce sont les structures que l’on trouve un peu partout sur le continent, témoins des anciens temps ?

Le Fujimi passa sous silence la première question. Cela ne l’aurait pas arrangé si d’autres personnes découvraient la façon dont il s’était procuré la pièce, et surtout qui la lui avait donnée. L’homme aux yeux vermillon devait rester son secret. Du moins, pour l’instant. Quant aux Calices, il en avait déjà entendu parler lors de ses voyages mais il n’avait jamais eu l’occasion d’en explorer. Il s’agissait de quelque chose de relativement tabou, et certainement méconnu auprès de la population générale.

— Elle servirait à être dépensée ?

C’était là une hypothèse comme une autre, et la seule qu’il avait pour l’instant. Rien n’indiquait qu’elle devait être utilisée comme de la simple monnaie, mais cette théorie avait l’avantage d’être logique. Toutefois, cela signifiait également qu’elle devrait être utilisée dans l’un des donjons cachés du continent. Bien qu’il dû la réfréner, Tenma sentit sa curiosité grimper en flèche. Il voulait connaitre l’utilité de l’objet mystérieux. C’était presqu’un besoin pour lui.
Malheureusement, son interlocuteur enchaina directement avec d’autres questions sans lui laisser le temps d’intégrer les informations qu’il venait d’obtenir. Il aurait voulu réfléchir davantage sur ce qu’il venait d’apprendre, pour émettre de nouvelles hypothèses, mais il fut obligé de changer de sujet.

— Les origines du Marché Noir… Je serais bien incapable de t’en expliquer les tenants et aboutissements. Bien que cela fasse plusieurs mois que je suis à Ame, c’est également ma première incursion dans ces quartiers.

Peut-être avait-il d’autres questions pour le Fujimi ? Des interrogations auxquelles il pourrait répondre. Toutefois, avant qu’il ne puisse formuler quoique ce soit, les premières gouttes d’une averse commencèrent à se faire sentir. Au fil des mois, il était devenu capable d’estimé l’intensité de la pluie dès les premiers signes et ce n’était pas une petite pluie qui allait tomber. D’autant plus que ce ne fut pas la seule chose qui attira l’attention de Tenma. Plusieurs indices lui laissait croire que quelqu’un approchait. Un caillou qui rebondit au sol, le bruit de succion d’une botte contre une dalle mouillée… Ses sens n’étaient pas plus aiguisés que la moyenne, mais avec l’entrainement il était devenu relativement doué pour repérer des individus cachés. Sans même y réfléchir, il tira un pan de la cape de son interlocuteur pour l’attirer dans un renfoncement de l’allée. L’ombre procurée par l’abri de fortune devrait leur permettre de ne pas être repérés.