J’avais pris le temps d’un repos ô combien mérité depuis ma dernière escapade à Kaze no Kuni. Pour cela, j’avais fait route vers le pays du riz, une nation que je ne connaissais guère et qui avait sûrement, comme tout autre pays, quelques richesses à offrir. Pour autant, le choix de cet endroit pour me poser et retrouver des forces n’était pas anodin. C’était de là que j’espérais partir en quête de ma prochaine excursion.

Au vu de celle-ci, ce n’était sûrement pas l’endroit le plus adapté, mais le territoire le plus proche pour atteindre ma destination aurait été Hi. Les circonstances actuelles étant ce qu’elles sont, le choix de Kome sonnait donc comme une évidence. J’avais donc pris quelques jours au sein de la capitale à préparer mon voyage pour enfin rejoindre un petit village de pêcheurs sur la côte, proche de la frontière avec le pays du Feu. La suite ? Cela avait été un poil plus complexe de trouver quelqu’un acceptant ma requête. Lorsque je signifiais que je désirais me rendre sur les terres de Seirei, les portes se fermaient devant moi. Il avait fallu quelques jours de tractation avec quelques pêcheurs chevronnés et courageux pour qu’ils acceptent à minima de se rapprocher des lieux, ce qui me permettrait alors de faire les derniers pas par moi-même.

Et c’est ce qui arriva finalement. Comme je m’y attendais, à près d’un kilomètre de la côte du Pays des Esprits, notre navire jeta l’ancre et me laissa m’envoler avec Qoorsabil. Au moins, grâce à lui, les derniers instants du voyage seraient courts. Quant à mon objectif, il était simple. Débarquer aux frontières et attendre. Pour l’heure, il n’était nullement question de m’enfoncer profondément dans ces lieux inconnus et soi-disant inhospitaliers. Pourtant, depuis quelque temps, depuis l’émergence de mes talents de kabbaliste, depuis que j’usais de ce pouvoir à des fins créatrices, libérant cette énergie naturelle, depuis que l’albatros partageait ma route, j’avais le sentiment profond qu’il était de mon devoir de venir en ces lieux. J’y avais des ambitions, mais aussi une sorte de devoir au fond de moi.

Ainsi, atterrissant sur ces terres hostiles, la mer à quelques mètres de moi dans mon dos, je scrutais l’horizon, espérant y percevoir quelque chose, en vain. De la patience, j’en avais à revendre et je comptais bien prendre les devants pour espérer tisser une relation quelconque avec les esprits locaux.

Vecteur d’énergie naturelle, Qooarsabil se tenait à mes côtés. En prime, usant de mon Kenja no Ishi, je faisais pousser un immense cycas sous lequel je m’abritais du soleil. La particularité de cette sorte de palmier était surtout le symbole qu’il véhiculait, la paix, tout simplement. Et pour accroître mes chances, me doutant que j’étais déjà surveillée, d’une manière ou d’une autre, je m’autorisais une discussion à qui voulait l’entendre et surtout y répondre. Debout sous mon palmier conjuré, attentive à la moindre chose, je lâchais quelques mots dans une langue que les Gardiens-Esprits étaient en mesure de comprendre.

« Je me nomme Uzumaki Mai. Je viens en paix pour échanger. J’ai le désir d’en apprendre plus. Plus sur ces lieux, plus sur vous, plus sur cette énergie naturelle qui nous entoure. Le manque de connaissances pousse certains à vouloir combattre ce qu’ils ignorent, moi, j’ai le désir d’apprendre, de partager et surtout de propager. »

Les choses étaient dites. Je n’avais plus qu’à attendre.

Dokueki Magobei, le cerveau derrière l’institution des Kokka Renkinjutsushi, a sacrifié de nombreux pions pour découvrir le niveau de dangerosité des Tairiku no mittsu no kiken (大陸の三つの危険, Trois Dangers Continentaux). Le créateur de la Kabbale rédigea une note de service à l’attention de ses agents :

Shimo no Kuni est frappé par le Mal Blanc. Pénétrer l’île-banquise est possible, en ressortir vivant moins. Les Kokka Renkinjutsushi doivent se protéger de la neige. Un flocon suffit pour que le Givrefroid consume une âme. Les Alchimistes ont pour obligation d'ôter la vie de toute personne contractant la Maladie. 8/10.

Yami no Kuni est un territoire… intéressant. Contrairement aux deux autres dangers, ce pays n’est pas hostile à l’Humanité. Pas en apparence. La survie d’un escadron est assurée… dès lors qu’il ne s’approche pas des berges psychopompes. Sur les deux cent quatre-vingt-trois Kokka Renkinjutsushi ayant plongé dans l'abîme, aucun n’est revenu. La curiosité est un mal plus puissant que le froid polaire. 9/10.

Seirei no Kuni ne doit pas exister à vos yeux. Les Kokka Renkinjutsushi ont pour interdiction de s’approcher de la frontière du pays aux Gardiens-Esprits, sans une autorisation expresse de ma personne. Le Chakra neutre est un miel pour les ruches du Pandémonium Vert. 10/10.

Aux yeux du Dokueki le plus puissant du Continent, ce pays des Esprits occupe la première place du triumvirat. Le constat n’est pas partagé par la Misanthrope, qui ose défier, seule et sans préparation, le poumon végétal. À peine eut-elle posé le pied au sol, en violation des frontières balisées par les précédents peuples, que l’Uzumaki n’eut plus que le Silence comme seule compagnie. Les suets s’engouffrent dans les allées végétales, pourtant les arbres ne bruissent pas. Les herbes, les plantes, les fleurs, les racines, les troncs…

La Sylve s’immobilise pour mirer l’intru.

En un trait de temps, les vagues, à quelques mètres de Mai, ne heurtent plus le récif. Une muraille composée d’un millier d’arbres la sépare soudainement du rivage. Une canopée, opaque, voile les cieux et enferme invocateur et invocation dans un cocon de verdure hermétique. Les rayons solaires peinent à se frayer un chemin ; l’horizon tombe sous l’empire du clair-obscur. Tout aussi rapidement, les fleurs, par dizaines, émergent de l'écorce du cycas, entraînant la floraison inhabituelle d’espèces végétales inconnues.

— Pas de Paix…
— Rejoins-nous…
— Humanité souillée…
— Rejoins-nous…
— Corrompue par le plus grand Mal…
— Rejoins-nous…
— Pas de Paix…
— Rejoins-nous…
— Descendance bâtarde…
— Rejoins-nous…
— Fruit d’une union hérésiarque…
— Rejoins-nous…
— Pas de Paix…
— Rejoins-nous…
— Frappée du sceau des Martyrs…
— Rejoins-nous…
— Émissaire de la Dimension Yang…
— Rejoins-nous…
— Pas de Paix…
— Rejoins-nous…

Voilée par les ténèbres du creuset de biodiversité, une horde d’ombres, aux courbes végétalo-bestiales, se déplace entre les troncs de leur Royaume. La constitution même de l’Alchimiste renvoie au fruit défendu. La Misanthrope revit une situation passée : la Dimension Yang et ses légions en quête d’Humanité. Jamais elle n’aurait dû mettre les pieds ici. Pas sans préparation. Pas seule. Pas si… faible. Au cœur de Seirei, nul n'entendra ses cris.

L’air pollué du biome creuse d’ores et déjà les poumons de l’invocation et de son invocateur. Une douleur parcourt son ischio-jambier droit et remonte le long de son échine. Un lycoris radiata noir éclot depuis son mollet, arrachant en passage un morceau de sa tunique. L’albatros subit, à son tour, la germination. Les âmes-liées deviennent de nouveaux vaisseaux pour Seirei. Cette immixtion dans le système circulatoire offre aux deux versants d’une même pièce l’apparition d’une vision entrecoupée par de nombreux flashs. Deux pupilles et un masque apparaissent, puis disparaissent devant leurs yeux, et ce, une demi-douzaine de fois.

Je n’avais plus d’échappatoire. La plage n’était plus. C’est comme si j’étais passée en l’espace d’un instant du bord de mer au cœur d’une forêt luxuriante. En fait, ce n’était pas « « comme si », c’était littéralement ce qui s’était passé. La Nature mettait d’entrée de jeu les choses au clair. J’étais prisonnière des lieux. Autour de moi, la lumière filtrait à peine depuis la canopée, laissant les lieux dans une pénombre étrange. La flore était d’ailleurs si dense qu’il m’était impossible de voir plus loin que les quelques mètres devant moi. J’aurais pu hurler à plein poumons, j’étais certaines que mes cris auraient été étouffés par la densité végétale.

Et puis, en l’espace d’un instant, ce silence lourd mais paisible se mua en quelque chose de plus violent. J’étais assaillie de tout part. Qoorsabil l’était tout autant. Une flore inconnue se développait sur nous. Nous étions les proies d’un kraken végétal qui resserrait ses tentacules sylvestres. Nous étions pris au piège. Impossible d’envisager la moindre fuite alors que paroles et murmures me parvenaient aussi clairement que si je parlais à n’importe qui. Au moins, si je devais mourir ici et maintenant, je saurais peut-être pourquoi.

Ainsi, les paroles fusaient, je répondais aussi clairement que possible, des images et flash de ce masque aux pupilles iridescentes s’offraient à moi par la même occasion.

— Pas de Paix…
— Je viens en paix …
— Rejoins-nous…
— Je suis là pour cela …
— Humanité souillée…
— L’Humanité est un fléau …
— Rejoins-nous…
— Je veux collaborer avec vous …
— Corrompue par le plus grand Mal…
— Le chakra ? Le chakra obscur ?
— Rejoins-nous…
— Dites-moi comment …
— Pas de Paix…
— Vous ne voulez pas la paix avec l’humanité ?
— Rejoins-nous…
— Montrez-moi la voie …
— Descendance bâtarde…
— L’Homme est une dépravation que je veux éradiquer ...
— Rejoins-nous…
— Je peux vous aider ...
— Fruit d’une union hérésiarque…
— Eradiquons ensemble cette hérésie ...
— Rejoins-nous…
— Luttons ensemble ...
— Pas de Paix…
— Il n’y a pas d’espoir pour l’Humanité ...
— Rejoins-nous…
— Laissez-moi porter votre parole ...
— Frappée du sceau des Martyrs…
— Ce sceau ! Cette Kabbale ! Une prison ! Retirez-moi ce sceau ! Donnez-moi la force d’être votre bras armé !
— Rejoins-nous…
— Laissez-moi planter les graines du Seirei dans le monde !
— Émissaire de la Dimension Yang…
— Oui … les restes de ce chakra obscur ! Les résidus d’une lutte contre un bijuu ...
— Rejoins-nous…
— Je suis certaine que vous l’avez senti aussi, Ido-Shima. La force de son attaque ...
— Pas de Paix…
— Il n’y a pas de paix. Ido-Shima est le premier … et les pays vont désormais lutter pour les battre et pour les contrôler. Ils vont rejeter la force de la nature autant que possible ...
— Rejoins-nous…
— Je suis Uzumaki Mai ! Laissez-moi devenir votre émissaire ! Ce chakra naturel, c’est l’origine de tout n’est-ce pas ? Le reste n’est que perversion ! Je veux offrir un renouveau à ce monde. Laissez-moi vous y aider !

Cette germination proliférait à grands pas. Dans mon état, je n’avais plus que deux options. Me faire accepter avec Qoorsabil ou finir par faire partie intégrante cette entité qui ne formait qu’un grand tout.

— Ce masque ! Il y a quelqu’un parmi ce tout ! Vous ne m’offririez pas ces visions autrement ! Vous pourriez tout aussi bien m’assimiler. Je suis certaine que cette assimilation qui a commencé vous permet de tout savoir sur moi ! Toutes ces paroles ! Comment vous auriez-pu autrement ? Vous savez ce que j’ai vécu alors ! Et surtout, vous savez que je dis la vérité, que mes paroles sont sincères quant à mes motivations et mes projets !

Mon destin ne m’appartenait plus. Si c’était la fin, ce n’était pas une si mauvaise fin. J’étais une Uzumaki. J’aurais pu vivre encore de longues années mais j’avais déjà vécu bien plus que la plupart et surtout dans des conditions favorables. Mourir maintenant … j’aurais pu connaitre pire … j’ai failli connaitre pire d’ailleurs …

Les murmures cessent. Les voix se taisent. Les courbes végétalo-bestiales deviennent diaphanes, les ombres s’enfoncent dans les profondeurs de Seirei. La vie reprend son cours : les arbres bruissent, l’herbe pousse et la faune-végétale jappe. La Misanthrope considère à ce stade, sans étude antérieure des environs, qu’elle a réussi à ferrer l’intérêt des Gardiens-Esprits.

Le calme précède toujours la tempête…

Mille et une questions auraient dû intéresser l’Uzumaki avant d’entamer une telle expédition. Pourquoi Aburame et Inuzuka dépensèrent autant d’énergie et de membres pour la conquête de ce Royaume ? Comment Ieyasu réussit-il à pourfendre plusieurs Gardiens-Esprits ? Quel facteur entraînait la germination des corps étrangers au Pandémonium Vert ? Comment s’en prémunir ? Quels artefacts permettaient de disparaître du radar de ces entités séculaires ? Que signifiait le Silence ? Comment Dokueki Magobei réussit-il à être le premier Homme à sortir vivant du pays des Esprits ? D’où provenaient toutes les ressources de la Kabbale ? Quel secret se cachait derrière les voies de la Pierre Philosophale ? Qui était… le véritable Maître de Seirei ?


Il est trop tard maintenant…

Une branche se brise sous le pas d’une botte. Mai se surprend à grelotter, un vent froid cingle sa peau. Elle tente de se tourner vers Qoorsabil. L’albatros est devenu un arbre : le souffle de la Vie s’est échappé de lui, ou plutôt, celui-ci est venu fortifier le creuset de biodiversité. Devant la rousse, à plusieurs centaines de mètres, malgré le cocon herbeux, nonobstant les feuillages, elle le voit. Deux pupilles. Un masque. La Sylve s’écarte de son chemin. Les arbres se déplacent pour ne pas lui barrer la route, les fleurs s’enterrent, l’herbe disparaît, la canopée semble attirée, contre son gré, vers ce trou noir ambulant… La Nature elle-même ploie le genou devant cette Chose.

La succion de Seirei, ce Baiser Végétal comme aime l’appeler le créateur de la Kabbale, continue d’entraîner la germination de la Misanthrope. Tout son hémisphère gauche laisse apparaître une multitude de lycoris noirs. L’énergie naturelle que dégage ce phare spirituelle est palpable, quasi-suffocante. La stature du Gardien-Esprit ne dépasse pas le mètre trente. Sa tenue est un assemblage archaïque où peaux de bêtes se mêlent à l’écorce d’arbres millénaires.

Une inscription est taillée sur le front du masque légendaire : 集める者 (Atsumerumono, le Collecteur). La petite créature se rapproche du Sacrifice. L’ombre qui se propage sur le sol stérile est titanesque, monstrueuse, dotée de huit queues et ne lui ressemble pas. Une dizaine de masques, faits en peau humaine, pendent depuis sa ceinture faite de ronce. Les visages sont intacts, dénués de floraison. Uzumaki Mai ne reconnaît pas la peau séchée de Dokueki Endo, dernier explorateur en date a avoir violé la tranquillité de Seirei, pas plus qu’elle ne reconnaît Aburame Kamo, le premier d’entre eux. Une image pourtant lui glace le sang.

Elle reconnaît, dans la collection, du Gardien-Esprit un visage.

Or, cela n’a aucun sens….

Pourquoi le visage de Dokueki Magobei serait attaché à cette ceinture ?

Des paroles proférées …

Des questions posées …

Des réponses données …

Des murmures soufflés …

Des rétorsions offertes …

Et puis …

Le silence !

Un silence assourdissant m’envahissait. Ils avaient été légion à me parler et désormais, j’étais seule avec mes pensées les plus obscures et les plus inavouables. J’étais seule dans cette forêt qui prenait à nouveau son rôle de forêt. Ce n’était pas terminé pourtant ? JE n’étais pas terminé pour autant. J’étais encore là, debout, vivante, partiellement du moins. Du coin de l’œil Qoorsabil lui n’était plus, il n’était désormais qu’un arbre parmi la forêt.

Mais cette demande, cette interrogation hurlée à la forêt ? Je n’étais pas seule. En un instant le froid mordait mon corps, je grelotais … la forêt grelotait. Un froid surnaturel mordait mon corps jusqu’au plus profond de mes os. Avais-je seulement froid ou était-ce la peur qui m’envahissait ? Une peur insidieuse qui chassait sa proie, petite idiote esseulée.

Et le voilà enfin. Le masque. Cette vision devenait réalité. Le Maître de la Forêt, la nature ployant à son passage, une nature vivante qui reconnaissait là son chef incontesté. Et moi ? Que faire ? Tant bien que mal, malgré les douleurs, malgré la transformation qui s’imposait à moi, malgré mon immobilisation partielle, je tentais de baisser la tête et le regard, sorte de révérence de fortune avant de toiser celui qui avait droit de vie et de mort ici.

« Ainsi donc, j’avais raison …  »

Avec plus ou moins de surprise, ma voix n’était pas vraiment la mienne. Elle n’était plus vraiment la mienne. Plus rocailleuse, plus sylvestre, comme si j’étais envahie par toute cette végétation. J’étais envahie. Un simple contact, un simple mouvement, un simple regard virent le confirmer.

« Si des Esprits-Gardien rôdent ici, alors me voici devant le Roi des Esprits je suppose ? »

Ce silence … Il en était presque étouffant.

« Si des Esprits-Gardien rôdent ici, alors me voici devant le Roi des Esprits je suppose ? »

Pourquoi ? Pourquoi se présentait-il à moi ? Cette demande ? Mes demandes ? Cette remise en question de mes choix d’avenir ? Qu’étais-je pour lui ? Une curiosité ? Un jeu ? Une opportunité ? Mais à mesure qu’il approchait, une question se présentait à moi, plusieurs en fait. Ces visages, ces inconnus … ce connu … Dokueki Magobei ? Comment ? Pourquoi ?

« Dokueki Magobei …» affirmais-je en pointant du doigt le visage.
« Comment est-ce possible ? »

La surprise était totale. Face à tout cette situation, j’avais l’esprit partiellement embrumé, embrouillé. Il me fallait réfléchir vite et bien. Le premier était facile, le second bien moins.

« Je ne vois pas cinquante solutions. La première … Magobei n’est plus Magobei, il n’est jamais revenu de son exploration de ces lieux et s’il a remodelé la Kabbale c’est parce que ce n’est plus lui ou plus vraiment lui. Un agent du Seirei ? La Kabbale serait dès lors un moyen de propager l’énergie du Seirei ? Mais que faire face à ceux qui emprunte le chemin de la Fusion et de la Destruction ? Une erreur ? Une déviance ? Un point d’équilibre ? »

Que pouvais-je espérer face à tout cela ? Qu’avais à offrir face à tout cela ? Rien et tout …

Ma volonté …

Ma détermination …

« Tu dois pouvoir lire en moi sans le moindre mal. Plus que mes services, c’est ma conviction que j’offre. Et qu’offrir de plus pour prouver ma détermination si ce n’est « moi » pour enrichir cette collection Atsumerumono … »

Agissant encore comme je le pouvais, je comptais apposer sur mon torse un sceau sensé absorber la douleur mais je n’en fis rien. Ce n’était pas par des artifices que je devais prouver qui j’étais. Je n’avais plus qu’à serrer les dents à me les briser, serrer le poing à m’en casser les os pendant que de ma main libre, cette lueur chakratique verdâtre entaillait mon visage. [1]

Chair flasque, visage de sang, je n’étais plus rien, un arbre perdu au milieu de cette forêt. La douleur perlait sur mon visage dépecé. Mes larmes salées brulaient ma peau à vif pendant que je fixais de ce regard convaincu mon bourreau, lui tendant ce qui faisait de moi cette Mai Uzumaki.

Finalement, la mort arboricole rapide que j’imaginais quelques instants avant aurait été plus douce que celle que je m’infligeais.

« Cette offrande … c’est ma sincérité dans cette démarche. »

L’ombre du Collecteur balaye le paysage de ses huit queues. Atsumerumono dégage une aura cryptique, quasi-malfaisante. Il ne semble ni vivant ni mort : aucune inspiration ne gonfle sa poitrine, aucune expiration ne vide ses poumons, ses pas ne produisent aucun son… Cette Chose est aussi énigmatique que le cocon herbeux dans lequel elle évolue. Les deux pupilles derrière le masque de bois fixent l’iris non végétal de la Misanthrope. Sa connexion, certes forcée, permet au gardien de puiser les souvenirs de la femme-bulbe. Il voit sa naissance, sa rencontre avec Nara Renpei, ses nombreuses utilisations de la Pierre Philosophale, son entraînement avec Imono Kimiko et Nara Elin, sa présence à Chōwa et enfin… La Dimension Yang.

Cette seule vision permet au Chakra obscur, terré dans les contreforts de l’âme de l’Uzumaki, de s’incarner dans le masque légendaire. La rancune éternelle, celle qui brûlait son cœur depuis des décennies et qui l’eut poussée vers les berges du nihilisme, s’échappe de la rousse. Plusieurs rainures violines strient le bois millénaire, preuve de la réussite du transfert. Mai sait que cette énergie vile ne peut qu’être difficilement combattue, car elle s'enracine dans les cœurs pour transformer ses hôtes en vassaux. Pourtant, contre toute attente, le clignement des yeux du Collecteur suffit à le purger du reliquat de la Dimension Yang.

Les cris attentent à la tranquillité des bois et les larmes perlent le long de cette chair à vif. La seule main viable de l’experte en Iryō no Jutsu tend ce qui lui appartenait jadis, son visage. Les phalanges rachitiques d’Atsumerumono, semblables à des longues baguettes de sureau, récupèrent l’offrande précieuse. Les bords du faciès se gondolent, la peau élastique se raffermit, le sang disparaît et les fleurs tombent au sol, fanées. L’obole devient un masque, qui est ajouté aux nombreux autres.

L’atmosphère étouffante est chassée par cet acte insensé, Seirei s'apaise une seconde fois. L’index du Collecteur pointe les cieux où l’astre solaire trône en Empereur. Une bille noire phagocyte le soleil. Quelque chose s’est propulsée et tombe à toute vitesse vers leur position. La Misanthrope peine, dans un premier temps, à percevoir avec précision ce qui arrive en hâte : il n’a jamais été aisé de mirer le roi des astres, surtout au zénith. Les secondes défilent et elle le voit enfin. Un humain aux cheveux albâtres fuse vers elle. En raison de la chute libre, le chapeau bleuet fixé à sa tête semble donner forme à deux excroissances. Deux iris blancs sans relief ni pupille visible barrent son visage.


L’humain atterrit poing et genoux opposés contre le sol. De son autre main, il tient le manche d’une épée dont la lame ressemble trait pour trait à une double hélice. Elle retrouve sa place d’origine, dans le dos de cet être onirique. De façon concomitante, la tête de l’Uzumaki roule au sol, séparée de son tronc. Les Esprits-Gardiens de Seirei no Kuni ne laisseront jamais l’engeance viciée par le Grand Mal pénétrer leur Royaume impunément.