L’immixtion du Nurarihyon dans la périphérie de Sekaitan brusqua quelques marchands véreux. Ils ne voyaient pas d’un bon œil cet étranger qui aspirait à les concurrencer. Certes, le réfugié de l’Harmonie ne partageait pas le même secteur d’activité. Il n’en restait pas moins une menace pour l’économie locale : les boutiquiers estimaient que les ryos qui tombaient sous sa coupe leur revenaient de droit. L’ambition et la voracité du commerçant à la crinière dorée étaient constamment remises sur le tapis.

Le Groupement d’Intérêt Economique de la Ceinture Noire - l’aire d’influence où le siège social de Nihon Godo Kaisha (G.K.) était fixé - céda aux marchandages. Dans l’ombre du Consortium, la communauté humaine fit appel aux spectres du Marché Noir. Les tractations du Fer et de la Pluie jouaient en la faveur des commerçants bellicistes. Un escadron de sbires rallia la capitale économique du Continent. Il ne s’agissait pas du fleuron de la voyoucratie : quelques malfrats suffiraient à mettre un terme à ses agissements.

Bien qu’il ne profitât pas du statut de citoyen, ni de celui de mercantiliste, l’artisan-marionnettiste n’en restait pas moins un commerçant. Ce statut seul suffisait à le protéger de la spoliation, des battues et de la violence économique. Le sang ne devait pas couler. Ils le savaient. Le concepteur de pantin devait mettre la clé sous la porte. À défaut, il serait enlevé et son corps se volatiliserait dans la nature, comme bon nombre avant lui.

Hélas, l’entrepreneur ignorait tout de la malveillance de ses pairs. La recrudescence de personnes louches devant son échoppe ? Des voyageurs perdus. Les tentatives d’intimidation ? Une différence culturelle. Nihon n'en demeurait pas moins averti : il comprit que quelque chose n’allait pas, qu’il était pris pour cible.


La porte de la boutique s’ouvrit avec fracas. Les artères grouillantes de vies étaient devenues exsangues. Le message n'étant pas passé, ils décidèrent d’utiliser la manière forte.

— Tiens, tiens, tiens… Ne serait-ce pas notre ami… comment déjà ?
— Nuriron Nouillon ?
— Nurarihyon Nihon. Bahahaha quel nom de pitre, t’es un acteur ?
— T’as pas dû bien comprendre camarade.
— T’es pas l’bien v’nu ici ! Faut que tu prennes tes cliques et tes claques.
— Aujourd’hui, on va te casser une rotule. Et si demain t’es encore là… Couic !

Le juriste restait interloqué. Un client récalcitrant pouvait être géré seul. Une demi-douzaine de types louches armés de bokken et de bō ? Ce n’était pas encore dans ses cordes. Il bénéficiait pourtant d’un avantage tactique certain : les yakuza se trouvaient dans son sanctuaire, un endroit où les marionnettes côtoyaient les farces et attrapes.

— Messieurs, voyons… Il y a erreur… N-non pas ça ! A-ah… Je l’avais presque terminé. Non surtout pas…

Pour la première fois, il faisait face à la vilénie des Hommes. L’escouade laissait leur colère parler : les armes se fracassaient contre les étagères remplies de quincailleries - déclenchant au passage quelques artifices. Les pantins étaient jetés au sol, puis écrasés ; les prothèses pour les indigents réduites en morceaux ; toutes ses heures de travail partaient en fumée…

... La lame plantée dans la carlingue métallique, il trônait fièrement de toute sa stature sur le dos du monstre d'acier. Mains plaquée sur les hanches, torse bombé. Il hurlait qui veut l'entendre qu'il venait de sauver ces gens ! Mais à en voir leur visage, il semblerait que la situation ne soit pas réellement telle qu'il se la visualisait intérieurement.

Au contraire, loin de voir en lui une quelconque âme héroïque, c'est au mépris des autres qu'il dût faire face... et c'est tout à fait normal. Ce "monstre d'acier" n'était autre qu'une des merveilleuses invention du pays du fer. Le charbon qu'il recrachait, assimilée à la fumée d'un monstre, servait à propulser une petite locomotive installée sur des rails, traversant la ville de part en part... Comment lui en vouloir d'avoir pris ça pour un des dragons des légendes ? Sa notion de transport s'arrêtait aux chevaux... et à la limite, les calèches.

Alors, après injonctions et multiples insultes lancées à son égard, il finit finalement par comprendre que quelque chose cloche. Ce qu'il croyait être une bande de types complètement pris au piège étaient en fait là de leur plein gré ? Et au vu du mécontentement global, il semblerait que son geste ait eu le résultat opposé de ce qu'il cherchait à accomplir. Sa posture changea du tout au tout. Se recourbant légèrement, en profiter pour se gratter l'arrière du crâne. Un timide « Désolé » s'échappait d'entre ses lèvres, alors qu'il sembla se volatiliser en un instant, sa lame avec lui. Ne laissant derrière lui qu'une carlingue fumante, au grand dam des usagers.

Bon, en vérité il n'avait pas réellement d'idée sur l'endroit propice à une "petite fuite", alors il se contentait de déambuler dans les rues à la recherche d'un coin plus calme. Ce qu'il crût trouver en s'installant sur la terrasse d'une petite échoppe, servant le thé et autres friandises. Il jeta lourdement son fessier sur l'un des tabourets disponible, et frappa deux fois du poing sur la petite table à côté pour attirer l'attention de l'aubergiste. « A boire, et à manger, j'en ai bien besoin ! » Pas de bonjour, pas de s'il vous plait et surtout, pas de merci. Il n'y avait qu'à voir la tête du chef pour comprendre que les manières du Général laissaient à désirer.

Quelques instant plus tard, l'homme revient, accompagné de boissons et d'une soupe de nouille à l'odeur agréable, encore fumante. « C'est quoi ça ? » Lâche Homei, légèrement agacé. « J'ai demander à manger, où est la nourriture ? » Il avale le thé brûlant d'une traite, sans même trahir un signe de douleur. « J'vais pas pouvoir me contenter d'ça, j'ai un physique à entretenir. » à nouveau, les yeux du tenancier roulent et viennent fixer le plafond pendant un moment et alors qu'il s'apprêtait à retourner en cuisine, une voix s'élève. « Allez, tout le monde dégages, t'entends le vieux ? Fin de journée pour toi aujourd'hui. »

Alors, oui, le tenancier savait à quoi s'en tenir lorsque ces mots là étaient prononcés... Homei, lui se contenta d'arquer un sourcil lorsqu'il vit la petite troupe débarquer. Haussant les épaules, il décolle ses baguettes et les plante dans le bol. « Eh, ducon, t'entends rien ? J'ai dit : Tout le monde dégage. » Un premier soupir s'échappe de par ses narines, alors qu'il entame la dégustation de son bol.

Derrière lui, des bruits se font entendre. Des objets qui se brisent, des voix qui portent... un lexique pas très recommandable... un deuxième soupir s'échappe, cette fois il se lève, le bol toujours dans la main. « Bon, c'est quoi le problème ? *Slllllllllluuuuuuuuurp* J'peux pas manger en paix ? » Le regard las, la bouche pleine de nouilles, il dévisageait presque l'homme qui se tenait face à lui.
▬ « T'es complétement demeuré ? Ou t'as oublié ce que cet insigne signifie ? » Lâchait-il en pointant le blason de son clan de Yakuza brodé sur son veston.
▬ « Bah quoi ? J'ai pas l'impression de comprendre... » Il réfléchit longuement, tout en avalant goulument une autre fournée de nouilles. Puis ses yeux s'écarquillent, comme s'il avait trouvé la réponse. « ... Oh ! Tu appartiens à un clan ? Moi aussi ! » il tapote sur l'écusson du clan Sho, gravé sur son plastron. « Content de voir qu'on est pas les seuls à faire ça ! »

L'homme frappe de sa botte sur la table, et là, ça passe un peu moins. Les Sourcils d'Homei se froncent, mais il ne prend pas ça comme une attaque... peut être qu'il était vraiment passionné par ce petit logo... « Toi, tu dois être soit complètement con, soit y'a quelque chose qui cloche dans ta tê-... »

Un hurlement retentit, l'homme se jette au sol et se débat dans tout les sens, tandis que l'on peut voir Homei, le bol toujours dans la main, sa dernière bouchée de nouille dans la bouche. « Voilà, à cause de tes conneries j'ai plus de bouillon à boire. » dashi bouillant lancé en pleine tronche, il s'était permis d'utiliser quelques unes de ses facultés afin de réchauffer le plat en continu durant sa dégustation... qui aurait cru que cela aurait pu être employé comme arme, à défaut d'être une simple manière de chauffer ses plats.

Le hurlement attire deux hommes, qui sortent de la boutique en trombe, inquiets d'entendre ce genre de cri à deux pas de la porte. Une fois dehors, c'est Homei qu'ils aperçoivent, accroupi au dessus de l'homme qui se roulait par terre, un air un peu niais scotché sur le visage. « Oh... t'avais d'autres potes ? J'espère qu'ils sont pas aussi chiant que toi... »

Les boîtes crâniennes explosaient sous les bottes des mercenaires. Les étagères s’effondraient sous les coups de bokken. Les sbires prenaient un malin plaisir à réduire en miettes les artefacts artisanaux.

— Pourquoi être aussi corrompu ! Aucun honneur ! Aucune dignité !

— Qu’est-ce qu’il nous raconte ce fou ?
— Il est idiot ou…
— Allez c’est bon, on va le gonfler.

Un hurlement de douleur empêcha l’un des mercenaires de dégainer son tantō. Quelqu’un - ou quelque chose ? - s’attaquait aux sbires faisant le guet. Nihon désaxa légèrement sa tête et il vit l'inimaginable. Un vagabond aux atours de guerrier avait défait l’une des menaces suite à son Dashi no Jutsu (だしの術, Technique du Bouillon).

— Que des barges dans cette ville de fou.
— Ça me rappelle Moulouga…
— Bon vas-y on te le laisse !
— Ouais on va s’occuper de l’autre là.
— Héhéhéhéhé, c’est parti, ramène-toi petit homme.

Deux hommes de main quittèrent la boutique, suivis par trois autres. Le gérant faisait donc face à un homme - qui cette fois-ci dégaina sa lame, et le mystérieux inconnu se retrouva encerclé par cinq yakuza. Hélas, le Nurarihyon n’eut pas le temps de s’apitoyer sur le sort du Maître des Ramens : le spectre de l’Abondance se jetait sur lui.

— Mais ça ne va pas non ! Hey… Oh ! Cela peut blesser quelqu’un hein.

D’un geste du poignet, un fil de chakra tracta une imposante tête de Komainu. La gueule s’érigait comme une barrière : la lame rebondit contre les crocs d'albâtre. Le capharnaüm, presque frappé par le syndrome de Diogène tant les objets inondaient l’échoppe, assurait un avantage stratégique évident pour l’artisan-marionnettiste.

— Non, mais sérieux les gars. Vous venez, soyez cools. Limite je vous fais un prix, y’a pas de galère, mais de là à s’attaquer, sortir des lames… On n'est pas à Hametsu ! On est civilisé ici.
— Meurt enfoiré !

Une veine turgescente barrait le front du spectre. L’engeance du Marché Noir laissa exploser sa colère. Une succession de frappes létales tentait de subtiliser la vie à sa proie. Pourquoi fallait-elle qu’elle soit si atypique ? À chaque assaut, le commerçant levait les mains pour se défendre, comme si la chair arrêtait le fer. Fort heureusement pour lui, une babiole tirée par un fil de chakra déviait la trajectoire des frappes. Un bras en bois, puis une poêle à frire, ensuite un masque et enfin … Il n’y avait pas à dire, la demeure-magasin nécessitait un bon coup de ménage.

— Écoute, regarde, je te vois tout rouge. Respire. Je ferme les yeux, j’ai rien vu, rien entendu, omerta tout ça. Je peux même dire que vous êtes des collègues à moi, range donc cette lame, l’un de nous va se blesser… Ou pire ! Saigner. Oh mon Kami surtout pas ça… Je me vois déjà défaillir !
— Mais il va se taire ce fou ???

... Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres, alors qu'il toise le Yakuza, soulevant la stupidité de son action... « Eh... tu vois les gens armés... et la première idée qui te vient c'est d'les faire chier ? Tu dois avoir l'instinct de survie d'une chaise, c'est pas possible. » moue consternée, c'est avec dépit qu'il regarde son collègue s'avancer avec le même genre de tempérament. Il se relève doucement, son auriculaire vient se loger au fond de sa narine, alors qu'il regarde le nouvel arrivant les yeux dans les yeux.

Sa main gauche se lève, et présente son index et son majeur. « Deux secondes. » il en profite pour se débarrasser du bol, et faire craquer sa nuque.
▬ « Hein ? »
▬ « Ouais, deux secondes, c'est le temps que je t'accordes pour faire ta petite tirade... »
▬ « Qu'est-ce que tu racontes, tu sais pas qui on est ou qu-»
▬ « Trop tard ! Temps écoulé. »


Sans interruption, Homei pénètre à l'intérieur de la boutique d'où sortent les deux gusses... et rencontre toute une flopée de gars similaire. « Ah, j'ai compris : c'est votre QG ici ? » son iris balaie l'endroit, il se permet de lâcher un petit rire. « La vache, c'est plutôt ghetto ! Et j'sais d'quoi j'parle, j'viens du pays de la roche ! »

La scène est lunaire, surréaliste. Les Yakuza s'arrêtent et fixent Homei avec des regards abasourdis... « Putain mais c'est qui lui encore ?! »
▬ « Moi ? » Reprends Homei, son propre doigt pointé vers son visage. « Moi, c'est Homei ! Du pays de la roche... et pas n'importe qui hein, j'suis Général mon pote, eh ouais ! » Il s'arrête momentanément, le temps de réfléchir... ce qui n'était pas son fort, au vu de toute la vapeur qui s'échappait du haut de son crâne. « Maintenant que j'y pense, j'devrais pas dire ça à voix haute comme ça... »
▬ « T-Tsuchi ?»
▬ « Il a dit Tsuchi... ? »
▬ « Bah... ouais, Tsuchi... vous connaissez ? Bon, c'est clairement pas aussi beau qu'ici... mais au moins, on a pas de monstre d'aciers qui déambulent dans la ville... non, ils sont dehors ceux là. »

Ses mains se joignent et font un clap plutôt audible. « Bon ! » reprends le Général. « A qui j'dois m'adresser pour obtenir réparation... J'ai encore la dalle moi. » Un bruit sourd résonne, puis celui d'un corps qui s'écroule à terre... Le Général avait sévi de nouveau. « J'aime pas la façon qu'il a de me regarder celui là. »