Vivant. Il était vivant. L’esprit encore confus par les événements, le Nara tentait tant bien que mal à garder la face. Grâce aux soins de l’Uzumaki, son corps s’était éloigné des bras de la mort elle-même. Toutefois, son âme n’avait pas connu un pareil secours. L’odeur de la chair brûlée, les craquements des os dévorés, la vision de ce visage déformé par la douleur, le hantait sans relâche. À chaque fois que ses paupières osaient se fermer, des souvenirs atroces s’imposaient à l’adolescent. Pourquoi les avait-il emmenés là-bas ? Pourquoi n’avait-il pas écouté les avertissements de ses ainés ? Pourquoi était-il si faible ? Les remords étaient nombreux, le couvrant tel un brouillard épais et l’empêchant de se connecter à la réalité.

Assis sur ce qui ressemblait à un lit, Renpei semblait ailleurs. Malgré l’insistance des scientifiques, il ne les entendait pas. Piégé dans un cauchemar sans fin, il était tel une poupée dénuée de vie. Oh bien sûr, par moments, la lucidité lui revenait et l’amenait à subvenir à ses besoins. Néanmoins, depuis ses échanges avec Mai, il n’arrivait plus à rire ou à entretenir une réelle discussion. Parfois, il émettait un râle ou sa tête s’inclinait instinctivement. Ces réponses étaient toutes observées, annotées et analysées par l’audience indisciplinée.

Puis, dans cette cohorte bruyante, une vague d’insulte se fit entendre. Ce changement brutal alerta le patient et brisa sa léthargie. Que se passait-il ? Une menace ? Sans crier gare, il descendit de sa couche et commença à enchaîner quelques mudras. Mue par ses traumatismes, le maître des ombres convoqua une masse informe. Il devait se protéger, la Créature l’avait suivie, il ne voulait pas finir comme lui, il refusait de mourir ainsi. Par réflexe, ses yeux guettèrent le moindre mouvement, la moindre attaque. Même si la défense n’était pas sa spécialité, il allait tout faire pour chasser ce monstre, quitte à se servir des savants comme bouclier.

Si tu crois que je vais me laisser faire, tu te trompes ! L’heure de ma mort n’est pas encore arrivée ! Montre-toi, démon !

Tandis qu’il provoquait l’être invisible, l’éphèbe se mit à fusionner avec sa création. Même s’il savait qu’une telle action était inutile, il espérait devenir suffisamment menaçant pour effrayer son poursuivant. L’instinct animal devait forcément régir ses pensées, après tout, il n’était qu’une bête affamée.

La terreur, il ne restait plus que la terreur. Esclave de ses propres ténèbres, Renpei balbutiait de maigres menaces et tentait tant bien que mal de paraître dissuasif. Malheureusement pour lui, la scène était loin d’être impressionnante, au contraire tout semblait pathétique. Le corps fragilisé par les récentes épreuves, le Nara peinait à se tenir debout, et sans son ombre, il serait déjà au sol. Par fierté, il fit tout son possible pour cacher ses failles. Néanmoins, personne n’était dupe.

En effet, l’auditoire perçut sa détresse et recula d’instinct. Tous comprirent que les traumatismes du jeune homme étaient profonds et méritaient de la prudence. Seul un être parmi eux, continua d’avancer. Le cœur vaillant et l’esprit vif, l’inconnu interpella le malade et usa de ses dons pour le calme. Bien trop occupé à fuir la réalité, le Nara se laissa piéger bien trop facilement et accueillit la paralysie de façon mitigée. La peur s’accentua, craignant un assaut qui n’arrivera jamais, amplifiée par l’idée que toute fuite était impossible. La lucidité elle, trouvait dans cette camisole, une pause salvatrice. La bête était loin, il n’y avait que de simples hommes. Quelques secondes furent nécessaires pour que la deuxième l’emporte sur la première, ordonnant à la création de disparaître. Quelque peu confus, l’écrivain se raccrocha à sa couche et tenta maladroitement de s’y asseoir.

Je… Je suis désolé… Je crois que je suis encore sous le choc. Cet antre infernal hante encore mes pensées, et j’imagine que me retrouver ainsi enfermé ne m’aide pas…

La tête reposant entre ses mains, le fils de l’Ambassadeur tentait de se calmer et de laisser une nouvelle place à sa raison. Agir comme il l’avait fait, n’était pas digne de lui. Il fallait encore se reposer, c’était la seule solution.

Puis-je vous aider ? Si j’ai bien compris, vous me cherchez ? On ne fend pas la foule de cette façon, sans avoir une idée en tête. En quoi puis-je vous être utile ?

Toute l’attention du survivant était tournée vers le téméraire. Plus aucune animosité n’animait son regard, seulement de la fatigue et de la honte. Renpei était loin de son comportement habituel, et cela l’affectait profondément.

Suspendu au reste de sa lucidité, Renpei attendait avec douleur la réponse de l’inconnu. Son esprit luttait contre le sommeil. Cet appel était semblable aux caresses de la nuit, susurrant à son âme de céder à la tentation. Pourtant, son ego ou sa politesse l’en empêchait. Il devait répondre aux attentes de ses visiteurs érudits, son savoir devait se propager. C’était cette certitude ancienne qui animait aujourd’hui le survivant.

Si je vous décris ce que j’ai vu, ressenti et éprouvé. Aurais-je le droit de me reposer en paix ?Ce n’est pas tant que la présence de vos pairs me gêne, mais j’ai du mal à m’extirper de ses enfers. Ce monde que j’ai visité… Je n’étais pas prêt… Nous n’étions pas prêts…

Lentement, ses paupières plongèrent sa vue dans les ténèbres. Le fil du carnage se déroula une nouvelle fois devant lui. Les cris sourds, les visages déformés, les abandons forcés… Puis, un sursaut le ramena à la réalité et à son échange inopiné. Sombrer n’était pas un choix, il devait avancer.

Dans cette tombe, l’air est lourd, votre corps est sans cesse agressé par une force hostile. L'atmosphère se noie dans vos poumons et brûle votre gorge. Un seule contact avec une paroi, et vous sentez votre énergie vous quitter. Mais ce n’est qu’un moindre mal, dans ce dédale mortifère. Des pièges guettent le moindre de vos mouvements, vous pourchassent et empêchent tout répit. Quant aux créatures qui y sommeillent, elles dépassent les limites humaines, vous noient sous les assauts destructeurs. Tout, ici-bas, désire votre mort, et si votre volonté n’est pas assez forte, cela sera aussi le vôtre.

Une certaine tristesse colorait ses mots. Il connaissait désormais le coût d’un pareil périple, et il regrettait ses choix passés.

Hormis cela, je n’ai vu que mort et traîtrise. Ces terres mettent à rude épreuve l’Humanité, comme si elle n’y était pas la bienvenue. C’est une sensation étrange que de survivre à un Calice. On appartient à deux mondes. Plus vraiment vivant, et pourtant loin d’être mort. Je n'ai rien d'autre à dire...