Une tâche noire plaçait sous son joug l'horizon des contrées septentrionales. Cette masse titanesque ne cessait de s'approcher des rives du pays de l'Harmonie. Les pêcheurs furent les premiers à côtoyer ce qu'ils décrivirent comme une « île-mouvante » (移動島, Idō-shima). Certains tentèrent de s'y rendre et s'enfoncèrent dans les bois que soutenait l'île concave : aucune trace de civilisation, d'animaux ou de trésors.

Naruhito Isshin demanda à une commission d'enquête de se renseigner sur la possibilité d'une collision. Les analystes du Prétoire, après avoir recueilli une importante quantité de données issues des explorations diligentées, tranchèrent la question. Idō-shima était une île vagabonde, à l'image d'un iceberg de Shimo dérivant jusqu'aux abords de Kaminari. Aucune inquiétude ne devait saisir les cœurs des peuples du Havre des Réfugiés. L'île sans vie continuerait à être le jouet des flots, et les courants marins l'auraient charriée vers le large d'ici peu.

En étroite collaboration avec Chōwa, l'École de Guerre déploya ses Alchimistes d'État pour enquêter sur une éventuelle invocation alchimique. Le rapport envoyé au Préteur ne faisait état d'aucune signature sensorielle : cet état de fait corroborait les premières conclusions des consultants. Le Shogun proposa au chef d'État de provoquer une explosion, de sorte à ce que l'Humanité garde le contrôle sur la Nature. Il ne fallait pas compter sur des hypothèses : la situation ne se résoudrait pas d'elle-même.


Shiroi Ehei (白い衛兵, la Garde Blanche) fut déployée pour dévier la trajectoire menaçante du lopin de terre. Personne n'aurait pu s'attendre à une telle réaction de l'Univers. Idō-shima n'était pas une île : cette Chose était endormie depuis des siècles. L'importante déflagration de Chakra offrit au fossile la faculté de quitter le monde des Limbes, cet entre-deux mettant aux prises la Vie et la Mort.

Idō-shima fut frappée par un tremblement de terre - les spasmes de la créature antédiluvienne reprenant vie. Une silhouette saurienne s'émancipa du cocon aqueux ; le moindre mouvement du lézard libérait des lames de fond. Ces tsunamis artificiels s'écrasaient contre les reliefs de Garan et Tetsu, qui déployèrent le gros de leur arsenal pour contrer les conséquences de Son Éveil.


Son rugissement résonnait comme le cri strident du tonnerre. L'ancien panthéonisé s'élevait à plusieurs centaines de mètres de haut - quatre cents, diront les historiens, plus tard. Les forêts qu'abritait Idō-shima ne représentaient plus qu'une dent rocheuse parmi la kyrielle d'épines dorsales crénelées et dentelées.

Le Kaijū était un amalgame de terreur et de majesté. Ses yeux, éclatant d'une lueur maléfique, scrutaient le pays de l'Harmonie avec une intensité qui glaçait les âmes. Sa gueule immense, garnie de crocs acérés, s'ouvrait comme une porte vers un monde chtonien. L'air semblait vibrer sous la puissance de ce géant reptilien qui approchait inexorablement. Face à l'absence de réaction de la scène internationale, et face aux tentatives des contrées septentrionales de limiter les conséquences des vagues, seuls de vaillants mercenaires pourraient sauver l'Harmonie d'un sort funeste...