L’Ecole de Guerre. C’est surement ce qui s’approchait le plus de ce que l’on pourrait appeler un « chez-soi ». J’avais quitté les miens, mon pays et mon clan depuis quelques années déjà et à ce jour, seule la Kabbale avait su accueillir mes talents et me permettre de les développer sans barrière. Moi qui n’envisageais nullement une carrière de juriste ou purement médicale au sein du Kyoka, en attendant de développer mes projets et mes talents, je me retrouvais bien à assurer mes arrières au sein des Alchimistes d’Etat.

Curieuse vis-à-vis de ce qui pouvait se passer au sein de la capitale, je furetais régulièrement, observant et regardant les talents nouveaux qui se profilaient ici et là. Relativement solitaire, par précaution mais aussi par intérêt, certaine que mes projets ne sauraient ravir tous les protagonistes, je me mêlais rarement à mes pairs, uniquement lorsque le devoir me l’imposait. C’est ainsi qu’au détour d’une conversation anodine que je n’écoutais pas réellement que la discussion prit une tournure toute autre qui me fit tendre l’oreille.

Ainsi donc, une jeune Nara faisait en quelque sorte des siennes, une jeune fille au fort tempérament, aux ambitions affirmées à ce que l’on disait et qui savait qui savait faire savoir aux autres qu’ils n’étaient pas sur la même échelle. Voilà donc une description des plus pessimistes pour n’importe quel professeur, mais je n’en étais nullement un et pour moi, c’était tout le contraire. Ce genre de comportement m’intéressait au plus au point. Les affaires que je menais étaient nombreuses, mes projets d’envergure et agir seule ne serait pas possible sur le long terme. Il me faudrait dès lors m’entourer alors pourquoi ne pas commencer à repérer et pourquoi pas amener à ma cause de jeunes talents prometteurs.

Jours après jours, de cette manière, j’ai observé à travers le regard d'un chat sigillaire créé de toute pièce par mes soins, je me suis renseignée sur la jeune femme, son histoire, son dossier de l’Ecole de Guerre mentionnant quelques éléments fort intéressants. C’est par une nuit automnale sans lune qu’au détour d’une rue où l’ombre était maitre que j’interpellais la demoiselle, cachée sous ma capuche, cachée sous la pénombre, seul un regard flamboyant semblait émerger de cette noirceur nocturne.


« Nara Elin, jeune membre du clan Nara. Cela fait quelques temps que je t’observe. Tu as fait fort impression à certaines personnes ici, un tempérament affirmé. J’ai même entendu une personne demander ton exclusion de l’Ecole de Guerre. Mais moi, c’est tout le contraire, j’aime ce tempérament. C’est pour cette raison que je voulais te rencontrer … »

L'école de guerre. Une capitale qui voulait former les plus stratèges politiciens et les plus talentueux chefs d'armée. C'était précisément pour cette seconde raison que j'avais été abordé par ces recruteurs à l'ouverture de l'académie militaire. Un endroit où on me disait que mon esprit serait affûté pour les champs de bataille quand la politique serait à bout de souffle. C'était pour moi, surtout un endroit où des mecs se paluchaient, car il arrivait à faire trois ou quatre mouvements sur un plateau de Shogi.

Parlons-en du Shogi. Un jeu où les règles sont de prendre possession du Roi adverse. Où des pions avec des capacités spéciales, représentant des puissances militaires, aident à atteindre ces objectifs finaux. Un jeu qui était utilisé par l'académie pour former et enseigner les engagements militaires.

C'était en tout cas ce qu'on essayait de nous apprendre, car pour moi, l'essence du Shogi reflétait bien plus qu'un simple affrontement. En effet, j'avais compris depuis pas mal de temps que ce jeu reflétait notre monde et surtout notre capacité à le dominer. J'étais d'ailleurs bien la seule à l'avoir comprise. Depuis six mois maintenant, spécialistes, maîtres et enseignants se cassaient les dents sur le plateau en s'affrontant. Chacun y allait de sa petite stratégie et finissait à chaque fois au fond du trou. Cela m'avait d'ailleurs joui d'un surnom dans l'établissement, la Reine Folle. La reine folle, car je n'avais encore jamais perdu une partie depuis mon arrivée et surtout, car j'étais la seule à comprendre la véritable façon de jouer dans ce jeu représente le monde et ses habitants.

Il fallait dire, que j'avais cette fâcheuse tendance à sacrifier les pions pour retourner la situation. Amènent toujours au piège mon adversaire et ses mouvements avaient fait de moi une dégénérée aux yeux de mes camarades et du corps enseignant. J'étais d'ailleurs connu pour ne pas prendre au sérieux le fond et le principe de ce jeu de stratégie, mais au contraire, j'étais bien la seule à prendre en compte que l'humain n'est pas une espèce à préserver dans ce monde et que des régiments, des pays entiers peuvent être sacrifiés pour une cause espérée.

C'était un soir comme tous les autres, qu'aux abords d'une rue, une femme encapucher m'interpellait. Sans vraiment y prêter attention au départ, je pensais qu'elle aussi allait essayer de me donner une leçon de vie et de jeu de pacotille. Il fallait dire que je m'étais faite une bonne petite réputation dans la capitale et il n'était pas rare que des idiots viennent me demander un affrontement ou voulant m'instruire la vie de par les soi-disant expérience de vie. Mais en entendant qu'elle semblait s'intéresser à moi pour une raison que je n'avais jamais encore entendue, je prêtais l'oreille à ces mots.

Ce que j’avais lu et observé semblait s’avérer vrai. Dès les premiers échanges, j’ai eu la nette sensation que je faisais le bon choix en abordant la Nara et que définitivement, l’éviction des lieux par mes pairs n’étaient absolument pas la bonne option. Au contraire. Au sein de l’Ecole de Guerre, il existait un concentré d’intelligence qui convergeait beaucoup trop dans une unique direction. Des déviants il y en avait mais ils étaient trop rares. Pour autant, ces vers ce genre de personnes que je m’attardais, cherchant à dénicher une perle rare, une gemme qu’il faudrait tailler et polir.

Sans un mot, je prenais donc la suite des pas de la jeune fille, laissant le silence planer jusqu’à passer à la ruelle suivante.

« Disons que je suis une de celles qui fait partie des murs ici… »

Potentiellement énigmatique, mais pour l’heure, je ne cherchais pas à être particulièrement claire et cherchais encore à tester et découvrir mon interlocutrice. Mon visage toujours caché par cette capuche sombre, je poursuivais pour autant la conversation qui, je l’espérais, saurais prendre une tournure intéressante sous peu.

« Je fais fatalement partie des idiots habituels, du moins, au sens stricte du terme. En somme, je suis une Alchimiste d’Etat. Pour autant, je n’ai pas la même vision que mes pairs et leur méthode d’enseignement assommante et manquant souvent d’originalité. D’aucun savent que c’est un long moment à passer et que la spécifié viendra tôt ou tard une fois pleinement accepté au sein de la Kabbale, mais ces méthodes d’enseignement ne sont pas pour tous. J’ai la nette conviction que tu fais partie de ces mentalités à part. Quant à savoir pourquoi je cherche à rencontrer quelqu’un qui pose problème, j’aimerai d’abord que tu m’expliques pourquoi tu penses que tu poses problèmes. Ai-je l’air de quelqu’un qui a envie de s’encombrer de problèmes ? »

La jeune Nara était intelligence et mes questions loin d’être anodines. Maintenant, tout autant que la réponse, c’est aussi la réflexion amenant à la réponse qui m’intéressait. Avais-je donc déniché quelqu’un de fatalement intriguant ou ne serais-je qu’une déception comme j’en avais déjà tant rencontré.

Alors que les lumières des feux vacillaient à travers les rues, le temps se rafraîchissait au souffle du vent. Les montagnes du pays de la terre avaient pris pour habitude de faire descendre leur brise glaciale sur les terres de l’érudition. Un baiser mordant que j’avais hâte de visiter pour certains projets personnels.

Sur ces premiers mots, je sentis tout de suite que je n’avais pas affaire à un membre de l’académie. Sans me répondre sur son nom et prénom, alors qu’elle connaissait très bien le mien, je présumais directement qu’elle était autre chose. Toujours sous sa capuche cachant les trois quart de son visage, sa phrase suivante confirmait mes doutes. Elle était une alchimiste d'État.

Non pas que j’avais une dent contre eux, mais j’avais très rapidement compris qui étaient ces êtres au sein de l’école de guerre. Bien qu’ils étaient tous membres honorables du pays, tous, sans aucune exception avaient cette tendance à ne jamais répondre à des questions directes et à tourner autour du pot.

Contrairement à ma formation et surtout à ma philosophie de vie, ils s’étaient fait spécialistes des mensonges, des non-dits et des vérités à demi-cachés. Les alchimistes étaient connus et reconnus pour être une brigade secrète pseudo scientifique. Certains parlaient de force de l’ordre du chakra, moi j'appelais ça la mafia du chakra.

La Kabbale, un groupe égocentrique qui châtiait ceux qui expérimentaient le chakra et utilisaient ensuite ses connaissances pour les pousser encore plus loin dans la démesure.

« Cela ne m’étonne pas que vous soyez un alchimiste, alors même que vous ne prônez pas avoir la même vision qu’eux, vous en avez l’attitude. Il n’y a que les alchimistes d’états pour engager une conversation avec une personne dont vous connaissez tous de lui et dont vous cachez votre identité. Mais il est vrai que la Kabbale manque d’originalité, surtout quand des rumeurs à votre sujet parlent d’expériences hybrides que vous volez à d’autres factions tout en faisant en sorte de neutraliser leurs concepteurs. »

« Je ne pense même pas que j’ai besoin de vous dire en quoi je suis un problème dans l’académie. Vous savez sûrement déjà que j’ai une vision très différente de mes pères, camarades ou maîtres, concernant la suprématie militaire. Alors que ces personnes voient des affrontements et des batailles, moi je vois l’illusion, la manipulation et l’instrumentalisation. C’est d’ailleurs ceci qui leur fait peur… Qu’une personne soit capable des pires crimes de guerre pour obtenir ce qu’il souhaite. »

« Alors en prenant en compte votre statut, je vais reformuler mes questions et je ne me répéterai pas. Quel est votre nom et pourquoi vous vouliez me rencontrer ? »

Franche et directe. Tout ce que j’attendais d’elle. La jeune Nara ne se perdait pas en discussion futiles et inutiles. Son tempérament parlait pour elle et elle le démontrait parfaitement en cette nuit où seules deux âmes semblaient émerger de la noirceur des ruelles pour rejoindre finalement ce parc quelque peu plus accessible et plus serein. Les lieux n’étaient pas reconnus pour être un coupe-gorge, mais depuis le temps que j’œuvrais pour la Kabbale, certains avaient subi quelques coups de surin pour offrir les secrets de leurs recherches.

Entrant dans cette aire boisée, sous une torchère où la flamme dansait sur son poteau, je levais ma capuche, dévoilant mon visage androgyne et ma chevelure courte et surtout rousse, un roux typique d’un clan bien connu pour ses facultés claniques.

« C’est cela qui me plait tu vois ? Même face à un alchimiste d’état, ces convictions qui t’habitent restent les mêmes, comme si rien d’autre n’avait d’importance. C’est bien plus que louable de rester fidèle à ses principes, ce n’est pas donné à tout le monde, certains les reniant pour quelques maigres récompenses. »

M’adossant à un arbre, je croisais les bras dans une position détendue. La caricature aurait pu être poussée encore plus loin avec une cibiche au coin des lèvres, mais ce n’était pas le genre de la maison que de succomber à ce genre de vices. J’en avais bien quelques-uns – comme tout le monde – mais pas celui-là.

« Quant aux rumeurs, je ne te pensais pas sensibles aux ragots. Est-ce pour te donner une certaine confiance ou justifier tes actes peut-être que tu les écoutes ? Mais toi et moi le savons, à toute rumeur, il y a nécessairement un fond de vérité. Les rumeurs ne se construisent pas sur un nuage, il faut un socle, un minimum tangible pour qu’il puisse prendre. Quant à séparer l’imaginaire de la réalité, je te laisserais faire tes propres recherches. Petite information que tu dénicheras mais que je te donne, tu verras que nous ne sommes pas tous comme tu le décris. »

Non loin de là, un couple quelque peu éméché passait tout en riant de bon cœur. Surement une soirée sous une bonne augure. Silencieuse, j’attendais que nos potentiels spectateurs et oreilles indiscrètes ne partent pour poursuivre nos échanges.

« Tu as raison, je sais très bien ce que l’on dit de toi. Mais ce qui m’intéresse n’est pas ce que pourraient raconter de pathétiques professeurs, mais la manière dont toi tu te perçois. Tu le dis-toi-même, tu te perçois comme un problème. Alors pourquoi ? Qu’est-ce qui te pousses à penser cela et à l’affirmer avec tant de cœur … et le shogi n’est qu’un élément parmi d’autres. L’image est intéressante mais pas complète. Je veux pouvoir observer le tableau dans son ensemble, pas seulement une esquisse. A cette condition seulement je te dirais la raison de cette rencontre nocturne. Oserais-tu seulement refuser ? Jusqu’à présent, tout n’a été que conflit d’une manière ou d’une autre pour toi. Je suis la seule à te voir sous un angle nouveau, je suis la seule qui sois prête à t’offrir une chance de participer à quelque chose de plus grand que toi ou même moi. As-tu les moyens de refuser cette main tendue ? Ou peut-être préfères-tu te contenter de rester la Reine Folle ? »

D’un mouvement de dos, les mains dans les poches, je me redressais et m’avançais de quelques pas vers la jeune Nara, à une distance qui pourrait mettre mal à l’aise bon nombre de personnes, bien que je doute que cela soit un problème pour elle.

« Oh ! J’ai failli oublier. Uzumaki Mai, c’est mon nom. »

Décidément, j’avais vraiment du mal avec les alchimistes d’états. Toujours et à tout moment, ils tournaient autour du pot, comme un serpent prêt à mordre à chaque instant. Alors que j’avais cette image en tête, le mythe du serpent et de la pomme m'apparut lorsqu’elle commença à s’adosser aux premiers arbres du parc. Et alors qu’elle répondait à ses propres questionnements, je remarquais encore une touche d’alchimiste dans sa façon d’être. Il n’y avait qu’eux pour se questionner à eux même alors qu’il discutait avec une autre personne.

« J’ai l’impression que tu as un souci avec le fait que l’on me considère comme un problème et que tu tournes autour de ce sujet pour essayer de percer ma façon de penser.  »

Je croisais les bras lorsque sa posture se décontractait sur le tronc qui la soutenait.

« Le véritable problème dans l’histoire, c’est que je n’ai que faire des surnoms ou des fabulations qu’on dit sur moi. Bien que certains veuillent me faire virer, les pontes de l’école de guerre savent très bien que la valeur de mes stratégies et de mes connaissances sont précieuses pour ce pays. Bientôt, une guerre débutera entre Tsuchi et ce pays et le moment venu, ce ne seront plus les mots et les fabulations qui feront pencher la balance d’un côté ou de l’autre, mais des généraux et des commandants. »

Alors que je regardais un couple beuglant au loin, je reprenais mon monologue.

« Et dans ce domaine, je suis une personne intouchable. »

Le fait de n’avoir jamais perdu mes duels de Shogi faisait de moi la personne la plus prometteuse pour mener une guerre et la chancelière l’avait bien compris. Qu’importe qui j’avais affronté depuis le début sur ces terres, chaque personne contre moi avait vu à quels points ils étaient minables.

« Alors est ce que je préfère être ou rester une Reine Folle ? Dans tous les cas, je suis une Reine dans ce pays et bientôt d'autres contrées le découvriront également. Le tableau que m’a affublé le destin est bien plus vaste que ce que tu crois percevoir. Je suis entièrement au courant que j’ai le pouvoir de préserver ce pays ou de tous les faire disparaître. »

C’était également la raison de ces gens qui voulaient me voir partir, car il avait peur de moi. Une peur bestiale, tel un agneau face à un loup. Un effroi qui leur disait de fuir ou de se cacher.

Je remarquais également que je rentrais dans son jeu d’alchimistes pour répondre à mes propres questions.

« Dans tous les cas, je crois percevoir ce qui me vaut votre venu, Uzumaki Mai. Comme je l’ai dit, je suis actuellement intouchable tant que je suis sur ces terres et vous l’êtes également en tant qu’alchimiste de l’état, je pense donc qu’on peut ouvertement parler ensemble… »

A quelques pas de nous, le seul lampadaire qui nous éclairait, s'éteignait d’un seul coup.

« Vous, comme moi, en avons suffisamment dit pour qu’on se rende compte que nous ne sommes pas à la botte de cet état et que nous avons des projets bien plus grands… »

Finalement, cet arbre était tout à fait confortable pour la poursuite de notre discussion. Retournant m’y adosser, j’écoutais avec une attention certaine les réponses que j’attendais de la jeune Nara. Elle avait un tempérament plus qu’affirmé et je comprenais que certains la trouve problématique. Seulement, ils prenaient le problème à l’envers et ne chercher pas à comprendre la situation, juste à la régler. Mais le souci était là. Vouloir faire rentrer un carré dans un triangle, c’était quelque peu compliqué. Il aurait fallu polir quelques angles pour parvenir à un résultat. Seulement, si beaucoup d’étudiant acceptaient ce polissage en règle, c’était tout le contraire pour la Nara. C’était une pierre brute qui se taillerai d’elle-même à travers le temps et les expériences afin de devenir un jour un parfait diamant.

« Je le dis à nouveau, mais à mes yeux, tu n’es pas un problème. Quant à ta manière de penser, je n’ai pas vraiment besoin de la cerner. Tu n’es pas la première personne avec ce genre de tempérament que je croise et tu ne seras surement pas la dernière. Pour ce qui est des surnoms, tu as tort de ne pas y prêter attention. Lorsqu’ils sont donnés par d’autres et dans la position dans laquelle tu te trouves, ils donnent une force, un pouvoir sur les autres que les personnes lambda n’ont pas. »

Délaissant la conversation quelques secondes, je sortais d’une poche de ma veste mon kiseru, cette longue et fine pipe de métal. Sans relever les yeux, je poursuivais dès lors la discussion tout en fourrant quelques feuilles de tabac dans le petit bol incurvé avant d’allumer le tout et de tirer une première bouffée que je relâchais au-dessus de ma tête.

« Certains veulent te voir virée oui, mais d’autres ne le souhaitent pas. Je fais partie de ces rares personnes, même si la majorité des gens n’en ont strictement rien à faire de qui tu es pour la simple et bonne raison que tu viens d’arriver sur ces terres. Il est indéniable que tu as une certaine valeur aux yeux des pontes comme tu les appelles. Seulement, il en faut bien plus pour être intouchable. Cela fait plus de vingt ans que j’arpente ces couloirs, des gens avec du potentiel comme le tien, j’en ai croisé. En revanche, des personnes avec ton potentiel qui ont décidées de ne pas le gâcher, c’est plutôt rare. »

Soufflant un large cercle de fumée, j’en relâchais deux autres, plus petits, plus rapides, qui passèrent au centre du premier.

« Le pouvoir dont tu parles, le pouvoir que tu crois posséder, il est bien plus limité que tu ne l’imagine. Tu veux renverser le monde ? C’est parfait, c’est également mon but. Je cherche justement des personnes avec cette psyché et qui n’ont pas peur des enjeux qui se profilent et de ce qu’il faudrait faire pour parvenir à leurs fins. Seulement, ce n’est pas en restant cloitrée entre ces murs que tu parviendras à quoi que ce soit. En restant ici, la seule chose que tu gagneras c’est de te retrouver en conflit avec d’autres. Une partie de ton temps serait largement accaparé à traiter ces problèmes qui n’en sont pas alors que tu pourrais l’allouer à autre chose. Je te le dis, si tu veux te placer sur la marche suivante et les gravir les unes après les autres, quitte cette école, quitte cette terre et agit directement. C’est n’est pas ici que tu feras progresser tes projets. Rejoins-moi et à plusieurs, en mettant nos ressources en commun, nous auront les moyens de nos ambitions. »

Décidément, l’alchimiste avait une véritable obsession sur les surnoms. À l' écouter, elle donnait l’impression que la façon dont on surnommait les gens était importante. Un pouvoir, une force ? Qu’importe, un nom était un nom et rien d’autre. Que cela soit le premier des tocards ou le plus riche des connards, je n'en avais rien à foutre de ce genre d’idioties. La seule chose qui avait de l’importance pour moi, c’était de savoir si le tocard ou le connard allait pouvoir m’être utile dans mes objectifs.

« Sauf que le potentiel dont tu parles est le premier que ces terres est connu. Certes cela peut paraître arrogant pour la majorité des interlocuteurs, mais je laisse cette façon de penser à ceux qui ne sont pas capables de réaliser une seule chose dans la vie. »

Sur ces mots, je me rapprochais de la rouquine encapuchonnée.

« Quand un être a connu le sang sur ses mains, quand un humain connaît la valeur d’un village, généralement ses homologues le remarquent et c’est ce que j’ai l’impression de voir en toi. »

De ce que je comprenais, elle cherchait des personnes pour l’aider dans sa quête. Cela tombait bien, j’avais des places sur mon plateau pour des personnages de son type. Je la voyais d’ailleurs très bien pour plus place de Dragon. Elle en avait en tout cas le caractère…

Sûre d’elle, valorisant son expérience à une jeunette comme moi. Elle devait se sentir bien intelligente, après tout, c’était une alchimiste d’état et je n’en avais pas encore croisé un seul qui ne se prenait pas pour de la merde. Sauf qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres. Elle avait ce petit truc en plus, ce petit désir de destruction qui me plaisait.

« Ne t’en fais pas pour moi, je ne compte pas rester dans ce trou qui est prêt à disparaître. Je sais ce que je compte faire et quand le faire et ce, malgré tes mots qui semblent vouloir m’apprendre la vie. Je vais quand même passer outre. Tu es bien une alchimiste, je peux faire avec. »

Si elle n’avait pas ce petit plus, cela ne se serait pas passé de cette manière.

« Je peux t’aider dans tes projets, mais c’est bien évidemment du donnant-donnant. Je vois en tout un rôle parfait pour ce que j’ai à faire, un rôle qui tirait à ravir. Enfin… Que dirais-tu de changer de lieu pour discuter un peu plus en détail de nos projets respectifs ? »

« Tu es jeune, tu as de la répartie et une vision claire de tes objectifs, c’est bien. Mais fait attention à une chose. N’avance pas trop vite, si tu veux bousculer les choses, fait le en mesurant les risques, certaines ruches n’aiment pas les changements brutaux et en viennent à piquer de manière virulente. Crois moi quand je dis que j’ai vu beaucoup de monde se bruler les ailes en voulant voler trop prêt du soleil »

Quoi qu’il en soit, ma proposition était faite. J’étais curieuse du choix qui serait fait même si j’avais une petite idée du résultat final. Vu nos échanges et le comportement de la jeune fille, cela ne faisait guère de doutes. Seulement, quelques seraient les circonstances de cette alliance ? Jusqu’où pourrions-nous aller, à la fois dans les actes, mais aussi dans la confiance mutuelle.

Inspirant une dernière bouffée, je tapais ma longue pipe sur le tronc d’arbre extirpant quelques cendres avant de faire tourner mon ustensile entre mes doigts et le ranger dans la poche intérieur de ma veste. Soufflant la fumée, je procédais encore à quelques cercles par pur amusement.

« Heureuse d’apprendre que tu n’escomptes pas t’attarder ici. Ta vie est courte, autant ne pas perdre de temps à des choses futiles. Mais les circonstances de ce départ te concernent directement. Mais revenons à quelque chose de plus concret. Suis-moi, je connais un coin tranquille. »

Rabattant ma capuche sur ma tête, les mains enfoncées dans les poches, je marchais d’un pas leste et m’enfonçait petit à petit dans les ruelles de la ville. Même au sein d’un lieu tel que celui-là, des espaces plus « sombres » existaient. Cela n’avait bien sûr rien à voir avec ce que représentait Ame, mais c’était en quelque sorte la face sombre des lieux. En général, on ne trouvait pas les lieux, il fallait y être invité et les règles étaient strictes. Ce qui se passait à l’intérieur d’un tel endroit, restait à l’intérieur.

Après de longues minutes de marche dans un silence absolu, voilà que nous descendions quelques escaliers bordant une maison. En bas des marches une lourde porte en métal. Toquant d’un seul coup sec, une petite tige en métal bougea vers la gauche, laissant entrevoir un regard froid. D’un signe distinctif, la porte s’ouvrit finalement afin que l’on puisse entrer.

A l’intérieur, l’atmosphère était tamisée. Une petite musique se faisait entendre et quelques volutes de fumées planaient au plafond. Passant à côté de quelques tables, je saluais là quelques visages connus et parmi eux, surement quelques visages que la Nara reconnaissait aussi. Seulement, ces faciès reconnaissables étaient souvent ceux des personnalités les plus énigmatiques, douteuses ou secrètes.

Installées dans un coin de table, personne ne s’approcha, pas même une serveuse. Si quelqu’un voulait consommer, il suffisait de faire signe, en revanche, face au silence des personnes présentes, la discrétion était respectée.

« Bienvenue dans un univers à l’opposé de ce que tu as pu connaitre jusqu’à présent. Toute institution qui soit possède sa part d’ombre. Rassure-toi, ici nous pouvons parler sans contraintes. Tout à l’heure, tu parlais de donnant-donnant. C’est légitime. Mais dis-moi, quel est donc ce rôle que tu vois pour moi ? »

Dans les abysses de l’académie, je découvrais une nouvelle zone où je n’avais jamais mis les pieds. Bien que je me doutais que de tels endroits étaient présents dans cette ville, je n’avais pas encore la tête de l’emploi et surtout le statut, contrairement aux alchimiste d’états. C’était encore là une belle caricature que m’offrait Mai en pénétrant des ces entrailles lugubre. Tout autour de nous, une atmosphère bien particulière d’hommes et de femmes peu fréquentables et vous l’auriez deviné facilement, il en était plein de personnalités et représentants de la cité.

Cela me montrait que mon objectif était tout à fait louable, bien que je le savais déjà. Malgré que Mai en faisait partie, le fait qu’elle ne veuille pas garder ce statut pour détruire ce monde m’indiquait qu’elles n’étaient pas comme tout ce qui nous entourait. Eux, au contraire, étaient du genre à vouloir préserver à tout prix ce genre d’avantages, de statut et de pouvoir qu’ils ont sur les autres êtres de leur espèce.

Mais dans tous les cas, Mai venait déjà de m’ouvrir une porte dans un monde que je voulais pénétrer. Rien que notre discussion m'avait été utile, même si nos chemins devaient nous séparer maintenant.

« En effet, je parlais de donnant-donnant. De ce que j’ai compris, tu souhaites renverser le monde ou du moins, une partie de ce monde. Cette étape fait partie de mon projet, même si je ne m’arrêterai pas à simplement le renverser. »

« Ce que je veux, c’est de permettre au monde un nouveau départ. »

Je restais volontairement ambiguë sur mes propos et Mai devait se douter qu’il n’était pas encore l’heure pour nous deux de dévoiler nos projets dans leurs moindres détails.

« Et pour ce rôle, je te vois très clairement comme un Dragon. Tu vois ce qui se passe autour de toi et ton expérience te dévoile des voix que d'autres n'imagine pas. Tu as l’air de savoir t’adapter à une situation et ensuite agir, tout comme tu as l’air d’avoir une très bonne vision globale de ce qui t'entoure. »

« C’est d'ailleurs pour ça que je continue à te parler malgré ton statut d’alchimiste que je méprise. Tu n’es pas comme ceux qui nous entourent… »

« Enfin, je suis quand même curieuse de savoir pourquoi tu as choisi de venir me voir et non pas un de tes camarades dans cette pièce ? »

Comme annoncé, chacun vaquait à ses occupations. Des affaires se traitaient, des échanges se faisaient, des tractations se lançaient. Le côté sombre et secret des Alchimistes d’Etat se dévoilaient ainsi et comme toute dérive sociale, des myriades d’autres choses se greffaient autour. Femmes frivoles, gigolos, produits addictifs en tout genre. Il y avait même sous nos pieds une arène de combat où des créatures sigillaires s’affrontaient devant des parieurs effrénés.

« Tu l’as dit. Je parlais du monde dans son ensemble, pas seulement une partie. Et plus qu’un renversement de l’ordre établi, c’est une résurrection que je désire. Chasser la pouriture pour ériger quelque chose de meilleur, un monde où nous aurions notre mot à dire. Au final, tu appelles ça un nouveau départ, moi une renaissance, ce n’est qu’une question de terminologie. »

Hélant une jeune femme, je passais commande d’une bouteille de saké pour deux. Malgré l’ambiance sombre, malsaine et élitiste des lieux, le service lui, était irréprochable et Elin et moi furent rapidement servies. Offrant une coupe à la jeune fille, je portais la mienne à mes lèvres et goutais le breuvage. Légèrement décevant. J’avais connu bien mieux. Je notais dans un coin de tête de repasser pour les conseiller sur leur fournisseur.

« Dragon ? Une promotion d’entrée de jeu ? Au moins une partie d’envergure d’entrée de jeu. J’apprécie cette franchise qui est la tienne. Et pour te répondre, pourquoi ne pas œuvrer avec ces gens-là ? Certains pourraient surement faire l’affaire, mais je préfère garder une tout autre relation avec la Kabbale. Mais surtout, la majorité des personnes présentes ici ne sont là que pour le paraitre et un faux sentiment de puissance ou d’impunité. Ce sont des gens qui se sont hissés là car ils voulaient être là. Moi je suis ici car c’est un tremplin pour s’élever ailleurs. Certains voient ces lieux comme un aboutissement, moi comme une étape. »

Ramassant la bouteille en terre cuite, je me levais de notre tablée.

« Suis-moi, sortons. »

En dehors des murs, je prenais à nouveau la direction vers la ville « claire ».

« Du parlais de nouveau départ tout à l’heure. Je suis curieuse, dis-m’en plus. Que prévois-tu et pourquoi ? »

La discussion commençait à tourner en rond, bien que les lieux changeait, Mai semblait absolument savoir mes plans en détail.

« On verra bien où le vent m’emmènera. Tout d'abord, je vais devoir faire tomber Tsuchi et ensuite le pays de l’Harmonie. Une guerre entre les deux serait parfaite. Cela me faciliterait la tâche et je n’aurai plus qu’à remuer les cendres. Je verrai bien d’ailleurs des petits complots ou attentats, tout en laissant les bons indices dans les ambassades chez l’un et l’autre. Enfin, j’ai du temps pour peaufiner ces détails. »

Il me venait ensuite une réflexion sur les Kabbales. Il était toujours vrai que je ne pouvais pas voir ces pitres, mais certaines remarques tournaient dans ma tête. Des mots que Mai avait dits et que m’ouvrait une nouvelle perspective.

L’institut avait des ressources et cela serait très agréable de profiter de ses richesses pour mes propres projets. Avec un esprit de génie, je ne doutais pas que l'entrée serait extrêmement facile pour moi, surtout si l'appui de Mai venait à couronner le tout. Et alors que nous sortions une nouvelle fois, je me retournais vers cette dragonne.

« Dis-moi, Mai. Peux-tu m’en dire plus sur la Kabbale ? J’aimerais connaître l’étendue de son pouvoir et jusqu’où leurs influences s’étendent. Une institution aussi secrète doit bien avoir le bras long, assez long pour être utilisé à d'autres fins que des pauvres inventions. »

La question posée, il ne me restait plus qu’à écouter la réponse. Si celle-ci était suffisamment intéressante, il était possible que je me décide à rejoindre ce que je n’arrivais pas à sentir juste pour utiliser l'influence de ce groupe de charlatans.

Dehors, la nuit battait toujours son plein. Dans les zones les plus populaires, les commerces étaient fermés depuis longtemps et les derniers badauds couchés. Il n’y avait que nous, nos pas résonnant à chaque foulée. Pour autant, cela ne nous empêchait nullement de poursuivre notre discussion à mots feutrés.

« Faire tomber Tsuchi est ambitieux. Pas impossible mais ambitieux. Seulement pour y parvenir, il faut un conflit d’envergure. Dans ce cas de figure, Chowa n’est clairement pas le pays qu’il faut pour lutter contre un tel mastodonte. Dans un feu, Tsuchi serait des braises. Un conflit qui perdure, rougeoyant, en tension permanente où il suffirait de ranimer quelques morceaux pour s’enflammer à nouveau. Chowa c’est du petit bois qui sert à propager les flammes. Pour engager Tsuchi dans un conflit d’envergure, il faut viser un autre pays et surtout un pays qui ne prône pas la paix. Hi est une cible désignée. Il ne faudrait pas grand-chose pour qu’une guerre éclate à nouveau. Mais avant d’en arriver là, Chowa se montrera et c’est à cet instant qu’il faudra frapper. Hi, Tsuchi, chacun accusera l’autre et tu auras ton embrasement. Pour ce qui est des ambassades, si tu veux vraiment pouvoir agir contre elles, l’idéal serait de te rallier à elles pour les poignarder dans le dos le moment venu. »

Si la discussion semblait fluide, je sentais pour autant que d’autres questions restaient en suspens. Et j’avais raison. Avec l’âge et l’expérience, à force de côtoyer les gens, d’échanger, de trahir et se faire trahir, ressentir la nature des gens devenait plus facile. Ce n’était pas quelque chose de systématique ou surnaturel, juste une sorte d’intuition psychologique. C’est exactement ce que je ressentais en l’instant présent avec la Nara.

« Pour beaucoup, la Kabbale est un ramassis de vieux fou bercés dans l’occulte, une brochette d’érudits qui emmagasine de vieux savoirs inutiles. Mais la réalité est bien plus profonde. Les vrais Kabbalistes sont les Alchimistes d’Etat, pas ceux qui viennent ponctionner notre savoir. Être Kabbaliste c’est mettre les pieds dans un monde de secrets, d’occulte, de puissances secrètes, de savoir interdits et j’en passe. Un Kabbaliste est en mesure de créer la vie …  »

Usant de ma pierre philosophale, je conjurais un petit être fongique sigillaire à partir d’un champignon accroché à un arbre non loin de nous …


… qui se dessécha rapidement en arrivant à nos pieds.

« … mais aussi la reprendre. Comme partout, un pouvoir est un outil, la conséquence est ce que l’on fait de cet outil. Les inventions permettent de rester au sommet de la puissance alchimique et scientifique. Mais cela permet aussi de dénicher les véritables talents, ceux à qui l’ont peut confier un pouvoir tel que celui que je viens de te montrer. Et si tu essaie d’imaginer les liens qu’ils peuvent tisser avec nations et clan, dis-toi que tu n’imagines pas assez loin et que les ramifications vont bien plus loin que tu ne le penses. »

C’était là la vérité. Enfin … une vérité. Toute la vérité était encore plus longue et il aurait fallu plusieurs nuits. Pour autant, l’essentiel était là.