Nous étions enfin parvenus à passer la douane, une fois frais d'une bonne nuit de sommeil, prêts à affronter toute formalité inquisitrice de notre passé.  Avec pudeur toutefois, nous nous étions gardés de révéler notre véritable intention de trouver au Pays de l'Érudition quelconque ouvrage pouvant nous renseigner sur le monde des morts...  Nous n'avions aucun espoir d'y trouver la clef qui nous permettrait de délivrer Tatsumaki, mais une première piste solide pour se lancer conviendrait tout autant.  Pourtant, la lourdeur de l'organe administratif du pays provoquait chez nous une horripilation des plus désagréables, et une fois l'information trouvée, nous repartirions heureux de quitter ces fonctionnaires plus lents que nos clients sous opium...
Puis, comme si tout ce long procédé d'accueil n'avait pas assez étiré nos nerfs, nous fûmes redirigé vers un nouveau local, creux, très creux, dans cette vieille mais gigantesque académie réorganisée en capitale.  Décidément, entre la douane et les indications pour son chemin, le budget devait s'être perdu...  Nous ignorions qui pouvait bien nous attendre ainsi, dans les entrailles administratives des longs couloirs aux lampes éteintes par moment, mais nous trouvâmes finalement le bureau indiqué.
Nous commencions sincèrement à ronger nos freins lorsque nous passâmes la porte, adressant les politesses d'usage à notre hôte.  Le jeune homme devait avoir notre âge, voir plus jeune.  Sa tête à la couleur inédite nous souriait poliment pour nous inviter à prendre place devant lui.  Agacés de ce nouvel entretien, nous tirions la chaise et s'exprimions en même temps : « On nous a informé que suite à notre provenance, vous souhaitiez nous rencontrer.  Si c'est pour une question de sécurité, nous vous épargnerons le travail : nous n'avons à ce jour aucun lien avec le Marché Noir et ne sommes en Hakugaku que par raisons personnelles...  Nous n'avons que notre honnêteté comme preuve et si cela ne vous convient pas, nous sommes enclins à quitter et ne plus jamais remettre les pieds dans ce pays de...  fonctionnaires... »

Nous croisâmes les jambes et adoptâmes une position fermée, contrairement à nos habitudes.  À ce rythme, nous pourrions débuter nos recherches d'ici un mois !

Quelle journée fastidieuse… Pourquoi s’était-il lancé dans une telle entreprise ? Bien sûr, les recherches exigeaient des sacrifices, mais depuis quand cela devait s’appliquer à lui ? Seul, dans un bureau austère, le savant contemplait les quelques échantillons recueillis plus tôt. Dans l’ensemble, tout se passait comme prévu. C’était seulement l’attente qui paraissait interminable. Une part de lui accusait ses collègues de l’accueil, leur trouvant mille défauts. Néanmoins, Renpei savait que tout ceci n’était pas de leur fait. Après tout, Hakugaku no Kuni n’était pas une destination prisée par les voyageurs.

Énumérant les profils des donneurs du jour, le fils de l’ambassadeur regrettait son départ de l’Harmonie. Là-bas, la collecte était beaucoup plus simple. Personne ne faisait attention aux prélèvements des réfugiés. Ici, il fallait faire preuve de ruse, négocier avec des ignares, voire payer certaines mains malintentionnées. Par exemple, sa présence dans ses locaux, avait demandé plusieurs semaines de travail et d’organisation. Tout ça pour n’obtenir qu’une dizaine d’échantillons différents. Cependant, grâce aux directives données, le Nara était certain d’obtenir des données d’éveillé. C’était déjà ça de pris.

Bonjour, asseyez-vous, je vous en prie. Je me nomme Nara Renpei.

À peine avait-il fini de parler, que l’inconnu libéra toute son hostilité. Le ton était sec et cassant, l’attitude récalcitrante et cette personne avait déjà atteint les limites de sa patience. Il fallait absolument désamorcer la situation, mais comment ?

Je comprends votre frustration, nous n’en aurons pas pour longtemps. Vous pouvez me faire confiance. J’ai moi aussi hâte d’en finir. Pourriez-vous me donner le formulaire que l’on vous a donné ?

En un rapide coup d’œil, le scientifique eut accès au nom, âge et lieu d’origine de son nouveau patient. Heureusement qu’ils avaient mis ce système en place, Renpei n’osait même pas imaginer la colère du visiteur s’il devait à nouveau se présenter.

Vous n’êtes pas ici pour répondre à une quelconque accusation. Mon rôle se limite à votre santé. Voyez-vous, pour les grands voyageurs, nous avons pour habitude d’examiner leur sang, leur corps et leur psyché. C’est un moyen rapide pour éviter toute menace, qu’elle soit de l’ordre de l’épidémie ou de la psychopathie. Si cela peut vous rassurez, vous pouvez consulter mon travail. Tout est anonymisé et basé sur le volontariat.

Pour preuve de sa bonne foi, le savant dévoile ses notes et les prélèvements en sa possession. Il était parfois utile de se montrer honnête face à une bête enragée.

Si vous êtes d’accord, on peut commencer par une simple auscultation. Vous aurez alors tout le loisir de vous plaindre des employés de l’accueil, je ne travaille pas avec eux. Je dois même avouer, que je partage votre avis : tout est trop lent ici.

Il avait répondu à notre cynisme d'un professionnalisme sans faute, éclipsant nos remarques pointilleuses pour revenir sur le bref du sujet : ainsi, ces scientifiques de la Kabbale récoltait bel et bien toutes genres de données !  Après tout, la soirée de la veille avait été animée de racontars des patrons de l'auberge modeste sur les expériences étranges qui pouvaient avoir lieu derrière les grandes murailles de la capitale du pays de l'Érudition, entourées qu'elles étaient de mystères imaginés.  Nous avions été amusés par ces histoires de pêche, mais ne leur avions accordés que très peu d'intérêts.  Nous n'étions nous-mêmes pas kabbaliste, et bien que notre mère avait réussi le concours pour devenir alchimiste d'état, aucune note de son carnet ne racontait son temps en Hakugaku — peut-être même n'y avait-elle jamais mis les pieds, nous n'avions aucune preuve officielle a cet effet.
Peut-être que cette rencontre dans ce bureau de fond de corridor nous permettrait également d'en apprendre d'avantage sur ces alchimistes, pour autant que l'agacement de Renpei nous y permette. « Si vous nous permettez la curiosité... répondirent les Jumeaux à l'invitation de se plonger dans le travail de son homologue renkajutsushi. Vos notes sont cryptés non ?  Nous en comprenons la majorité, mais nous serions surpris si vous étiez vraiment enclin à dévoiler tous vos résultats...  Puis ces patients ne sont forcément pas en accord avec nos interprétations... »

L'Oiran-kunshu tendait à nouveau les documents vers Nara-san ; son regard avait rapidement survolé les flacons et échantillons rangés sur le bureau.  Son regard d'amatrice reconnaissait certains instruments, ignorait les particularités des autres.   Elle restait cependant immobile, seul son faciès accompagnait la direction de ses prunelles.  Les mains fines rejointes aux genoux, paumes à plat, elle avait l'attitude d'une courtisane docile, qui attendait les ordres.  L'esquisse d'un sourire sur ses traits, elle avait chassé la fatigue qui animait tantôt ses propos arrogants. « Souhaitez-vous que nous nous changions dans une tenue plus appropriée pour vos examens ? »

Intrigués nous étions, par cet examen spécifique.  Toutefois, nous nous réservions le droit de refuser l'échantillonnage, certains secrets se devaient de rester au sein d'un clan.  Certes, notre affiliation aux Shugyoku n'était point officielle, hostiles à leur idéologie usurière, mais nous connaissions les conséquences de révéler les secrets du clan : notre père croupissait quelque part au sein de la banque, enchaîné par ses dettes...
Une fois changés, nous nous installâmes sur la table d'examen.  Ses instruments dans les mains, Renpei commença à nous examiner.  Les premiers tests étaient assez classiques : prises des pouls, palpations et percussions, écoutes grâce à un cône des différents organes ; nous pratiquions nous-mêmes la plupart des tests diagnostiques.  À ses instructions, avec grâce nous prenions position et faisions les gestes demandés.  Sans surprise, aucune nouvelle douleur ne résultait des manipulations de Nara-sensei, seulement cette vilaine lacération à l'épaule obtenue lors de  notre traversée escarpée en Tsuchi. « Ah! Ça?  Oui plutôt embêtant, nous vous le concédons.  Nous avons tentés d'en cautériser les bords, mais nous avons bien peur qu'une hémorragie se soit déclenchée sous les tissus...(Une importante marque violacée marquait toute l'épaule droite et descendait jusqu'au biceps.  La plaie avait été pansée d'une pâtes d'herbes, qui au retrait du bandage, en avait quelque peu macéré les bords.) Malheureusement nos remèdes ne servent à rien d'autre qu'à en calmer la douleur et éviter l'infection, mais nous en garderons une bien laide cicatrice... »

Nara Renpei découvrait cependant que cette cicatrice n'était pas la seule que portait l'oiran.  Une fois son dos dévoilé, plusieurs marques affichaient des traits furieux d'un artiste en crise, une oeuvre produite par accumulation.  Le corps de Seijaku était plutôt maigre et une fine peau blanche se tendait sur la plupart de nos proéminences osseuses.  
Nos vêtements amples cachaient bien notre corps mutilé.  À la sensation de ses doigts qui parcouraient nos histoires, nous frissonnâmes : des amants, Seijaku en avait connu fascinés par son dos, fascinés d'y laisser leur trace...

Une remarque intéressante. Ainsi, la présence de ce voyageur n’était peut-être pas seulement due à des « raisons personnelles ». Pour suspecter une falsification, il fallait avoir quelques connaissances en la matière, et une audace particulière.

Dois-je comprendre que vous êtes vous-mêmes un homme de science ? Rares sont ceux qui suspectent une dissimulation de données. Toutefois, je suis dans le regret de vous dire qu’il s’agit d’informations brutes. Alors oui, parfois, j’utilise des acronymes et des sigles qui me sont propres, mais cela ne va pas plus loin. Dans tous les cas, je serai heureux d’entendre ses fameuses « interprétations ».

Une nouvelle fois, Renpei offrit un large sourire. La situation demandait du tact et de la patience, tout conflit serait contre-productif. Néanmoins, il prit note que ce patient était quelque peu redoutable. Une telle confiance, jumelée à un savoir certain, pouvait être un frein aux recherches du Nara. Ce dernier avait du mal à gérer ce genre de personnage, au verbe plein de franchise. Ne voulant pas céder au défaitisme, il se rassura comme il pouvait. L’heure était à la concentration, il devait assurer la réussite de cet échantillonnage. Que tous ses efforts ne soient pas faits en vain.

Étrange… L’écrivain perçut un changement, comme si l’atmosphère s’était allégée. Ne comprenant pas ce sentiment, il accentua son observation et comprit que son patient s’était apaisé. Peut-être avait-il été convainque ? Ou s’était-il résolu à accepter les tests ? Pourtant, le fils de l’Ambassadeur aurait parié que son interlocuteur essayait encore de le déstabiliser. C’était une attitude étrange, mais inoffensive. Rester alerte était donc une nécessité.

Après cela, tout se passa sans heurt. Le membre de la kabbale usa de ses connaissances médicales pour ausculter Seijaku. Très vite, la bonne santé de ce dernier fut une évidence. Pour la forme, le médecin prit des notes sommaires. Taille, poids, constante en tout genre, toute information était bonne à prendre. En réponse à la docilité de l’errant, Renpei garda un silence pudique. Il ne voulait pas gêner, alors il enchaîna les gestes techniques avec une douceur et une précision exemplaire. Ce n’est que lorsqu’il s’attarda sur la vilaine plaie, qu’il sentit le besoin de s’exprimer.

Malheureusement, je n’ai pas les dons du clan Uzumaki. Je n’ai d’ailleurs pas de remède miracle à vous offrir. Peut-être que je peux vous fournir en matière première, cela devrait vous aider dans vos soins quotidiens. En attendant, si vous le désirez, je peux nettoyer la plaie et y déposer un onguent à base de miel.

Comment avait-il pu se faire cela ? Un accident ? Un peu trop profond pour une simple maladresse. Conséquence d’une fuite mouvementée ? Probable, mais cela induit des risques non-négligeables pour l’Érudition. Un combat d’éveillé ? Vu la carrure du personnage, c’est peu probable.

C’est alors que les cicatrices les plus intimes se dévoilèrent. Leur quantité, leur variété et leur couleur laissèrent le savant sans voix. Une part de lui était enjouée, il s’agissait d’un cas idéal pour observer et traiter des cicatrices datant d’époques différentes. Toutefois, sa part la plus humaine ne put que compatir. Ces sillons étaient la preuve d’un vécu tortueux et jalonné de violence. C’est pourquoi, il écourta son inspection pour libérer son patient. Admirer ses blessures n’était pas un comportement adapté.

Vous pouvez vous rhabiller. J’ai terminé ma tâche. Là encore, j’arrive trop tard et les bras un peu vides, mais je connais quelques mixtures qui pourraient diminuer vos stigmates. Hormis cela, votre corps semble être fonctionnel.

Une courte hésitation l’arrêta dans son constant. Ne voulant pas se montrer trop intrusif, le Nara cherchait un moyen poli de recueillir davantage de données. Il devait se concentrer sur cet unique objectif.

Maintenant, j’ai une requête à vous adresser. Est-ce que je pourrais avoir accès à votre sang, à votre salive et à l’un de vos cheveux ? J’en ai besoin pour mes recherches, je cherche à prouver qu’il sommeille en tout être un potentiel lié au chakra. Par exemple, moi, je peux faire ceci.

Lentement, pour n’éveiller aucune crainte, le savant usa de ses mains pour faire émerger une silhouette de son ombre. Cette danseuse aux airs délicats se mit à danser sur la table. Spectacle simple et captivant.

Je l’utilise pour distraire les enfants. Parfois, avoir la chance de maîtriser un tel art me comble de joie. Et à d’autres moments… Disons que le bonheur n’est pas éternel.

Un nouveau sourire apparu, plus doux encore. L’auteur à succès désirait ardemment continuer cette discussion. Il voulait créer un climat propice à l’échange, au partage de secrets. En effet, son instinct lui dictait de creuser davantage, de poursuivre ses efforts.

Et vous ? Vous connaissez des éveillés ? Partageaient-ils mon avis quelque peu… Timoré ?

Il nous avait rétorqué que ses notes ne comportaient aucun cryptage et nous avait invité à en déduire nos propres conclusions.  Sans vouloir paraître grossiers, nous avions refusés d'un sourire discret, lui concédant une première victoire.  Il l'avait pansé ensuite, et de par son examen la rassura sur l'état de notre blessure.  Rien qui ne pourrait pas guérir, en soit, rien que nous ne pouvions pas supporter, mais la cicatrice resterait forcément laide.  Une autre sur le canevas de notre corps, qui absorba l'érudit dans son études de nos stygmates intemporels. « L'apparence de notre dos ne nous apporte aucun inconfort, gardez donc vos remèdes pour celles dont le minois a été gâché par une mauvaise chute !  Après tout, le succès d'une femme est conditionnelle à sa beauté... affirmions-nous, repoussant une mèche feu derrière notre oreille : nous étions conscients que notre apparence androgyne pouvait troubler certains. Vos traits sont doux, nous sommes certains que vous ne laissez pas indifférentes la plupart des étrangères qui ont foulé votre bureau ! ajoutions-nous, notre regard espiègle tentant de rencontrer celui du Nara. »

Indispensables, le charme était à nos interactions ce qu'était la chance au hasard.  Peut-être étaient-ce nos propos, peut-être était-ce notre apparence, mais notre homologue renkinjutsushi changea son approche pour en découvrir d'avantage sur notre personne.  Pour la première fois de notre existence, nous assistions à un spectacle des plus captivants : comme un artisan sur son métier, il tissa des ombres une silhouette dansante, nous rappelant nos propres illusions.  Toutefois, nous ne partagions pas sa théorie sur l'origine du chakra, après tout Seijaku s'était éveillé au chakra, tandis que sa soeur jumelle, Tatsumaki, n'avait jamais exprimé la moindre manifestation.  Conservateurs dans notre approche, nous étions également venu en Hakugaku pour faire évoluer notre compréhension de nos dons...  Père nous en avait peut-être expliqué les bases, comme on apprend à l'enfant la syntaxe, mais les notes de mère exprimaient parfois des idées impossibles à comprendre pour nous.  Renpei venait de nous faire réaliser : si Nous étions destinés à se retrouver de l'autre côté du miroir, s'entourer d'éveillés nous serait sans doute bénéfique.
Et choisir ces personnages aux dons uniques devenait crucial.  Voilà que le jeu des mensonges en devenait plus complexe, car désormais si nous refusions la demande du scientifique, il comprendrait sans doute que nous en connaissions plus que nous ne laissions paraître...  Très bien. « Votre hypothèse est intéressante, nous pouvons percevoir toutes les avancées qu'apporteraient de tels travaux...  Mais comment déterminez-vous si un être possède du chakra ?  Possédons-nous tous des... indices ?  Ou comme lorsque vous mettez le feu à un nid de vipères pour en faire sortir ses habitants, causez-vous un dommage à vos échantillons pour en faire réagir son potentiel ? (L'oiran agite son foulard de soie en même temps qu'elle discute : du chakra infusé et voilà que la soie se fleurit de motifs.) Désolés de vous gâcher la surprise, nous possédons nous même quelques dons...  Toutefois, nos capacités ne nous permettent que de berner les sens d'un individu... »

À notre explication, de l'ombre de notre foulard, nous fîmes apparaître à notre tour une danseuse ténébreuse.  Mais contrairement à celle bien réelle de Renpei, notre imitation s'étiola à son premier cillement.  Selon certains angles, la lumière reflétait une fine poussière d'émeraude dont on en ignorait seulement la présence. « Comment expliquez-vous les différences dans nos éveils ?  Et d'où vous vient votre idée farfelue que tous possèdent un potentiel d'éveil ? »

Une nouvelle fois, l’androgyne se mua en séductrice. Le verbe délicat, il tenta de séduire le savant. Malheureusement, ce dernier n’était pas réellement réceptif. Il ne comprit même pas les avances et les traita comme un trait de caractère particulier. Renpei n’était pas très doué avec les conventions sociales, et encore moins dans le domaine de la romance. Impassible, il continua son œuvre et ignora totalement son interlocuteur. Enfin, il nota tout de même le changement de ton et d’attitude.

Peut-être. Je n’ai jamais pris le temps de m’attarder sur l’existence d’un privilège physique. Je devrais étudier cette hypothèse à l’occasion…

S’enchaîna alors la danse de l’ombre. Observateur, le Nara examinait les réactions du voyageur, cherchant la moindre étincelle dans son regard. Et cela ne manqua pas. La création de Renpei avait su captiver le spectateur devenu muet. Derrière cet éclat, l’écrivain tentait de discerner s’il s’agissait d’une simple surprise, venant d’un profane, ou bien de l’admiration d’un confrère. Si cet individu était capable de manier le chakra, ce serait une véritable aubaine. Une avancée majeure pour les recherches du Kabbaliste.

Rien de tout ça. Je me base essentiellement sur la science. Pour le moment, mes travaux me dirigent vers le cœur même de l’essence humaine. Quelque chose se cache au fond de nous, dissimule notre potentiel et je souhaite le dévoiler. C’est pour cela que j’essaie d’avoir un maximum d’échantillon, mais les éveillés aux chakras sont rares. Et je crains que le sang ne soit pas suffisant.

Après cela, Seijaku fit lui aussi une démonstration de ses pouvoirs. Surpris par une telle pratique, l’écrivain en eut le souffle coupé. Tel un enfant, il guettait le moindre reflet de ses nouvelles fleurs. À la hâte, il dessina même chaque pétale sur un bout de papier. Il ne voulait surtout pas les oublier. Puis, vint la danseuse éphémère. Alors cet homme pouvait altérer les sens ? C’était un pouvoir si redoutable et si fascinant.

Hélas, je ne connais pas encore tous les secrets de ce monde. Je reste persuadé que les Apôtres ont éveillé en nous une part de notre potentiel. Cependant, nous ne sommes pas tous capables de le révéler. C’est pourquoi, j’aimerais trouver la preuve de ce potentiel inné, dissimulé dans notre propre chair. Quant aux différents usages, si on peut les appeler ainsi… Je n’ai aucune piste. Le romantique en moi dirait « nous n’avons pas trouvé le moyen d’expression qui nous correspond ». Quant au pragmatique, il avancerait l’idée qu’un obstacle s’oppose à cette volonté. Quel est-il et d’où provient-il, je n’en ai aucune idée. Peut-être que l’histoire et la science nous en apprendront plus. C’est un peu mon espoir, à dire vrai.

Quelque peu songeur, Renpei faillit oublier son étude. C'était un peu son problème, toujours à philosopher et à en négliger les trivialités du monde. Très vite, il se ressaisit et continua son interrogatoire sur un ton plus amical.

Eh bien, pour être totalement honnête, je suis encore plus intéressé par votre sang. Je sais que cela peut me faire passer pour quelqu'un d'insistant, mais je pourrais peut-être vous guider dans cette discipline. Je vous ai vu utiliser des pouvoirs sans signes incantatoires, les avaient vous déjà essayé ? Jusqu'à quel point vous avez exploré vos possibles ? Par exemple, en tant que maître des ombres, je suis conscient de toutes leurs forces et de leurs faiblesses. Même si je ne suis pas un grand combattant, mes connaissances me sont fort utiles. La vie m'a appris que parfois, il fallait saisir les opportunités, même celles qui sont difficiles à appréhender. Bien sûr, ne vous sentez obligé à rien. C'est seulement mon enthousiasme qui parle.

Nous avions piqués sa curiosité, de par nos manipulations subtiles d'une poudre cristalline qui s'émiettait, quasi-invisible, de nos doigts.  Il nous fit étale de ses théories, nous ramenant à notre propre étude du carnet de Mère, aux théories qu'elle avait elle-même encryptées dans les premières pages.  Peu rapportait à l'origine même du chakra, connaissances sans doute partagée par tous alchimistes d'état gradués de l'école de la Guerre, mais manquantes pour des renkinjutsushi tels que nous. La mention des Apôtres ne coïnciderait avec nos découvertes qu'une fois notre future rencontre avec le savant vécue — dans l'antre du Mal.

Toutefois, la passion de l'ingénue savant de découvrir la Source résonnait avec le nôtre de briser la frontière qui séparait Seijaku de sa soeur.  Si nous pouvions découvrir cet entre-mondes, une dimension d'où naissait les âmes, un postulat de notre Mère qui avait entamé chez nous la quête de notre rédemption, peut-être pourrions-nous aider ce charmant jeune homme dans ses propres recherches ?  Les procédés pour pénétrer l'enceinte de l'Éducation étaient peut-être longs, mais ses possibilités de recherche, une fois à l'intérieur, semblaient infinies...
Une telle organisation devait posséder des secrets bien enfouis.  Qui sait, peut-être Renpei pourrait déjà y trouver les réponses à toutes ses questions... « Vos questionnements sont bel et biens dignes de la réputation d'Hakugaku ! En soit, les quêtes sur les origines de toute chose n'est-elle pas tributaire au statut d'alchimiste ? Ceux qui cherchent la vérité se doivent d'explorer les possibilités les plus saugrenues... »

Il poursuivit avec son désir enhardi de nous prélever notre sève, d'un discours qui se voulait humanitaire mais naïf. Dans ce monde, chacun se devait d'utiliser les ressources à sa disposition, seul un fou pourrait croire au salut de l'individu à cette époque de révolutions. Son éducation devait avoir tournée autour des grandes découvertes de l'Humanité, tandis que nous étions apparu dans les bas fonds sordides de la future Abondante. Nos dons nous étaient parvenus par nécessité de survie, ils faisaient part entière de notre persona. Et nous voilions de mystère l'être blessé, protégeant son cocon de mirages. « D'après votre exposé, vous nous posés un dilemme, Renpei-sama. D'une part, nous serions enclins de participer à vos recherches : si le prélèvement permet d'établir une base d'études sur l'origine du chakra. Toutefois, nous ne souhaiterions pas que cet échantillon ne tombe entre de mauvaises mains... Voyez-vous, dans ce monde, nous ne possédons que notre individualité... Notre sang, en quelque sorte, représente cette sève riche de nos particularités... Et comme tout bon illusionniste, en dévoiler les secrets reviendrait à vous révéler notre routine... À moins que nous n'extrapolions, les connaissances de la Kabbale n'étant réellement qu'au-niveau que vous mentionnez ? »
S'inquiéter de l'institution nous paraissait totalement prévisible, Sora la Renkinjutsushi n'avait pas confier ses précieuses notes à n'importe qui... Cette personne serait morte avec elles, si nous ne l'avions pas rencontrés. La prudence de notre Mère quant à ses trouvailles se devaient d'être respectée. « Toutefois, vous relevé un point : notre connaissance sur la profondeur de nos capacités nous est encore bien mystérieuse... Ces signes incantatoires dont vous faîtes mention, ces mūdra, père nous en a un jour touché mot, ne sont-ils pas basés sur le zodiaque ? Nous en avons jamais trouvé l'utilité... Nos premières illusions se sont exprimées, comment dire... instinctivement. Si nous vous autorisons à prélever notre sang, pourriez-vous nous faire le serment de ne jamais dévoiler vos observations y relatant ? Il va de soi que nous aimerions également être informé de vos résultats... »

Que l’horloge était cruelle. Ses aiguilles continuaient inlassablement leur ronde, pressant à chaque mouvement le savant. L’entretien s’éternisait, le privant de précieuses rencontres. Conscient de cela, il s’interrogeait sur la nécessité de continuer ou non cet échange. Les bénéfices que pouvaient apporter cette personne étaient certes importants, mais valaient-ils ceux de plusieurs individus ? La question taraudait son esprit, le faisant lentement dériver. Il continuait d’être à l’écoute de son patient, mais semblait quelque peu ailleurs. Bientôt, il fit le choix de presser cette discussion. Parfois, il fallait se montrer un peu brusque pour arriver à ses fins.

La méfiance, encore et toujours. C’était très étonnant d’assister à pareille récurrence. Renpei avait déjà connu de trop nombreuses fois cette réaction. La Kabbale était pour beaucoup une entité chaotique, malveillante et manipulatrice. Il ne savait pas d’où cette image pouvait provenir et se retrouvait quelque peu las de devoir sans cesse s’y opposer. Après un court soupir, il adressa un sourire tendre à son homologue.

Je comprends vos précautions, toutefois vous vous méprenez sur la Kabbale. Permettez-moi de vous faire cet aveu. Cette institution n’a aucune cohésion, elle rassemble seulement les curieux et les met en concurrence. Nous sommes seuls face à nos recherches et nous tentons d’apporter nos lumières à ce monde du mieux que nous pouvons. Soyez certain que j’ai toujours été franc avec vous, et je me désole aussi de voir mes connaissances aussi peu variées. Mais je me résous de plus en plus à l’idée que je suis encore jeune. Le temps fera son œuvre comme on dit.

Seijaku était bel et bien un enfant d’Ame. Ses raisonnements étaient logiques lorsqu’on retraçait ses origines, mais étaient aussi complétement caduque sur ses terres. Se montrer aussi prompt à accuser les autres était un mauvais réflexe, une menace insidieuse qui pouvait détruire tous ses efforts de socialisation. Cependant, le Nara n’était pas là pour faire la leçon au voyageur. Il n’en avait ni le désir, ni le temps.

Passons un marché, alors. Je vous fais le serment que cet échantillon demeurera anonyme et que ses secrets ne seront connus que de moi seul. Je peux aussi vous montrer les douze signes, et comment ils peuvent révéler en vous un pouvoir en sommeil. Enfin, en échange, je ne demande que votre sang. Je suis même prêt à vous oublier si cela vous arrange. Je ne viendrais pas toquer à votre porte pour vous partager mes savoirs, ou vous demandez un nouvel échantillon. Une fois l’échange fait, nous deviendront de nouveau deux étrangers. Si c’est cela qui vous convient, bien sûr.

Comme pour sceller cette promesse, l’auteur présenta sa main à son interlocuteur. Une simple poignée pour forger un serment inviolable, n’était-ce pas la, là volonté du Shugyoku ?

Il était évident que nous ne connaissions rien à l'institution référencée dans notre échange. Seuls les rumeurs, les écrits cryptés de Mère, et la longue démarche administrative pour pénétrer sa Capitale, avait forgé cette vision d'organisation secrète. Toutefois, les propos de notre interviewer donnèrent de la lumière à cette fausse représentation que nous nous faisions, en soit l'institution était plus une bannière pour les scientifiques à porter, qu'une réelle organisation ? Non, évidemment que non. Renpei était bel et bien une âme de l'Harmonie, alors que nous étions devenus adultes dans les rues malfamées occupées par la pègre. Se méfier était une seconde nature pour tous les ressortissants de la Pluie, alors que cette vision rose-bonbon était celle de ceux qui venaient de Chōwa, pensions-nous. Toutefois, à nos méfiances, Renpei répondait par la promesse d'un serment. La résultante de notre promesse, toutefois, ne répondait en rien à notre demande, celle de rester informer. Mais pour nous contenter, il proposait plutôt un contre-échange, un enseignement de ces signes qui aidaient, soit-disant, à mieux exprimer notre chakra. Un marché qui était loin de nos aspirations, mais qui, somme toute, restait équivalent. « Anonyme et secret, c'est effectivement ce que nous demandions. Votre compromis proposé nous apparait équitable, après tout, nous ne pensions pas réellement possible de rester en contact aux vues de notre voyage entrepris... Les correspondances ne sont pas les plus discrètes pour discuter d'un bilan confidentiel... [/b]

L'heure avançait et venait le temps de nous séparer. Nous exécutions par trois fois la série de mūdra, sous la supervision de l'alchimiste d'état, avant de sceller de notre poigne gracile notre marché.
Nous rejoignîmes les entrailles obscures de l'école de Guerre, à en arpenter ses couloirs pour en dégoter à nouveau la sortie. À notre bras, une petite ouate de soie avait été collée là où l'aiguille avait prélevé de notre sève carmin, pour peut-être expliquer à Renpei comme les dons des Usuriers pouvaient fonctionner... Pourtant, la moindre pensée vis à vis de ses recherches, plus particulièrement cet échange, nous apparaissait brouillé, comme plongé dans un brouillard que notre serment de chakra avait levé. Une étrange sensation, que nous sublimions une fois notre visage à nouveau recouvert des traits doux de l'oiran-kunshu.