Il y avait des endroits plus laids que cet arbre. En contemplant les branches gigantesques du colosse végétal qui tapissait le sable d’une ombre maternelle, Jun’ichiro ne put s’empêcher de comparer cette anomalie à celle du Pays du Riz, dont la capacité à se mouvoir n’avait de cesse de surprendre les profanes. Entre Royaume Ambulant et Arbre-Monde, quelle Merveille sublimait l’autre ?

— [...] Enfin, c’est le prix à risquer pour éviter l’hostilité du désert…

Le jeune homme sirotait un alcool à base de sève de l’Arbre-Monde, servi dans une tasse en terre cuite. Parfumé de senteurs inconnues, ce fut une marée d’émotions endiguée à chaque gorgée, si bien que son palais l’obligeait à ralentir la cadence. Sa constitution supérieure, elle, ne pouvait pas déployer le même effet.

— Ça n’a rien à voir, mais il faut que je te parle de quelque chose.

Le balafré posa sa boisson, et riva ses yeux dans ceux de son amie. Même si son visage était à moitié camouflé par le linge opaque le protégeant du soleil – et des œillades indiscrètes des Kazejin au service du Khaganat –, l’on pouvait comprendre sans souci la soudaine gravité dans le regard de Jun’ichiro, affublé de cernes.

— Je… fais des rêves étranges, ces derniers temps. Depuis la réception de cette lettre, en fait. Oui, je sais, tu me l’as déjà dit, et je le conçois : le fait que je reçoive une lettre personnelle, à mon nom, dans un coin reculé du désert, était particulièrement étrange – de l’ordre du Fuinjutsu, ou du maléfice. Mais je ne ressens aucune trace de chakra. Ou ce doit être bien trop fin pour percevoir son aura…

Il sortit la fameuse lettre de ses amples atours de voyageur, et la posa sur la table, avant de récupérer son alcool et de poursuivre son œuvre. Un sceau de cire noire, frappée d’un « B » caractéristique renvoyant à la signature du Baron en bas de page, attirait l’attention de l’Ashikase.

— Qui suis-je, Miya ? Vraiment. Qui suis-je, à tes yeux ? J’ai parfois du mal à faire la part des choses entre la réalité et… eux. Qui suis-je ?

Le regard ancré sur cet objet qui la suivait, cela faisait certainement la millième fois qu'elle le faisait tourner entre ses doigts. Et la millième fois que l'objet attirait son regard. Et voilà la mille-et-uneième fois, elle regarde cette face qu'elle a tant contemplé, observer ces traces, elle sait ce qu'il en est, est-il réellement sage de le garder auprès de soi ?

— [...] Hum..

Elle l'écoutait. Certes son attention attirée sur une chose précise ne le laissait pas transparaître, mais il devrait être habitué aujourd'hui. Le visage caché sous l'ombre du voile de tissu qui couvrait sa chevelure éclatante, elle aussi n'était pas spécifiquement bien vue en ces terres, peut-être parce que c'était à ses cotés qu'elle foulait le sable chaud. Elle ne lui en voulait pas, elle n'en veut à personne en ce monde.

Lorsqu'il l'interpelle, son regard se redresse, elle range l'objet, qui d'ailleurs était une écorce enroulé autour d'une ficelle, elle même enroulée autour de son cou.

— Confie-moi les songes qui emballent ton coeur, Jun.

Miyabi se redresse, son regard se fige dans celui de Jun'ichiro, ses pupillent se dilatent légèrement, comme pour montrer la réaction physique et non verbale à sa question. Puis son visage s'adoucit, sa voix est calme, douce, presque onirique, soporifique peut-être, dans une certaine mesure. Ses paroles le sont de toute évidence, énigmatique, mystique, quelque chose qui la caractérise bien.

— Ne te laisse pas envahir par la bête tapie dans l'ombre, Jun.

La jeune femme se rapproche, elle dépose une main affectueuse contre le plexus solaire de son ami. À plat, elle ressent ses battements de coeur, et son regard ne quitte pas le sien, se voulant protecteur.

— Nous sommes tous différentes choses aux yeux de tous le monde. Peut-être que tu es tout à la fois, peut-être que tu n'es que Ashikase Jun'ichiro. Les ombres sont mystérieuses, et ça n'est qu'en apportant la lumière que l'on peut découvrir ce qu'il s'y cache. Elle déplace sa main, replaçant le tissu qui couvre le visage de Jun'ichiro correctement. Ne faisons pas confiance à l'ombre tant que nous n'avons pas la certitude d'être la lumière, Jun.

Sur son visage se dessine un sourire, accompagné d'un regard sincère.

— Mais pour moi, tu resteras l'unique entrave autour de mon coeur, la seule que mon âme accepte, qu'importe ton enveloppe ou ton nom, je te reconnaîtrais et t'aimerais toujours de la même façon, Jun.

Pendant un instant, l’Ashikase entendit son cœur battre en canon. Il y avait des psalmodies qui irradiaient l’âme et l’ego ; la voix mélodieuse de son amie avait le don de museler les doutes du jeune homme, et combler le vide du Serment des Chaînes brisé. Puis, l’élan de surprise passé, son calme retrouvé, Jun’ichiro s’abrita derrière un sourire, et posa sa main sur celle de sa consoeur de crime.

— Parler d’ombre et de lumière vis-à-vis du Pays des Ténèbres… J’ai compris ta figure de style.

L’entrave aussi, il l’avait décelé – en référence directe à son pouvoir caché d’Ashikase, qu’est de contrôler les chaînes coercitives. Jun’ichiro laissa échapper un petit rire, et avec lui, accueillit la lumière de Kaze comme de Miyabi en lui. Leurs premiers échanges avaient été lunaires, à l’époque, tant le verbe de l’Uzumaki se perdait en second sens et prose imagée, mais peut-être était ce qui avait tant intrigué le jeune homme.

— Merci, Miya. Ta douceur me touche. Comme toujours.

L’Ashikase s’enfonça davantage dans son siège de fortune, levant la tête vers la cime verdoyante de l’Arbre-Monde. Le vent peinait à bouleverser le calme de chaque feuille, dont le poids pouvait menacer la vie des Kazejin – si le Colosse Vert était soumis au cycle naturel des arbres au travers des saisons, de toute évidence.

— Je ne veux pas paraître fou, ou alarmiste, mais je vois des visages récurrents. Des guerriers, de tout âge, de tout temps, de tout lieu – de toute réalité ? Je crois que mon imagination me fait défaut. Je vis à travers eux lors de fenêtres de vie, avant que le silence n’avale ces brefs flashs de conscience délavée.

Le balafra regarda à l’Ouest ; vers l’horizon sablonneux des Dunes Insoumises, jusqu’à l’orée menaçant, hostile et sans vie de Yami no Kuni. Un abîme captivant, mais dont l’appétit pour la vie n’avait d’égal que le mystère qu’il abrite. Quelle récompense était attribuée aux fous courageux y risquant leur vie ?

— Je ne sais quel maléfice m’a apporté cette lettre, mais je sais que le Pays des Ténèbres m’appelle. Pourtant, je sais également que je ne suis pas encore prêt. Toutes ces personnes – ces alter ego ? – que je vois dans mes songes débordent de puissance, piétinant mon ambition. Je n’ai jamais rencontré de maître du Shikotsumyaku, et pourtant, j’en connais les techniques et les sacrifices nécessaires – primordiaux.

Et cette phrase horrible, qui, telle une chanson guillerette, lui restait en tête. « Sous les cadavres et la terre, l’âme pleure. Ses larmes noient les ennemis de la providence. » Une incantation répétée mille fois, affublée de Sigils de Puissance irréalistes, et d’un genre de mūdra au crépuscule des douze signes référencés.

Elle lui sourit, se recule et reprend sa place. Le contact physique est puissant, mais même initié par elle même, elle peine à le maintenir, à le supporter. Elle avait accepté cette main déposée sur la sienne, l'ayant serrée pour montrer sa présence, sa confiance, mais elle s'était rapidement désolidarisée, les paupières écartées et les pupilles toujours aussi mystiques et rêveuse. Rien d'inhabituel, c'était juste elle.

Son regard lui, se perd sur le liquide qui stagne dans ces verres, elle en observe le moindre détail, le moindre mouvement causé par un mouvement brusque, du vent.

— Pouvons-nous réellement imaginer quelque chose qui n'existe pas ? Je pense qu'au fond de nous se cache un puit de connaissance dont la conscience même ne peut ouïr.

Tout en parlant, elle semble défaire un long fil de laine de son voile, défaisant les noeuds autrefois liés entre eux pour construire le tissu ; elle n'en défait évidemment qu'une petite partie, son visage reste camouflé sous cette ombre qui la protège du soleil brulant, violent.

— Le destin est un enfant aux besoins extravagants, qui n'obtient pas ce qu'il veut mais qui le réclame quand même, avec fougue. Il est mystique, vague, appelle mais ne répond plus tant que tu ne manifestes pas ta véritable ambition de le défier. Peut-être es-tu tous ces guerriers à la fois, destiné à briller, à sombrer. Ou peut-être n'est-ce là qu'un tour pernicieux qui cherche à punir ta curiosité...

Après avoir terminé de former une fleur avec ces différents fils de laine tiré de son propre voile, elle l'observe attentivement, écartant ses doigts pour agrandir les pétales : huit en tout, et un coeur en forme de rond. Son regard se tourne vers l'horizon, elle aussi, elle contemple l'orée mystérieuse qui appelle son ami. Elle ne l'empêchera pas d'y aller, elle sait que le temps n'est cependant pas arrivé.

— Les ténèbres t'appellent, Jun. Peut-être est-ce ta destinée qui t'y attend ? Mais le temps sera porteur de conseil...

Elle dépose la fleur de tissu sur le sol, laissant cette dernière pendre, reliée à un unique fil qui la relie encore à son propre voile.

— Tu n'es pas fou. Mais laisse moi entendre tes réactions face à un tel spectacle ? Son visage change un instant, paraissant un peu plus inquiète. À défaut de reposer ton esprit, reposes-tu assez ton corps, Jun ? Peut-être est-ce là un début ? Accepter ce que le destin t'offres, essayer de les comprendre sans les juger, sans en avoir peur ?

Elle braque son regard sur lui, de toute évidence les cernes autour de ses yeux n'avaient pas échappée au regard perçant de l'Uzumaki. Son instinct naturel de miresse revenait parfois.

— Dis-moi Jun, peux-tu me conter ces représentations que tu vois ?

Son manque de sommeil s’exprimait mieux que mille mots du meilleur sophiste du Continent. Des cernes jusqu’aux joues, couplées à des yeux rouges aux maints vaisseaux sanguins éclatés. Les rêves l’empêchaient de dormir paisiblement – et peut-être eût-il été de sa faute, au final. Avait-il déjà essayé d’embrasser ces songes jusqu’à la fin de l’acte, sans panique ni secousse ?

— Alors, je dois accepter que je suis devenu le vecteur de fantômes du passé ?

Jun’ichiro ferma les yeux, fronça les sourcils, et se frotta l’arrière du crâne.

— Désolé. C’était peut-être un peu sec. Tu as sans doute raison. Tu as toujours raison. Tu as toujours été la plus sage de notre binôme, depuis le début. Même si les conséquences ont plu après notre départ du Royaume Ambulant, c’était pour mon bien. Cette nouvelle épreuve doit être bénéfique, elle aussi.

Un sourire sincère, bien que timide, habilla le visage du balafré. Une once de sensibilité réchauffa son être, tandis qu’il offrit une nouvelle gorgée d’alcool de sève à ses papilles sèches. Il prit grand soin de savourer ce nectar avant de déglutir, lentement, les paupières papillonnant devant la procession des passants.

— Je dois t’avouer que j’ai surtout peur de ces visions. Je n’arrive pas à les traduire, à les décrypter, à en extraire quelque chose de pertinent. Je n’y trouve pas de logique. Mais… ces figures, ces personnes, ces entités, sont toutes humaines. Mon cœur bat ; mon cerveau est stimulé. Pourtant, je n’arrive pas à savoir qui ils sont.

Jun’ichiro se mit à rire nerveusement.

— Je crois qu’il y en a un, une fois, qui avait un rat de compagnie… qu’il avait appelé « Ra »… Et lui-même s’appelait Rara…

Se remémorant cette vision alternative, Jun’ichiro resta sans voix. En pleine stupéfaction.

— Le rat Ra de Nishimura Rara.

Le rire du jeune homme bascula vers une quinte de toux disruptive.

— Non, définitivement, c’est mon subconscient qui me joue des tours. Même si les autres… Même si elle…

Tandis que ses joues s’empourprèrent d’un rose honteux, ses yeux fusèrent rapidement vers ceux de Miyabi afin d’en décrypter l’expression. Elle ne l'avait pas entendu dire ça, si ? Rien qu'un fantôme de plus...

— Vois cela comme une histoire que tu lis.

Miyabi partagea le rire de son ami, son regard divagua un instant, elle observe le sol, contemple peut-être les quelques insectes qui passent, observe Jun'ichiro un instant, puis observe ses mains, les faisant se mouvoir dans l'air comme si elle caressait quelque chose d'immatériel, d'invisible.

— C'est au moins rassurant. Si tu vivais à travers le corps d'un animal, je comprendrais ta peur. T'aimerais-je toujours, mon ami, si tu étais en vérité l'alter-ego d'un scorpion du désert de Kaze ? Non certainement pas, tu serais beau et fascinant - pas que tu ne l'es pas - mais tu serais si dangereux, même si parfois.. qu'est-ce que le danger quand la connaissance est à la clé... non, peut-être que tu aurais pu être un oiseau, volant de ses propres ailes à la découverte du monde.... Peut-être que... Le rat Ra de Nishimura Rara... que c'est ingénieux, ces alitérations en Ra... finalement, étais-tu Rara ou étais-tu Ra ?

Elle se renferme dans le silence, cesse ses mouvements dans le vide et poursuit, comme si elle venait de reprendre ses esprits. Ses paroles sont parfois presque aussi cryptique, voire plus que les visions de Jun'ichiro, fort heureusement, la lucidité revient la plupart du temps.

— Accepte les, telles quelles sont. Vis, explore, accepte ce corps, cet esprit, cette vie. Ta mémoire, tu dois la stimuler, essayer d'en déceler le secret et libérer ces visions, ne plus en avoir peur.

Miyabi s'arrête un moment, défait la fleur qu'elle avait fait dans la laine, et reforme quelque chose avec ses doigts, tout en poursuivant.

— Feuillette ton esprit comme un livre, comme si ces fantômes n'étaient que des personnages historiques vivant leur vie, ayant marqué l'histoire de leur propre monde. Ne les rejette pas, ne les considère pas comme irréel, ou illogique. Vis leur histoire, tu ne crains rien dans tes songes.

Elle l'écoute, évidemment, elle lâche la laine. Elle s'approche, soudainement, brusquement, attrape une mèche de sa chevelure flamboyante, la compare avec vraisemblablement le visage de Jun'ichiro qui se trouve à quelques petits centimètres. Elle fronce le regard, lâche sa chevelure et observe Jun'ichirio.

— Non définitivement, les nuances rouge et rose ne te vont pas.

Son regard se détend, elle sourit, l'observe de haut en bas alors qu'elle est à nouveau proche de lui. Elle scrute ses yeux, dont les capillaires peinent à se refermer et nacrer les yeux du jeune homme, son visage, dont les creux feraient croire qu'il est plus âgé que Miyabi.

— Tes visions surpassent les traits biologiques, Jun ? Ou « elle » n'est que le fruit des songes de ce Jun ?

Elle l'avait entendu, peut-être l'avait-elle mal compris.

Un spectacle vivant virevoltait avec grâce devant le balafré. Une danseuse de haut vol, aux gestes maniérés, qu’il fallait chérir et préserver pour ne pas sacrifier la précieuse beauté sur l’autel de la guerre. Et, telle une lame de fond après le retrait envoûtant des eaux, ses mots frappaient juste, à en bouleverser l’âme du pauvre Ashikase.

— Le rouge ne m'a jamais conquis.

Son visage si près du sien, Jun’ichiro ne put s’empêcher de penser à elle, ce qui aiguillonnait d’un dard brûlant l’esprit du shinobi – l’un de ces alter ego semblait prendre le plus de place dans sa mémoire débordante. Le maître du Shikotsumyaku. Le Fils prodige, développant sa Danse des Os à quatre ans. L’Augure osant sortir son peuple, son clan, des griffes de la sauvagerie, pour garantir aux siens un avenir honorable et droit. Le Guerrier en première ligne, repoussant le Bijuu Aqueux, et rendant le Traître manchot. L’Allié faisant un pacte avec le Bélier à la Toison d’Or, au milieu de son champ de lavande. L’Ennemi tournant le dos aux siens pour réaliser un acte impardonnable, mais salvateur en bien des égards. L’Amant de la plus belle kunoichi de son temps qu’était la Tigresse Blanche. Tombait-il amoureux d’un fantôme éthéré et inexistant dans cette trame temporelle ?

— Cet alcool de sève est vraiment fort.

Le jeune homme repoussa timidement sa tasse en terre cuite, sans la moindre trace d’abus d’alcool sur le visage. Ses joues roses ne venaient pas de là. Par chance, il se ressaisit, et reprit son calme naturel.

— J’aimerais rendre visite au clan Kaguya, pour leur poser des questions. Peut-être ont-ils des registres, datant de temps immémoriaux. De mémoire, ma tutrice m’a dit que le clan Kaguya fait partie des premiers ayant vu le jour, et ce même avant l’Éveil du Chakra. Un certain Sesshū aurait pu exister, autre que celui de la Dynastie.

Jun’ichiro s’étira à en perdre son châle, qui se glissa derrière sa nuque.

— Peut-être que nous y trouverons un Calice sur place. Avec des tonnes de créatures à l’intérieur. Comme des scorpions. Des oiseaux. Ou des rats aux drôles de sobriquets-onomatopées.

Le rat Ra de Rara. La phrase lui arracha un nouveau sourire au coin des lèvres.

— Mais assez parlé de moi. Comment tu vas, toi ? Tu as réussi à arracher une réponse de ton Fragment, ou me rejoins-tu dans mes rêves bizarres ? As-tu développé de nouvelles hypothèses quant à sa nature ?

— Dommage.

Dit-elle avec un sourire, laissant son ami divaguer dans ses pensées avant de jeter la responsabilité sur l'alcool. De toute évidence, sa nouvelle ambition témoignait d'une volonté de connaître le passé d'un de ses personnages, de ses alter-ego, comme il disait. Elle connaissait l'anatomie humaine, la biologie et surtout Jun'ichiro pour savoir les réactions de son corps, elle se garda cependant d'ajouter une parole.... c'est faux.

— Quand je disais qu'il fallait vivre... n'oublie jamais que seul le présent et l'avenir compte. Mais... si tes futurs rêves apportent douceur plutôt que peur, je pourrais fermer plus d'un oeil la nuit et convaincre mon esprit que ton sommeil est réparateur et porteur d'espoir.

Elle plisse les yeux, elle revérifie un instant l'accord entre sa chevelure et le visage de Jun'ichiro avant d'abandonner l'idée - ses cheveux ainsi colorés lui vont très bien.

— Laissons les vagues nous porter là où le vent souffle, l'Eau devra bien accepter deux âmes vagabondes...

Cela voulait sûrement dire oui. Peut-être. Admettons que.

— Je penche plutôt pour des coquillages. Qu'on confondraient avec des pierres, alors qu'un être vit au sein de cette carapace de couleur, de motifs... Un peu comme... observer une très belle enveloppe charnelle, des yeux éthérés, d'un clair éclatant...et que l'esprit qu'elle contient, se montre tout aussi beau, débordant de savoir, de connaissance, de vie.

Lorsque l'attention de son ami se tourna vers elle, elle eut un moment de silence. Elle montra sa nouvelle oeuvre en tissu: une étoile, cinq branche.

— La fourmis ouvrière travaille, veille à la sécurité, au bon fonctionnement. Mais lorsque la Reine meurt, tout est bouleversé. Fort-heureusement, elle n'est pas morte.

Miyabi récupère le châle de Jun'ichiro pour le replacer correctement, au moins d'une façon à ce qu'il ne le gêne pas. Dans son mouvement, elle pose sa main contre le front de son ami, puis contre sa joue alors qu'elle ferme les yeux un instant. Une certaine chaleur se dégage de ce geste, mais pas une chaleur qui ressemblerait à celle d'un feu, plutôt celle d'un sommeil réparateur, d'une énergie qui se régénère, petit-à-petit.

Il n'était pas à son premier : Miyabi avait offert un peu de sa propre énergie profonde, son chakra, à son ami, certainement pour tenter de combler ses besoins en matière de sommeil, et peut-être pour éviter trop d'effet néfaste de l'alcool. Elle ne savait pas vraiment si cela avait une véritable influence, quoi qu'il en soit, elle retira délicatement sa main et poursuivit, comme si de rien n'était.

— Mais son travail est aussi de veiller sur elle, et de l'entretenir.

Sans quitter sa position, elle reprend son pendentif en main, le montrant sous les yeux de Jun'ichiro, ce morceau de bois arraché dont les vaisseaux mauves se rejoignaient entre eux, un véritable réseau sanguin.

— J'ai cru qu'il s'agissait de démon au début. Puis j'ai observé, et je pense que les gardiens protègent quelque chose contre ce mal... Les gardiens... Ce qui est tapi dans l'ombre de l'Esprit est différent de ce qui se cache dans les ténèbres, cela me semble... bon. Pour autant ça...

Elle caresse du bout des doigts les réseaux violets qui parcourent le bois.

— Je me demande à quel moment la corruption s'emparera de moi...

Elle soupire.

— Oh je rêve assez lorsque mes yeux sont ouvert pour qu'ils se poursuivent la nuit... malheureusement.

L’Ashikase laissa son tendre soutien s’étendre en de nouvelles images, de nouvelles narrations, de nouveaux fantasmes. Tout était beau, au travers de ses lèvres. Aucune fausse note ne pouvait conjurer l’envoûtement. Ça n’était que grâce, légère mièvrerie, et poésie. Une alchimie au dosage savant, à l'orée du mysticisme.

— Je suis honoré d’être la Reine de ton schéma de pensée. Mais les gentilles ouvrières n’ont pas besoin de se tuer à la tâche pour les beaux yeux de leur Souveraine, tu sais.

Gardiens, chakra azur, esprits, corruption, bijū, Seirei, démons, bois enchantés, vénules violettes, combat séculaire, le jeu du chat et de la souris ; la primauté de l’oeuf ou de la poule, du naturel ou de l’invasif. Tous ces termes, ces idées, ces esquisses, gravitaient autour d’un mystère dont l’ombre faisait présager l’importance.

— Au moins, nous faisons la paire. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre ! Deux vecteurs de bizarrerie formant la nouvelle norme de notre binôme, comme de nos prochains compagnons de route.

La Ligue des Aventuriers (冒険者の連盟, Bōkensha no Renmei) était un premier détour. Au fond de lui – et il l’avait déjà avoué à son amie de fortune – Jun’ichiro désirait rencontrer des personnes valeureuses, et avancer avec elles vers un lendemain glorieux. Avec complicité, le visage de nouveau caché derrière son châle de voyage, le jeune homme vint saisir du bout des doigts le pendentif de son amie, s’approchant de ses détails contre-nature pour en admirer l’aspérité. À son tour, il passa son ongle sur les sillons violets.

— La corruption, pour un camp, n’est qu’une interaction, pour celui d’en face. Si l’on estime que le monde n’est pas si manichéen. Moi, j’ai toujours aimé le mauve. Quel est le poids de deux pauvres âmes fragiles quant au duel d’un certain bien et d’un certain mal ? Ce que je veux dire par là, c’est que les Gardiens-Esprits que tu as réussi à semer – de justesse – paraissaient plus menaçants qu’une quelconque corruption.

Jun’ichiro, fier de son intervention, délaissa le morceau de bois scarifié de son amie.

— Peut-être l'Éveil n'est-Il qu'une sorte de maladroite corruption...

Miyabi sourit, elle observe les alentours, attrape soudainement une araignée ayant chuté de la toile qu'elle tressait non loin des deux alchimistes, la fait monter sur le dos de sa main alors qu'elle l'observe attentivement. L'araignée tente de fuir, Miyabi place ses mains de sorte à la maintenir sur elle, puis l'araignée se calme. La jeune femme dépose l'araignée dans la toile encore solide.

— Mais tu n'es pas une fourmis. Toi tu es une araignée qui même si elle chute de sa toile, saura en reformer une d'encore plus solide et plus soyeuse. Gare cependant à ceux qui souhaitent la détruire...

Son attention se porte encore sur l'arachnide, quelques longues secondes alors qu'un sourire se dessine sur ses lèvres. Finalement, elle se redresse face et proche de Jun'ichiro, son sourire reste ancré.

— Celle dont les rêves apparaissent le jour, celui dont les rêves envahissent les nuits. Le passé, le présent, le futur.

Elle ferme un instant les yeux, elle laisse son ami toucher son pendentif, son esprit se concentre sur la moindre réaction qu'il pourrait émettre - même si après des années, rien ne s'est jamais passé. Comme son ami auparavant, ses joues rosirent, peut-être parce qu'il lui parlait comme elle le faisait, même si cette touche de détail pour expliquer son propos à la fin divaguait de sa propre façon de faire, elle appréciait entendre ça.

— Le Bien est le Mal du mal. Le Mal est le mal du bien. Le Mal est le bien du Mal. Le Bien est le bien du Bien. Je soigne, j'aide, mon don me permet d'éviter la mort à ceux que je rencontre, mais nul doute que le Riz ne serait pas enchanté de me revoir.

Elle relève doucement le visage, observant le haut du crâne de Jun'ichiro avec une certaine intensité dans le regard, on pourrait bien croire qu'elle avait remarqué que ce dernier était décoiffé, mais il n'y avait rien.

— Les prédateurs de l'un sont les proies de l'autre. L'ennemi d'un tel est l'ami d'un autre.

À son tour, elle récupère son morceau de bois enroulé dans cette ficelle. Elle l'observe à nouveau, touche ces veines mauves, puis poursuit :

— Oh... penses-tu que je devrais laisser cette énergie me corrompre ? Qui sais ce que je pourrais devenir... Un Bijû ? Un cerf ?

Elle relève son regard, les yeux ronds comme le seraient ceux d'un chat, fixant Jun'ichiro comme si un éclair avait traversé son esprit. Un instant elle tentait de se rappeler de ce qu'elle avait vu : un cerf aux bois fleuris contre cette créature. Pourtant ce mal ancré, n'était-il pas l'oeuvre des Bijûs ?

— Un cervidé dont le bois est gorgé de cette corruption. Je ne pensais pas les Bijûs avoir des formes aussi inoffensive. En fait... Ce cerf, sa couronne était fleurie. Tu as déjà vu des fleurs sur les bois d'un cerf ?

Le regard minutieux de Miyabi, teinté de niaiserie, avait pu plaire au jeune homme lors de leur première rencontre. En lui se reflétait une impression de salut, de sauvetage, de rédemption, qu’il pouvait offrir à sa partenaire ; un sentiment de surpuissance, de devoir, de romantisme, qui le guidait des veilles aux lendemains. Mais l’Ashikase s’était vite résolu de ne pas tomber dans ce piège. Quelque chose l’empêchait, depuis le début, d’emprunter cette voie. Peut-être la peur d’échouer ? Cela lui correspondait bien.

— Toi, un cerf ?

Jun’ichiro repoussa gentiment le front de sa consoeur de l’index.

— Ton animal-totem est le koala. Rêveur et paresseux.

Adieu ses alter ego illusoires ; le jeune homme reprenait goût à l’instant présent. Un sourire complice partagé, mêlé d'une œillade amicale et sincère, et rien d'autre ne comptait alors davantage à ses yeux.

— Je n’ai pas vu beaucoup de cerfs avec des bois matures. Alors, des bois fleuris… Quoi qu’il en soit, un cerf est loin d’être inoffensif. Il est le roi de la forêt ! C’est une figure majestueuse, respectée de tous les chasseurs. S’il ne s’agit que de créatures lambda soumises à l’énergie mauve, tu aurais pu croiser un lapin-bijū, là-bas.

Après avoir mimé les bois nobles d’un cerf au-dessus de sa tête, le jeune homme fit la plus belle et mignonne moue qu’il fut capable d’observer – ses deux index opérant en tant qu’oreilles de lapin, évidemment.

— Quelque chose me trotte à l’esprit. L’on dit bien que les opposés s’attirent ; qu’il faut être complémentaire. Il existe une part de Yin dans le Yang, et réciproquement. Alors, peut-on imaginer une nouvelle énergie mêlant ces deux-là ? Un lapin-esprit-bijū… Oui, tu m'as bien entendu ! Ça fait froid dans le dos.

La Rêveuse, cela lui plaisait bien comme surnom auto-attribué.  Cela caractérisait à la fois son comportement, ses paroles et son cheminement de pensée : simple mais lourd de sens, du moins pour elle. Certains pourraient trouver de l'ambiguïté dans ses propos : son utilisation obsessionnelle du possessif,  ses paroles imagées, ses mentions d'amour - si seulement elle en connaissait réellement le sens. Miyabi n'attendait rien de personne, chacun trace sa propre voie et la sienne est pour l'instant auprès de Jun'ichiro. « C'est ma mission, il m'a dit de rester à tes cotés et de te chérir. » Aurait-elle une fois dit, au détour d'une conversation sur pourquoi un esprit libre adorant la liberté reste tant accroché à quelqu'un.

Elle n'avait jamais dit qui était-il, toujours vague, toujours mystique.

— Et qui ne quitte jamais son arbre ?

Dit-elle avec un sourire alors que son ami réitère le contact physique. Elle eut un frisson, peut-être un mouvement de recul très léger pendant une fraction de secondes, mais finalement elle avait accepté ce geste.

— La paresse... certains considère cela comme un vice profond de l'homme. Mais je pense que si les vices font parti intégrante du genre humain, alors chacun doit savoir accepter les siens.

La tête de Miyabi s'installe contre le siège de Jun'ichiro, elle s'était assise de sorte à rester en face de son ami. Le visage relevé, elle observait ce dernier mimer avec une charmante expression, ces animaux qu'elle décrivait. Un sourire naquit à nouveau sur les lèvres, elle retrouvait l'ami avec qui elle passait sa vie.

— Terrifiant. Après tout, les gens abhorre les insectes la plupart du temps, moi je les trouve fascinant. Ils dégagent une certaine beauté, certains sont organisés, d'autres solitaires... Alors peut-être qu'une gigantesque araignée-esprit qui se bat contre un lapin-esprit-bijû...

Elle ferme un instant les yeux, comme pour se reposer. Elle avait fait la remarque à Jun'ichiro sur son sommeil, mais le sien n'était pas des plus enviables. Le temps de quelques minutes, puis un nouvel éclair de génie dans l'esprit de la jeune femme, elle se lève, glisse un mot à l'oreille de son ami :

— Patience.

Et elle s'éclipse le temps d'un instant, elle cherche un morceau d'argile encore mou, certainement trainant non loin de l'endroit où ils étaient installés. Elle en trouva un, peut-être l'avait-elle prit à un artiste s'étant absenté, elle le modela entre ses mains, une fois revenue juste devant Jun, assise en tailleur devant lui, qu'importe si sur son siège il était bien plus haut qu'elle. Après quelques manipulations, elle avait séparé en deux le tas d'argile et formé deux scarabée, chacun identique avec deux majeures différences : l'un avait ce qui pouvait s'apparenter à une balafre, l'autre avait une aile abimée.

Elle tourne finalement son attention vers Jun'ichiro, un sourire aux lèvres, les mains tendues avec au creux, les sculptures de la taille d'un pendentif, ravie de son oeuvre :

— C'est pour toi, laisse ton coeur choisir celui qui te convient, et ne le perd pas.

Le choix n’en était pas un. Le scarabée de gauche contrastait de par sa familiarité.

— Celui avec la balafre, à coup sûr. C’est mon portrait craché !

Le fan n°1 de Miyabi saisit avec hâte – mais avec délicatesse, comme à son habitude – le pendentif sans chaîne. Même si le jeune homme paraissait robuste, il manipulait toute chose avec une certaine grâce, trahissant son éducation raffinée d’homme de lettre. Poser un verre sur une surface, par exemple, l’obligeait à faire le moins de bruit possible. En escarmouche et entraînement, il agrémentait ses passes d’armes d’une précaution similaire, ses faucilles voguant çà et là d’un sifflement féérique de faune, tandis que le vent s’infiltrait entre les mailles de ses chaînes métalliques. Une danse martiale aux transitions à couper le souffle.

— Il manque quelque chose à ces merveilles.

Jun’ichiro enfonça sa main dans son barda, et y injecta son chakra avec finesse. Sa longue chaîne se déroula aussitôt, pour avaler peu à peu son avant-bras, tel un serpent aux écailles trouées dansant avec sa proie. De son autre dextre, il imposa des limites à l’art qu’il essayait d’entreprendre ; d’abord, la chaîne se rompit en deux endroits distincts ; puis les deux morceaux rapetissèrent afin d’adopter le vœu de l’Ashikase : transformer ces pendentifs en colliers. Ne restait plus qu'à peaufiner les détails en se concentrant d'un signe incantatoire.

— Cela devrait t’aller. Dis-moi si je dois raccourcir la chaîne.

L’apprenti artisan abrita dans ses doigts leur œuvre commune, puis approcha naturellement son visage de celui de son amie, un sourire serein habillant ses traits fatigués. Il joua alors du mécanisme du collier pour ceindre la gorge de l’Uzumaki – retenant son souffle pour ne pas déranger la sensibilité de sa peau de nacre.

— En hommage à notre aventure au Pays du Vent – et ses hôtes scarabées.

— Nous nous rattachons à ce qui nous ressemble en premier temps, puis à ce que nous n'avons pas.

Le choix de Jun'ichiro ne l'étonnait pas, elle avait fait ces scarabées dans le but de les représenter tous les deux. Peu peuvent l'observer, mais le bras droit bandé en toute circonstance de Miyabi cachait certainement la raison de cette aile brisée.  Miyabi fait glisser entre ses doigts la chaîne alors scellée par Jun'ichiro, ayant hoché le visage pour lui affirmer que son art avait été parfait. Une nouvelle fois, les pensées de Miyabi empruntaient des chemins étonnants, ressassant le passé, cherchant le futur, s'ancrant dans le présent.

— Le feu me terrifie. Il terrifie beaucoup de gens. Mais tu sais ce qui fait peur à l'Homme ? L'étranger, l'inconnu, l'occulte... L'homme refuse de se rattacher à quelque chose qui ne lui ressemble pas.

Le visage radieux de Miyabi s'assombrit un instant, alors que le doute habillait désormais son regard, le sourire de ses lèvres disparaissant. En observant son reflet dans le regard de Jun'ichiro, alors si prêt, elle se saisit du bras de son ami et ne quitta pas son regard. Son ton était presque violent, sec, comme une cinglante reproche à ce monde qui scande qu'il ne la comprend pas, alors que c'est elle qui n'arrive pas à le comprendre.

— Tous ont des oreilles, pourtant ils n'ont pas l'air d'entendre.

Elle baisse un peu son visage, ses yeux observent la balafre de Jun'ichiro, du bout des doigts, elle frôle cette dernière, puis bifurque sur son front.

— Ils ne verront en nous que des dérangés, mais nous, nous voyons et nous entendons.

Miyabi le mettait en garde, mais de qui ? Elle n'était pas du genre à empêcher son ami de voguer au gré du vent, cependant son aversion pour les codes se transformait en une forme d'appréhension des contacts humains. Une peur refoulée au fond d'elle alors qu'approchait l'instant de fréquenter de nouveaux horizons. Après quelques instant, elle reprend une expression du visage plus douce, habituelle. Elle sourit à Jun'ichiro et relâche son bras, le laissant libre de ses mouvements.

— Puissent-t-ils être au moins aussi attirant que les scarabées.

La peur de l’inconnu. De tenter de nouvelles choses. De sortir de sa zone de confort. Toutes ces belles ficelles, ces fils d’or, font danser les pantins du Continent pour qu’ils continuent à avancer, heureux, paisibles – inoffensifs. Mais peut-on leur en vouloir ? Il est bien facile de pointer du doigt les profanes lorsqu’on s’est affranchi de ses chaînes, mais le premier pas est toujours synonyme de rupture des sens.

— Ce doit être pour ça que je t’apprécie tant. Que je t’admire, même. Ce n’est pas naturel, pour moi, de faire des phrases aussi belles, aussi imagées. Même si parfois, l’image est contre-productive, et ne parle à personne. Enfin, ce n’est pas un reproche, hein ! Ça te rend humaine. Pleine de torts.

Jun’ichiro pariait sur l’honnêteté. Au vu de sa personnalité retirée, il lui était trop facile d’user de sophismes et de faux semblants pour convaincre son entourage de sa valeur.

— Je n’ai plus peur de m’aventurer vers l’horizon, Miya. Tu m’as donné des ailes, à Kome.

Il désigna la protubérance abîmée du collier de l’Uzumaki.

— Et puis, si je ne me force pas à goûter au risque, quelle serait la dynamique de notre binôme ? Tu nous vois, tous les deux, cloîtrés dans une clairière enchantée, ceinturée par des bois exempts de civilisation ?

Cela pouvait faire rêver bien des artistes et amoureux de la nature. Hélas, Jun'ichiro n'était pas l'un de ces braves penseurs. Lors de la création du Royaume Ambulant, il était l'un des fervents partisans du projet, signant de son âme le contrat de Son existence. La civilisation était la clé de voûte des différents peuples du Continent ; des différents clans, aux différents pouvoirs éveillés, et différents objectifs d'expansion.

— Ne t'en fais pas, Miya. Tant que je suis là, j'endurerai la somme de nos fardeaux.

Miyabi se laisse retomber contre le sol, devant le siège, dos tourné à Jun'ichiro. Elle relève son visage en arrière, déposant sa nuque contre le pourtour du siège de Jun'ichiro, regagnant cette ancienne position, en contrebas de son ami pour qu'il n'ait besoin que de baisser le regard pour la voir - bien qu'elle encombre ainsi le chemin pour qu'il se libère de son assise. Ses yeux sont ouvert, mais semblent rêveur alors qu'elle l'écoute, attentivement.

— Chacun perçoit le monde comme il l'entend, ou comme il le voit. Les pupilles de Miya quittent le vide et se plongent dans celles de Jun'ichiro. Je pense que.... l'effort est la plus belle preuve d'amour en ce monde.

Difficile de savoir si sa vision est imagée ou réelle, personne n'a jamais vécu dans la peau d'un pair pour affirmer que sa perception du monde était similaire, Jun'ichiro n'a jamais vu à travers les yeux de Miyabi pour savoir si oui ou non elle voyait et entendait des choses, et l'inverse aussi. Pourtant, l'un comme l'autre se comprenaient, dans le respect.

— L'horizon est plein de mystères que nous découvrirons ensemble. Tâche cependant de ne pas brûler tes ailes trop vite, Jun, elle est tapie dans l'Ombre.

Elle lui adresse un sourire sincère, même ses phrases les plus simples ne pouvaient s'empêcher de contenir quelques métaphore. Lorsqu'il désigne le pendentif, elle passe inconsciemment sa main contre son bras bandé, comme réflexe. Elle se mord la lèvre un instant, plisse le regard avant d'abandonner cette idée, regagnant un visage détendu et rêveur comme à son habitude. Elle avait eut cette fâcheuse tendance de s'imposer à elle même l'idée que le soin par son don n'était réservé qu'à autrui, et jamais à elle même.

— J'imagine que cela doit être agréable, mais cela ressemblerait à un Paradis prématuré. Même si cette idée là n'est pas repoussante, après tout, je n'imagine plus un monde sans toi. Littéralement. Le destin est capricieux, mais la paix n'est offerte qu'à ceux qui la mérite.

Elle marque une courte pause.

— Sauf si il y a des lapins-esprits-bijû. La clairière serait terrifiante. J'ose espérer qu'il ne crache pas du feu.

Son regard s'ancre dans le feuillage de l'Arbre-monde qui les surplombe, intriguée par quelque chose.

— Dis, Jun. Penses-tu que l'arbre peut renaître à travers le sable ? Ou que le désert est la terrible punition dont on ne peut se défaire ?

L’Ashikase ne détestait pas le fait de compter pour Miyabi. Par la force des choses, les deux étaient devenus inséparables ; deux foyers se réchauffant réciproquement. Si la moule avait besoin d’un pilier sur lequel se poser, le pilier, lui, perdait tout but existentiel sans moule à retenir. Une relation de codépendance qui allait poser bien des problèmes à l’avenir ; mais le Jun'ichiro du présent chérissait les œillades qu'il arborait.

— Que pense ton cœur, ma petite Miya ?

L’apprenti de la prose leva un index impérieux vers les feuilles gigantesques.

— L’Arbre-Monde a tenu aussi longtemps, implacable force du destin ; ce n’est qu’une question de temps pour que son énergie ne transforme le sable en terreau. Ça ne peut en être autrement. Ou alors, le monde serait d’une tristesse étouffante…

Le poing alors fermé, le balafré poursuivit son récit d’une énergie fausse, mais débordante, tel un comédien de seconde zone n’ayant d’yeux que pour le jeu faux.

— Et quand bien même le vent cinglant et sec, artisan des Dunes Insoumises, porterait le coup fatal au colosse verdoyant, il y aura toujours des rêveurs pour exporter des boutures aux quatre coins du Continent.

Le curieux leva la tête vers une partie d’écorce rugueuse, aux sillons abyssaux, et la lorgna avec intérêt. Dès son expulsion, son idée avait aussitôt germé dans sa tête. Un sourire de malice vint réchauffer ses traits fatigués.

— Préviens-moi si quelqu'un est sur le point de me surprendre en plein acte.

Tel un criminel accompli, le balafré ajusta sa capuche, et se leva de table pour improviser son méfait. L'air curieux, léger, inoffensif, il contempla l'immense tronc qui leur faisait de l'ombre, et matérialisa une chaîne dans le creux de sa main, qui s'enroulait déjà autour de son avant-bras – serpent de fer apprivoisé.

Toute l'ironie chez Miyabi était qu'elle avait tout fait dans sa vie pour se défaire des attaches, des entraves, mais que la vie était bien trop malicieuse pour la laisser sans cette si grande faiblesse qu'est l'attachement. Naturellement altruiste, elle prend soin de ceux qui en ont besoin sans nécessairement éprouver d'affection, alors elle ne risquait rien sur ce plan. Mais maintenant, au fond d'elle une amertume règne : que pouvait-elle faire s'il arrivait quelque chose ? Les gens sont libres, et l'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur.

Cela concordait avec le moment où elle avait décrété qu'elle n'utiliserait pas son pouvoir sur elle. Un fin sourire sur les lèvres, ses songes ne transparaissent cependant pas, elle savait - et partageait - la satisfaction des regards échangés, sans la moindre idée tacite.

— L'on dit qu'il existe un pays autrefois verdoyant et aujourd'hui transformé en Terre Désolées. Je me demande s'il s'agit là du destin de toute chose...

Miyabi prend le temps de se déplacer pour laisser Jun'ichiro faire ce que son esprit lui dicte, elle observe chacun de ses faits et gestes avec minutie. Pendant qu'elle veillait à la sécurité de son ami en portant son regard sur lui, la jeune femme se mit à répondre à sa propre interrogation, peut-être pessimiste au vu de la tournure de la phrase, peut-être idéaliste sur la fin.

— La Mort dérobe la Vie, le Froid dérobe la Chaleur, le Feu dérobe tout sur son passage, seule l'Eau se dresse pour s'y opposer. Avec de l'espoir, peut-être que le destin inversera le cours des choses... La Vie surpassera la Mort...

L'idée la fit grimacer, étais-ce réellement une bonne idée. Sa main se glisse inconsciemment contre son cou, saisissant le pendentif qu'elle venait de créer, laissant ses doigts s'amuser avec pendant que ses yeux suivent le chemin de Jun'ichiro, ses sens eux restent alerte sur la moindre présence alentours.

— Peut-être le Colosse nous portera chance dans les Ténèbres.

À portée de l’arbre plurimillénaire, Jun’ichiro usa de son art caché pour envoyer une chaîne haut dans le ciel, et de s’y envoyer tel un artiste de cirque. Après une brève cabriole aérienne, rivalisant avec le soleil du désert, l’homme-singe bougea rapidement des bras pour contrôler son sens de l’équilibre. Une couche de chakra, sous ses pieds, l’aida à s’agripper sans perdre sa prestance – et de devoir, de ce fait, enlacer la branche sur laquelle il venait de se poser. Dès lors, il saisit l’une de ses faucilles, et fit une entaille propre sur l’une des excroissances végétales de moindre ampleur – avant de rejoindre sa consœur en contrebas grâce au même grappin.

— Tu m’as fait du bien, Miya. En sortant de Kome, je n’avais pas grand but, sinon d’assouvir ma soif de curiosité, de venger le sang de mes ancêtres, et de parcourir le monde à la recherche de Calices. Des axes simples. Je crois que je peux dire, aujourd’hui, sans modestie mal placée, que j’aime ma vie d’errance. Si ma route me mène à ces objectifs de « jeunesse », alors tant mieux ! Mais… ça ne résume pas ce que je suis.

La bouture de l’Arbre-Monde brillait dans les yeux malicieux du balafré. Il venait d’accomplir l’impossible ! Du moins, c’est ce qu’il pensait, à ce moment. Si une sentinelle du Khaganat l’avait pisté dans les ombres pour observer ses faits et gestes, nul doute qu’une sanction aurait été de rigueur.

— Dis-moi ce que tu aimerais faire – où aimerais-tu aller ? Quel plan fou et capricieux devrait-on exaucer ? Il y a des Calices partout ! Et c’en est peut-être de même pour mes amis des bosquets, parasites du Continent. Quel pays succèdera au Vent ? Une petite voix me souffle l’archipel de l’Eau…

Jun'ichiro rangea son trophée dans son sac en bandoulière, avant de reprendre une gorgée d'alcool de sève.

— Quand je rentrerai à Kome, j'aurai assez d'anecdotes pour former mon propre clan.

À jamais à la recherche de compagnie, de chaleur humaine, d'approbation. Le quotidien d'un gamin esseulé.

— Soixante saisons... quinze été, ou quinze hiver, selon la préférence. C'est le temps que j'ai passé en errance.

Elle sourit en suivant du regard les mouvements de Jun'ichiro, assise au sol, adossée contre le siège de ce dernier.

— Je me sentais comme un oiseau. Ayant le besoin de découvrir le monde, d'apporter mon aide. Solitaire, volant de ses propres ailes. Puis j'ai commencé à rêver... les oiseaux ne vivent pas seuls, ils ont besoin d'un partenaire, sinon ils tombent. Mais ils sont libre d'arpenter le ciel, de découvrir, sans se rattacher à une quelconque famille.

Miyabi ferme les yeux, profitant des frottements du vent sur son visage alors que son ami retournait auprès d'elle. Elle n'était pas un loup solitaire, mais encore moins un loup, le besoin de meute la terrifiait. L'idée des oiseaux lui plaisait, libre mais en paire.

— Nous vois-tu traverser l'océan ? L'eau est agréable, source de vie, en constant mouvement, elle s'acharne contre les cotes pour gagner du terrain, comme pour montrer qu'elle ne sera jamais la prisonnière de la terre.

Elle n'avait pas de but précis, sinon découvrir les merveilles du monde, et le pays de l'Eau la rapprochait du pays des Esprits, d'une certaine manière. Dans ce pays qu'elle ne connaissait pas, peut-être trouverait-elle des informations sur ce qu'elle cherche. Cependant, son attention fut rapidement happée par autre chose.

Miyabi se tourne de sorte à être face à son ami. Son visage trahit l'incompréhension à la suite de sa phrase, peut-être que la mention de clan la perturbe, elle qui pourtant porte toutes les marques du sien. Elle attrape délicatement la main libre de son ami, la plaçant avec une certaine attention entre les siennes, son regard ne se détourne pas d'elle.

— Jun... j'aimerais comprendre quelle flamme... anime ton coeur pour avoir cette volonté ?

Elle ne portait aucun jugement, elle semblait simplement perdue face à cette idée. Peut-être avait-elle peur au fond d'elle, cette lumière dans son regard qui tremblait comme s'il venait de lui annoncer une terrible nouvelle.

Deux oiseaux. Libres. Se posant de branche en branche. Migrant vers de beaux horizons.

— Je suis un piètre marin. Incapable de manier une barque, une enclume dans les eaux, et pas certain de pouvoir même flotter – avec toutes ces vagues. Mais c’est une belle allégorie que tu soulèves là. Il faut toujours se briser sur quelque chose pour en sortir grandi. Le secret du développement de soi.

L’étau des dextres de son amie arracha un sourire niais au balafré. Sa douce chaleur, bien plus supportable que la chape de plomb du désert de Kaze, irradiait son corps pour neutraliser toute émotion négative. En proie à ce sérum de vérité, les veines gonflées par l’affection amicale qui lui portait l’Uzumaki, Jun’ichiro puisa au plus profond de sa psyché pour répondre ; et cet aveu n'allait pas plaire à Miyabi.

— J’ai compris qu’un être humain doit tendre vers autrui. C’est pour cela que l’on s’est rencontré, et côtoyé, tous les deux. L’un veut le meilleur de l’autre ! Je n’ai rien contre mon clan. Je les ai quitté pour des raisons privées ; et même s’ils m’en veulent pour les secrets que j’ai volé, et refusent mon errance libre, je leur reviendrai.

Jun’ichiro posa sa main libre sur celles de sa meilleure amie.

— Ashikase Imari m’a accepté, m’a offert son Sogai, et m’a fait me lier au Serment des Chaînes. Je ressens encore aujourd’hui un fragment de son arcane. Jamais je ne pourrais m’en débarrasser ; ni de la présence éthérée des autres du clan. Je ne suis qu’une pièce de puzzle manquante qui parjure toute l'œuvre. Et mon destin est de retrouver ce Tout – que je le veuille ou non. Alors autant le prendre avec le sourire.

En bien des égards, les alter ego qui l'accompagnaient dans ses rêves profonds ressemblaient, en simple aura de présence, à ses frères et sœurs claniques. Des ombres encapuchonnées, présentes mais absentes, attendant leur tour pour interagir avec le balafré. Ces visions paratemporelles venaient-elles de cette condition ?

— Il nous reste toutefois de longues années devant nous. L'eau n'a pas encore coulé sous les ponts. Je ne suis qu'un criminel ; un fuyard ; un traître ; un errant. Mais ils reconnaîtront ma valeur lorsque je l'aurai prouvé.

— Alors je te guiderais parmi les flots.

Ou du moins, elle lui évitera la mort, comme elle l'a toujours fait.

— Je... comprend.

Miyabi sourit, elle comprend les propos de son ami, même si cela lui semble impensable de son coté. Ses paupières se plissent, elle se pince une lèvre mais se contient, elle avait plus peur qu'autre chose à cet instant là. Ses mots étaient légèrement tremblant. Elle resserre l'étreinte sur les mains de Jun'ichiro et reprend son souffle, elle avait comme oublié de respirer pendant un long instant de réflexion.

— J'ai parfois l'impression que l'image de mon clan s'efface dans mon esprit, comme une peinture qui avec le temps se détériore. Mais je ne suis pas une peintre, alors je ne peux observer. Cela ne m'attriste pas. Mais ces chaînes qui lient vos âmes, cela se construit comme une toile dans mon esprit. Je n'ai pas ça. Si ce n'est avec toi, évidemment.

En référence à la chaîne éthérée qui les relie. Il était ironique qu'elle soit plus proche des Ashikase que des Uzumaki. Pourtant, elle ne mentait pas, elle ne ressentait rien pour son clan, peut-être même avait-elle oublié sa famille - elle ne l'avait jamais mentionné d'ailleurs.

— L'eau finit toujours par couler... la terre l'absorbe, l'eau se renouvelle, sinon elle s'évapore.

Miyabi retire l'une de ses mains, elle se saisit avec deux doigts du menton de Jun'ichiro, avec toujours la même douceur. Elle incline légèrement son visage, pour observer sa balafre un instant. D'un geste volontaire, alors qu'elle garde sa main contre son visage, elle laisse sa manche glissée pour opposer la balafre au bras bandé.

— Que c'est cruel. Que le corps porte sur lui les traces indélébiles de notre passé.

Son visage se ferme un peu.

— Qu'il est ironique que tu te questionnais sur ta propre existence... maintenant c'est moi qui m'interroge sur ma propre âme.

C'était à elle de faire sa crise existentielle maintenant.

Jun’ichiro s’approcha tout près de son amie pour s’autoriser l’accès aux murmures. Il y avait une phrase qui l’avait marqué, plus tôt ; une marque au fer rouge l’ayant sorti de la déchéance ponctuelle, du noir broyé, de la dépression en devenir.

— « Quand je disais qu'il fallait vivre... n'oublie jamais que seul le présent et l'avenir compte. »

L’Ashikase effleura le bras bandé de sa complice et matérialisa à nouveau un serpent métallique autour de son avant-bras. Sa chaîne, véritable extension de son âme, gagna doucement la chair meurtrie de l’Uzumaki, qui refusait coût que coût de palier à son mal. Un lien bien physique, métallique, et pourtant chaleureux.

— Tu m’as moi. Je t’ai toi. À deux, nous formons un clan. Et c’est tout ce qui compte à présent. Peut-être un jour aurais-je l’honneur de t’apprendre l’art du Sogai.

Une ponction – mais pas de chakra – s’opéra subrepticement entre les deux. Un fin transfert, quasi invisible, qui avait le don de soulager la jeune femme, tandis qu’apparaissaient, sur le bras de l’Ashikase, le début des stigmates d’une brûlure profonde… avant de s’arrêter net. Jamais le balafré n’allait imposer ce rituel symbolique.

Il s’agissait d’une démonstration – de force comme d’amour brut.

— Tu portes mes fardeaux. Je porte les tiens. Si les souvenirs de ton clan te rejettent avec autant de zèle, j’effacerai les traces indélébiles de ton passé, et te libèrerai.

Jun’ichiro posa une main sur son poignet. Il avait sous-estimé la douleur de la blessure.

— À trop rêver, on à tendance à se rattacher au passé. C'est un écueil que nous faisons tous, mais tu as raison...

Miyabi laisse son visage tomber contre l'épaule de Jun'ichiro pendant sa manoeuvre, son regard reste orienté vers l'amplitude qu'est le vide. Elle ressent cette chaîne qui s'enroule autour de son bras sans dire un mot, sans bouger, même si l'habituel frisson lorsqu'on entre en contact avec elle s'était présenté, elle était désormais un peu plus habituée.

— C'est notre destin, en tant qu'humain, de désirer. Mais certains ne désirent pas les bonnes choses, ils se convainquent d'une idée pour plaire, pour se rassurer, mais n'écoutent pas leur coeur. Justice, vengeance, amour, paix...

Les murmures de Miyabi se perdaient dans les oreilles de Jun'ichiro, elle entendait ses paroles, mais semblait totalement divaguer à travers les siennes, ces éclairs instantanés qu'elle ne pouvait contrôler. Mais les mots du jeune homme la rassurait, elle se détendait naturellement, prenant du repos malgré la vive douleur qui refaisait face sur son bras.

— Je pense que mon souhait le plus cher... c'est que l'on me regarde et que l'on m'écoute comme toi tu le fais. Mais ils ne pourront jamais t'égaler.

Elle serre la chaîne qui entoure son bras, son regard bifurque sur le bras de son ami alors qu'elle remarque le processus qu'il en entame. Ses yeux s'écarquillent, à nouveau.

— Le Bien et le Mal, le Blanc et le Noir... Le rouge et le mauve. Toi et Moi. Elle hoche le visage. Si c'est cela ton désir le plus profond, je t'aiderai à placer ta pièce sur ce puzzle et le rendre parfait.

Miyabi se saisit du poignet de Jun'ichiro, pour apaiser la douleur qu'ils partageaient à deux. Ses propos se mélangeaient, digne d'elle même. Double-sens constant, ambiguïté et sous-entendu - Miyabi était elle-même, à nouveau. Cette preuve la confortait, la rassurait,  mais la terrifiait aussi.

— Mais sois sage et pense à ce que ton coeur veut réellement.

Dit-elle simplement, en l'observant fixement.

— Je n'ai qu'un clan, le notre, mon araignée. Ta toile est mon cocon. Et puisque je ne suis pas une mouche, aucun risque d'y perdre la vie.

Affirme-t-elle. Son visage se teinte finalement d'un sourire, elle ne lâche pas le poignet de son ami, elle lui offre même un certain réconfort du bout des doigts - à la moindre demande, elle pouvait apaiser cette douleur. Ses yeux trahissent l'inquiétude, il avait fait ça pour elle, et elle ne savait pas si il souhaitait ou non garder ces marques.

— La gangrène de ma toile corrompt la tienne. Est-ce ton souhait ? Ou l'Ouvrière doit-elle s'improviser Artisane ?

Les deux s’étaient bien trouvés. Deux anomalies ; deux errants ; deux moutons noirs. Deux êtres en manque d’affection – respectivement à donner et à recevoir – avançant main dans la main, la multiplication de leurs traumatismes négatifs créant un tout positif. Il aurait été facile de les méprendre pour des faux jumeaux.

— Ce n’est qu’une blessure superficielle. Si, à l’occasion, je me confonds en solitude, je n’aurais qu’à la lorgner pour penser à toi. Et, au moment où tu décideras d’accepter ton passé, et faire disparaître ton stigmate, je t'autoriserai à ôter le mien. Mais, en attendant, voici notre nouveau pacte.

Il n’y avait plus grand chose à dire. Les deux amis se connaissaient ; se côtoyaient depuis des lunes. Même le plus long des silences aurait suffi pour échanger sur une même plage d’émotions – synchrones l’un avec l’autre. Jun’ichiro remercia son amie d’un sourire pour sa présence, son énergie, et le temps qu’elle venait de lui confier personnellement ; puis s’affala sur sa chaise d’un effort colossal, son alcool de sève à la main, en paix.

— Je lève mon verre à notre avenir. À la prospérité de notre clan. Que nos futurs compagnons puissent te regarder et t'écouter comme j'ai le plaisir de faire. Ce serait mon plus beau souhait réalisé.